Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise de condamner la commune de Levallois-Perret à lui verser la somme de 1 677 373 euros en réparation des préjudices subis du fait de l'exercice illégal du droit de préemption sur un bien situé 30-32 rue Trébois, dont il s'était porté acquéreur.
Par jugement n° 1802656 du 12 janvier 2021, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et des mémoires enregistrés les 11 mars 2021, 29 juin et 31 juillet 2023 , M. B..., représenté par Me d'Albert des Essarts, avocate, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de condamner la commune de Levallois-Perret à lui verser la somme de 1 300 000 euros en réparation des préjudices subis du fait de l'exercice illégal du droit de préemption sur le bien situé 30-32 rue Trébois à Levallois-Perret ;
3°) de mettre à la charge de la commune de Levallois-Perret la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- les conclusions d'appel incident de la commune sont irrecevables, ainsi que la cour l'a envisagé dans son courrier adressé le 27 juin 2023 en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative ;
- le jugement attaqué est irrégulier, faute d'être signé ;
- c'est à tort que le tribunal, après avoir à juste titre estimé que la commune de Levallois-Perret avait utilisé de manière frauduleuse le droit de préemption, a rejeté ses demandes indemnitaires ;
- la faute constituée par l'utilisation frauduleuse du droit de préemption est à l'origine d'un préjudice constitué par la perte de chance de se constituer un patrimoine et de réalisation d'une plus-value lors de la revente de son bien, estimé à la somme de 1 077 373 euros ;
- elle est également à l'origine de frais engagés en vue de l'acquisition de l'immeuble, pour un montant de 50 000 euros ;
- elle est enfin à l'origine d'un préjudice constitué par la perte de chance d'établir sa résidence principale à Levallois-Perret, estimé à la somme de 50 000 euros.
M. B... a également présenté un mémoire le 14 septembre 2023, qui n'a pas été communiqué.
Par des mémoires en défense enregistrés les 13 janvier, 22 mai, 6 juillet et 1er août 2023, la commune de Levallois-Perret, représentée par Me Claude, avocat, demande à la cour :
1°) à titre principal, de rejeter la requête d'appel de M. B... ;
2°) à titre subsidiaire, d'annuler le jugement attaqué et de rejeter les conclusions indemnitaires présentées par M. B... ;
3°) de mettre à la charge de M. B... la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la requête est irrecevable, faute d'être suffisamment motivée ;
- le moyen tiré de l'irrégularité du jugement manque en fait ;
- le jugement est insuffisamment motivé ;
- c'est à tort que les premiers juges ont estimé que la décision du 22 juin 2006 était insuffisamment motivée, que la commune ne justifiait pas de la réalité d'un projet d'aménagement, que le bien n'aurait pas été utilisé conformément à l'intérêt général et qu'elle aurait ainsi fait un usage frauduleux du droit de préemption ;
- le demandeur ne justifie pas la réalité et le caractère certain des préjudices qu'il invoque.
Les parties ont été informées, le 27 juin 2023, en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur des moyens relevés d'office tirés, d'une part, de ce que le jugement attaqué ayant rejeté l'intégralité des conclusions présentées par M. B... en première instance, la commune de Levallois-Perret ne justifie pas d'un intérêt à demander l'annulation de ce jugement par la voie de l'appel incident et de ce que, par conséquent, elle ne saurait utilement se prévaloir de l'insuffisante motivation de ce jugement, d'autre part, de ce que la commune n'est pas recevable à demander la réformation des motifs du jugement.
Vu :
- le code de l'urbanisme ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Troalen ;
- les conclusions de M. Lerooy, rapporteur public ;
- et les observations de Me Reymond, substituant Me d'Albert des Essarts, pour M. B... et de Me Lorentz, substituant Me Claude, pour la commune de Levallois-Perret.
Considérant ce qui suit :
1. Le 10 avril 2006, la société Parisienne d'Immobilier a conclu avec M. B... une promesse de vente relative à un bien situé 30-32 rue Trébois à Levallois-Perret. Par une décision du 22 juin 2006, le conseil municipal de la commune de Levallois-Perret a décidé d'exercer son droit de préemption urbain sur ce bien. Le 20 octobre 2006, le transfert de la propriété de ce bien est intervenu par acte notarié. Par une délibération du 28 juin 2012, le conseil municipal a décidé de revendre le bien concerné. M. B... a demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise de condamner la commune de Levallois-Perret à lui verser la somme de 1 677 373 euros en réparation des préjudices subis du fait de l'exercice illégal du droit de préemption sur ce bien. Par un jugement du 12 janvier 2021 dont il relève appel, le tribunal a estimé que la commune avait commis des fautes en utilisant de manière frauduleuse le droit de préemption, mais a rejeté les conclusions indemnitaires, faute de justification de préjudices en lien direct et certain avec ces fautes.
Sur la recevabilité des conclusions d'appel de la commune :
2. Par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté les conclusions indemnitaires présentées par M. B.... Ainsi, la commune de Levallois-Perret ne justifie pas d'un intérêt à demander l'annulation de ce jugement.
Sur la régularité du jugement :
3. En premier lieu, eu égard à ce qui a été dit au point 2, il n'y a pas lieu d'examiner le moyen tiré de l'insuffisante motivation du jugement attaqué, invoqué par la commune à l'appui de ses conclusions tendant à l'annulation de ce jugement.
4. En second lieu, aux termes de l'article R. 741-7 du code de justice administrative : " Dans les tribunaux administratifs (...), la minute de la décision est signée par le président de la formation de jugement, le rapporteur et le greffier d'audience. ".
5. Il ressort des pièces du dossier que le jugement attaqué a été signé conformément aux dispositions précitées de l'article R. 741-7 du code de justice administrative. La circonstance que l'ampliation du jugement qui a été notifiée à M. B... ne comporte pas ces signatures est sans incidence sur la régularité de ce jugement.
Sur le bien-fondé du jugement :
6. Aux termes de l'article L. 210-1 du code de l'urbanisme, dans sa rédaction applicable à la date de la décision litigieuse : " Les droits de préemption institués par le présent titre sont exercés en vue de la réalisation, dans l'intérêt général, des actions ou opérations répondant aux objets définis à l'article L. 300-1, à l'exception de ceux visant à sauvegarder ou à mettre en valeur les espaces naturels, ou pour constituer des réserves foncières en vue de permettre la réalisation desdites actions ou opérations d'aménagement. / Toute décision de préemption doit mentionner l'objet pour lequel ce droit est exercé (...) ".
7. Il résulte de ces dispositions que les collectivités titulaires du droit de préemption urbain peuvent légalement exercer ce droit, d'une part, si elles justifient, à la date à laquelle elles l'exercent, de la réalité d'un projet d'action ou d'opération d'aménagement répondant aux objets mentionnés à l'article L. 300-1 du code de l'urbanisme, alors même que les caractéristiques précises de ce projet n'auraient pas été définies à cette date, et, d'autre part, si elles font apparaître la nature de ce projet dans la décision de préemption.
8. Pour justifier l'usage du droit de préemption sur le bien situé 30-32 rue Trébois, le conseil municipal de la commune de Levallois-Perret, après avoir précisé que les lots concernés se trouvaient dans le périmètre du droit de préemption urbain renforcé défini par la commune et visé les arrêtés du préfet des Hauts-de-Seine des 28 février 2002, 4 mars 2003, 13 février 204, 10 février 2005 et 8 février 2006 constatant un déficit de logement social dans la commune, a indiqué que leur acquisition permettrait " la réalisation d'un programme de logements sociaux dans le cadre de la politique municipale de l'habitat ".Toutefois, la commune de Levallois-Perret n'a fourni aucun élément pour attester de la réalité, à la date de la décision de préemption, d'un tel projet de construction de logements sociaux à cet emplacement précis. Dès lors, cette décision doit être regardée comme étant entachée d'illégalité interne et, par suite, en dépit des allégations de la commune, fautive, sans qu'il soit besoin, eu égard aux préjudices invoqués par M. B..., de se prononcer sur les autres allégations de fautes de ce dernier.
9. Un acquéreur évincé par une décision de préemption illégale est en droit d'obtenir réparation des préjudices qui résultent pour lui, de façon directe et certaine, de cette décision.
10. En premier lieu, la promesse de vente conclue par M. B... contenait deux conditions suspensives, l'une relative à l'obtention d'un prêt immobilier, l'autre à l'obtention d'un permis de démolir. Si l'intéressé a justifié de l'obtention d'une offre de prêt émise le 12 mai 2006 par la caisse régionale de crédit agricole mutuel de Paris et d'Ile-de-France, pour l'acquisition d'une résidence principale à Levallois-Perret, il n'a fourni aucun document de nature à démontrer qu'il aurait déposé auprès des services de la mairie de Levallois-Perret une demande de permis de démolir dans le délai de quarante-cinq jours prévu par la promesse de vente du 10 avril 2016 ou même avant la décision de préemption. De plus, il n'a pas contesté la décision du 22 juin 2016 par laquelle la commune de Levallois-Perret a décidé de faire usage du droit de préemption. Le préjudice allégué ne présente donc pas de caractère certain. En outre, alors que M. B... soutient qu'il souhaitait faire du bien préempté sa résidence principale, il ne ressort pas des pièces du dossier qu'il aurait eu l'intention de revendre ce bien à court ou moyen terme ou qu'il aurait cherché ensuite à acquérir un autre bien immobilier à Levallois-Perret. Il apparaît à l'inverse qu'il envisageait de revendre sa résidence principale pour acheter le bien préempté et il ne résulte pas de l'instruction qu'il ne soit plus propriétaire d'un bien immobilier. Ainsi, il ne résulte pas de l'instruction que le caractère illégal de la décision du 22 juin 2006 soit à l'origine pour M. B... d'une perte de chance de se constituer un patrimoine immobilier et de réaliser une plus-value lors de la revente de son bien.
11. En deuxième lieu, si M. B... demande à se voir indemnisé des frais engagés en vue de l'acquisition de l'immeuble, qu'il évalue à la somme de 50 000 euros, les deux devis relatifs à des travaux établis en avril 2006, les annotations qu'il a portées sur un plan du bien ainsi que le projet de dossier de déclaration préalable qu'il a joint à sa requête ne sauraient permettre de démontrer qu'il a engagé de quelconques frais en vue de l'acquisition projetée.
12. En troisième lieu, M. B... fait valoir qu'il avait le projet d'établir sa résidence principale à Levallois-Perret et que la décision du 22 juin 2016 l'a privé d'une telle chance. Toutefois, l'intéressé ne fournit aucune précision ni justification quant à l'antériorité d'un tel projet. En outre, alors qu'il ne soutient pas avoir cherché à acquérir un autre bien immobilier dans cette commune, il n'indique pas la nature des troubles qu'il subirait du fait de l'absence d'une telle installation. Dans ces conditions, M. B... ne saurait prétendre à l'indemnisation d'une perte de chance de s'établir à Levallois-Perret faute de justifier de la réalité d'un tel préjudice.
13. Par suite, M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté ses conclusions indemnitaires. Il en résulte que ses conclusions d'appel, y compris ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la fin de non-recevoir opposée par la commune de Levallois-Perret.
Sur la demande présentée par la commune de Levallois-Perret au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
14. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. B..., la somme que la commune de Levallois-Perret demande au titre des frais d'instance.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.
Article 2 : Les conclusions de la commune de Levallois-Perret sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et à la commune de Levallois-Perret.
Délibéré après l'audience du 19 septembre 2023, à laquelle siégeaient :
Mme Versol, présidente de chambre,
Mme Dorion, présidente-assesseure,
Mme Troalen, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 3 octobre 2023.
La rapporteure,
E. TROALENLa présidente,
F. VERSOLLa greffière,
A. GAUTHIER
La République mande et ordonne au préfet des Hauts-de-Seine en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme
La greffière,
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No 21VE00824