Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société anonyme (SA) Saint Louis Sucre a demandé au tribunal administratif de Montreuil de prononcer la décharge, d'une part, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et de contribution sociale, ainsi que les intérêts de retard afférents, auxquelles elle a été assujettie au titre de l'exercice clos le 28 février 2011 pour un montant de 1 801 398 euros, et, d'autre part, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés, de contribution sociale et de contribution exceptionnelle, ainsi que des pénalités pour manquement délibéré, auxquelles elle a été assujettie au titre de l'exercice clos le 28 février 2013 pour un montant de 4 908 559 euros.
Par un jugement n° 1811254 du 17 juillet 2020, le tribunal administratif de Montreuil a prononcé un non-lieu à statuer à hauteur du dégrèvement intervenu en cours d'instance, la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés, de contribution sociale et de contribution exceptionnelle ainsi que de la pénalité pour manquement délibéré, correspondant à l'indemnité versée par le bureau d'intervention et de restitution belge à la société Saint Louis Sucre, et a rejeté le surplus de sa demande.
Procédure devant la cour :
I- Par une requête et un mémoire, enregistrés les 7 septembre 2020 et 31 mai 2021, sous le n° 20VE02300, la SA Saint Louis Sucre, représentée par Me Duchatel, avocat, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement en tant qu'il a rejeté le surplus de sa demande ;
2°) de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et de contribution sociale, ainsi que les intérêts de retard afférents, auxquelles elle a été assujettie au titre de l'exercice clos le 28 février 2011 pour un montant de 1 801 398 euros ;
3°) de mettre à la charge de l'État le versement de la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
La SA Saint Louis Sucre soutient que :
- la méthode alternative qu'elle a appliqué, dans le cadre de l'opération dite de " Swap " avec sa société mère allemande Südzucker AG, a permis de fixer le prix de vente intra-groupe en prenant en compte le prix de revente aux tiers, déduction faite de la marge normale ; ce prix de 427,70 euros par tonne était au moins égal, voire supérieur, au prix de pleine concurrence ;
- elle justifie, par les documents produits, du prix déterminé selon la méthode alternative ; il résulte d'un prix de vente conclu avec le client Coca-Cola Italie (société Maxi) de 495 euros par tonne, avant déduction des coûts logistiques dans l'Union européenne pour un montant de 70 euros par tonne, et d'une marge bénéficiaire de 2,70 euros par tonne qui lui a été consentie par Südzucker AG ;
- le recours à cette méthode alternative se justifie par l'effondrement du cours du sucre du quota pendant la campagne 2009/2010 et par les coûts de transport générés par des livraisons dans le sud de l'Europe ; sans cette cession au nouveau prix, elle aurait dû, soit stocker ses marchandises en vue d'une vente sur la campagne suivante en supportant des frais de stockage significatifs, soit les vendre dans l'Union européenne sur les marchés déficitaires, en particulier sur le marché espagnol, à un prix inférieur à celui qu'elle a négocié avec sa société mère ;
- l'administration fiscale n'a pas fourni de comparables ; elle s'est bornée à comparer le prix résultant de la clause générale (prix CUP) avec celui résultant de la clause alternative (prix de revente), au lieu de comparer les conditions de l'opération intra-groupe par rapport à ce qu'elle aurait pu obtenir hors du groupe ;
- l'opération de swap a été réalisée dans son propre intérêt et non dans l'intérêt exclusif de sa société mère ; elle lui a été profitable en générant un chiffre d'affaires de plus de 42,5 millions d'euros qui lui a permis, outre de couvrir ses charges fixes, de réaliser une marge de 6,6 millions d'euros, ce qui permet d'exclure tout acte anormal de gestion ; cette opération lui a également permis d'optimiser la vente de sucres hors quota, réalisée sur le marché africain ;
- une autre opération de " Swap " a été réalisée à son bénéfice en sens inverse sur la période vérifiée, à un prix déterminé selon la méthode alternative et inférieur au prix CUP, sans faire l'objet de commentaires du service vérificateur.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 3 mai 2021 et 7 octobre 2021, le ministre de l'économie, des finances et de la relance conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par la SA Saint Louis Sucre ne sont pas fondés.
II- Par une requête et un mémoire, enregistrés les 9 novembre 2020 et 14 janvier 2021, sous le n° 20VE02888, le ministre de l'économie, des finances et de la relance demande à la cour :
1°) d'annuler les articles 2 et 3 du jugement n° 1811254 du 17 juillet 2020 du tribunal administratif de Montreuil ;
2°) de rétablir les impositions en litige dont la décharge a été accordée à tort par les premiers juges.
Le ministre soutient que :
- l'imposition en litige est cependant justifiée pour un autre motif de droit tiré de ce qu'en présence d'une erreur comptable délibérée, l'administration n'est pas tenue de procéder à la correction symétrique des bilans et se trouve, dès lors, fondée à constater une insuffisance d'actif net de 9 016 655 euros au titre de l'exercice clos au 28 février 2013, exercice de constatation comptable du produit exceptionnel correspondant à la créance délibérément omise, imposable sur le fondement des dispositions du 2 de l'article 38 du code général des impôts ;
- en l'espèce, cette créance que détenait la SNC Saint Louis Sucre à la suite du jugement du 20 mars 2008 aurait dû être comptabilisée dès l'exercice clos en 2008 et transmise lors de la transmission universelle de patrimoine au profit de la SA Saint Louis Sucre, son unique associé, le 31 juillet 2008 ; cette dernière a délibérément éludé la comptabilisation de cette créance alors qu'elle avait connaissance de son traitement fiscal irrégulier ; en effet, elle connaissait les principes applicables dont elle se prévaut dans sa mention expresse en 2013 pour bénéficier de la prescription ;
- par ailleurs, aucun document comptable ou fiscal n'a fait état du litige ayant opposé la SNC Saint Louis Sucre au BIRB, alors même que l'importance des montants et la décision favorable rendue en première instance rendaient nécessaire sa mention dans les annexes aux comptes sociaux ;
- dans ces conditions, l'administration était également fondée à appliquer la majoration de 40% pour manquement délibéré.
Par un mémoire en défense enregistré le 5 janvier 2021, la SA Saint Louis Sucre, représentée par Me Duchatel, avocat, conclut au rejet de la requête du ministre et à ce que soit mis à la charge de l'État le versement de la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le règlement (CE) n°967/2006 de la Commission du 29 juin 2006 portant modalités d'application du règlement (CE) no 318/2006 du Conseil en ce qui concerne la production hors quota dans le secteur du sucre ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Lerooy ;
- les conclusions de Mme Deroc, rapporteure publique ;
- et les observations de Me Leboff, subsituant Me Duchatel, représentant la SA Saint Louis Sucre.
Considérant ce qui suit :
1. La SA Saint Louis Sucre, qui exerce à titre principal une activité de producteur de sucre à base de betteraves et qui est membre du groupe Südzucker, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité portant sur la période du 1er mars 2010 au 28 février 2013 à l'issue de laquelle l'administration fiscale lui a notamment notifié, d'une part, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et de contribution sociale, ainsi que des intérêts de retard, au titre de l'exercice clos le 28 février 2011 pour un montant de 1 801 398 euros, résultant d'un rehaussement effectué en matière de prix de transfert et, d'autre part, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés, de contribution sociale et de contribution exceptionnelle, ainsi que des pénalités pour manquement délibéré, au titre de l'exercice clos le 28 février 2013 pour un montant de 4 908 559 euros, procédant de la remise en cause d'une déduction extra-comptable d'une indemnité du bureau d'intervention et de restitution belge perçue à la suite d'une décision judiciaire. Par un jugement du 17 juillet 2020, le tribunal administratif de Montreuil a prononcé un non-lieu à statuer à hauteur du dégrèvement intervenu en cours d'instance, correspondant aux intérêts de retard relatifs à cette indemnité, la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés, de contribution sociale et de contribution exceptionnelle ainsi que de la pénalité pour manquement délibéré afférente à cette même indemnité, et a rejeté le surplus de sa demande. Par sa requête enregistrée sous le n° 20VE02300, la SA Saint Louis Sucre demande à la cour d'annuler ce jugement en tant qu'il a rejeté le surplus de sa demande. Par sa requête enregistrée sous le n° 20VE02888, le ministre de l'économie, des finances et de la relance relève appel du même jugement et demande à la cour de rétablir les impositions en litige dont la décharge a été accordée à tort par les premiers juges.
Sur la jonction :
2. Les requêtes n° 20VE02300 de la SA Saint Louis Sucre et n° 20VE02888 du ministre de l'économie, des finances et de la relance sont dirigées contre un même jugement du 17 juillet 2020 du tribunal administratif de Montreuil. Il y a lieu de les joindre pour qu'elles fassent l'objet d'un seul arrêt.
Sur la requête n° 20VE02300 de la SA Saint Louis Sucre :
En ce qui concerne la régularité du jugement attaqué :
3. Aux termes de l'article L. 9 du code de justice administrative : " Les jugements sont motivés ".
4. La société requérante soutient que les premiers juges ont entaché leur jugement d'irrégularité en ne motivant pas leur réponse au moyen tiré de ce qu'une autre opération d'échange conclue sur la période vérifiée, dont le prix avait été déterminé selon la même méthode alternative, n'avait pas fait l'objet de rectifications. Toutefois, le tribunal administratif n'a pas entaché son jugement d'une insuffisance de motivation dès lors qu'il a déclaré ce moyen inopérant.
En ce qui concerne le transfert indirect de bénéfices :
5. Aux termes de l'article 57 du code général des impôts, dans sa rédaction applicable aux années d'imposition en litige : " Pour l'établissement de l'impôt sur le revenu dû par les entreprises qui sont sous la dépendance ou qui possèdent le contrôle d'entreprises situées hors de France, les bénéfices indirectement transférés à ces dernières, soit par voie de majoration ou de diminution des prix d'achat ou de vente, soit par tout autre moyen, sont incorporés aux résultats accusés par les comptabilités. Il est procédé de même à l'égard des entreprises qui sont sous la dépendance d'une entreprise ou d'un groupe possédant également le contrôle d'entreprises situées hors de France. / (...) A défaut d'éléments précis pour opérer les rectifications prévues aux premier, deuxième et troisième alinéas, les produits imposables sont déterminés par comparaison avec ceux des entreprises similaires exploitées normalement ".
6. Il résulte de ces dispositions que, lorsqu'elle constate que les prix facturés par une entreprise établie en France à une entreprise étrangère qui lui est liée sont inférieurs à ceux pratiqués, soit par cette entreprise avec d'autres clients dépourvus de liens de dépendance avec elle, soit par des entreprises similaires exploitées normalement avec des clients dépourvus de liens de dépendance, sans que cet écart s'explique par la situation différente de ces clients, l'administration doit être regardée comme établissant l'existence d'un avantage qu'elle est en droit de réintégrer dans les résultats de l'entreprise établie en France, sauf pour celle-ci à justifier que cet avantage a eu pour elle des contreparties aux moins équivalentes. A défaut d'avoir procédé à de telles comparaisons, l'administration n'est, en revanche, pas fondée à invoquer la présomption de transferts de bénéfices ainsi instituée mais doit, pour démontrer qu'une entreprise a consenti une libéralité en facturant des prestations à un prix insuffisant, établir l'existence d'un écart injustifié entre le prix convenu et la valeur vénale du bien cédé ou du service rendu.
7. Il résulte de l'instruction que la société Saint Louis Sucre a procédé, dans le cadre d'opérations d'équivalence prévues par les dispositions de l'article 7 du règlement (CE) n°967/2006 de la Commission du 29 juin 2006, à la vente du " sucre du quota " à sa société mère Südzucker AG pour un montant de 64 millions d'euros au titre de l'exercice clos en 2011, 78 millions d'euros au titre de l'exercice clos en 2012 et 95 millions d'euros au titre de l'exercice clos en 2013, augmentant sa quantité de sucre " hors quota " à due concurrence. Pour déterminer ses prix intra-groupe, la société requérante utilise habituellement la méthode du prix comparable sur le marché libre (dite " méthode CUP "), qui consiste à comparer le prix d'un bien transféré dans le cadre d'une transaction contrôlée avec le prix d'une transaction comparable dans les conditions de pleine concurrence. Les contrats de vente de sucre avec les clients industriels se concluent traditionnellement en début de campagne sucrière, chaque mois d'octobre, et les prix fixés pour la campagne ne sont pas modifiables. La société requérante détermine donc ses prix de transfert sur la base d'une moyenne de prix observée dans les contrats signés par les entités du groupe Südzucker avec les cinq clients tiers les plus importants, puis une déduction de 15 euros par tonne est ensuite opérée sur ce prix, correspondant à la marge commerciale. Ainsi, pour la période du 1er octobre 2009 au 30 septembre 2010, le prix de transfert a été fixé à 472,84 euros. Toutefois, pour cette campagne sucrière, la société requérante a facturé à Südzucker AG le sucre du quota, non pas au prix qu'impliquait la méthode CUP, mais à 427,20 euros par tonne. Ce montant résulte de la mise en œuvre d'une méthode alternative de calcul, désignée clause " market distorsion ", qui prend en compte le prix de revente aux tiers, déduction faite de la marge commerciale normale, et qui s'applique lorsque la méthode CUP ne permet pas à l'une ou l'autre des parties de couvrir ses coûts. Les parties se mettent alors d'accord sur un prix de transfert négocié entre elles.
8. L'administration fiscale a estimé que le prix facturé par la société Saint Louis Sucre à la société Südzucker AG, selon cette méthode alternative, dérogeait au prix de transfert fixé par la société elle-même et que, résultant d'une entente entre parties liées, il ne pouvait être regardé comme un prix de pleine concurrence mais visait en réalité à permettre à la société mère, en utilisant la logistique de sa filiale française, d'écouler le surplus de son stock de sucres hors quota excédentaire et de lui éviter ainsi de lourdes pénalités. Dans ces conditions, elle a estimé qu'en facturant à sa société mère un prix minoré, la société requérante a commis un acte anormal de gestion constitutif d'un transfert indirect de bénéfices.
S'agissant de l'existence d'un lien de dépendance :
9. Il est constant en l'espèce que la société allemande Südzucker AG détient 100% du capital de la société belge Raffinerie Tiermontoise, laquelle détient la totalité du capital de la SA Saint Louis Sucre. Par suite, l'existence d'un lien de dépendance entre cette dernière et la société mère Südzucker AG est établie.
S'agissant de la présomption de transfert de bénéfices :
10. Pour contester l'existence d'un avantage tarifaire octroyé à sa société mère Südzucker AG, et, partant, d'un transfert indirect de bénéfices au sens des dispositions précitées de l'article 57 du code général des impôts, la société Saint Louis Sucre soutient que le prix de 427,20 euros par tonne, déterminé selon la méthode alternative, correspond au prix de pleine concurrence. Pour justifier du recours à cette méthode, elle produit notamment une fiche méthodologique prévue par la documentation de prix de transfert, intitulée " Swap SZAG-) SLS : Derivation transfer price 2009/10 ". Cette fiche mentionne un prix de revente de 495 euros par tonne sur lequel la société requérante a imputé un montant de 70 euros correspondant aux coûts logistiques, au motif que les prix de transfert n'en tiendraient pas compte, puis a ajouté une somme de 2,70 euros par tonne, correspondant à la marge bénéficiaire qui lui a été consentie par la société Südzucker AG. Pour justifier du prix de revente de 495 euros par tonne, elle s'est toutefois bornée à prendre en compte l'unique contrat de vente référent entre la société Südzucker AG et son client italien Maxi, soit 510 euros par tonne, déduction faite de la marge commerciale de ce dernier qui serait de 15 euros par tonne. Si elle produit également un tableau pour justifier du montant des coûts logistiques, celui-ci ne permet pas d'établir la réalité des chiffres avancés par la société. Au demeurant, comme le soutient le ministre en défense, l'annexe 5 à la requête de la société requérante indique que les prix moyens du sucre sur le marché européen sont déterminés " ex works ", c'est-à-dire à la sortie d'usine, sans prendre en compte les coûts logistiques. Or, de 2010 à 2011, le prix moyen du sucre a varié de 476 à 654 euros la tonne. Ainsi, la société requérante ne justifie pas, par les pièces produites, du prix de vente de 427,70 euros la tonne à sa société mère résultant de l'application, par ses soins, de la méthode alternative.
11. La société Saint Louis Sucre fait également valoir l'absence de débouchés à la suite de la baisse du cours du sucre du quota sur la période 2009/2010. Elle soutient que sa société mère n'aurait pu l'acheter au prix CUP de 472,80 euros par tonne, compte tenu des coûts de transport générés par des livraisons dans le sud de l'Europe. Sans cette cession au prix de 427,20 euros par tonne, elle aurait dû, soit stocker ses marchandises en vue d'une vente sur la campagne suivante en supportant des frais de stockage significatifs, soit les vendre dans l'Union européenne sur les marchés déficitaires, en particulier sur le marché espagnol, à un prix inférieur à celui qu'elle a négocié avec sa société mère. Cependant, elle n'apporte pas d'éléments probants au soutien de ses allégations en se bornant à produire deux factures avec la société espagnole Südzucker Iberica SLU, faisant état d'un prix de vente de 446 euros au 15 juillet 2010 et de 471 euros au 23 août 2010, alors que la fluctuation des cours pendant ces quelques semaines montrait une forte amplitude. En outre, la société requérante ne démontre pas que son " sucre du quota " ne pouvait être vendu qu'en Espagne.
12. Par conséquent, au regard de l'ensemble de ces éléments, la méthode alternative dont se prévaut la société Saint Louis Sucre étant insuffisamment documentée, l'administration pouvait l'écarter comme dépourvue de pertinence pour déterminer le prix de transfert au regard du principe de pleine concurrence et se fonder sur la méthode du prix comparable. Si la société requérante soutient que l'administration n'a pas fourni de comparables pour déterminer le prix de transfert selon cette méthode, il résulte de l'instruction qu'elle a retenu le prix de 472, 84 euros défini par le groupe Südzucker lui-même, et reposant sur les prix pratiqués avec les clients Barry Callebaut, Ferrero, Kraft Foods, Coca-Cola et Maxi en octobre 2009. Ce prix correspond au prix de marché estimé en début de période en fonction des contrats en cours de signature. En se bornant à soutenir que le prix de 427,20 euros par tonne, déterminé selon la méthode alternative, correspond au prix de pleine concurrence, la société Saint Louis Sucre ne conteste pas que la méthode CUP, retenue par le service, pouvait être appliquée pour établir le prix de pleine concurrence. L'administration pouvait alors considérer que le prix de 427,20 euros, inférieur à la moyenne des contrats comparables selon la méthode CUP, représentait un avantage consenti par la société requérante à sa société mère Südzucker AG, constitutif d'un transfert de bénéfices au sens des dispositions de l'article 57 du code général des impôts. La présomption de transfert de bénéfices est donc établie en l'espèce.
S'agissant de l'existence de contreparties favorables :
13. La société Saint Louis Sucre soutient toutefois que l'opération de swap a été réalisée dans son propre intérêt, et non dans l'intérêt exclusif de sa société mère, et qu'elle a bénéficié de contreparties favorables. Ainsi que l'ont relevé la commission nationale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires et le tribunal en première instance, il n'est pas contesté que l'utilisation de la procédure " Swap " a permis aux deux sociétés liées, en échangeant leurs droits à quota et hors quota de sucres, d'écouler leur stock excédentaire. En effet, la société française possédait la logistique pour écouler du sucre hors quota sur le marché africain alors que la société allemande avait la capacité de négocier de meilleures conditions de ventes du sucre quota avec ses gros clients industriels. En revanche, il ressort des courriers des 22 septembre 2009 et 10 février 2010 adressés par la société requérante à FranceAgrimer, et produits par l'administration, que l'Allemagne disposait du stock de sucre hors quota le plus élevé d'Europe et qu'il était " physiquement impossible d'en écouler la totalité " sans les opérations de mise en équivalence. Il apparaît ainsi que Südzucker AG profitait de la position géographique de la société Saint Louis Sucre pour réduire ses coûts logistiques à l'exportation, l'objectif étant " de maximiser les ventes de sucres hors quota au départ de France ". Cette dernière soutient que son appartenance au groupe Südzucker lui a néanmoins permis de survivre dans une période délicate pour le secteur et que cette opération lui a été profitable en générant un chiffre d'affaires de plus de 42,5 millions d'euros qui lui a permis, outre de couvrir ses charges fixes, de réaliser une marge de 6,6 millions d'euros, ainsi que d'optimiser la vente de sucres hors quota réalisée sur le marché africain et d'éviter des frais de stockage significatifs. Toutefois, alors qu'il résulte de ce qui a été dit au point 12 qu'il existe une présomption de transfert indirect de bénéfices à hauteur d'environ 45 euros par tonne compte tenu d'un prix minoré au bénéfice de la société Südzucker AG, la circonstance que la société Saint Louis Sucre aurait, malgré tout, réalisé un bénéfice est sans incidence à cet égard. En tout état de cause, elle n'apporte aucun élément sur le bénéfice retiré de l'opération par la société Südzucker AG par rapport à son propre bénéfice. Par suite, la société requérante n'établit pas que les avantages qu'elle a consentis au profit de sa société mère auraient été justifiés par l'obtention de contreparties favorables à son activité ou, à tout le moins, par des contreparties au moins équivalentes au coût de l'avantage accordé.
14. Enfin, la circonstance qu'une autre opération de " Swap " réalisée à son avantage en sens inverse sur la période vérifiée n'a pas fait l'objet de commentaires du service vérificateur est sans incidence sur l'imposition contestée. En tout état de cause, l'avantage tarifaire rapporté à la facture produite par la requérante conduit à déterminer un manque à gagner nettement inférieur aux avantages qu'elle a consentis dans l'opération en litige.
15. Il résulte de ce qui précède que la SA Saint Louis Sucre n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande de décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et de contribution sociale, ainsi que les intérêts de retard afférents, auxquelles elle a été assujettie au titre de l'exercice clos le 28 février 2011 pour un montant de 1 801 398 euros. Il y a lieu, par voie de conséquence, de rejeter ses conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Sur la requête n° 20VE02888 du ministre de l'économie, des finances et de la relance :
En ce qui concerne l'indemnité du bureau d'intervention et de restitution belge :
16. Aux termes de l'article 38 du code général des impôts, applicable à l'impôt sur les sociétés en vertu de l'article 209 du même code : " 2. Le bénéfice net est constitué par la différence entre les valeurs de l'actif net à la clôture et à l'ouverture de la période dont les résultats doivent servir de base à l'impôt diminuée des suppléments d'apport et augmentée des prélèvements effectués au cours de cette période par l'exploitant ou par les associés. L'actif net s'entend de l'excédent des valeurs d'actif sur le total formé au passif par les créances des tiers, les amortissements et les provisions justifiés. ". Pour le calcul de la différence entre les valeurs de l'actif net à la clôture et à l'ouverture de l'exercice, lorsqu'une entreprise a, au cours d'un exercice faisant l'objet d'une vérification, commis une erreur consistant en la sous-estimation du bilan de clôture, l'administration fiscale est en droit de corriger la sous-estimation de l'actif net du bilan de clôture de cet exercice afin de pouvoir ensuite en tirer les conséquences pour la détermination du résultat fiscal de cet exercice. Lorsque la même sous-estimation se retrouve dans les écritures de bilan des exercices antérieurs telles que retenues pour la détermination du résultat fiscal, elle doit y être symétriquement corrigée, pour autant qu'elle ne revête pas, pour le contribuable, un caractère délibéré.
17. Si l'administration peut, à tout moment de la procédure, invoquer un nouveau motif de droit propre à justifier l'imposition, il appartient alors au juge de rechercher si un tel motif est de nature à fonder légalement le redressement en litige, puis d'apprécier s'il résulte de l'instruction que l'administration aurait notifié le même redressement si elle s'était fondée initialement sur ce motif et, dans l'affirmative, il peut procéder à la substitution demandée, sous réserve toutefois qu'elle ne prive pas le requérant d'une garantie procédurale liée au motif substitué.
18. Il résulte de l'instruction que, par un jugement du 20 mars 2008, le tribunal de première instance de Bruxelles a condamné le bureau d'intervention et de restitution belge (BIRB) au reversement de la somme de 5 133 087 euros, majorée d'un montant de 3 883 568 euros d'intérêts de retard, au profit de la SNC Saint Louis Sucre. Il est constant que cette dernière n'a pas procédé à la comptabilisation de cette créance. La SLS SNC a ensuite été dissoute sans liquidation entraînant la transmission universelle de son patrimoine au 31 juillet 2008 au bénéfice de son associé unique, la SA Saint Louis Sucre. Le 3 mai 2012, la cour d'appel de Bruxelles a confirmé ce jugement et condamné le BIRB au paiement d'une somme de 10 629 869 euros, portant actualisation des intérêts de retard. A la suite de l'arrêt de la cour, la SA Saint Louis Sucre a enregistré un produit exceptionnel à hauteur de cette somme, au titre de l'exercice clos le 28 février 2013, mais a procédé à la déduction extra-comptable d'une grande partie de ce produit, soit 9 016 655 euros, conduisant ainsi à l'imposition de la seule somme de 1 613 215 euros, correspondant aux intérêts ayant couru entre le jugement et l'arrêt de la cour et aux autres frais de procédure. Le service vérificateur a cependant, dans la proposition de rectification du 23 septembre 2015, remis en cause cette déduction extra-comptable et réintégré l'indemnité en cause au titre de cet exercice, au motif que la créance avait été transférée à la SA Saint Louis Sucre, à la date de la transmission universelle de patrimoine, pour une valeur nulle, et que l'enrichissement de cette dernière à hauteur de 10 629 869 euros était devenu effectif à la date de l'arrêt de la cour d'appel et la créance imposable à cette date. Par le jugement attaqué, le tribunal a considéré que la créance issue du jugement de 2008 était certaine dans son principe et son montant, et devait dès lors être rattachée à l'exercice clos en 2008, nonobstant la circonstance que l'appel de ce jugement était suspensif.
19. Pour justifier du bien-fondé de l'imposition contestée, le ministre fait toutefois valoir, pour la première fois en appel, qu'en présence d'une erreur comptable délibérée, l'administration n'était pas tenue de procéder à la correction symétrique des bilans et se trouvait, dès lors, fondée à constater une insuffisance d'actif net de 9 016 655 euros au titre de l'exercice clos au 28 février 2013, exercice de constatation comptable du produit exceptionnel correspondant à la créance délibérément omise, imposable sur le fondement des dispositions du 2 de l'article 38 du code général des impôts.
20. Pour soutenir que la SA Saint Louis Sucre a commis une erreur délibérée, le ministre a relevé que la créance détenue par la SNC Saint Louis Sucre, à la suite du jugement du 20 mars 2008 du tribunal de première instance de Bruxelles, aurait dû être comptabilisée dès l'exercice clos en 2008 et qu'elle a ensuite été transmise à la SA Saint Louis Sucre, son unique associée, lors de la transmission universelle de patrimoine le 31 juillet 2008. Or, cette dernière aurait délibérément éludé la comptabilisation de cette créance alors qu'elle avait connaissance de son traitement fiscal irrégulier, ainsi qu'il résulte, selon le ministre, de la mention expresse portée sur sa déclaration de l'exercice clos en 2013, selon laquelle la SA SLS a indiqué que la créance n'ayant pas été déclarée en temps utile elle invoque le bénéfice de la prescription d'assiette, mention qui révélerait qu'elle connaissait les principes fiscaux applicables pour bénéficier de la prescription.
21. Toutefois, ainsi que le soutient la SA Saint Louis Sucre, la créance de 9 016 655 euros allouée le 20 mars 2008 à la SNC Saint Louis Sucre par le tribunal de première instance de Bruxelles devait être rattachée fiscalement par cette dernière aux résultats de l'exercice clos par anticipation le 31 juillet 2008, en dépit de l'absence d'enregistrement de la créance en comptabilité, faute d'existence juridique de celle-ci. La transmission universelle de patrimoine résultant de la dissolution de la SNC Saint Louis Sucre le 31 juillet 2008 ne pouvait avoir pour effet de transférer cette créance à la SA Saint Louis Sucre dès lors que le produit de l'exercice devait être compris, sous le régime du droit commun des fusions, dans le résultat de cessation de la SNC Saint Louis Sucre en application de l'article 221 du code général des impôts. Ainsi, contrairement à ce que soutient le ministre, si une erreur volontaire a été commise à la clôture de l'exercice le 31 juillet 2008, elle ne pouvait être le fait que de la SNC Saint Louis Sucre, qui constitue une personne morale distincte de ses associés. En outre, il n'est pas contesté que la SA Saint Louis Sucre n'a commis aucune erreur comptable au titre de l'exercice vérifié clos le 28 février 2013 alors qu'elle a annexé à sa déclaration une mention expresse attirant spécialement l'attention du service sur la déduction qu'elle effectuait, l'exonérant des intérêts de retard en vertu du 2 du II de l'article 1727 du code général des impôts. Une décision de dégrèvement de ces intérêts de retard est intervenue en ce sens le 29 novembre 2019. Enfin, quand bien même une erreur aurait été commise par la SA Saint Louis Sucre au cours de l'exercice de rattachement de la créance en 2008, il ne résulte pas de l'instruction que cette dernière aurait cherché à dissimuler une information dans l'intention ultérieure d'invoquer la prescription, une telle erreur volontaire ne pouvant en tout état de cause trouver son origine dans la mention expresse jointe à la déclaration de l'exercice clos en 2013, qui visait uniquement à expliquer à l'administration les modalités de retraitement de son résultat. Par suite, il n'y a pas lieu de faire droit à la demande de substitution de motifs demandée par le ministre.
En ce qui concerne la pénalité pour manquement délibéré :
22. Compte tenu de ce qui a été dit précédemment, le ministre n'est pas fondé à demander, par voie de conséquence, la remise à la charge de la SA Saint Louis Sucre de la pénalité pour manquement délibéré appliquée au titre de l'indemnité perçue par bureau d'intervention et de restitution belge.
23. Il résulte de qui précède que le ministre de l'économie, des finances et de la relance n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montreuil a déchargé la SA Saint Louis Sucre des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés, de contribution sociale et de contribution exceptionnelle, ainsi que de la pénalité pour manquement délibéré, correspondant à l'indemnité versée par le bureau d'intervention et de restitution belge. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du ministre de l'économie, des finances et de la relance la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête n° 20VE02300 de la SA Saint Louis Sucre est rejetée.
Article 2 : La requête n° 20VE02888 du ministre de l'économie, des finances et de la relance est rejetée.
Article 3 : L'État versera à la société Saint Louis Sucre la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la SA Saint Louis Sucre et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Délibéré après l'audience du 6 juin 2023, à laquelle siégeaient :
Mme Danielian, présidente,
M. Lerooy, premier conseiller,
Mme Liogier, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 22 juin 2023.
Le rapporteur,
D. LerooyLa présidente,
I. Danielian
La greffière,
A. Audrain-FoulonLa République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme
Le greffier,
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N° 20VE02300, 20VE02888