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16/06/2023 | FRANCE | N°22VE02251

France | France, Cour administrative d'appel de Versailles, 2ème chambre, 16 juin 2023, 22VE02251


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise d'annuler l'arrêté du 2 avril 2019 par lequel le préfet de police de Paris a prononcé à son encontre la sanction du blâme et de condamner l'Etat à lui rembourser les frais de procédure.

Par une ordonnance n° 1911328 du 19 juillet 2022, la présidente de la 3ème chambre du tribunal administratif de Cergy-Pontoise a considéré qu'il n'y avait pas lieu de statuer sur cette demande dès lors que cette sanction a été automatiquement

effacée du dossier administratif de l'intéressé et a rejeté le surplus des conclusion...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise d'annuler l'arrêté du 2 avril 2019 par lequel le préfet de police de Paris a prononcé à son encontre la sanction du blâme et de condamner l'Etat à lui rembourser les frais de procédure.

Par une ordonnance n° 1911328 du 19 juillet 2022, la présidente de la 3ème chambre du tribunal administratif de Cergy-Pontoise a considéré qu'il n'y avait pas lieu de statuer sur cette demande dès lors que cette sanction a été automatiquement effacée du dossier administratif de l'intéressé et a rejeté le surplus des conclusions de M. B... afférent aux frais de procédure.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 19 septembre 2022, M. B..., représenté par Me Perez, avocate, demande à la cour :

1°) d'annuler cette ordonnance ;

2°) d'annuler cet arrêté ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros à lui verser au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ainsi que le droit de plaidoirie de 13 euros.

Il soutient que :

- cette ordonnance est irrégulière car elle n'est pas signée et le premier juge a considéré à tort qu'il n'y avait pas lieu de statuer sur sa demande ;

- l'arrêté attaqué fait référence au décret n° 83-1025 du 28 novembre 1983 qui était abrogé à la date de son édiction ;

- le signataire de l'arrêté attaqué n'était pas compétent pour l'édicter ;

- cet arrêté est entaché d'un vice de procédure dès lors que la note de communication de son dossier administratif indique une date de tenue de l'enquête administrative pré-disciplinaire qui est erronée ;

- il est entaché d'un vice de procédure au regard de l'article 3.5.1 du guide de l'enquête administrative pré-disciplinaire et méconnait les droits de la défense dès lors que les conclusions de l'enquête administrative précédant son édiction ne lui ont pas été communiquées ;

- il est entaché d'un vice de procédure dès lors que sa notice individuelle ne mentionne pas l'ensemble des témoignages de satisfaction dont il a fait l'objet au cours de sa carrière ;

- les faits qui lui sont reprochés ne sont pas constitutifs d'une faute de nature à justifier une sanction disciplinaire ;

- la sanction est disproportionnée par rapport aux faits qui lui sont reprochés ;

- cet arrêté est entaché d'un détournement de pouvoir.

La requête a été communiquée le 25 octobre 2022 au ministre de l'intérieur et des outre-mer qui n'a pas produit de mémoire en défense.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la sécurité intérieure ;

- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;

- le décret n° 83-1025 du 28 novembre 1983 ;

- le décret n° 95-1197 du 6 novembre 1995 ;

- l'arrêté portant déconcentration en matière de gestion des fonctionnaires actifs des services de la police nationale ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Even,

- les conclusions de M. Frémont, rapporteur public,

- et les observations de Me Perez pour M. B....

Considérant ce qui suit :

1. M. B... fait appel de l'ordonnance du 19 juillet 2022 par laquelle la présidente de la 3ème chambre du tribunal administratif de Cergy-Pontoise a considéré qu'il n'y avait pas lieu de statuer sur sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du préfet de police de Paris du 2 avril 2019 lui infligeant la sanction du blâme.

Sur la régularité de l'ordonnance :

2. Aux termes de l'article R. 222-1 du code de justice administrative : " Les (...) présidents de formation de jugement des tribunaux (...) peuvent, par ordonnance : / (...) 3° Constater qu'il n'y a pas lieu de statuer sur une requête ; (...) ".

3. L'article 66 de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique d'Etat en vigueur à la date de l'arrêté contesté du 2 avril 2019 disposait que : " Les sanctions disciplinaires sont réparties en quatre groupes. / Premier groupe : / - l'avertissement ; / - le blâme. (...) / Parmi les sanctions du premier groupe, seul le blâme est inscrit au dossier du fonctionnaire. Il est effacé automatiquement du dossier au bout de trois ans si aucune sanction n'est intervenue pendant cette période. (...) ".

4. Il est constant que la sanction du blâme dont M. B... a fait l'objet n'a pas été retirée. La circonstance que ce blâme prononcé par l'arrêté contesté du préfet de police du 2 avril 2019 a été automatiquement effacé du dossier de cet agent en application des dispositions de l'article 66 de la loi du 11 janvier 1984, qu'aucune nouvelle sanction n'a été infligée à l'intéressé sur une période de trois ans courant à compter de la date de ce blâme, n'a pas provoqué la disparition rétroactive de cette décision de l'ordre juridique. Par suite, sans qu'il soit besoin de statuer sur l'autre moyen de régularité, l'ordonnance par laquelle le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a considéré qu'il n'y avait pas lieu de statuer sur les conclusions tendant à l'annulation de ce blâme est irrégulière et doit être annulée.

5. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par M. B... devant le tribunal administratif de Cergy-Pontoise.

Sur la légalité de l'arrêté du préfet de police de Paris du 2 avril 2019 :

6. En premier lieu, la circonstance que le préfet de police de Paris a fait référence au décret n° 83-1025 du 28 novembre 1983 pour indiquer les voies et délais des recours applicables à l'arrêté contesté, alors que ce texte avait été abrogé antérieurement à la date d'édiction de cet arrêté est sans incidence sur sa légalité.

7. En deuxième lieu, aux termes de l'article 1er du décret n° 95-1197 du 6 novembre 1995 portant déconcentration en matière de gestion des personnels de la police nationale : " Le recrutement et la gestion des personnels actifs et des personnels techniques et scientifiques de la police nationale peuvent, dans les conditions prévues au présent décret, être délégués, par arrêté du ministre de l'intérieur, aux préfets de zone de défense et de sécurité (...) ". Aux termes de l'article 3 de l'arrêté du 30 décembre 2005 portant déconcentration en matière de gestion des fonctionnaires actifs des services de la police nationale : " Pour les personnels d'encadrement et d'application de la police nationale, à l'exception des personnels servant en administration centrale, dans les services de la direction générale de la sécurité intérieure, dans les compagnies républicaines de sécurité et dans les structures de formation en qualité de formateur et d'élèves, les préfets et, dans la zone de défense et de sécurité de Paris, le préfet de police (...) reçoivent délégation pour prononcer les sanctions disciplinaires de l'avertissement et du blâme, prévues par l'article n 66 de la loi du 11 janvier 1984 (...) ".

8. Le ministre de l'intérieur et des outre-mer ayant ainsi donné délégation au préfet de police de Paris pour signer, dans la limite de ses attributions, les sanctions disciplinaires de l'avertissement et du blâme, le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de l'arrêté attaqué ne peut qu'être écarté.

9. En troisième lieu, la circonstance que M. B... a été l'objet d'une enquête administrative pré-disciplinaire le 30 mai 2018, postérieurement à son audition du 16 avril 2018, n'est pas constitutive d'un vice de procédure.

10. En quatrième lieu, si M. B... soutient que les conclusions de l'enquête administrative pré-disciplinaire ne lui auraient pas été notifiées, en méconnaissance de l'article 3.5.1 du guide de l'enquête administrative pré-disciplinaire de l'inspection générale de la police nationale, il n'est pas établi que ce guide aurait été publié et, en tout état de cause, ceci n'a pas été susceptible d'exercer une influence sur le sens de la décision attaquée et n'a pas eu pour effet de priver le requérant d'une garantie, dès lors qu'il a été régulièrement informé de son droit à consulter son dossier, dont il n'est pas contesté qu'il comportait ce document. Le moyen soulevé par M. B... tiré de la méconnaissance des droits de la défense doit donc être écarté.

11. En cinquième lieu, l'affirmation de M. B... selon laquelle la notice individuelle le concernant, qu'il ne produit pas, ne mentionnerait pas l'ensemble des lettres de félicitations dont il a fait l'objet au cours de sa carrière, n'est pas établie, ni l'absence de ces éléments au sein de son dossier administratif, ni leur absence de prise en compte par l'autorité disciplinaire.

12. En sixième lieu, aux termes de l'article R. 434-5 du code de la sécurité intérieure : " (...) II. - Le policier ou le gendarme rend compte à l'autorité investie du pouvoir hiérarchique de l'exécution des ordres reçus ou, le cas échéant, des raisons de leur inexécution. Dans les actes qu'il rédige, les faits ou évènements sont relatés avec fidélité et précision. ". L'article R. 434-12 du même code dispose que : " (...) En tous temps, dans ou en dehors du service (...) [le policier] s'abstient de tout acte, propos ou comportement de nature à nuire à la considération portée à la police nationale (...) ".

13. Il appartient au juge de l'excès de pouvoir, saisi de moyens en ce sens, de rechercher si les faits, reprochés à un agent public ayant fait l'objet d'une sanction disciplinaire sont matériellement établis, constituent des fautes de nature à justifier une sanction et si la sanction retenue est proportionnée à la gravité des fautes.

14. Il ressort des pièces du dossier que, le 11 mars 2018, en milieu de journée, une automobiliste a franchi un feu rouge et manqué de percuter M. B... alors que celui-ci affirme, sans être contesté, qu'il se rendait sur son lieu de travail au volant de son véhicule personnel. Le requérant l'a alors poursuivie en klaxonnant, puis après lui avoir décliné sa qualité de policier, lui a intimé de se présenter au commissariat dans l'après-midi. Cette automobiliste ne s'étant pas présentée, il s'est rendu à son domicile le 12 mars 2018, vers 19h30, accompagné de trois autres agents, pour lui intimer à nouveau de se présenter au commissariat le soir même, avec son véhicule et les papiers de celui-ci, ce qu'elle a fait. Au retour de l'intéressée, M. B... l'a soumise à un contrôle qui a révélé qu'elle n'avait plus de permis de conduire et que le véhicule n'était pas assuré depuis plus de cinq ans. Il l'a alors interpellée pour conduite en dépit d'une annulation de son permis de conduire et défaut d'assurance. Le procès-verbal de cette interpellation, rédigé le soir même par M. B..., ne mentionne pas l'ensemble de ces éléments, et se contente d'indiquer qu'il a procédé au contrôle de la conductrice le 12 mars 2018 au soir alors qu'elle circulait dans la rue du commissariat. Après l'interpellation de l'intéressée, M. B... a contacté l'officier de police judiciaire qui était de permanence de nuit, qui lui a demandé de lui remettre une convocation par la brigade des accidents et délits routiers (BADR) pour le lendemain, 13 mars 2018 à 14h30. C'est à l'occasion de cette audition que l'entièreté des faits ont été révélés par les déclarations de la mise en cause.

15. M. B... ne conteste pas la matérialité des faits qui lui sont reprochés, mais soutient qu'ils ne sont pas constitutifs de fautes. Toutefois, d'une part, il ressort des pièces du dossier que M. B... a accompli des diligences disproportionnées afin d'interpeller l'automobiliste au regard de l'infraction qu'elle avait initialement commise, en lui imposant de se déplacer au commissariat au volant de son véhicule, alors qu'elle n'avait ni permis de conduire, ni assurance pour son véhicule, commettant ainsi à nouveau des infractions pour lesquelles il l'a finalement interpellée. Si M. B... fait valoir que la mise en cause ne se serait pas plainte de son comportement, que ces faits seraient isolés et qu'ils n'auraient pas été rendus publics, ce comportement a été de nature à nuire à la considération portée à la police nationale. D'autre part, M. B... s'est abstenu de rendre compte de l'ensemble des diligences accomplies et notamment des circonstances de sa première rencontre avec l'automobiliste. S'il soutient qu'il ne savait pas que ces informations devaient figurer dans le procès-verbal, il est constant qu'il n'a pas non plus informé sa hiérarchie de l'ensemble de ces diligences par un autre biais avant de procéder à l'interpellation, ni après. Au regard de l'ensemble de ces éléments, M. B... n'est pas fondé à soutenir qu'il n'a pas manqué au devoir de rendre compte prévu par l'article R. 434-5 du code de la sécurité intérieure cité au point 12 du présent arrêt. L'ensemble de ces faits sont constitutifs de fautes de nature à fonder une sanction.

16. En infligeant à M. B... un simple blâme, le préfet de police de Paris n'a pas, malgré son absence d'antécédent disciplinaire et les très bonnes appréciations portées sur sa manière de servir, sanctionné les faits reprochés de façon disproportionnée.

17. En dernier lieu, le détournement de pouvoir allégué n'est pas établi.

18. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à demander l'annulation de l'arrêté du préfet de police de Paris du 2 avril 2019.

Sur les frais liés au litige :

19. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que l'Etat, qui n'a pas la qualité de partie perdante, verse à M. B... une somme au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens. De même, les conclusions tendant à ce que soit mis à la charge de l'Etat une somme de 13 euros au titre du droit de plaidoirie, qui au demeurant ne constitue pas des dépens au sens de l'article R. 761-1 du code de justice administrative, ne peuvent qu'être rejetées.

DÉCIDE :

Article 1er : L'ordonnance de la présidente de la 3ème chambre du tribunal administratif de Cergy-Pontoise n° 1911328 du 19 juillet 2022 est annulée.

Article 2 : Les conclusions à fin d'annulation présentées par M. B... devant le tribunal administratif de Cergy-Pontoise et le surplus des conclusions de sa requête d'appel sont rejetés.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié M. A... B... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Copie en sera adressée au préfet de police de Paris.

Délibéré après l'audience du 1er juin 2023, à laquelle siégeaient :

M. Even, président de chambre,

Mme Liogier, première conseillère,

Mme Houllier, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 16 juin 2023.

Le président-rapporteur,

B. EVEN

L'assesseure la plus ancienne,

S. HOULLIER

La greffière,

C. RICHARD

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme

La greffière,

2

N° 22VE02251


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Versailles
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 22VE02251
Date de la décision : 16/06/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

36-09 Fonctionnaires et agents publics. - Discipline.


Composition du Tribunal
Président : M. EVEN
Rapporteur ?: M. Bernard EVEN
Rapporteur public ?: M. FREMONT
Avocat(s) : PEREZ

Origine de la décision
Date de l'import : 10/08/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.versailles;arret;2023-06-16;22ve02251 ?
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