Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La SAS Office Français Inter-Entreprises (OFIE) a demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise d'annuler la décision du 4 mars 2019 par laquelle le maire de la commune de Puteaux a rejeté sa demande indemnitaire préalable, de condamner cette commune à lui verser une somme de 374 816,66 euros, augmentée des intérêts au taux légal à compter du 7 décembre 2018, en réparation du préjudice locatif qu'elle estime avoir subi en raison du refus illégal de permis de construire opposé par le maire de Puteaux à sa locataire, et de mettre à la charge de la commune de Puteaux une somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par un jugement n° 1903423 du 18 juin 2021, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a condamné la commune de Puteaux à verser à la SAS OFIE une somme de 84 793,70 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 10 décembre 2018, et a mis à la charge de la commune de Puteaux une somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 19 août 2021 et le 19 janvier 2023, la commune de Puteaux, représentée par Me Peynet, avocat, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de rejeter la demande présentée par la SAS OFIE devant le tribunal administratif de Cergy-Pontoise ;
3°) de rejeter les conclusions reconventionnelles de la SAS OFIE ;
4°) de mettre à la charge de la SAS OFIE une somme de 3 000 euros à lui verser sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
La commune de Puteaux soutient que :
- le jugement attaqué est insuffisamment motivé sur l'appréciation du caractère certain du préjudice locatif dont se prévaut la SAS OFIE ;
- le jugement attaqué ne comporte pas les signatures requises par l'article R. 741-7 du code de justice administrative ;
- le préjudice dont se prévaut la SAS OFIE n'est pas indemnisable en l'absence de lien de causalité avec le refus de permis de construire opposé par le maire de Puteaux, dès lors que le bail a été résilié avant l'intervention de l'arrêté portant refus de permis de construire ;
- le préjudice allégué par la SAS OFIE n'est pas certain ;
- le préjudice allégué par la SAS OFIE n'est pas direct ;
- la période d'indemnisation retenue par les premiers juges est erronée dès lors que le bien aurait pu être reloué plus tôt ;
- les premiers juges n'ont pas commis d'erreur d'analyse en estimant que la perte de loyers postérieure au 9 février 2018 ne pouvait pas être indemnisée.
Par des mémoires en défense, enregistrés le 25 mars 2022 et le 10 février 2023, la SAS OFIE, représentée par Me Jorion, avocat, conclut :
1°) au rejet de la requête d'appel ;
2°) par la voie de l'appel incident :
- à la réformation du jugement par lequel le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a limité à 84 793,70 euros l'indemnité au versement de laquelle il a condamné la commune de Puteaux en réparation du préjudice qu'elle a subi ;
- à ce que la cour porte à 374 816,66 euros le montant de l'indemnité due en réparation du préjudice subi, pour la période allant du 10 février 2018 au 30 novembre 2023, assortie des intérêts au taux légal à compter du 7 décembre 2018 ;
3°) à ce que soit mise à la charge de la commune de Puteaux une somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
La SAS OFIE soutient que :
- le jugement attaqué est suffisamment motivé ;
- il a été régulièrement signé par les personnes visées à l'article R. 741-7 du code de justice administrative ;
- le contrat de bail prévoyait la rupture du contrat sans indemnité en cas de refus de délivrance du permis de construire ;
- le refus de permis de construire est donc à l'origine de la résiliation du bail et du préjudice financier subi ;
- le préjudice est certain pour la période du 29 décembre 2015 au 9 février 2018 ;
- c'est à tort que les premiers juges ont estimé que le préjudice subi ne trouverait pas son origine dans la faute commise par la commune de Puteaux pour la période allant du 10 février 2018 au 30 novembre 2023, le contrat de bail étant d'une durée de neuf années.
Par une ordonnance du 14 février 2023, la clôture de l'instruction a été fixée, en dernier lieu, au 9 mars 2023, en application de l'article R. 613-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'urbanisme ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Houllier,
- les conclusions de M. Frémont, rapporteur public,
- et les observations de Me Mascré, substituant Me Peynet, pour la commune de Puteaux, et de Me Favain, substituant Me Jorion, pour la SAS Office Français Inter-Entreprises (OFIE).
Considérant ce qui suit :
1. La SAS Office Français Inter-Entreprises (OFIE) est propriétaire d'un local commercial situé 113 bis rue de la République à Puteaux. Par un contrat du 6 décembre 2014, la SAS OFIE a consenti à la SAS Eden Baby Park un bail commercial d'une durée de 9 ans à compter du 1er décembre 2014. La société locataire a sollicité la délivrance d'un permis de construire en vue d'installer dans ce local une crèche de trente berceaux. Par un arrêté du 25 novembre 2015, le maire de Puteaux a refusé de faire droit à cette demande. Par un jugement n° 1602859 du 8 décembre 2017, devenu définitif, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a annulé cet arrêté.
2. La commune de Puteaux demande à la cour d'annuler le jugement n° 1903423 du 18 juin 2021 par lequel le tribunal administratif de Cergy-Pontoise l'a condamnée à verser à la SAS OFIE une somme de 84 793,70 euros en réparation du préjudice subi par cette dernière du fait de l'illégalité de l'arrêté du 25 novembre 2015. La SAS OFIE présente des conclusions incidentes tendant à la réformation du même jugement en ce qu'il a limité à la somme de 84 793,70 euros l'indemnité au versement de laquelle il a condamné la commune de Puteaux et demande à la cour de porter à 374 816,66 euros le montant de l'indemnité due en réparation du préjudice subi, pour la période allant du 10 février 2018 au 30 novembre 2023, assortie des intérêts au taux légal à compter du 7 décembre 2018.
Sur la régularité du jugement attaqué :
3. En premier lieu, aux termes de l'article R. 741-7 du code de justice administrative : " Dans les tribunaux administratifs et les cours administratives d'appel, la minute de la décision est signée par le président de la formation de jugement, le rapporteur et le greffier d'audience ". Il ressort des pièces du dossier que la minute du jugement attaqué a été signée par le président de la formation de jugement, le rapporteur et le greffier d'audience. Le moyen tiré de l'absence de ces signatures manque donc en fait et doit être écarté.
4. En second lieu, l'article L. 9 du code de justice administrative dispose que : " Les jugements sont motivés ". En l'espèce, les premiers juges ont suffisamment motivé leur appréciation du caractère direct et certain du préjudice subi par la SAS OFIE, aux points 6 à 8 du jugement attaqué. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisante motivation du jugement attaqué doit être écarté.
Sur les conclusions indemnitaires :
En ce qui concerne la faute :
5. Ainsi que l'ont relevé, à bon droit, les premiers juges au point 3 du jugement attaqué, l'arrêté du 25 novembre 2015 par lequel le maire de Puteaux a refusé de délivrer un permis de construire à la SAS Eden Baby Park a été annulé par un jugement du tribunal administratif de Cergy-Pontoise du 8 décembre 2017 n° 1602859, devenu définitif. Dès lors, en prenant cette décision, la commune de Puteaux a commis une faute de nature à engager sa responsabilité.
En ce qui concerne le lien de causalité :
6. Pour apprécier si la responsabilité de la puissance publique peut être engagée, il appartient au juge de déterminer si le préjudice invoqué est en lien direct et certain avec une faute de l'administration. La perte de bénéfices ou le manque à gagner découlant de l'impossibilité de réaliser une opération immobilière en raison d'un refus illégal de permis de construire revêt un caractère éventuel et ne peut, dès lors, en principe, ouvrir droit à réparation. Il en va toutefois autrement si le requérant justifie de circonstances particulières, telles que des engagements souscrits par de futurs acquéreurs ou l'état avancé des négociations commerciales avec ces derniers, permettant de faire regarder ce préjudice comme présentant, en l'espèce, un caractère direct et certain. Il est fondé, si tel est le cas, à obtenir réparation au titre du bénéfice qu'il pouvait raisonnablement attendre de cette opération.
7. Il résulte de l'instruction que la SAS OFIE a souscrit, le 6 décembre 2014, un bail commercial d'une durée de neuf ans avec la SAS Eden Baby Park en vue de permettre à cette dernière d'aménager une crèche de 30 berceaux dans un local situé 113bis rue de la République à Puteaux. La SAS Eden Baby Park a sollicité, le 30 juillet 2015, un permis de construire pour la réalisation des aménagements nécessaires. Le maire de Puteaux a, par un arrêté du 25 novembre 2015, dont l'illégalité a été établie par un jugement n° 1602859 du 7 décembre 2018, refusé le permis de construire sollicité par la SAS Eden Baby Park.
8. Aux termes de la première annexe de ce bail, le preneur disposait de la possibilité de faire cesser son bail sans indemnité en cas de refus de permis de construire de la part de la commune. Toutefois, il résulte de l'instruction que l'intention de résilier le bail avait déjà été notifiée à la SAS OFIE, près de deux mois avant la notification de l'arrêté de refus, par un courrier du 28 septembre 2015. S'il n'est pas contesté par la commune qu'à l'occasion d'une rencontre organisée le 9 septembre 2015, le service instructeur a indiqué à la SAS Eden Baby Park que sa demande de permis de construire allait faire l'objet d'un avis défavorable, la teneur de cet échange ou de l'avis n'a jamais été formellement rapportée, alors qu'il résulte de l'instruction que la veille de l'édiction de l'arrêté de refus, la SAS Eden Baby Park a produit des pièces complémentaires relatives à l'instruction de sa demande. En outre, la SAS Eden Baby Park s'est très rapidement désistée du recours déposé avec la SAS OFIE tendant à l'annulation de l'arrêté portant refus de permis de construire, moins d'un mois après l'introduction du recours, après avoir en outre indiqué dans un échange de mails avec la commune du 10 novembre 2015 qu'elle n'entendait pas " aller à l'encontre de la décision de la Mairie ". Dans ces conditions, si l'arrêté du 25 novembre 2015 portant refus de permis de construire est susceptible de matérialiser l'opposition de la commune au projet, la résiliation du bail commercial a été effectuée dans des conditions qui ne permettent pas d'établir que la faute de la commune en serait à l'origine. Dans ces conditions, la commune de Puteaux est fondée à soutenir que la résiliation du bail par une décision antérieure à la notification de cet arrêté n'est pas directement, ni certainement en lien avec le préjudice de perte de loyers invoqué par la SAS OFIE, sans qu'y fasse obstacle le jugement du tribunal de grande instance de Nanterre du 14 janvier 2019 qui statue sur le respect des clauses contractuelles prévues par les parties dans le bail du 6 décembre 2014.
9. Il résulte de tout ce qui précède que la commune de Puteaux est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise l'a condamnée à verser une somme de 84 973,70 euros, assortie des intérêts au taux légal, à la SAS OFIE en réparation du préjudice qu'elle allègue avoir subi du fait de l'illégalité du refus de permis de construire pris par arrêté du 25 novembre 2015.
Sur l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de la commune de Puteaux, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme que la SAS OFIE demande à ce titre. Par ailleurs, il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la SAS OFIE le versement de la somme que la commune de Puteaux demande sur le fondement des mêmes dispositions.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Cergy-Pontoise n° 1903423 du 18 juin 2021 est annulé.
Article 2 : La demande présentée par SAS OFIE devant le tribunal administratif de Cergy-Pontoise, ainsi que ses conclusions incidentes et ses conclusions présentées en appel sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Les conclusions de la commune de Puteaux présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié la commune de Puteaux et la SAS Office Français Inter-Entreprises.
Délibéré après l'audience du 1er juin 2023, à laquelle siégeaient :
M. Even, président,
Mme Houllier, première conseillère,
Mme Liogier, première conseillère,
Rendu public par mise à disposition au greffe le 16 juin 2023.
La rapporteure,
S. HOULLIERLe président,
B. EVENLa greffière,
C. RICHARD
La République mande et ordonne au préfet des Hauts-de-Seine en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme
La greffière,
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N° 21VE02487