Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... B... a demandé au tribunal administratif d'Orléans d'annuler la décision implicite du préfet du Loiret rejetant son recours gracieux du 4 décembre 2018 lui demandant de requalifier en fossé les écoulements qualifiés de cours d'eau situés sur sa propriété du domaine de la Prée à Mareaux-aux-Bois, au niveau d'une zone dite de " La Prée ", au sens de l'article L. 215-7 du code de l'environnement, d'enjoindre au préfet du Loiret de requalifier en fossé ces points d'eau et tracés, et de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par un jugement n° 1901139 du 23 février 2021, le tribunal administratif d'Orléans a fait droit à conclusions à fin d'annulation et a mis à la charge de l'Etat la somme de 1 200 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 19 avril 2022, la ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de rejeter la demande de M. B....
Elle soutient que :
- la requête d'appel est recevable dès lors que le jugement attaqué ne lui a pas été notifié et qu'ainsi le délai d'appel n'a pas commencé à courir ;
- le jugement attaqué est irrégulier dès lors qu'il n'a pas statué sur la fin de non-recevoir soulevée par le préfet, tirée de l'absence d'intérêt à agir du requérant ;
- l'écoulement situé sur la propriété de M. B... constitue bien un cours d'eau au sens de l'article L. 215-7-1 du code de l'environnement.
Par un mémoire enregistré le 18 octobre 2022, la préfète du Loiret déclare s'en remettre aux écritures présentées par le ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires et précise n'avoir aucune observation complémentaire à formuler.
Par un mémoire en défense enregistré le 1er mars 2023, M. B..., représenté par Me Plets-Duguet, avocate, conclut au rejet de la requête du ministre, à ce qu'il soit enjoint au préfet de requalifier les points d'eaux et tracés litigieux en fossés et à ce que soit mise à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- l'appel du ministre est irrecevable au regard du principe de sécurité juridique comme tardif ;
- la cartographie des cours d'eau produit pour le requérant des effets sur sa situation juridique, le soumet à de nouvelles contraintes prévues par le code de l'environnement, ce qui remet en cause l'exercice de sa liberté ;
- le classement des cours d'eau et d'éléments de tracé amont-aval, n'est indiscutablement pas conforme aux critères légaux et ne peut ni être opposable ni servir de base à l'élaboration d'une nouvelle carte ;
- le préfet a commis une erreur dans la qualification juridique des faits et une erreur manifeste d'appréciation dès lors que le classement effectué n'est pas conforme aux trois critères issus d'une jurisprudence constante, repris dans le code de l'environnement.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'environnement ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Even,
- les conclusions de M. Frémont,
- et les observations de Me Plets-Duguet pour M. B....
Considérant ce qui suit :
1. M. B... possède une propriété située sur la commune de Mareaux-aux-Bois traversée par des écoulements dont le principal est un affluent en rive droite de l'Œuf. Par un courrier, dont il a été accusé réception le 4 décembre 2018, il a demandé au préfet du Loiret, à la suite de sa prise de connaissance de la cartographie des cours d'eau publiée sur le site des services de l'Etat dans le Loiret en application d'une instruction du gouvernement du 3 juin 2015 relative à la cartographie et l'identification des cours d'eau et à leur entretien, la modification du classement de ses écoulements de cours d'eau en fossés. Une décision implicite de rejet est intervenue le 5 février 2019. M. B... a demandé au tribunal administratif d'Orléans d'annuler cette décision de rejet, d'enjoindre au préfet du Loiret de requalifier en fossé les écoulements traversant sa propriété et de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Par un jugement du 23 février 2021, le tribunal administratif d'Orléans a annulé la décision, a enjoint au préfet du Loiret de requalifier en fossé les points d'eau et tracés classés en cours d'eau par la cartographie des cours d'eau annexée à l'arrêté préfectoral du 19 juillet 2017 dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement et a mis à la charge de l'Etat la somme de 1 200 euros. Le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires fait appel de ce jugement.
Sur la fin de non-recevoir tirée de la tardiveté opposée à la requête d'appel du ministre :
2. En premier lieu, aux termes de l'article R. 751-8 du code de justice administrative : " Lorsque la notification d'une décision du tribunal administratif ou de la cour administrative d'appel doit être faite à l'Etat, l'expédition est adressée au ministre dont relève l'administration intéressée au litige. Copie de la décision est adressée au préfet ainsi que, s'il y a lieu, à l'autorité qui assure la défense de l'Etat devant la juridiction. / Toutefois, lorsque la décision est rendue sur une demande présentée, en application du code général des collectivités territoriales, par le préfet ou lorsqu'elle émane d'un tribunal administratif statuant dans l'une des matières mentionnées à l'article R. 811-10-1, la notification est adressée au préfet. Copie de la décision est alors adressée au ministre intéressé ". Aux termes de l'article R. 811-2 du même code : " Sauf disposition contraire, le délai d'appel est de deux mois. Il court contre toute partie à l'instance à compter du jour où la notification a été faite à cette partie dans les conditions prévues aux articles R. 751-3 à R. 751-4-1. (...) ".
3. Il résulte de la combinaison de ces dispositions que, lorsque la notification d'un jugement rendu dans une matière autre que celles qui sont mentionnées à l'article R. 811-10-1 du même code doit être faite à l'Etat, l'expédition est adressée au ministre dont relève l'administration intéressée au litige ou au préfet lorsque celui-ci présente une demande en application du code général des collectivités territoriales. A défaut de notification régulière, le délai d'appel ne court pas.
4. Il ressort des pièces du dossier que le jugement du tribunal administratif d'Orléans du 23 février 2021 n'a été notifié ni au ministre de la transition écologique et solidaire, ni à aucun autre ministre, mais, pour l'Etat, au seul préfet du Loiret qui l'avait représenté devant le tribunal. Dès lors que le litige n'entrait pas dans l'une des matières mentionnées à l'article R. 811-10-1 du code de justice administrative et que le préfet n'avait pas présenté de demande en application du code général des collectivités territoriales, il résulte de ce qui a été dit au point précédent que lorsque le ministre de la transition écologique et solidaire a interjeté appel du jugement du tribunal administratif, le délai d'appel n'avait pas commencé à courir en application des dispositions précitées. La circonstance alléguée selon laquelle le ministre aurait eu connaissance du jugement du tribunal administratif contesté plus d'un an avant l'enregistrement de sa requête d'appel est sans incidence. Par suite, la fin de non-recevoir tirée de la tardiveté opposée à cette requête d'appel doit être écartée.
Sur la régularité du jugement attaqué :
5. Aux termes de l'article R. 741-2 du code de justice administrative : " La décision (...) contient (...) l'analyse des conclusions et mémoires (...) ".
6. Le tribunal administratif ne peut, à peine d'irrégularité de son jugement, faire droit à une demande dont il est saisi sans avoir écarté un moyen invoqué en défense.
7. Il ressort de l'examen du jugement attaqué que le tribunal administratif d'Orléans a annulé la décision attaquée en omettant de viser et de se prononcer sur la fin de non-recevoir opposée en défense par le préfet du Loiret tirée de l'absence d'intérêt à agir de M. B.... Il est donc irrégulier et doit dès lors être annulé.
8. Par suite, il y a lieu de statuer, par la voie de l'évocation, sur la demande présentée par M. B... devant le tribunal administratif d'Orléans.
Sur la fin de non-recevoir opposée à la demande de première instance :
9. L'instruction du Gouvernement du 3 juin 2015 relative à la cartographie et à l'identification des cours d'eau et à leur entretien prescrit aux préfets et aux services déconcentrés de l'Etat la réalisation, avant le 15 décembre 2015, dans les départements ou parties de départements où cela est possible sans difficulté majeure, d'une cartographie complète des cours d'eau et, dans les autres départements ou parties de départements, l'élaboration d'une méthode d'identification des cours d'eau ainsi que l'élaboration d'un guide à l'attention des propriétaires riverains de cours d'eau. Si cette instruction précise que le critère de l'alimentation par une source peut être rempli dans le cas où la source n'est pas nécessairement localisée mais peut être l'exutoire d'une zone humide ou un affleurement de nappe souterraine, elle ne méconnaît ni le sens ni la portée de la définition des cours d'eau résultant des articles L. 215-1 et suivants et R. 214-1 et suivants du code de l'environnement. Par ailleurs, si elle prescrit, dans l'appréciation du critère suivant lequel un cours d'eau doit présenter un débit suffisant la majeure partie de l'année, d'apprécier ce point en l'absence de précipitations significatives, et indique que des précipitations peuvent, en général, être regardées comme significatives au-delà de 10 millimètres, tout en invitant à la prise en compte des conditions géo-climatiques locales, elle se borne à livrer aux services, sans méconnaître le sens et la portée des règles applicables, des orientations destinées à les éclairer dans la mise en œuvre de ces règles. Enfin, l'instruction a pour seul objet de prescrire l'élaboration d'une cartographie destinée à servir de point de référence dans l'application des réglementations en cause mais non à se substituer à l'appréciation des services dans cette application.
10. Il résulte de ce qui précède que la cartographie prescrite par l'instruction gouvernementale du 3 juin 2015 ne constitue qu'un document indicatif et n'est pas en soit un acte faisant grief.
11. Toutefois les propriétaires riverains d'un écoulement dont le statut de " cours d'eau " a été retenu, sont assujettis aux dispositions relatives à la police de l'eau et notamment aux articles L. 215-14 et R. 214-1 du code de l'environnement qui imposent aux propriétaires d'entretenir régulièrement le cours d'eau afin de le maintenir dans son profil d'équilibre, de permettre l'écoulement naturel des eaux et de contribuer au bon état écologique. Par conséquent, dans la mesure où la classification en cours d'eau des écoulements situés sur la propriété de M. B... entraine l'application de la police de l'eau, il y a lieu de considérer que le préfet ne s'est pas borné à élaborer une cartographie destinée à servir de point de référence dans l'application de ces réglementations mais a entendu en tirer des conséquences sur la situation juridique de ces écoulements situés sur la propriété de l'intéressé. La décision implicite du préfet rejetant le recours gracieux du 4 décembre 2018 caractérise donc une appréciation des faits constatant une situation de droit non dépourvue d'effets sur l'ordonnancement juridique.
Sur la légalité de la décision attaquée en tant qu'elle fait grief :
12. Aux termes de l'article L. 215-7-1 du code de l'environnement issu de la loi n° 2016-1087 du 8 août 2016 : " Constitue un cours d'eau un écoulement d'eaux courantes dans un lit naturel à l'origine, alimenté par une source et présentant un débit suffisant la majeure partie de l'année. / L'écoulement peut ne pas être permanent compte tenu des conditions hydrologiques et géologiques locales ".
13. Les expertises non contradictoires produites par les deux parties, qui se contredisent sur les trois conditions cumulatives permettant de qualifier un cours d'eau, ne permettent pas à la Cour d'apprécier si elles sont remplies en l'espèce. Dès lors, il y a lieu, avant de statuer sur les conclusions de la requête de M. B... afférentes à la légalité de la décision attaquée en tant qu'elle fait grief d'ordonner une expertise aux fins précisées ci-après.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif d'Orléans n° 1901139 du 23 février 2021 est annulé.
Article 2 : Il sera, avant de statuer sur le surplus de conclusions de la requête de M. B..., procédé par un expert, désigné par le président de la Cour administrative d'appel, à une expertise, laquelle sera menée au contradictoire de M. B... et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.
L'expert aura pour mission de :
1°) prendre connaissance du présent dossier contentieux, et notamment de tous les documents techniques et expertises produites par les deux parties.
2°) de consulter tout document utile, même détenu par un tiers, et de recueillir tout renseignement utile à l'expertise.
3°) de convoquer et entendre les parties et tous sachants et de visiter les lieux en leur présence.
4°) de décrire les lieux et de fournir tous éléments utiles d'appréciation permettant à la cour de déterminer les trois éléments suivants au sens de l'article L. 215-7-1 du code de l'environnement précité :
- L'origine des points d'eau, bassins et écoulements figurant sur le site de la propriété de M. B... et s'ils sont en particulier alimentés par une source ;
- S'il existait un lit naturel à l'origine ;
- Et si ce ou ces écoulements présentent un débit suffisant la majeure partie de l'année, étant précisé qu'ils peuvent ne pas être permanents compte tenu des conditions hydrologiques et géologiques locales.
5°) de déposer un pré-rapport afin de permettre aux deux parties de faire valoir contradictoirement leurs observations préalablement au dépôt du rapport définitif.
Article 3 : L'expert accomplira sa mission dans les conditions prévues par les articles R. 621-2 à R. 621-14 du code de justice administrative. Il prêtera serment par écrit devant le greffier en chef de la Cour. L'expert déposera son rapport au greffe de la Cour en deux exemplaires et en notifiera copie aux parties dans le délai fixé par le président de la Cour dans sa décision le désignant.
Article 4 : Les frais d'expertise sont réservés pour y être statué en fin d'instance.
Article 5 : Tous droits et moyens des parties, sur lesquels il n'est pas expressément statué par le présent arrêt, sont réservés jusqu'en fin d'instance.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.
Copie en sera adressée au préfet du Loiret.
Délibéré après l'audience du 23 mars 2023, à laquelle siégeaient :
M. Even, président de chambre,
M. Mauny, président assesseur,
Mme Houllier, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 6 avril 2023.
Le président-rapporteur,
B. EVEN
Le président assesseur,
O. MAUNY
La greffière,
C. RICHARD
La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente ordonnance.
Pour expédition conforme
La greffière,
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N° 22VE00997