Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... D... et Madame C... E... épouse D... ont demandé au tribunal administratif d'Orléans de prononcer la décharge des rappels d'impôt sur le revenu auxquels ils ont été assujettis au titre de l'année 2016, à hauteur de la somme de 129 825 euros correspondant à la remise en cause de l'abattement renforcé de 85% sur la plus-value placée en report d'imposition et de l'imposition résultant de la remise en cause de l'abattement renforcé appliqué à la plus-value de cession des titres de la société TCF.
Par un jugement n° 2002534 du 29 mars 2021, le tribunal administratif d'Orléans a rejeté leur demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et des mémoires enregistrés les 12 mai et 5 octobre 2021 et le 5 décembre 2022, M. et Mme D..., représentés par Me Bornhauser, avocat, demandent à la cour :
1°) de surseoir à statuer jusqu'à la décision de la Cour européenne des droits de
l'homme dans les affaires n° 45443/21 et 45483/21 ;
2°) de saisir la Cour de justice de l'Union européenne d'une question préjudicielle sur le point de savoir si, lorsqu'une loi nationale transpose une directive instaurant un différé d'imposition en cas d'échange de titres en traitant indifféremment les situations relevant du champ d'application de la directive et les autres, l'article 20 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne s'oppose à ce qu'elle traite les contribuables différemment, dans ses conséquences, lorsque les titres reçus à l'échange sont cédés ;
3°) d'annuler le jugement attaqué ;
4°) de prononcer la décharge des impositions contestées, d'un montant de 188 889 euros en droits, intérêts et pénalités ;
5°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- l'opération d'apport des titres de la société SA Saget SN étant éligible à l'abattement renforcé afférent aux PME communautaires de moins de dix ans au moment de l'apport, ils devaient en conserver le bénéfice lors de l'opération de cession constatant la réalisation d'un gain unique ; cette plus-value devait bénéficier de l'abattement " renforcé " qui aurait été applicable lors de la vente des titres initiaux, en l'absence de toute opération d'apport intercalaire à la société TCF, au nom du respect du principe de neutralité fiscale attaché à ce type d'opération et reconnu par la Cour de justice de l'Union européenne ;
- en refusant d'appliquer des abattements pour durée de détention à sa plus-value en report au motif que l'échange a eu lieu entre sociétés françaises placées hors du champ de la directive dite " fusions ", la loi française leur fait subir une discrimination par ricochet contraire à l'article 20 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et au principe de non-discrimination tiré des articles 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 1er du premier protocole additionnel à cette convention ;
- les dispositions combinées, d'une part, du I-F et du III de l'article 17 de la loi n° 2013-1278 de finances pour 2014 et, d'autre part, des II de l'article 92 B du code général des impôts et du I ter de l'article 160 du même code, dans leur rédaction applicable aux plus-values réalisées antérieurement au 1er janvier 2000, sont contraires à l'article 20 de la Charte de droits fondamentaux en ce qu'elles privent les plus-values d'échange de titres réalisées entre le 1er janvier 1992 et le 31 décembre 1999 des abattements pour durée de détention visés à l'article 150-0 D du code général des impôts ; il y a lieu, en tant que de besoin, de saisir la Cour de justice de l'Union européenne d'une question préjudicielle ;
- la Cour européenne des droits de l'homme étant saisie de recours qui portent sur l'incompatibilité de la discrimination à rebours résultant de l'impossibilité pour les résidents français dont les titres ont fait l'objet d'un apport de bénéficier de l'abattement pour durée de détention de l'article 150-0 D du code général des impôts dont ils auraient bénéficié en l'absence d'apport, alors que des personnes placées dans une situation " européenne " auraient pu en bénéficier, il conviendrait que la cour sursoie à statuer dans l'attente de sa décision.
Par des mémoires en défense enregistrés le 21 septembre 2021 et le 23 février 2022, le ministre de l'économie, des finances et de la relance conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que :
- les conclusions des contribuables ne sont recevables qu'à hauteur des impositions contestées dans leur réclamation préalable ;
- les conclusions à fin de décharge ne sont recevables que sur les points sur lesquels elles sont motivées ;
- les moyens de la requête ne sont pas fondés.
Par ordonnance du 22 novembre 2022, la clôture d'instruction a été fixée au 23 décembre 2022 à 12 heures, en application de l'article R. 613-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentale et son premier protocole additionnel ;
- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- la loi n° 2013-1278 du 29 décembre 2013, notamment son article 17 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme B...,
- les conclusions de Mme Bobko, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. et Mme D... ont fait l'objet d'un examen de leur situation fiscale personnelle portant sur les années 2016 et 2017, à l'issue duquel le service vérificateur a notamment remis en cause l'abattement de 85 % pour durée de détention pratiqué par M. D..., au titre de l'année 2016, sur l'imposition de plus-values de cession de valeurs mobilières réalisées le 31 mars 1993 et placées en report d'imposition, à l'occasion d'une opération d'apport d'actions de la SA Saget SN à la SARL Terre Cuite Finance (TCF), en contrepartie de laquelle il avait reçu des actions la SARL TCF cédées le 11 juillet 2016. M. et Mme D... relèvent régulièrement appel du jugement du 29 mars 2021 par lequel le tribunal administratif d'Orléans a rejeté leur demande de décharge de la cotisation supplémentaire d'impôt sur le revenu qui en a résulté au titre de l'année 2016.
2. Aux termes du II de l'article 92 B du code général des impôts, dans sa rédaction applicable aux plus-values réalisées antérieurement au 1er janvier 2000 : " 1. A compter du 1er janvier 1992 ou du 1er janvier 1991 pour les apports de titres à une société passible de l'impôt sur les sociétés, l'imposition de la plus-value réalisée en cas d'échange de titres résultant d'une opération d'offre publique, de fusion, de scission, d'absorption d'un fonds commun de placement par une société d'investissement à capital variable réalisée conformément à la réglementation en vigueur ou d'un apport de titres à une société soumise à l'impôt sur les sociétés, peut être reportée au moment où s'opérera la cession, le rachat, le remboursement ou l'annulation des titres reçus lors de l'échange. (...) ". Aux termes du I ter de l'article 160 du même code, dans sa rédaction applicable aux plus-values réalisées antérieurement au 1er janvier 2000 : " 4. L'imposition de la plus-value réalisée à compter du 1er janvier 1991 en cas d'échange de droits sociaux résultant d'une opération de fusion, scission, d'apport de titres à une société soumise à l'impôt sur les sociétés peut être reportée dans les conditions prévues au II de l'article 92 B ". En vertu du 2 de l'article 200 A du code général des impôts, dans sa rédaction applicable aux revenus perçus à compter du 1er janvier 2013 et résultant de la loi du 29 décembre 2012 de finances pour 2013, les gains nets obtenus dans les conditions prévues à l'article 150-0 A sont pris en compte pour la détermination du revenu net global soumis au barème progressif de l'impôt sur le revenu. L'article 150-0 D du code général des impôts dispose, dans sa version issue de la loi du 29 décembre 2013 de finances pour 2014, au deuxième alinéa de son 1, que : " Les gains nets de cession à titre onéreux d'actions, de parts de sociétés, de droits portant sur ces actions ou parts, ou de titres représentatifs de ces mêmes actions, parts ou droits, mentionnés au I de l'article 150-0 A(...) sont réduits d'un abattement déterminé dans les conditions prévues, selon le cas, au 1 ter ou au 1 quater du présent article. (...) ". Ce même article définit, à son 1 ter, l'abattement pour durée de détention de droit commun et, à son 1 quater, l'abattement pour durée de détention renforcé applicable à certaines situations. Le III de l'article 17 de la loi du 29 décembre 2013 de finances pour 2014 prévoit que ces dispositions s'appliquent aux gains réalisés à compter du 1er janvier 2013.
3. En premier lieu, les dispositions du II de l'article 92 B et du I ter de l'article 160 du code général des impôts, dans sa rédaction applicable aux plus-values réalisées antérieurement au 1er janvier 2000, ont pour seul effet de permettre, par dérogation à la règle selon laquelle le fait générateur de l'imposition d'une plus-value est constitué au cours de l'année de sa réalisation, de constater et de liquider la plus-value d'échange l'année de sa réalisation et de l'imposer l'année au cours de laquelle intervient l'événement qui met fin au report d'imposition, qui peut notamment être la cession des titres reçus au moment de l'échange. Le montant de la plus-value est ainsi calculé en appliquant les règles d'assiette en vigueur l'année de sa réalisation, mais son imposition obéit, s'agissant d'un report optionnel, aux règles de calcul de l'impôt en vigueur l'année au cours de laquelle intervient l'événement qui met fin au report d'imposition.
4. En application de ces dispositions, la plus-value réalisée par M. et Mme D... lors de l'apport à la SARL TCF par M. D... des actions de la SA Saget SN le 31 mars 1993 et placée en report d'imposition jusqu'au rachat par la SARL TCF et à l'annulation de l'ensemble des titres détenus par M. D..., en 2016, devait être imposée selon les modalités d'imposition en vigueur à la date de ce rachat mettant fin au report d'imposition. Selon le III de l'article 17 de la loi du 29 décembre 2013 de finances pour 2014, l'abattement pour durée de détention s'applique " aux gains réalisés et aux distributions perçues à compter du 1er janvier 2013 ". Il ne pouvait dès lors s'appliquer aux plus-values réalisées et placées en report d'imposition par M. et Mme D... en 1993, antérieurement au 1er janvier 2013, la circonstance que la cession mettant fin à ce report soit intervenue en 2016, après le 1er janvier 2013, étant sans incidence à cet égard.
5. En deuxième lieu, aux termes de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. / Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les États de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes ". Aux termes de l'article 14 de cette convention : " La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation ". Une distinction entre des personnes placées dans une situation comparable est discriminatoire, au sens de ces stipulations, si elle n'est pas assortie de justifications objectives et raisonnables, c'est-à-dire si elle ne poursuit pas un but légitime ou s'il n'y a pas un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but poursuivi.
6. Par un arrêt n° C-662/18 et C-672/18 du 18 septembre 2019, la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit que les dispositions citées au point 4 doivent être interprétées en ce sens que, dans le cadre d'une opération d'échange de titres, elles requièrent que soit appliqué, à la plus-value afférente aux titres échangés et placée en report d'imposition ainsi qu'à celle issue de la cession des titres reçus en échange, le même traitement fiscal, au regard du taux d'imposition et de l'application d'un abattement fiscal pour tenir compte de la durée de détention des titres, que celui que se serait vu appliquer la plus-value qui aurait été réalisée lors de la cession des titres existant avant l'opération d'échange, si cette dernière n'avait pas eu lieu. Les requérants soutiennent qu'en ayant pour effet d'étendre le bénéfice de l'application de l'abattement pour durée de détention prévu au 1 de l'article 150-0 D du code général des impôts aux plus-values imposées au barème progressif de l'impôt sur le revenu et placées en report d'imposition avant le 1er janvier 2013 lorsqu'elles sont afférentes à des opérations entrant dans le champ matériel et territorial de la directive " fusions " du 19 octobre 2009, alors que de telles plus-values ne font pas l'objet de cet abattement lorsqu'elles portent sur des opérations purement internes, la loi fiscale institue un traitement discriminatoire au regard du droit au respect des biens.
7. En ce qui concerne le report d'imposition à l'occasion d'un échange de titres, si le législateur avait initialement prévu que l'ensemble des plus-values afférentes à des opérations réalisées après le 1er janvier 2013 et placées en report d'imposition en application de l'article 150-0 B ter ne bénéficient de l'abattement pour durée de détention prévu au 1 de l'article 150-0 D qu'à concurrence de la durée de détention des titres remis à l'échange, la soumission à des règles d'assiette plus favorables des plus-values relatives à des opérations mettant en cause des sociétés d'États membres différents trouve sa justification dans le nécessaire respect, pour ce qui concerne les situations entrant dans leur champ d'application, des dispositions de la directive " fusions " du 19 octobre 2009, telles qu'interprétées par la Cour de justice de l'Union européenne dans son arrêt précité nos C-662/18 et C-672/18 du 18 septembre 2019, qui imposent de renforcer la neutralité fiscale des opérations européennes d'échange de titres. Le respect des exigences découlant du droit de l'Union européenne constitue un objectif d'intérêt public légitime de nature à justifier une différence de traitement entre des situations au demeurant comparables, selon qu'elles sont ou non régies par ces règles. Par ailleurs, si la loi, ainsi interprétée dans le respect du droit de l'Union européenne, prévoit de garantir par des modalités différentes, selon que sont en cause des opérations purement internes ou des opérations entrant dans le champ de la directive du 19 octobre 2009, la neutralité fiscale des opérations d'échange de titres en évitant que le contribuable soit contraint de céder ses titres pour acquitter l'impôt, il n'en résulte pas une absence de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but poursuivi. Dans ces conditions, la différence de traitement en cause peut être regardée comme répondant à une justification objective et raisonnable. Le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations combinées de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 1er de son premier protocole additionnel doit dès lors être écarté, sans qu'il soit besoin de surseoir à statuer dans l'attente de la décision de la Cour européenne des droits de l'homme dans les affaires n° 45443/21 et 45483/21.
8. En dernier lieu, aux termes de l'article 20 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : " Toutes les personnes sont égales en droit ". Aux termes de l'article 53 de la même charte : " 1. Les dispositions de la présente Charte s'adressent aux institutions, organes et organismes de l'Union dans le respect du principe de subsidiarité, ainsi qu'aux Etats membres uniquement lorsqu'ils mettent en œuvre le droit de l'Union. (...) "
9. Les opérations réalisées par M. et Mme D... n'entrent pas dans le champ matériel et territorial de la directive " fusions ", dès lors que les plus-values qu'ils ont placées en report d'imposition sur le fondement des dispositions rappelées au point 2 ont été réalisées à l'occasion d'opérations d'échange et de cession de titres de sociétés françaises. Les dispositions de la loi fiscale dont il a ainsi été fait application ne mettent pas en œuvre le droit de l'Union. Dès lors, M. et Mme D... ne peuvent utilement se prévaloir de la méconnaissance des stipulations de l'article 20 de la Charte des droits fondamentaux, lesquelles s'appliquent aux États membres lorsqu'ils mettent en œuvre le droit de l'Union européenne et non aux situations seulement régies par le droit interne.
10. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les fins de non-recevoir, ni de renvoyer à la Cour de justice de l'Union européenne la question préjudicielle soulevée par M. et Mme D..., que ces derniers ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif d'Orléans a rejeté leur demande. La requête doit par suite être rejetée, y compris ses conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DECIDE :
Article 1er : La requête de M. et Mme D... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... D... et Mme C... D..., et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Délibéré après l'audience du 17 février 2023, à laquelle siégeaient :
M. Beaujard, président de chambre,
Mme Dorion, présidente assesseure,
Mme Pham, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 8 mars 2023.
La rapporteure,
O. B... Le président,
P. BEAUJARDLa greffière,
S. LOUISERE
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
2
N° 21VE01343