Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société à responsabilité limitée (SARL) VBI a demandé au tribunal administratif d'Orléans de prononcer la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) mis à sa charge au titre de la période du 1er avril 2016 au 31 mars 2017.
Par un jugement n° 1900196 du 12 octobre 2020, le tribunal administratif d'Orléans a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 11 décembre 2020, la SARL VBI, représentée par Me Grimpret, avocat, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de prononcer la décharge des rappels de TVA mis à sa charge au titre de la période du 1er avril 2016 au 31 mars 2017 ;
3°) à titre subsidiaire, de surseoir à statuer jusqu'à ce que la Cour de justice de l'Union européenne se soit prononcée sur les questions préjudicielles posées par le Conseil d'Etat dans sa décision avant dire droit n° 416727 du 25 juin 2020 ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
La société VBI soutient que :
- l'administration a méconnu les dispositions de l'article 268 du code général des impôts, qui ne subordonnent l'application du régime de la TVA sur la marge qu'à la condition que l'acquisition par le cédant n'a pas ouvert droit à déduction de la TVA ; elle ne pouvait en conséquence remettre en cause l'application de ce régime au motif que la condition d'identité juridique ou physique entre les biens acquis et les biens revendus ne serait pas respectée ; elle remplissait la condition posée par ces dispositions pour appliquer aux quatre ventes de terrains à bâtir le régime de la TVA sur la marge, dès lors qu'elle n'a bénéficié d'aucun droit à déduction lorsqu'elle a acquis ces terrains ; les cédants étant des particuliers, non assujettis à la TVA, cette acquisition se trouvait en dehors du champ d'application la TVA ;
- à titre subsidiaire, les biens acquis et vendus remplissent en tout état de cause la condition d'identité juridique ; d'une part, la division parcellaire de l'ensemble immobilier est intervenue avant son acquisition ; d'autre part, cet ensemble immobilier est assimilable à un terrain à bâtir au sens de la doctrine administrative référencée BOI-TVA-IMM-10-10-10-20010929 n° 120 ;
- à titre infiniment subsidiaire, il est nécessaire que la cour prononce un sursis à statuer jusqu'à ce la Cour de justice de l'Union européenne se soit prononcée sur les questions préjudicielles posées par le Conseil d'Etat.
Par un mémoire en défense, enregistré le 19 avril 2021, le ministre de l'économie, des finances et de la relance conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par la SARL VBI ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006 ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- l'arrêt C-299/20 de la Cour de justice de l'Union européenne du 30 septembre 2021 ;
- l'ordonnance C-191/21 de la Cour de justice de l'Union européenne du 10 février 2022 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. A...,
- et les conclusions de Mme Deroc, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. La SARL VBI, qui exerce une activité de marchand de biens immobiliers et de lotisseur, a procédé à la cession, comme terrains à bâtir, de quatre parcelles situées sur le territoire de la commune de Ballan-Miré issues de la division d'une parcelle sur laquelle était édifié un ensemble immobilier comportant un immeuble d'habitation, qui a été démoli. Elle a, dans les déclarations qu'elle a souscrites au titre de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA), estimé pouvoir faire application à ces opérations du régime de la TVA sur la marge. La société a fait l'objet d'une vérification de comptabilité à l'issue de laquelle des rappels de TVA ont été mis à sa charge au titre de la période du 1er avril 2016 au 31 mars 2017, procédant de la remise en cause du régime de la TVA sur la marge qu'elle avait appliqué. La SARL VBI relève appel du jugement du 12 octobre 2020 par lequel le tribunal administratif d'Orléans a rejeté sa demande tendant à la décharge de ces rappels.
Sur l'application de la loi fiscale :
2. Le I de l'article 257 du code général des impôts dans sa rédaction alors en vigueur, prévoit que les opérations concourant à la production ou à la livraison d'immeubles, lesquelles comprennent les livraisons à titre onéreux de terrains à bâtir, sont soumises à la taxe sur la valeur ajoutée. En vertu du 2 du b. de l'article 266 du même code, l'assiette de la taxe est en principe constituée par le prix de cession. L'article 392 de la directive du Conseil du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée dispose toutefois que : " Les États membres peuvent prévoir que, pour les livraisons de bâtiments et de terrains à bâtir achetés en vue de la revente par un assujetti qui n'a pas eu droit à déduction à l'occasion de l'acquisition, la base d'imposition est constituée par la différence entre le prix de vente et le prix d'achat ". L'article 268 du code général des impôts, pris pour la transposition de ces dispositions, prévoit, dans sa rédaction alors applicable, que : " S'agissant de la livraison d'un terrain à bâtir (...), si l'acquisition par le cédant n'a pas ouvert droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée, la base d'imposition est constituée par la différence entre : / 1° D'une part, le prix exprimé et les charges qui s'y ajoutent ; / 2° D'autre part, selon le cas : / - soit les sommes que le cédant a versées, à quelque titre que ce soit, pour l'acquisition du terrain (...); / - soit la valeur nominale des actions ou parts reçues en contrepartie des apports en nature qu'il a effectués. ".
3. Par son arrêt du 30 septembre 2021 (Icade Promotion SAS aff. C-299/20) par lequel elle s'est prononcée sur les questions que le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, lui avait soumises, la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit que l'article 392 de la directive 2006/112/CE doit être interprété en ce sens qu'il exclut l'application du régime de taxation sur la marge à des opérations de livraison de terrains à bâtir lorsque ces terrains acquis non bâtis sont devenus, entre le moment de leur acquisition et celui de leur revente par l'assujetti, des terrains à bâtir, mais qu'il n'exclut pas l'application de ce régime à des opérations de livraison de terrains à bâtir lorsque ces terrains ont fait l'objet, entre le moment de leur acquisition et celui de leur revente par l'assujetti, de modifications de leurs caractéristiques telles qu'une division en lots ou la réalisation de travaux d'aménagement permettant l'installation de réseaux desservant lesdits terrains, à l'instar, notamment, des réseaux de gaz ou d'électricité.
4. Dans son ordonnance du 10 février 2022 Ministre de l'économie, des finances et de la relance c. Les Anges d'Eux SARL, Echo 5 SARL et Cletimmo SAS (aff. C-191/21), la Cour de justice de l'Union européenne a précisé que le régime dérogatoire prévu à l'article 392 de la directive TVA s'applique aux seuls terrains à bâtir qui, définis comme tels par les Etats membres, sont achetés en vue de la revente et qu'ainsi, l'application du régime de la taxation sur la marge suppose, en vertu de cet article 392, une identité juridique entre le bien acquis et le bien revendu. Elle a ajouté qu'il s'agit dès lors de vérifier, en tenant compte des définitions prévues par la législation nationale et de toutes les circonstances dans lesquelles se sont déroulées les opérations en cause, si les biens acquis par le contribuable relèvent de la notion de " terrain à bâtir " au sens de l'article 12§3 de la directive TVA et, ainsi, du champ d'application de son article 392.
5. Il résulte ainsi des dispositions de l'article 268 du code général des impôts, lues à la lumière de celles de la directive dont elles ont pour objet d'assurer la transposition, que les règles de calcul dérogatoires de la taxe sur la valeur ajoutée qu'elles prévoient s'appliquent aux opérations de cession de terrains à bâtir qui ont été acquis en vue de leur revente et ne s'appliquent donc pas à une cession de terrains à bâtir qui, lors de leur acquisition, avaient le caractère d'un terrain bâti, soit que le bâtiment qui y était édifié ait fait l'objet d'une démolition de la part de l'acheteur-revendeur soit que le bien acquis ait fait l'objet d'une division parcellaire en vue d'en céder séparément des parties ne constituant pas le terrain d'assiette du bâtiment.
6. En l'espèce, il résulte de l'instruction que la SARL VBI a acquis le 30 mars 2015 auprès d'un particulier, sans droit à déduction de la TVA, un bien immobilier situé 3, rue du maréchal Juin à Ballan-Miré pour un montant de 188 000 euros. Ce bien est constitué d'un immeuble, de dépendances et d'une parcelle à usage de terrain, l'ensemble cadastré AL26. Les bâtiments implantés sur le terrain ont ensuite été démolis. La société a déposé le 27 mars 2015 une demande de permis d'aménager un lotissement sur la parcelle, autorisé par un arrêté communal et qui lui a été délivré le 30 juin 2015. Un géomètre expert a alors dressé, le 7 juillet 2015, le plan de division parcellaire et de bornage, établissant la division de la parcelle en cinq nouvelles parcelles. Dans ces conditions, dès lors que les quatre terrains à bâtir cédés par la SARL VBI faisaient partie, au moment de leur acquisition en 2015, avant la division parcellaire qui n'est intervenue que postérieurement, d'une seule et même unité foncière supportant au moins un corps de bâtiment, les terrains en litige ne pouvaient être regardés comme ayant la qualité de terrain à bâtir. Par suite, et peu important à cet égard que l'acquisition n'ait pas ouvert de droit à déduction, c'est à bon droit que l'administration, compte tenu du changement de qualification juridique du bien, a refusé de faire application de la taxe sur la valeur ajoutée sur la marge aux opérations de revente en litige.
Sur l'interprétation de la loi fiscale :
7. Aux termes de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales : " (...) Lorsque le redevable a appliqué un texte fiscal selon l'interprétation que l'administration avait fait connaître par ses instructions ou circulaires publiées et qu'elle n'avait pas rapportée à la date des opérations en cause, elle ne peut poursuivre aucun rehaussement en soutenant une interprétation différente (...) ".
8. La société VBI se prévaut du paragraphe 120 de l'instruction du 29 septembre 2014 référencée BOI-TVA-IMM-10-10-10-20 selon laquelle : " 120 (...) on ne doit entendre par immeuble bâti qu'une construction qui se trouve en état d'être utilisée en tant que telle pour un usage quelconque sans qu'il soit nécessaire à cette fin d'y réaliser un immeuble neuf au sens de la définition exposée au 2° du 2 du I de l'article 257 du CGI, et ce, même si cette construction est destinée à être démolie par l'acquéreur. En sens inverse, dès lors qu'il est situé dans une zone où les constructions peuvent être autorisées, un immeuble dont l'état le rend impropre à un quelconque usage devra être assimilé à un terrain à bâtir (ruine résultant d'une démolition plus ou moins avancée, bâtiment rendu inutilisable par suite de son état durable d'abandon, immeuble frappé d'un arrêté de péril, chantier inabouti, etc...). ".
9. Si la société requérante fait valoir que le terrain acquis peut être assimilé à un terrain à bâtir dès lors que la maison qui y était implantée était impropre à l'habitation, elle n'établit ni même n'allègue que celle-ci était impropre à un quelconque usage, alors au demeurant qu'elle était habitée jusqu'à l'opération d'acquisition. Ainsi, la société requérante n'entre pas dans les prévisions de l'instruction dont elle se prévaut.
10. Il résulte de tout ce qui précède sans qu'il soit besoin de surseoir à statuer, que la SARL VBI n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif d'Orléans a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la SARL VBI est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la SARL VBI et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Délibéré après l'audience du 2 novembre 2022, à laquelle siégeaient :
Mme Danielian, présidente,
M. Lerooy, premier conseiller,
Mme Liogier, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 17 novembre 2022.
Le rapporteur,
D. A...La présidente,
I. DanielianLa greffière,
C. FourteauLa République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme
Le greffier,
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N° 20VE03200