Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société par actions simplifiée (SAS) Sonepar a demandé au tribunal administratif de Montreuil de prononcer la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée mis à sa charge au titre de la période du 1er janvier 2010 au 31 décembre 2011 ainsi que les intérêts correspondants.
Par un jugement n° 1804060 du 10 juin 2020, le tribunal administratif de Montreuil a déchargé la SAS Sonepar des seuls rappels de taxe sur la valeur ajoutée correspondant au rétablissement du coefficient d'assujettissement à un, au sein du coefficient de déduction, couvrant les années 2010 et 2011, et a rejeté le surplus de sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 3 août 2020 et le 20 septembre 2021, la SAS Sonepar, représentée par Me Aldebert, avocat, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement en tant qu'il a rejeté le surplus de sa demande ;
2°) de prononcer décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée restants en litige auxquels elle a été assujettie au titre de la période du 1er janvier 2010 au 31 décembre 2011 ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
La SAS Sonepar soutient que :
- le montant des produits financiers exonérés que l'administration a retenu dans le calcul du coefficient de taxation est erroné ; la grande majorité de ces produits correspond à des pertes et profits de change dont seul le solde devait être pris en compte ;
- ses produits financiers présentent un caractère accessoire par rapport à son activité principale, qui consiste à fournir des prestations de service et refacturer des coûts à ses filiales ; d'une part, son activité de trésorerie ne constitue pas le prolongement direct, permanent et nécessaire de son activité taxable ni une activité économique sans lien avec l'activité taxable de l'entreprise ; d'autre part, les charges grevées de taxe sur la valeur ajoutée engagées pour les besoins de son activité financière sont très inférieures à 10 % du montant total des biens et services grevés de taxe sur la valeur ajoutée ;
- à titre subsidiaire, l'administration a omis de faire application du b du 2 du V de l'article 271 du code général des impôts, qui permet de déduire la taxe sur la valeur ajoutée acquittée pour fournir à des filiales établies hors de l'Union européenne des services bancaires et financiers normalement exonérés, alors qu'elle prête des sommes importantes à de nombreuses filiales établies hors de l'Union européenne.
Par un mémoire en défense, enregistré le 9 août 2021, le ministre de l'économie, des finances et de la relance conclut au non-lieu à statuer à hauteur du dégrèvement prononcé en cours d'instance et au rejet du surplus des conclusions de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par la SAS Sonepar ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. A...,
- les conclusions de Mme Deroc, rapporteure publique,
- et les observations de Me Aldebert, représentant la SAS Sonepar.
Considérant ce qui suit :
1. La société par actions simplifiée (SAS) Sonepar, qui exerce une activité dite de " holding mixte ", a fait l'objet d'une vérification de comptabilité portant sur la période du 1er janvier 2010 au 31 décembre 2011 à l'issue de laquelle l'administration, par une proposition de rectification en date du 16 décembre 2013, a notamment remis en cause les déductions que la société avait opérées au titre des dépenses affectées concurremment à des opérations situées dans le champ d'application de la taxe sur la valeur ajoutée ouvrant droit à déduction et à celles n'ouvrant pas droit à déduction. La société Sonepar a introduit une réclamation contentieuse le 19 décembre 2016 portant sur les sommes de 1 178 708 euros au titre de l'année 2010 et de 1 333 716 euros au titre de l'année 2011, correspondant à la contestation du calcul par l'administration du coefficient de déduction et portant, d'une part, sur l'exclusion des dividendes perçus du calcul du coefficient d'assujettissement et, d'autre part, sur l'exclusion des produits financiers du calcul du coefficient de taxation. Par un jugement du 10 juin 2020, le tribunal administratif de Montreuil a déchargé la société Sonepar des seuls rappels de taxe sur la valeur ajoutée correspondant au rétablissement du coefficient d'assujettissement à un, au sein du coefficient de déduction, au titre de la période en litige. La société Sonepar relève appel de ce jugement en tant qu'il a rejeté le surplus de sa demande.
Sur l'étendue du litige :
2. Par une décision du 9 août 2021, postérieure à l'introduction de la requête, le ministre de l'économie, des finances et de la relance a prononcé, au bénéfice de la société Sonepar, un dégrèvement à concurrence d'une somme totale de 262 022 euros, en droits et intérêts de retard, correspondant à la prise en compte du seul solde des gains et pertes de change pour le calcul du coefficient de taxation. Les conclusions de la société Sonepar sont, dans cette mesure, devenues sans objet.
Sur la détermination du coefficient de déduction :
3. En premier lieu, aux termes du I de l'article 256 du code général des impôts : " I. Sont soumises à la taxe sur la valeur ajoutée les livraisons de biens et les prestations de services effectuées à titre onéreux par un assujetti agissant en tant que tel (...) ". Aux termes de l'article 271 du même code : " I. 1. La taxe sur la valeur ajoutée qui a grevé les éléments du prix d'une opération imposable est déductible de la taxe sur la valeur ajoutée applicable à cette opération (...) ". Aux termes de l'article 205 de l'annexe II au code général des impôts : " La taxe sur la valeur ajoutée grevant un bien ou un service qu'un assujetti à cette taxe acquiert, importe ou se livre à lui-même est déductible à proportion de son coefficient de déduction ". Aux termes de l'article 206 de cette annexe : " III.-1. Le coefficient de taxation d'un bien ou d'un service est égal à l'unité lorsque les opérations imposables auxquelles il est utilisé ouvrent droit à déduction. (...) 3. Lorsque le bien ou le service est utilisé concurremment pour la réalisation d'opérations imposables ouvrant droit à déduction et d'opérations imposables n'ouvrant pas droit à déduction, le coefficient de taxation est calculé selon les modalités suivantes : / 1° Ce coefficient est égal au rapport entre : / a. Au numérateur, le montant total annuel du chiffre d'affaires afférent aux opérations ouvrant droit à déduction, y compris les subventions directement liées au prix de ces opérations ; / b. Et, au dénominateur, le montant total annuel du chiffre d'affaires afférent aux opérations imposables, y compris les subventions directement liées au prix de ces opérations. (...) 3° Pour l'application des dispositions du 1°, il est fait abstraction du montant du chiffre d'affaires afférent : (...) b. Au produit des opérations immobilières et financières accessoires exonérées de la taxe sur la valeur ajoutée. Sont considérées comme accessoires les opérations qui présentent un lien avec l'activité principale de l'entreprise et dont la réalisation nécessite une utilisation limitée au maximum à 10 % des biens et des services grevés de taxe sur la valeur ajoutée qu'elle a acquis. Ce pourcentage est apprécié en fonction de la proportion d'utilisation pour ces opérations de chaque bien et service grevé de taxe sur la valeur ajoutée. Cette proportion est appliquée à la valeur d'acquisition par le redevable de chacun de ces biens et services pour déterminer leur valeur d'utilisation. Le pourcentage résulte du rapport entre, au numérateur, la somme des valeurs d'utilisation ainsi déterminées et, au dénominateur, le montant total de la valeur d'acquisition de ces biens et services (...) ".
4. Il résulte de l'instruction que le service vérificateur a constaté, au cours des opérations de contrôle, que la société Sonepar, qui a créé un secteur financier dont la récupération de la taxe sur valeur ajoutée est nulle et un secteur commercial pour lequel elle récupère l'intégralité de cette taxe, n'a pas calculé de coefficient de déduction s'agissant des dépenses mixtes affectées concurremment à des opérations imposables ouvrant droit à déduction et à des opérations exonérées n'ouvrant pas ce droit. Elle a ainsi déduit la totalité du montant de taxe sur la valeur ajoutée ayant grevé ces dépenses. Le service vérificateur a alors déterminé un coefficient de taxation, selon les modalités précisées au III de l'article 206 de l'annexe II au code général des impôts, en incluant au dénominateur du rapport du coefficient de taxation les produits financiers issus de son activité de financement de ses filiales.
5. La société Sonepar soutient que les produits financiers qu'elle a perçus de ses filiales au titre des années en litige présentent le caractère d'opérations financières accessoires exonérées de taxe sur la valeur ajoutée et qu'ils doivent être exclus, pour ce motif, du dénominateur dans le calcul du coefficient de taxation, dès lors d'une part, que son activité de trésorerie ne constitue pas le prolongement direct, permanent et nécessaire de son activité taxable ni une activité économique sans lien avec l'activité taxable de l'entreprise et d'autre part, que ces opérations n'impliquent qu'une utilisation très limitée, inférieure à 5 %, de biens ou de services pour lesquels la taxe sur la valeur ajoutée est due.
6. La cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit, dans son arrêt du 29 avril 2004, Empresa de Desenvolvimento Mineiro (EDM) SGPS SA (C-77/01), que l'octroi annuel par une société holding de prêts rémunérés aux sociétés dans lesquelles elle détient une participation constitue une activité économique, effectuée par un assujetti agissant en tant que tel, au sens des articles 2, point 1, et 4, paragraphe 2, de la sixième directive 77/388, repris par la directive 2006/112/CE du 28 novembre 2006, que, toutefois, lesdites opérations sont exonérées de la taxe sur la valeur ajoutée en vertu de l'article 13, B, sous d), points 1 et 5, de cette même directive et que, lors du calcul du prorata de déduction visé aux articles 17 et 19 de la sixième directive 77/388, ces opérations doivent être considérées comme des opérations accessoires, au sens de l'article 19, paragraphe 2, deuxième phrase, de celle-ci dans la mesure où elles n'impliquent qu'une utilisation très limitée de biens ou de services pour lesquels la taxe sur la valeur ajoutée est due.
7. En l'espèce, la SAS Sonepar, qui est une société holding mixte, réalise des prestations de services de conseil et de gestion au profit de ses filiales et perçoit de celles-ci des produits d'opérations taxables à la taxe sur la valeur ajoutée, tels que des redevances de
sous-concession de la marque Sonepar, des loyers ou des produits liés à des refacturations de coûts à la société Sonepar international. Elle réalise également des opérations de gestion de la trésorerie du groupe, consistant à recevoir les excédents des filiales et à les utiliser pour leur consentir des prêts et avances ou pour des placements à court terme, et lève des fonds auprès des marchés financiers. A ce titre, elle a signé avec ses filiales des conventions de trésorerie et des contrats de prêt. Enfin, elle perçoit des dividendes de ses participations. Contrairement à ce que soutient le ministre en défense, la seule circonstance que les produits financiers perçus par la société Sonepar représentent une part conséquente de son chiffre d'affaires n'est pas, par
elle-même, de nature à faire obstacle à ce que soit reconnue la qualification d'opération accessoire à son activité d'avance de trésorerie auprès de ses filiales. En outre, il résulte de l'instruction, d'une part, que cette activité est liée l'activité principale de prestations de conseils et de gestion qu'elle exerce auprès de ses filiales, sans se confondre avec elle, et, d'autre part, que les opérations de prêt et d'avances de trésorerie qu'elle a réalisées au titre des années en litige ont nécessité une utilisation inférieure à 10 % des biens et des services grevés de taxe sur la valeur ajoutée qu'elle a acquis. Ainsi, ces opérations financières présentent un caractère accessoire au sens du b du 3° du 3 du III de l'article 206 de l'annexe II au code général des impôts. Par suite, les produits versés en rémunération de ces opérations ne devaient pas être inclus au dénominateur du rapport servant à déterminer le coefficient de taxation.
8. En second lieu, aux termes de l'article 261 C du code général des impôts : " Sont exonérées de la taxe sur la valeur ajoutée : 1° Les opérations bancaires et financières suivantes : a. L'octroi et la négociation de crédits, la gestion de crédits effectuée par celui qui les a octroyés, les prêts de titres effectués dans les conditions prévues aux articles L. 211-22 à L. 211-26 du code monétaire et financier et les pensions réalisées dans les conditions prévues par les articles L. 211-27 à L. 211-34 du même code ; b. La négociation et la prise en charge d'engagements, de cautionnements et d'autres sûretés et garanties ainsi que la gestion de garanties de crédits effectuée par celui qui a octroyé les crédits ; c. Les opérations, y compris la négociation, concernant les dépôts de fonds, comptes courants, paiements, virements, créances, chèques et autres effets de commerce, à l'exception du recouvrement de créances ; (...) ". Aux termes de l'article 271 du même code : " (...) V. Ouvrent droit à déduction dans les mêmes conditions que s'ils étaient soumis à la taxe sur la valeur ajoutée : (...) b) les services bancaires et financiers exonérés en application des dispositions des a à e du 1° de l'article 261 C lorsqu'ils sont rendus à des personnes domiciliées ou établies en dehors de l'Union européenne (...) ".
9. Il résulte de l'instruction que la société Sonepar justifie, dans le dernier état de ses écritures, par les pièces produites, que les services financiers fournis à ses filiales établies en dehors de l'Union européenne, en rémunération des avances de trésorerie et prêts qu'elle leur a consenties, se rapportent à des opérations ouvrant droit à déduction en application des dispositions du b du V de l'article 271 du code général des impôts, pour un montant de 16 191 400,42 euros au titre de l'année 2010 et de 18 193 461,89 euros au titre de l'année 2011. Par suite, c'est à tort, en tout état de cause, que l'administration n'a pas inclus ces produits au numérateur du rapport de détermination du coefficient de taxation.
10. Il résulte de tout ce qui précède que la SAS Sonepar est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté l'intégralité du surplus de sa demande.
Sur les conclusions au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
11. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros à verser à la SAS Sonepar au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer à hauteur des dégrèvements prononcés en cours d'instance.
Article 2 : Les rappels de taxe sur la valeur ajoutée mis à la charge de la société Sonepar au titre de la période du 1er janvier 2010 au 31 décembre 2011 seront réduits selon les modalités fixées aux points 7. et 9. du présent arrêt.
Article 3 : Le jugement n° 1804060 du 10 juin 2020 du tribunal administratif de Montreuil est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 4 : L'Etat versera à la SAS Sonepar la somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête d'appel de la SAS Sonepar est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à la SAS Sonepar et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Délibéré après l'audience du 2 novembre 2022, à laquelle siégeaient :
Mme Danielian, présidente,
Mme Liogier, première conseillère,
M. Lerooy, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 17 novembre 2022.
Le rapporteur,
D. A...La présidente,
I. DanielianLa greffière,
C. Fourteau
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme
Le greffier,
2
N° 20VE01888