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08/11/2022 | FRANCE | N°19VE01913

France | France, Cour administrative d'appel de Versailles, 4ème chambre, 08 novembre 2022, 19VE01913


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Le syndicat national des dermatologues-vénéréologues (SNDV) a demandé au tribunal administratif de Montreuil, d'une part, d'annuler la décision implicite par laquelle le directeur général de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) a rejeté sa demande du 19 octobre 2017 de modification des conditions de prescription et de délivrance des spécialités pharmaceutiques Enbrel, Humira, Stelara, Cosentyx et Taltz classées dans la catégorie des médicaments soumis à pr

escription initiale hospitalière annuelle, avec prescription et renouvellement ré...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Le syndicat national des dermatologues-vénéréologues (SNDV) a demandé au tribunal administratif de Montreuil, d'une part, d'annuler la décision implicite par laquelle le directeur général de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) a rejeté sa demande du 19 octobre 2017 de modification des conditions de prescription et de délivrance des spécialités pharmaceutiques Enbrel, Humira, Stelara, Cosentyx et Taltz classées dans la catégorie des médicaments soumis à prescription initiale hospitalière annuelle, avec prescription et renouvellement réservés à certains spécialistes, d'autre part, d'enjoindre au directeur de l'ANSM de procéder à la modification des conditions de prescription et de délivrance de ces cinq spécialités pharmaceutiques et de les retirer de la catégorie des médicaments soumis à prescription initiale hospitalière, et à titre subsidiaire, d'ordonner une expertise sur les propriétés et les risques pharmacologiques de spécialités litigieuses ainsi que sur les conditions dans lesquelles le diagnostic de psoriasis doit être posé.

Par un jugement n° 1802205 du 2 avril 2019, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté cette demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, des pièces et un mémoire, enregistrés les 24 mai, 3 juin et 6 septembre 2019, le syndicat national des dermatologues-vénéréologues (SNDV), représenté par Me Ganem-Chabenet, avocate, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler la décision implicite du directeur général de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) de rejet de sa demande du 19 octobre 2017 de modification des conditions de prescription et de délivrance de cinq biothérapies ;

3°) d'enjoindre au directeur général de l'ANSM de procéder à la modification des conditions de prescription et de délivrance des spécialités pharmaceutiques Enbrel (étanercept), Humira (adalimumab), Stelara (ustékinumab), Cosentyx (sécukinumab) et Taltz (ixekizumab) et de les retirer de la catégorie des médicaments à prescription initiale hospitalière ;

4°) de condamner l'ANSM à lui verser une somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative au titre des frais liés à la première instance et une somme de 1 500 euros au titre des frais de l'instance d'appel.

Il soutient que :

- la décision implicite de rejet du 20 décembre 2017 méconnaît les dispositions de l'article R. 5121-87 du code de la santé publique dont ne relèvent pas les indications dermatologiques des spécialités pharmaceutiques en cause, le code de la santé publique n'interdisant pas que les restrictions de prescription et de délivrance se fassent par indication thérapeutique et par prescripteur ;

- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ; d'une part, les résumés des caractéristiques du produit (RCP) émis par l'Agence européenne du médicament ne prévoient pas le classement de ces biothérapies dans la catégorie des médicaments soumis à prescription initiale hospitalière ; d'autre part, les conditions de prescription et délivrance différenciées quant à la qualité du prescripteur et à l'indication thérapeutique, prévues par les articles R. 5121-90 et suivants, R. 5121-78 et R. 4127-79 du code de la santé publique, peuvent être respectées pour ces biothérapies ;

- la décision viole l'objectif à valeur constitutionnelle de protection de la santé publique par une rupture dans l'accès aux soins des patients psoriasiques ;

- elle est illégale dès lors qu'elle instaure une discrimination à l'égard des médecins libéraux qui n'est justifiée ni au plan scientifique, ni au plan légal.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 17 juillet et 14 novembre 2019, l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), représentée par Me Saumon, avocat, conclut au rejet de la requête et à ce que le syndicat national des dermatologues-vénéréologues soit condamné à lui verser une somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- les moyens soulevés ne sont pas fondés ;

- une éventuelle annulation de sa décision ne saurait commander une injonction de procéder à la modification demandée.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 ;

- le code de la santé publique ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme A...,

- les conclusions de Mme Grossholz, rapporteure publique,

- et les observations de Me Cervello pour le syndicat national des dermatologues-vénéréologues.

Une note en délibéré, enregistrée le 25 octobre 2022, a été présentée pour l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé.

Considérant ce qui suit :

1. Le syndicat national des dermatologues-vénéréologues (SNDV) a demandé au directeur général de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), par un courrier du 19 octobre 2017, reçu le 20 octobre suivant, la modification des conditions de prescription et de délivrance des spécialités pharmaceutiques Enbrel, Humira, Stelara, Cosentyx et Taltz, classées dans la catégorie des médicaments soumis à prescription initiale hospitalière annuelle avec prescription et renouvellement réservés à certains spécialistes. Le SNDV fait appel du jugement du 2 avril 2019 par lequel le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande tendant, d'une part, à l'annulation de la décision implicite de rejet née du silence gardé par l'ANSM en réponse à son courrier du 19 octobre 2017, et, d'autre part, à ce qu'il soit enjoint au directeur de l'ANSM de procéder à la modification des conditions de prescription et de délivrance de ces cinq spécialités pharmaceutiques et de les retirer de la catégorie des médicaments soumis à prescription initiale hospitalière.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

2. Aux termes de l'article R. 5121-87 du code de la santé publique : " Le classement dans la catégorie des médicaments à prescription initiale hospitalière ne peut intervenir que si les restrictions apportées à la prescription du médicament sont justifiées par la nécessité d'effectuer dans des établissements disposant de moyens adaptés le diagnostic des maladies pour le traitement desquelles le médicament est habituellement utilisé. ".

3. En premier lieu, il est constant que les cinq médicaments de biothérapie Enbrel, Humira, Stelara, Cosentyx et Taltz, sont prescrits à la fois en dermatologie pour le traitement du psoriasis et pour le traitement de pathologies rhumatologiques et gastroentérologiques. D'une part, s'il ne ressort pas des pièces du dossier que le diagnostic du psoriasis, pour lequel ces spécialités pharmaceutiques sont également utilisées, doit être effectué dans des établissements disposant de moyens adaptés, le SNDV ne conteste pas que celui des autres pathologies de rhumatologie ou gastroentérologie, pour lesquelles ces médicaments sont habituellement prescrits, nécessite des moyens adaptés disponibles en établissement hospitalier. D'autre part, le code de la santé publique, en particulier ses articles R. 5121-36 et R. 5121-77, prévoit une approche par médicament s'agissant respectivement à la fois de l'autorisation de mise sur le marché et du classement en catégories de médicaments soumis à prescription restreinte. A cet égard, est sans incidence la possibilité pour les pharmaciens de procéder aux vérifications exigées notamment par les articles R. 5121-90 et suivants, R. 5121-78 et R. 4127-79 du code de la santé publique en cas de conditions de prescription et de délivrance différenciées selon la qualité du prescripteur et l'indication thérapeutique. Dans ces conditions, dès lors que le diagnostic d'une des pathologies pour lesquelles les spécialités pharmaceutiques Enbrel, Humira, Stelara, Cosentyx et Taltz sont prescrites, justifie leur classement dans la catégorie des médicaments soumis à prescription initiale hospitalière annuelle avec prescription et renouvellement réservés à certains spécialistes, le syndicat requérant n'est pas fondé à soutenir qu'en ne prévoyant pas pour les affections dermatologiques des conditions de prescription et de délivrance différentes, la décision en litige de l'ANSM aurait méconnu les dispositions précitées de l'article R. 5121-87 du code de la santé publique.

4. En deuxième lieu, si les autorisations de mise sur le marché centralisées, dont les spécialités en cause ont fait l'objet, prévoient seulement que ces traitements doivent être initiés et surveillés par un médecin spécialiste ayant l'expérience du diagnostic et du traitement des pathologies prises en charge, sans imposer dans les résumés des caractéristiques du produit (RCP) émis par l'Agence européenne du médicament une prescription initiale hospitalière, cette condition implique, au moins pour certaines indications thérapeutiques, ainsi qu'il a été exposé au point précédent, une prescription initiale hospitalière annuelle avec prescription et renouvellement réservés à certains spécialistes. En outre, l'ANSM n'est pas sérieusement contredite quand elle fait valoir que, compte tenu des risques qu'ils comportent, de leur nature innovante et de leur indication uniquement en seconde intention dans des pathologies sévères, la prescription des médicaments Enbrel, Humira, Stelara, Cosentyx et Taltz doit relever d'un choix concerté et collégial favorisé en secteur hospitalier. Dans ces conditions, et alors au surplus que l'obligation de renouvellement hospitalier annuel est désormais supprimée pour les conditions de prescription et de délivrance sur les spécialités Enbrel et Humira, la décision en litige n'est pas entachée d'erreur manifeste d'appréciation, eu égard aux données scientifiques dont disposait l'ANSM à la date à laquelle est née cette décision.

5. En troisième lieu, les annales de dermatologie et de vénéréologie produites au dossier indiquent qu'il " n'est pas utile de traiter les psoriasis très limités et/ou psychologiquement bien acceptés par les malades. Ne pas oublier que les traitements majeurs ont des effets secondaires importants et ne doivent être utilisés que dans un faible pourcentage de cas graves. ". En outre, il n'est pas contesté que l'indication des traitements dits " biothérapies " ne sont prescrits qu'en seconde intention, et réservée aux cas d'échecs ou de contre-indication des traitements de première intention. L'attestation du président de l'association Resospo est rédigée en des termes trop généraux pour, à elle seule, justifier que les patients psoriasiques subiraient un retard de prise en charge entrainant des conséquences préjudiciables à leur santé du fait de l'existence pour les spécialités en cause d'une obligation de prescription initiale hospitalière annuelle avec prescription et renouvellement réservés à certains spécialistes. Ainsi, la rupture dans l'accès aux soins alléguées par le SNDV n'est pas établie. Par suite, la décision de l'ANSM ne méconnaît pas l'objectif à valeur constitutionnelle de protection de la santé, protégé par le onzième alinéa du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, auquel se réfère la Constitution du 4 octobre 1958.

6. En dernier lieu, et à supposer que le SNDV ait entendu soulever le moyen tiré de l'existence d'une discrimination à l'égard des médecins dermatologistes libéraux, lesquels ne se trouvent pas dans une situation de pratique professionnelle similaire à celle des praticiens hospitaliers, il résulte de ce qui a été dit au point 3 que le moyen doit, en tout état de cause, être écarté.

7. Il résulte de ce qui précède que le SNDV n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande.

Sur les frais liés à l'instance :

8. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'ANSM, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, la somme que le SNDV demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens, en première instance comme en appel. En revanche, il y a lieu, au même titre, de mettre à la charge du SNDV le versement à l'ANSM d'une somme de 2 000 euros.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête du SNDV est rejetée.

Article 2 : Le SNDV versera à l'ANSM la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au syndicat national des dermatologues-vénéréologues (SNDV) et à l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM).

Délibéré après l'audience du 18 octobre 2022, à laquelle siégeaient :

M. Brotons, président,

Mme Le Gars, présidente assesseure,

Mme Bonfils, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 8 novembre 2022.

La rapporteure,

M-G. A...Le président,

S. BROTONSLa greffière,

V. MALAGOLI

La République mande et ordonne au ministre de la santé et de la prévention, en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme

La greffière,

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Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Versailles
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 19VE01913
Date de la décision : 08/11/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

61-04-01-026 Santé publique. - Pharmacie. - Produits pharmaceutiques.


Composition du Tribunal
Président : M. BROTONS
Rapporteur ?: Mme Marie-Gaëlle BONFILS
Rapporteur public ?: Mme GROSSHOLZ
Avocat(s) : GANEM-CHABENET

Origine de la décision
Date de l'import : 13/11/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.versailles;arret;2022-11-08;19ve01913 ?
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