Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. F... E... a demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise d'annuler l'arrêté du 8 mars 2022 par lequel le préfet des Hauts-de-Seine a décidé son transfert aux autorités italiennes.
Par un jugement n° 2203998 du 9 mai 2022, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a annulé cet arrêté et enjoint au préfet des Hauts-de-Seine d'enregistrer la demande d'asile de M. E..., de lui remettre le dossier à adresser à l'Office français de protection des réfugiés et apatrides et de lui délivrer une attestation de demandeur d'asile dans un délai de sept jours.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 7 juin 2022, le préfet des Hauts-de-Seine demande à la cour d'annuler ce jugement du 9 mai 2022 et de rejeter la demande présentée par M. E... devant le tribunal administratif.
Il soutient que :
- M. E... s'est domicilié chez Coallia et non chez un cousin qui l'hébergerait ;
- selon l'article 2 du règlement (UE) du 26 juin 2013, on entend par famille, le conjoint et les enfants mineurs, mais non les cousins; ils n'ont d'ailleurs pas exprimé le souhait par écrit que la demande d'asile de M. E... soit examinée en France ;
- M. E... n'établit pas l'intensité et la stabilité des liens avec les personnes présentées comme ses cousins ;
- lors de l'entretien, l'intéressé n'a fait état d'aucune remarque particulière ni de son état de vulnérabilité , ni de la présence de ses cousins ;
- le compte rendu d'entretien a été signé sans réserve ;
- un arrêté du 28 janvier 2022 donne délégation de signature à Mme A... B... ;
- les brochures A et B ont été délivrées à l'intéressé , en langue arabe, dès le début de la procédure ; s'il soutient qu'il est analphabète, aucun élément ne permet de considérer qu'il en a averti les services de la préfecture ;
- la copie du résumé de l'entretien lui a été remise via un interprète, en langue arabe ; aucun élément ne permet de considérer que l'entretien n'aurait pas été mené par une personne qualifiée ;
- l'Italie est membre de l'Union Européenne, partie à la Convention de Genève sur le statut des réfugiés ; l'intéressé ne produit aucun élément établissant qu'il serait personnellement exposé à des risques de traitements inhumains s'il retournait en Italie.
La requête a été communiquée le 8 juin 2022 à M. E... qui n'a pas produit d'observations.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le règlement (UE) n° 603/2013 du 26 juin 2013 ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme D... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. E..., ressortissant égyptien, a déposé une demande d'asile à la préfecture des Hauts-de-Seine le 23 décembre 2021. La consultation du système " Eurodac " a révélé que ses empreintes avaient été relevées en Italie le 15 novembre 2021. Les autorités italiennes, saisies le 29 décembre 2021 par le préfet des Hauts-de-Seine, ont accepté implicitement la prise en charge de M. E.... Par un arrêté du 8 mars 2022, le préfet des Hauts-de-Seine a décidé de transférer M. E... aux autorités italiennes. Le préfet des Hauts-de-Seine relève appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a annulé son arrêté du 8 mars 2022.
Sur le moyen retenu par le premier juge :
2. Aux termes du paragraphe 1 de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. (...) ".
3. Pour annuler l'arrêté contesté, le premier juge a considéré qu'il ressortait des pièces du dossier et des déclarations de M. E... à l'audience qu'il était hébergé chez l'un de ses cousins ayant obtenu le statut de réfugié, qu'il avait six cousins résidant en France sous le statut de réfugié et un cousin dont la demande d'asile était en cours d'examen en procédure normale et que, du fait de son parcours migratoire et de son état de vulnérabilité, il avait besoin d'être étroitement soutenu par sa famille et accompagné dans le cadre de l'examen de sa demande d'asile. Le premier juge a également considéré qu'il ressortait de ces mêmes éléments que le requérant n'avait pas compris, lors de son entretien en préfecture, qu'il pouvait indiquer la présence en France de membres de sa famille autres que le conjoint ou les enfants, et qu'au regard de ses attaches en France et de sa situation de vulnérabilité, la décision de transfert aux autorités italiennes de M. E... était entachée d'une erreur manifeste d'appréciation des conditions de mise en œuvre des dispositions de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013.
4. Toutefois, il ne ressort d'aucune pièce du dossier que M. E..., qui s'est domicilié chez Coallia, à Nanterre, serait hébergé par l'un de ses cousins. Le préfet des Hauts-de-Seine fait valoir en appel que le nom de ce cousin n'est d'ailleurs indiqué ni par M. E... ni dans le jugement, et qu'aucun élément ne permet d'établir l'intensité et la stabilité des liens avec les personnes présentées comme ses cousins. Le lien de parenté entre les personnes ayant obtenu le statut de réfugié présentées par M. E... comme ses cousins et lui-même n'est par ailleurs pas établi par le simple fait que certaines présentent le même nom patronymique. Il ne ressort pas davantage du compte rendu d'entretien individuel à la préfecture des Hauts-de-Seine du 23 décembre 2021 que M. E... aurait indiqué avoir de la famille ou des attaches en France, ni qu'il présenterait une vulnérabilité particulière. Dans ces conditions, en l'absence de tout lien familial stable établi sur le territoire, le préfet des Hauts-de-Seine est fondé à soutenir que c'est à tort que le premier juge a considéré qu'il avait entaché sa décision de transfert aux autorités italiennes d'une erreur manifeste d'appréciation et qu'il s'est fondé sur ce motif pour annuler son arrêté du 8 mars 2022.
5. Il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. E... en première instance et devant la cour.
6. En premier lieu, Mme A... C... ayant reçu délégation de signature par arrêté du préfet des Hauts-de-Seine du 28 janvier 2022, le moyen tiré de l'incompétence du signataire manque en fait.
7. En deuxième lieu, aux termes de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Dès qu'une demande de protection internationale est introduite au sens de l'article 20, paragraphe 2, dans un État membre, ses autorités compétentes informent le demandeur de l'application du présent règlement, et notamment : a) des objectifs du présent règlement et des conséquences de la présentation d'une autre demande dans un État membre (...) b) des critères de détermination de l'État membre responsable (...) c) de l'entretien individuel en vertu de l'article 5 (...) d) de la possibilité de contester une décision de transfert (...) e) du fait que les autorités compétentes des États membres peuvent échanger des données le concernant aux seules fins d'exécuter leurs obligations découlant du présent règlement ; f) de l'existence du droit d'accès aux données le concernant (...) 2. Les informations visées au paragraphe 1 sont données par écrit, dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend. Les États membres utilisent la brochure commune rédigée à cet effet en vertu du paragraphe 3. (...). ". Il résulte de ces stipulations que le demandeur d'asile auquel l'administration entend faire application du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 doit se voir remettre, dès le moment où le préfet est informé de ce qu'il est susceptible d'entrer dans le champ d'application de ce règlement, et, en tous les cas, avant la décision par laquelle l'autorité administrative décide de refuser l'admission provisoire au séjour de l'intéressé au motif que la France n'est pas responsable de sa demande d'asile, une information complète sur ses droits, par écrit et dans une langue qu'il comprend. Cette information doit comprendre l'ensemble des éléments prévus au paragraphe 1 de l'article 4 du règlement. Eu égard à la nature desdites informations, la remise par l'autorité administrative de la brochure prévue par les dispositions précitées constitue pour le demandeur d'asile une garantie.
8. Il ressort des pièces du dossier que, lors du dépôt de sa demande d'asile, M. E... s'est vu remettre la brochure A intitulée " J'ai demandé l'asile dans l'UE - quel pays sera responsable de ma demande d'asile ' " et la brochure B intitulée " Je suis sous procédure Dublin - qu'est-ce que cela signifie ' ", sur lesquelles il a apposé sa signature. Ces documents, qui ont été remis à l'intéressé dans leur version en langue arabe, langue qu'il a déclaré comprendre et parler, comportent l'ensemble des informations prévues à l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013. Si M. E... soutient qu'il est analphabète et n'a pu lire ces brochures, il les a toutefois signées sans réserve et il ne produit aucun élément permettant de considérer qu'il aurait informé les services préfectoraux de cet état. Dans ces conditions, M. E... doit être regardé comme ayant bénéficié d'une information délivrée conformément aux stipulations de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 et le moyen tiré de leur méconnaissance doit être écarté.
9. En troisième lieu, aux termes de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'État membre responsable, l'État membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4. 2. (...) 4. L'entretien individuel est mené dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend et dans laquelle il est capable de communiquer. Si nécessaire, les États membres ont recours à un interprète capable d'assurer une bonne communication entre le demandeur et la personne qui mène l'entretien individuel. 5. L'entretien individuel a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national. (...). ".
10. Il ressort des pièces du dossier que le 23 décembre 2021, M. E... a bénéficié de l'entretien individuel prévu par les stipulations précitées de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, à l'aide d'un interprète en langue arabe, langue qu'il a déclaré comprendre, ainsi qu'en atteste sa signature apposée sans réserve au bas du résumé de cet entretien, après avoir déclaré qu'il avait compris la procédure et que les renseignements le concernant étaient exacts. Cet entretien, dont le résumé atteste, par ses mentions, de son exhaustivité au regard du processus de détermination de l'État membre responsable, a été mené par un agent de la préfecture des Hauts-de-Seine qui doit être présumé qualifié en vertu du droit national. Dans ces conditions, M. E... n'est pas fondé à se prévaloir d'une quelconque méconnaissance des stipulations de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013.
11. En quatrième lieu, il ressort des pièces du dossier et notamment de l'accusé de réception émis dans le cadre du réseau " DubliNet " par le point d'accès national de l'Italie, que les autorités italiennes ont été saisies le 29 décembre 2021 d'une demande de prise en charge de M. E... sur le fondement du 1 de l'article 13 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013. Ainsi, le requérant n'est pas fondé à soutenir que le préfet n'apporte pas la preuve de la saisine des autorités italiennes de la demande de prise en charge.
12. En dernier lieu, aux termes du paragraphe 2 de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " (...) Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'État membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant l'État membre procédant à la détermination de l'État membre responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre III afin d'établir si un autre État membre peut être désigné comme responsable (...). ".
13. M. E... invoque l'existence de défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs d'asile en Italie, notamment les plus vulnérables. Toutefois, ses allégations ne permettent pas de considérer que les autorités italiennes, qui ont donné leur accord à la demande de reprise en charge adressée par les autorités françaises, ne seraient pas en mesure de traiter sa demande d'asile dans des conditions conformes à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile ni de supposer que M. E... courrait dans cet Etat membre de l'Union européenne un risque réel d'être soumis à des traitements inhumains ou dégradants au sens de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ou au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. La décision de transfert contestée ne méconnaît donc pas les dispositions du 2 de l'article 3 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013.
14. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet des Hauts-de-Seine est fondé à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a annulé son arrêté du 8 mars 2022, lui a enjoint d'enregistrer la demande d'asile de M. E... et de lui délivrer un document provisoire de séjour en qualité de demandeur d'asile dans un délai de sept jours à compter de la notification du jugement et a mis à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros à verser à M. E..., en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Dès lors, ce jugement doit être annulé et la demande présentée par M. E... devant le tribunal administratif de Cergy-Pontoise rejetée.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement n° 2203998 du 9 mai 2022 du tribunal administratif de Cergy-Pontoise est annulé.
Article 2 : La demande de M. E... présentée devant le tribunal administratif de Cergy-Pontoise est rejetée.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. F... E... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer. Copie en sera adressée au préfet des Hauts-de-Seine.
Délibéré après l'audience du 18 octobre 2022, à laquelle siégeaient :
M. Brotons, président,
Mme Le Gars, présidente assesseure,
Mme Bonfils, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 18 octobre 2022.
La rapporteure,
A-C. D...Le président,
S. BROTONSLa greffière,
V. MALAGOLI
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme
La greffière,
N° 22VE01377 2