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04/10/2022 | FRANCE | N°20VE02187

France | France, Cour administrative d'appel de Versailles, 1ère chambre, 04 octobre 2022, 20VE02187


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Somfy SA a demandé au tribunal administratif de Montreuil de prononcer la décharge et la restitution de cotisations d'impôt sur les sociétés et de contributions sociales dont elle s'était acquittée pour un montant total de 937 084 euros, dont 236 889 euros au titre de l'année 2014, 253 783 au titre de l'année 2015 et 446 412 euros au titre de l'année 2016, correspondant à l'imputation sur l'impôt sur les sociétés au taux réduit ou normal du montant total d'un crédit d'impôt afférent

des redevances d'origine tunisienne perçues en exécution d'une concession de lice...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Somfy SA a demandé au tribunal administratif de Montreuil de prononcer la décharge et la restitution de cotisations d'impôt sur les sociétés et de contributions sociales dont elle s'était acquittée pour un montant total de 937 084 euros, dont 236 889 euros au titre de l'année 2014, 253 783 au titre de l'année 2015 et 446 412 euros au titre de l'année 2016, correspondant à l'imputation sur l'impôt sur les sociétés au taux réduit ou normal du montant total d'un crédit d'impôt afférent à des redevances d'origine tunisienne perçues en exécution d'une concession de licences de brevet.

Par un jugement n° 1813566 du 7 juillet 2020, le tribunal administratif de Montreuil a fait droit à sa demande, ainsi qu'à une demande de compensation présentée en défense par l'administration fiscale et a prononcé le remboursement de la somme totale de 707 908 euros d'impôt sur les sociétés et de contributions assimilées.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés le 25 août 2020, le 25 février 2021, le 22 octobre 2021 et le 9 septembre 2022, ce dernier mémoire n'ayant pas été communiqué, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique demande à la cour :

1° d'annuler le jugement attaqué ;

2° de rétablir l'impôt sur les sociétés au titre des exercices clos en 2014, 2015 et 2016 à hauteur de la somme de 707 998 euros.

Il soutient que :

- les dispositions de l'article 220 du code général des impôts sont applicables au présent litige ; si elles ne l'étaient pas, le ministre demande que leur soient substituées les dispositions combinées des articles 38-1 et 209 I du code général des impôts.

- le d) du 1 de l'article 29 de la convention fiscale franco-tunisienne ne doit pas être appliqué de manière autonome, mais doit être combiné avec le b) du 1 de ce même article qui prévoit un plafonnement dans l'imputation des crédits d'impôt ;

Par des mémoires en défense, enregistrés le 19 janvier 2021, le 12 mars 2021 et le 12 octobre 2021, la société Somfy SA, représentée par Me Vernejoul et Me Martinez, avocats, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de l'État la somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ainsi que les entiers dépens de l'instance.

Par une ordonnance du 5 octobre 2021, la clôture d'instruction a été fixée au 30 octobre 2021, en application de l'article R. 613-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- l'article 220 du code général des impôts, qui concerne exclusivement les revenus de capitaux mobiliers, n'est pas applicable aux faits de l'espèce ;

- la demande de substitution de base légale présentée par le ministre doit être rejetée, dans la mesure où le ministre sollicite exclusivement l'application du b) du 1 de l'article 29 de la convention fiscale franco-tunisienne alors que les redevances en cause relèvent du d) du 1 de ce même article.

- les moyens soulevés par le ministre de l'action et des comptes publics ne sont pas fondés ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention fiscale conclue entre la France et la Tunisie du 28 mai 1973 ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Pham, première conseillère,

- les conclusions de Mme Bobko, rapporteure publique,

- et les observations de Me Martinez, pour la société Somfy.

Considérant ce qui suit :

1. La société Somfy SAS, filiale de la société Somfy SA, a perçu des redevances d'origine tunisienne au titre de la concession de licences de brevet s'élevant à 9 544 276 euros au titre de l'exercice 2014, 10 376 628 euros au titre de l'exercice 2015, 10 829 725 euros au titre de l'exercice 2016. Ces redevances ont été soumises en France à l'impôt sur les sociétés au taux de 15 % en application des dispositions de l'article 39 terdecies du code général des impôts, et en Tunisie à une retenue à la source de 15 % en application du b) du 2 de l'article 19 de la convention franco-tunisienne du 28 mai 1973. Dans ses déclarations initiales, la société Somfy SA a plafonné le montant du crédit d'impôt imputable au montant de l'impôt sur les sociétés français afférent à ces redevances. Toutefois, par une réclamation du 22 décembre 2017, cette même société a sollicité l'imputation du montant total du crédit d'impôt afférent à ces revenus sur l'impôt sur les sociétés au taux réduit ou normal en faisant valoir qu'elle avait appliqué à tort le plafonnement. Sa demande ayant été implicitement rejetée, elle a saisi le tribunal administratif de Montreuil d'une demande tendant à la restitution d'un montant global de 937 084 euros au titre des exercices clos en 2014, 2015 et 2016. Par le jugement n° 1813566 du 7 juillet 2020, le tribunal administratif de Montreuil a fait droit à sa demande, ainsi qu'à une demande de compensation présentée par l'administration fiscale et a prononcé le remboursement de la somme totale de 707 908 euros d'impôt sur les sociétés et de contributions assimilées. Le ministre de l'économie, des finances et de la relance a relevé appel de ce jugement.

2. Une convention bilatérale conclue en vue d'éviter les doubles impositions ne peut pas, par elle-même, directement servir de base légale à une décision relative à l'imposition et, par suite, il incombe au juge de l'impôt, lorsqu'il est saisi d'une contestation relative à une telle convention, de se placer d'abord au regard de la loi fiscale nationale pour rechercher si, à ce titre, l'imposition contestée a été valablement établie avant de déterminer si cette convention fait ou non obstacle à l'application de la loi fiscale. Il appartient néanmoins au juge, pour la mise en œuvre des stipulations d'une convention qui sont relatives, non à la répartition du pouvoir d'imposer entre les deux Etats parties, mais aux modalités d'élimination des doubles impositions, de faire application directement de ces stipulations.

3. Aux termes du 2 de l'article 19 de la convention franco-tunisienne susvisée intitulé " Redevances " : " Les redevances non visées au paragraphe 1 provenant d'un Etat contractant et payés à une personne résidente dans l'autre Etat contractant sont imposables dans cet autre Etat. Toutefois, ces redevances peuvent être imposées dans l'Etat contractant d'où elles proviennent, si la législation de cet Etat le prévoit, dans les conditions et sous les limites ci-après : (...) b) Les redevances provenant de la concession de licences d'exploitation de brevets, dessins et modèles, plans, formules ou procédés secrets, provenant de sources situées sur le territoire de l'un des Etats contractants et payées à une personne résidente de l'autre Etat, peuvent être imposées dans le premier Etat, mais l'impôt ainsi établi ne peut excéder quinze p. cent du montant brut de ces redevances (...) ". Aux termes de l'article 29 de cette même convention, intitulé : " Dispositions pour éliminer la double imposition " : " La double imposition est évitée de la manière suivante : 1. Dans le cas de la France : (...) b) En ce qui concerne les revenus visés aux articles 18, 19, 23 et 24 ci-dessus, la France peut, en conformité avec les dispositions de sa législation, les comprendre dans la base des impôts visés à l'article 9 pour leur montant brut ; mais elle accorde sur le montant des impôts afférents à ces revenus une réduction correspondant au montant des impôts prélevés en Tunisie sur ces mêmes revenus ; (...) d) Les redevances imposées en Tunisie au titre de l'article 19, paragraphe 2 b ci-dessus, ouvrent droit à un crédit égal à 20 p. cent de leur montant brut. ".

4. Si les stipulations du b du 1 de l'article 29 de la convention franco-tunisienne précitée, qui doivent être interprétées littéralement, instituent un plafonnement du crédit d'impôt imputable en France en cas de double imposition, égal au montant de l'impôt français correspondant aux revenus de même nature, ainsi que le démontre l'utilisation du terme " réduction ", le d du même article, qui a vocation à s'appliquer conjointement, aménage une règle particulière pour les redevances provenant de la concession de licences d'exploitation de brevets, dessins et modèles, plans, formules ou procédés secrets, en ce qu'il prévoit un avantage de nature différente que celui du paragraphe b, à savoir un crédit d'impôt et non une réduction, et institue ainsi une dérogation à la règle générale du b. Il résulte dès lors de ces stipulations que les redevances provenant de la concession de licence d'exploitation de brevets imposées en Tunisie ouvrent droit à un crédit d'impôt égal à 20 % de leur montant brut, et que la déduction accordée par la France doit correspondre à ce montant, sans que soit pris en compte la retenue à la source effectivement réglée en Tunisie ni l'impôt payé en France.

5. Il résulte de ce qui précède que le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique n'est pas fondé à se plaindre de ce que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montreuil a prononcé le remboursement à la société Somfy SA de l'impôt sur les sociétés et des contributions assimilées pour un montant total de 707 908 euros au titre des exercices 2014, 2015 et 2016.

Sur les frais liés au litige :

6. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'État une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par la société Somfy SA et non compris dans les dépens. La requérante ne justifiant pas avoir, au cours de l'instance, exposé de dépens, au sens et pour l'application de l'article R. 761-1 du code de justice administrative, les conclusions qu'elle présente à ce titre doivent être rejetées.

DECIDE :

Article 1er : La requête du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique est rejetée.

Article 2 : L'État versera à la société Somfy SA une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Les conclusions de la société Somfy SA tendant à ce que soit mis à la charge de l'Etat les entiers dépens de l'instance sont rejetées.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique et à la société Somfy SA.

Délibéré après l'audience du 20 septembre 2022, à laquelle siégeaient :

M. Beaujard, président de chambre,

Mme Dorion, présidente assesseure,

Mme Pham, première conseillère.

Rendu public par mise au disposition au greffe le 4 octobre 2022.

La rapporteure,

C. PHAM Le président,

P. BEAUJARD

Le greffier,

C. FAJARDIE

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

Le greffier,

2

N° 20VE02187


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Versailles
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 20VE02187
Date de la décision : 04/10/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

19-01-01-05 Contributions et taxes. - Généralités. - Textes fiscaux. - Conventions internationales.


Composition du Tribunal
Président : M. BEAUJARD
Rapporteur ?: Mme Christine PHAM
Rapporteur public ?: Mme BOBKO
Avocat(s) : PWC SOCIETE D'AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 09/10/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.versailles;arret;2022-10-04;20ve02187 ?
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