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08/07/2022 | FRANCE | N°18VE01933

France | France, Cour administrative d'appel de Versailles, 4ème chambre, 08 juillet 2022, 18VE01933


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Par un arrêt du 25 février 2020, la cour administrative d'appel de Versailles, avant de statuer sur les conclusions de la requête de Mme G... D... tendant à la condamnation du centre hospitalier Sud-Francilien à réparer les préjudices qu'elle a subis à raison des fautes commises par le service de psychiatrie et le service des urgences lors de son hospitalisation et sur les conclusions de la caisse primaire d'assurance maladie de l'Essonne tendant à ce que le centre hospitalier Sud-Francilien soit condamné

à lui rembourser les débours auxquels elle a été exposée, a ordonné une...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Par un arrêt du 25 février 2020, la cour administrative d'appel de Versailles, avant de statuer sur les conclusions de la requête de Mme G... D... tendant à la condamnation du centre hospitalier Sud-Francilien à réparer les préjudices qu'elle a subis à raison des fautes commises par le service de psychiatrie et le service des urgences lors de son hospitalisation et sur les conclusions de la caisse primaire d'assurance maladie de l'Essonne tendant à ce que le centre hospitalier Sud-Francilien soit condamné à lui rembourser les débours auxquels elle a été exposée, a ordonné une expertise en vue de déterminer, d'une part, selon quelle probabilité le traitement médicamenteux administré à la patiente lors de son hospitalisation est à l'origine du coma constaté le 13 septembre 2009 et, d'autre part, dans quelle mesure le traitement médicamenteux prescrit à compter du 11 septembre 2009 était indiqué au regard des connaissances médicales avérées et des données acquises de la science à l'époque des faits compte tenu de l'état de santé de la patiente et notamment des risques qu'il lui faisait courir.

Le rapport de l'expert a été déposé le 18 janvier 2022.

Par une ordonnance du 14 février 2022, le président de la cour administrative d'appel de Versailles a liquidé et taxé les frais et honoraires de l'expertise à la somme de 8 424 euros.

Par un mémoire enregistré le 15 février 2022, le centre hospitalier Sud-Francilien et la société hospitalière d'assurances mutuelles, représentés par Me Le Prado, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, concluent aux mêmes fins par les mêmes moyens et font valoir, en outre, que :

- le second expert judiciaire ne relève aucune faute dans la prise en charge de la requérante et est formel quant au fait que la prescription médicamenteuse était adaptée à la pathologie de cette dernière ;

- il ne relève aucun manquement fautif dans la prescription de neuroleptiques ou dans la posologie administrée à Mme D... au regard de la symptomatologie qu'elle présentait ;

- s'il indique que le traitement prescrit pourrait être à l'origine d'une sédation et d'un trouble de la conscience constaté le 13 septembre matin, cela reste une simple hypothèse, de sorte que le caractère direct et certain du lien de cause à effet ne peut être regardé comme établi.

Par un mémoire enregistré le 3 mars 2022, Mme D..., représentée par Me Dufau, avocat, persiste dans les conclusions de sa requête par les mêmes moyens et soutient en outre que :

- si le traitement psychiatrique n'est pas fautif, la mauvaise surveillance puis la prise en charge déficiente par les services de l'hôpital ont entraîné la survenue du dommage ; il existe un lien direct et certain entre cette faute et les séquelles dont elle reste atteinte ;

- le taux de 50 % de perte de chance retenu par le tribunal administratif de Versailles est en contradiction avec les constations de ce dernier quant à l'étendue des fautes commises ;

- la responsabilité pleine et entière du centre hospitalier devra être retenue et ce dernier devra indemniser l'ensemble de ses préjudices.

Par ordonnance du président de la chambre du 30 mars 2022, la clôture de l'instruction a été fixée au 15 avril 2022 à 12h00, en application de l'article R. 613-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier, y compris celles visées par l'arrêt de la cour administrative d'appel de Versailles en date du 25 février 2020.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. F...,

- les conclusions de Mme Grossholz, rapporteure publique,

- et les observations de Me Zayan pour Mme D....

Considérant ce qui suit :

1. Mme G... D..., alors âgée de 26 ans, a été hospitalisée au sein du service de psychiatrie du centre hospitalier Sud-Francilien à compter du 21 août 2009. Le 13 septembre 2009, à 5h30 du matin, le personnel soignant la trouve par terre, au bas de son lit, prise de vomissements. Elle est alors transférée au service des urgences à 6h30 où l'interne de garde constate un coma avec suspicion de pneumopathie d'inhalation. Vers 10h30, ce diagnostic étant confirmé par un médecin senior, elle est transférée en réanimation où un scanner révèle une pneumopathie bilatérale. Mme D... conserve des séquelles consistant dans une sténose œsophagienne et une monoparésie du bras gauche. Par jugement du 10 avril 2018, dont la requérante relève appel, le tribunal administratif de Versailles a condamné le centre hospitalier Sud-Francilien à réparer la perte d'une chance d'échapper au dommage à hauteur de 50 % et à verser à la requérante la somme de 19 610 euros et à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Essonne la somme de 43 372,16 euros en réparation de leurs préjudices.

2. Par un arrêt du 25 février 2020, la cour administrative d'appel de Versailles, avant de statuer sur les conclusions de la requête de Mme G... D... tendant à la condamnation du centre hospitalier Sud-Francilien à réparer les préjudices qu'elle a subis à raison des fautes commises par le service de psychiatrie et le service des urgences lors de son hospitalisation et sur les conclusions de la caisse primaire d'assurance maladie de l'Essonne tendant à ce que le centre hospitalier Sud-Francilien soit condamné à lui rembourser les débours auxquels elle a été exposée, a ordonné une expertise en vue de déterminer, d'une part, selon quelle probabilité le traitement médicamenteux administré à la patiente lors de son hospitalisation est à l'origine du coma constaté le 13 septembre 2009 et, d'autre part, dans quelle mesure le traitement médicamenteux prescrit à compter du 11 septembre 2009 était indiqué au regard des connaissances médicales avérées et des données acquises de la science à l'époque des faits compte tenu de l'état de santé de la patiente et notamment des risques qu'il lui faisait courir.

3. Il résulte de l'instruction que les premiers juges ont estimé, comme le rapport d'expertise en date du 25 février 2014, d'une part, que Mme D... avait été victime d'un défaut de surveillance dans le service de psychiatrie du centre hospitalier Sud-Francilien qui s'est traduit notamment par un retard de prise en charge, dans la nuit du 12 au 13 septembre 2009, d'autre part, que l'intéressée avait été également victime d'un retard de prise en charge de ses pathologies par le service des urgences à son arrivée à 6h30 le matin du 13 septembre 2009. Le tribunal a en conséquence estimé que les fautes commises par les services du centre hospitalier avaient été à l'origine d'une perte de chance d'échapper au dommage de 50 %.

Sur la responsabilité du centre hospitalier Sud-Francilien :

4. Mme D... et la caisse primaire d'assurance maladie de l'Essonne soutiennent que, contrairement à ce que le tribunal administratif de Versailles a jugé, les dommages corporels dont elle souffre sont la conséquence directe et certaine des fautes commises par le centre hospitalier et qu'ainsi ce dernier devait être condamné à réparer l'intégralité de ses préjudices et non la perte de chance d'éviter que le dommage advienne.

5. Dans le cas où la faute commise lors de la prise en charge ou du traitement d'un patient dans un établissement public hospitalier a compromis ses chances d'obtenir une amélioration de son état de santé ou d'échapper à son aggravation, le préjudice résultant directement de la faute commise par l'établissement et qui doit être intégralement réparé n'est pas le dommage corporel constaté, mais la perte de chance d'éviter que ce dommage advienne, la réparation qui incombe à l'hôpital devant alors être évaluée à une fraction du dommage corporel déterminée en fonction de l'ampleur de la chance perdue.

6. En premier lieu, le docteur A... C..., dans son rapport déposé le 18 janvier 2022, a estimé que si le traitement prescrit à Mme D... pouvait être " à l'origine d'une sédation et d'un trouble de la conscience constaté le 13 septembre matin ", ce " traitement médicamenteux prescrit à partir du 11 septembre 2009 était indiqué au regard des connaissances médicales avérées et les données acquises de la science à l'époque des faits compte tenu de l'état de santé de la patiente et notamment des risques qu'il lui faisait courir ". L'expert a également relevé que la " sédation des symptômes délirants et des troubles du comportement " faisaient partie du traitement psychiatrique et que cette sédation avait " été évaluée tout au long de l'hospitalisation et le traitement adapté ". Il a enfin noté qu'il n'y avait pas " de raison d'imaginer en l'état un surdosage médicamenteux, même s'il était légitime de le soupçonner ". Il suit de là que les prescriptions médicamenteuses effectuées par le centre hospitalier ne sont pas fautives et ne sauraient, par suite, engager sa responsabilité.

7. En second lieu, Mme D... soutient également que les fautes du centre hospitalier dont le tribunal administratif de Versailles a admis l'existence, tenant à un défaut de surveillance dans le service de psychiatrie et à un retard de prise en charge par le service des urgences sont la cause directe de ses dommages corporels. Toutefois il ne résulte pas de l'instruction, et notamment des rapports d'expertise du Dr A... C... et du Dr E..., ce dernier se bornant à indiquer qu'" une prise en charge plus précoce aurait peut-être permis un séjour en réanimation plus court et moins invasif ", que les séquelles dont souffre la requérante puissent être regardés comme la conséquence directe et certaine du défaut de surveillance et du retard de prise en charge médicale. A cet égard, le Dr B..., expert de l'assureur de Mme D... dans l'expertise amiable contradictoire, avait estimé en 2012 que la sous-estimation de la gravité de la situation et le défaut de surveillance avaient entrainé une perte de chance d'éviter de voir survenir un syndrome de détresse respiratoire aiguë, l'expert fixant cette perte de chance à 50 %. Il suit de là que Mme D... n'est pas fondée à soutenir que le tribunal administratif de Versailles aurait à tort indemnisé une fraction du dommage corporel déterminée en fonction de l'ampleur de la chance perdue. Il ne résulte par ailleurs pas de l'instruction que les premiers juges auraient, au regard des fautes commises par le centre hospitalier, inexactement apprécié l'ampleur de la perte de chance subie par Mme D... en la fixant à 50 %.

Sur l'évaluation des préjudices :

En ce qui concerne les préjudices patrimoniaux :

8. Mme D... sollicite à ce titre l'indemnisation de l'incidence professionnelle des fautes commises par le centre hospitalier. Ainsi que la requérante le soutient, il résulte de l'instruction, compte tenu notamment des séquelles et de son âge, que ce préjudice doit être évalué à la somme de 15 000 euros. Mme D... est, par suite, fondée à solliciter la condamnation du centre hospitalier Sud-Francilien, après application du taux de perte de chance, à lui verser une somme de 7 500 euros en réparation de ce préjudice.

En ce qui concerne les préjudices extrapatrimoniaux :

S'agissant des préjudices extrapatrimoniaux temporaires :

9. Mme D... demande que le préjudice résultant de son déficit fonctionnel temporaire total au titre de la période du 13 septembre au 13 octobre 2009 soit évalué à 690 euros. Toutefois, en retenant un montant de 400 euros pour évaluer ce préjudice, le tribunal administratif de Versailles n'a pas fait une inexacte appréciation.

10. Contrairement à ce que soutient également la requérante, le tribunal administratif de Versailles, en fixant à 2 320 euros l'évaluation du préjudice résultant du déficit fonctionnel temporaire partiel de Mme D... pour la période d'octobre 2009 au 14 mars 2012, date de consolidation, a fait une correcte appréciation.

11. Enfin, Mme D... ne conteste pas sérieusement l'évaluation faite par les premiers juges de l'indemnisation des souffrances endurées. Elle n'est, par suite, pas fondée à demander qu'une somme de 14 000 euros lui soit allouée à ce titre.

S'agissant des préjudices extrapatrimoniaux permanents :

12. Il résulte de l'instruction que le déficit fonctionnel permanent de Mme D... a été évalué à 10 %. Compte-tenu de l'âge de la requérante à la date de consolidation des dommages, la somme de 16 000 euros retenue par le tribunal administratif constitue, contrairement à ce que soutient la requérante, une juste évaluation de ce préjudice.

13. Mme D... n'est pas fondée à contester l'évaluation de son préjudice esthétique, les premiers juges ayant retenu un montant supérieur à celui qu'elle revendique en cause d'appel.

14. Enfin, Mme D... ne conteste pas sérieusement l'évaluation faite par les premiers juges de l'indemnisation de son préjudice d'agrément. Elle n'est, par suite, pas fondée à demander qu'une somme de 2 000 euros lui soit allouée à ce titre.

15. Il résulte de ce qui précède que Mme D... est seulement fondée à demander que la somme de 19 610 euros que le centre hospitalier Sud-Francilien a été condamné par le tribunal administratif de Versailles à lui verser soit portée à 22 110 euros.

Sur les conclusions de la caisse primaire d'assurances maladie de l'Essonne :

16. D'une part, il résulte de ce qui a été dit précédemment que la caisse primaire d'assurance maladie n'est pas fondée à demander la condamnation du centre hospitalier au remboursement de l'intégralité des dépenses de santé actuelles et futures, sans application d'un taux de perte de chance.

17. D'autre part, pour contester le jugement en tant qu'il n'a pas fait droit à sa demande de versement d'un capital au titre de la prise en charge future des préjudices patrimoniaux permanents, la caisse primaire d'assurance maladie se borne à s'en remettre à l'appréciation de la cour. Ce faisant, elle ne met pas le juge d'appel à même d'apprécier l'erreur que les premiers juges auraient pu commettre sur ce point.

18. Les conclusions de la caisse primaire d'assurances maladie de l'Essonne tendant à la réformation du jugement attaqué doivent, par suite, être rejetées.

Sur les dépens :

19. Aux termes de l'article R. 761-1 du code de justice administrative : " Les dépens comprennent les frais d'expertise, d'enquête et de toute autre mesure d'instruction dont les frais ne sont pas à la charge de l'Etat. / Sous réserve de dispositions particulières, ils sont mis à la charge de toute partie perdante sauf si les circonstances particulières de l'affaire justifient qu'ils soient mis à la charge d'une autre partie ou partagés entre les parties. / L'Etat peut être condamné aux dépens. ".

20. Les dépens constitués des frais d'expertise, liquidés et taxés par l'ordonnance susvisée du 14 février 2022 du président de la cour à la somme totale de 8 424 euros, sont, dans les circonstances particulières de l'affaire, mis à la charge définitive, pour un tiers chacun, de Mme D..., de la caisse primaire d'assurance maladie de l'Essonne et du centre hospitalier Sud-Francilien.

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

21. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative par Mme D... et la caisse primaire d'assurance maladie de l'Essonne.

DECIDE :

Article 1er : La somme de 19 610 euros que le centre hospitalier Sud-Francilien a été condamné à verser à Mme D... par l'article 1er du jugement n° 1506911 du 10 avril 2018 du tribunal administratif de Versailles est portée à 22 110 euros. Cette somme portera intérêts au taux légal à compter du 22 juin 2015.

Article 2 : Le jugement n° 1506911 du 10 avril 2018 du tribunal administratif de Versailles est réformé en ce qu'il a de contraire.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de Mme D... et les conclusions présentées en appel par la caisse primaire d'assurance maladie de l'Essonne sont rejetés.

Article 4 : Mme D..., la caisse primaire d'assurance maladie de l'Essonne et le centre hospitalier Sud-Francilien supporteront chacun pour un tiers la charge définitive des frais d'expertise, liquidés et taxés par l'ordonnance du 14 février 2022 du président de la cour à la somme totale de 8 424 euros.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme G... D..., au centre hospitalier Sud-Francilien, à la société hospitalière d'assurances mutuelles et à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Essonne.

Délibéré après l'audience du 5 juillet 2022, à laquelle siégeaient :

M. Brotons, président,

Mme Le Gars, présidente assesseure,

M. Coudert, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 8 juillet 2022.

Le rapporteur,

B. F...Le président,

S. BROTONS

La greffière,

V. MALAGOLILa République mande et ordonne au ministre de la santé et de la prévention en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme

La greffière,

N° 18VE01933 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Versailles
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 18VE01933
Date de la décision : 08/07/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-02-01-01 Responsabilité de la puissance publique. - Responsabilité en raison des différentes activités des services publics. - Service public de santé. - Établissements publics d'hospitalisation.


Composition du Tribunal
Président : M. BROTONS
Rapporteur ?: Mme Caroline GROSSHOLZ
Rapporteur public ?: Mme GROSSHOLZ
Avocat(s) : SCP GATINEAU, FATTACCINI, REBEYROL

Origine de la décision
Date de l'import : 19/07/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.versailles;arret;2022-07-08;18ve01933 ?
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