Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... C... a demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise de condamner la commune de Colombes à lui verser la somme de 85 000 euros en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis par la faute de cette commune.
Par un jugement n° 1800990 du 10 juillet 2020, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté cette demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 14 septembre 2020, M. C..., représenté par Me Birs, avocat, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de condamner la commune de Colombes à lui verser la somme totale de 85 000 euros en réparation de ses préjudices ;
3°) de mettre à la charge de la commune de Colombes la somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de la condamner aux dépens.
M. C... soutient que :
- sa créance sur la commune de Colombes n'est pas prescrite ;
- la commune a commis une faute qui engage sa responsabilité ;
- son préjudice est en lien direct avec cette faute.
Par un mémoire en défense enregistré le 30 mai 2022, la commune de Colombes, représentée par Me Birs, avocat, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 1 000 euros soit mise à la charge de M. C... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que les moyens soulevés par M. C... ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l'Etat, les départements, les communes et les établissements publics ;
- le code de la santé publique ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. B...,
- et les conclusions de Mme Grossholz, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. C... a acquis un bien immobilier situé 136 rue des Monts clairs à Colombes (Hauts-de-Seine) par acte notarié en date du 3 septembre 1997. Dans le cadre de cette transaction, la commune de Colombes a délivré, le 4 août 1997, une attestation constatant que le bien n'avait pas fait l'objet d'une interdiction d'habiter et qu'il n'était ni insalubre ni frappé d'un arrêté de péril. Par un arrêté préfectoral du 6 mai 2010, pris au visa notamment d'un arrêté préfectoral du 12 octobre 1987 interdisant ce local à l'habitation de jour et de nuit, M. C... a été mis en demeure de faire cesser l'habitation de cet immeuble dans un délai de deux mois, en application de l'article L. 1331-22 du code de la santé publique et de ne plus le mettre à disposition à des fins d'habitation au motif notamment que " par ses caractéristiques, ce local ne respecte pas les règles générales d'habitabilité et est impropre à l'habitation ". Par ce même arrêté, le préfet des Hauts-de-Seine a abrogé son arrêté du 12 octobre 1987. Par un courrier du 27 mars 2014, la délégation territoriale des Hauts-de-Seine de l'Agence régionale de santé d'Ile-de-France, après avoir constaté que le local était toujours habité et que l'intéressé avait des projets d'aménagements afin de le destiner à la location, a rappelé à M. C... l'existence de l'arrêté du 6 mai 2010 et que " ce sous-sol ne peut être utilisé pour un usage d'habitation, que ce soit à titre gratuit ou onéreux et que la mise en demeure d'en faire cesser l'habitation est toujours en vigueur et ne sera pas levée ". Par une demande préalable du 25 juillet 2017, M. C... a demandé à la commune de Colombes la réparation de ses préjudices résultant de la découverte de l'interdiction d'utiliser son bien à des fins d'habitation. Il relève appel du jugement du 10 juillet 2020 par lequel le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa demande tendant à la condamnation de la commune à lui verser la somme totale de 85 000 euros en réparation des préjudices subis.
Sur la fin de non-recevoir opposée en première instance :
2. Aux termes de l'article R. 421-1 du code de justice administrative : " La juridiction ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision et ce, dans les deux mois à partir de la notification ou de la publication de la décision attaquée. / Lorsque la requête tend au paiement d'une somme d'argent, elle n'est recevable qu'après l'intervention de la décision prise par l'administration sur une demande préalablement formée devant elle ".
3. La décision par laquelle l'administration rejette une réclamation tendant à la réparation des conséquences dommageables d'un fait qui lui est imputé lie le contentieux indemnitaire à l'égard du demandeur pour l'ensemble des dommages causés par ce fait générateur, quels que soient les chefs de préjudice auxquels se rattachent les dommages invoqués par la victime et que sa réclamation ait ou non spécifié les chefs de préjudice en question. Par suite, la victime est recevable à demander au juge administratif, dans les deux mois suivant la notification de la décision ayant rejeté sa réclamation, la condamnation de l'administration à l'indemniser de tout dommage ayant résulté de ce fait générateur, y compris en invoquant des chefs de préjudice qui n'étaient pas mentionnés dans sa réclamation.
4. Par un courrier du 25 juillet 2017, M. C... a demandé à la commune de Colombes la réparation de ses préjudices résultant de l'interdiction d'utiliser son bien à des fins d'habitation. M. C... demande la réparation de son préjudice moral qui se rattache à ce fait générateur. Dès lors, le contentieux est lié, même en l'absence de mention de ce chef de préjudice dans la réclamation préalable. La fin de non-recevoir opposée par la commune ne peut qu'être écartée.
Sur l'exception de prescription quadriennale accueillie par le tribunal administratif :
5. Aux termes de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l'Etat, les départements, les communes et les établissements publics : " Sont prescrites, au profit de l'Etat, des départements et des communes, sans préjudice des déchéances particulières édictées par la loi, et sous réserve des dispositions de la présente loi, toutes créances qui n'ont pas été payées dans un délai de quatre ans à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle les droits ont été acquis. (...) ". Aux termes de l'article 2 de cette loi : " La prescription est interrompue par : / Toute demande de paiement ou toute réclamation écrite adressée par un créancier à l'autorité administrative, dès lors que la demande ou la réclamation a trait au fait générateur, à l'existence, au montant ou au paiement de la créance, alors même que l'administration saisie n'est pas celle qui aura finalement la charge du règlement. (...) / Toute communication écrite d'une administration intéressée, même si cette communication n'a pas été faite directement au créancier qui s'en prévaut, dès lors que cette communication a trait au fait générateur, à l'existence, au montant ou au paiement de la créance ; (...) / Un nouveau délai de quatre ans court à compter du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle a eu lieu l'interruption. (...) ". Aux termes de l'article 3 de cette loi : " La prescription ne court ni contre le créancier qui ne peut agir, soit par lui-même ou par l'intermédiaire de son représentant légal, soit pour une cause de force majeure, ni contre celui qui peut être légitimement regardé comme ignorant l'existence de sa créance ou de la créance de celui qu'il représente légalement ".
6. Il résulte de la combinaison de ces dispositions de la loi du 31 décembre 1968 que le point de départ de la prescription quadriennale est la date à laquelle la réalité et l'étendue des préjudices ont été entièrement révélées et où la victime est en mesure, d'une part, de connaître l'origine de ce dommage, ou du moins de disposer d'indications suffisantes selon lesquelles ce dommage pourrait être imputable au fait de l'administration, d'autre part, d'en demander réparation.
7. En l'espèce, il résulte de l'instruction, ainsi qu'il a été dit, que le préfet des Hauts-de-Seine a, par son arrêté du 6 mai 2010, mis en demeure M. C... de faire cesser l'habitation de la cave située au 136 rue des Monts Clairs à Colombes et de ne plus la mettre à disposition à des fins d'habitation en application de l'article L. 1331-22 du code de la santé publique et a abrogé son précédent arrêté du 12 octobre 1987 interdisant ce local à l'habitation de jour et de nuit. Ainsi, à la date du 6 mai 2010, les préjudices résultant de l'obligation de faire cesser l'usage d'habitation de ce local étaient connus dans toute leur étendue par l'intéressé et ce dernier était en mesure d'imputer ces préjudices à l'information erronée délivrée par la commune de Colombes lors de l'acquisition du bien. Cet arrêté a ainsi eu pour effet de faire courir le délai de prescription à compter du 1er janvier 2011. Toutefois, le courrier du 27 mars 2014 qui a été adressé à M. C... par la délégation territoriale des Hauts-de-Seine de l'Agence régionale de santé d'Ile-de-France, lui rappelant les termes de la mise en demeure du 6 mai 2010, doit être regardé comme une communication écrite d'une administration intéressée relative au fait générateur et à l'existence de la créance en cause et a ainsi eu pour effet d'interrompre le cours de la prescription quadriennale. Dans ces conditions, contrairement à ce que le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a jugé, la prescription quadriennale n'était pas acquise le 25 juillet 2017, date à laquelle M. C... a demandé la réparation de son préjudice.
8. Il suit de là que M. C... est fondé à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont accueilli l'exception de prescription quadriennale opposée par la commune de Colombes en défense.
Sur la responsabilité de la commune de Colombes :
9. M. C... soutient que la commune de Colombes a commis une faute de nature à engager sa responsabilité au motif qu'elle lui a indiqué à tort que le bien qu'il projetait d'acheter était habitable. Il résulte de l'instruction que, par une attestation du 4 août 1997, la commune de Colombes a indiqué que le bien dont M. C... allait devenir propriétaire ne faisait l'objet d'aucune interdiction d'habiter et qu'il n'était ni insalubre, ni frappé d'arrêté de péril alors que par un arrêté du 12 octobre 1987 le préfet des Hauts-de-Seine avait interdit ce local à l'habitation de jour et de nuit. Par suite, la commune de Colombes, en délivrant à M. C... une information erronée, a commis une faute de nature à engager sa responsabilité, sans qu'à cet égard la commune puisse utilement opposer la circonstance que l'arrêté de 1987 n'avait pas été publié à la conservation des hypothèques.
10. Par ailleurs, compte tenu de la portée de l'information délivrée par la commune, il résulte de l'instruction que le taux de perte de chance de M. C... d'éviter le dommage résultant du caractère inhabitable du local qu'il entendait acquérir doit être fixé à 100 %.
Sur les préjudices :
11. D'une part, M. C... demande l'indemnisation du préjudice résultant de la perte de la valeur vénale de son bien, qu'il évalue à 70 000 euros. Toutefois, pour établir la réalité du préjudice allégué, le requérant se borne à se référer au prix du mètre carré habitable dans la commune Colombes, sans produire aucun élément permettant d'établir la dépréciation subie par son bien immobilier du fait de son inhabitabilité. M. C... n'est, par suite, pas fondé à demander la réparation du préjudice financier en lien direct avec la faute commise par la commune.
12. D'autre part, si M. C... soutient qu'il a subi un préjudice moral et psychologique en raison notamment de l'impossibilité pour lui d'habiter le logement acquis sur la base du renseignement erroné délivré par la commune, il résulte toutefois de l'instruction qu'à la date de l'arrêté du 6 mai 2010 mettant en demeure M. C... de faire cesser l'habitation du local en cause, l'intéressé résidait dans l'Oise et le local était occupé par un tiers. Dans ces circonstances, sur lesquelles le requérant n'apporte aucune explication, il sera fait une juste appréciation du préjudice moral et du trouble dans les conditions d'existence qu'il a subis en lui allouant la somme de 3 000 euros.
13. Il résulte de tout ce qui précède que M. C... est seulement fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa demande en tant qu'elle tendait à la condamnation de la commune de Colombes à lui verser une somme de 3 000 euros en réparation de ses préjudices.
Sur les dépens :
14. Aucun dépens n'ayant été exposé dans la présente instance, les conclusions de M. C... tendant au remboursement des dépens sont sans objet et doivent, par suite, être rejetées.
Sur les frais liés à l'instance :
15. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la commune de Colombes le versement d'une somme de 1 500 euros à M. C... en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : La commune de Colombes est condamnée à verser à M. C... une somme de 3 000 euros en réparation de ses préjudices.
Article 2 : Le jugement n° 1800990 du 10 juillet 2020 du tribunal administratif de Cergy-Pontoise est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 3 : La commune de Colombes versera à M. C... la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de M. C... est rejeté.
Article 5 : Les conclusions présentées par la commune de Colombes au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... C... et à la commune de Colombes.
Délibéré après l'audience du 17 juin 2022, à laquelle siégeaient :
M. Brotons, président de chambre,
Mme Le Gars, président assesseure,
M. Coudert, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 5 juillet 2022.
Le rapporteur
B. B...Le président,
S. BROTONS La greffière,
S. de SOUSA
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme
La greffière,
N° 20VE02385 2