Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La Fondation Jérôme Lejeune a demandé au tribunal administratif de Montreuil d'annuler la décision de l'Agence de la biomédecine du 23 juin 2017 a autorisé l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (UMR 861) à importer une lignée de l'Institute of Regenerative Medecine de San Francisco (WA-09-YAP-/-) destinée à des recherches ayant pour finalité l'étude des rôles physiopathologiques de la protéine APC (Adenomatous polyposis coli) à l'aide de cellules souches embryonnaires humaines.
Par un jugement n° 1709453 du 29 mai 2018, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande .
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire complémentaire enregistrés le 25 juin 2018 et le 18 mars 2019, la Fondation Jérôme Lejeune, représentée par Me Hourdin, avocat, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 29 mai 2018, ainsi que la décision du 23 juin 2017 de l'Agence de la biomédecine ;
2°) de mettre à la charge de l'Agence de la biomédecine une somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement est irrégulier pour défaut de motivation sur le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 18.1 de la convention d'Oviedo ;
- le jugement est irrégulier pour défaut de réponse à un moyen tiré de la méconnaissance de l'ensemble des principes éthiques visés aux articles 16 à 16-8 du code civil ; en effet, l'Agence de la biomédecine n'a pas vérifié que les principes éthiques des articles 16 à 16-8 du code civil ont été respectés, tels que le principe de primauté et de dignité de la personne, de l'inviolabilité du corps humain, du respect de l'intégrité du corps humain ou la non patrimonialité du corps humain ;
- la décision attaquée est entachée d'erreur de droit dès lors que l'Agence de la biomédecine n'a pas vérifié que les cellules souches embryonnaires ont été obtenues avec le consentement préalable du coupe géniteur en méconnaissance des articles L. 2151-6 et R. 251-13 du code de la santé publique ;
- la décision est entachée d'erreur manifeste d'appréciation dès lors que les documents produits ne permettent pas de vérifier l'effectivité du consentement des couples géniteurs ;
- la décision est entachée d'erreur de droit dès lors qu'elle n'a pas examiné la conformité de la demande d'autorisation avec les autres principes éthiques garanties par les articles
L. 2151-6 et R. 2151-13 du code de la santé publique, articles 16 à 16-8 du code civil ;
- la décision méconnaît les autres principes éthiques garanties par les stipulations de l'article 18-1 de la convention d'Oviedo.
Par deux mémoires en défense enregistrés le 15 novembre 2018 et le 6 septembre 2019, l'Agence de la biomédecine représentée par la SCP Piwnica et Molinié, avocats au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 3 000 euros soit mise à la charge de la Fondation Jérôme Lejeune au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement est suffisamment motivé sur le moyen tiré de la méconnaissance de la convention d'Oviedo ;
- le tribunal a examiné la conformité de la décision attaquée avec les principes éthiques des articles 16 à 16-8 du code civil, notamment pour le consentement du couple donneur et la gratuité du don ;
- elle doit vérifier les conditions du consentement, notamment par l'examen des pièces justificatives fournies par l'organisme de recherche demandeur de l'autorisation d'importation, mais pas exiger la production du formulaire anonymisé portant consentement signé par le couple ;
- les documents produits en l'espèce établissent suffisamment que le couple géniteur de l'embryon dont sont issues les cellules souches a donné son consentement ;
- la requérante n'explique pas en quoi les pièces produites seraient contraires aux principes éthiques visés aux articles 16 à 16-8 du code civil ; au contraire, l'embryon dont sont issues les lignées dérivées de cellules provient d'une fécondation in vitro sans projet parental, aucun paiement n'a été alloué au couple donneur, et la lignée cellulaire a été inscrite sur le registre américain NIH ;
- les stipulations de l'article 18.1 de la convention d'Oviedo créent seulement des obligations entre les Etats parties et nécessitent un acte complémentaire pour produire des effets à l'égard des particuliers ; la protection de l'embryon est assurée en droit interne par les articles L. 2151-1 à L. 2151-8 du code de la santé publique.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention pour la protection des droits de l'Homme et de la dignité de l'être humain à l'égard des applications de la biologie et de la médecine signée à Oviedo le 4 avril 1997 ;
- le code civil ;
- le code de la santé publique ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme A...,
- les conclusions de Mme Grossholz, rapporteure publique,
- les observations de Me Hourdin pour la Fondation Jérôme Lejeune, et celles de Me de Cénival pour l'Agence de la biomédecine.
Une note en délibéré présentée pour l'Agence de la biomédecine a été enregistrée le 11 mai 2022.
Considérant ce qui suit :
1. La Fondation Jérôme Lejeune a demandé au tribunal administratif de Montreuil l'annulation de la décision du 23 juin 2017 par laquelle l'Agence de la biomédecine a autorisé l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (UMR861) à importer une lignée de cellules embryonnaires provenant de l'Institute of Regenerative Medecine de San Francisco à des fins de recherche. Elle relève appel du jugement du 29 mai 2018 par lequel le tribunal administratif a rejeté sa demande.
Sur la régularité du jugement :
2. Aux termes de l'article L. 9 du code de justice administrative : " Les jugements sont motivés. ".
3. La Fondation Jérôme Lejeune soutient que le jugement n'est pas suffisamment motivé pour écarter le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 18.1 de la convention d'Oviedo. Il ressort de l'examen du jugement attaqué que le tribunal a considéré que ces stipulations n'avaient pas d'effet direct et ne pouvaient donc être utilement invoquées. Le jugement est ainsi suffisamment motivé pour répondre à un moyen considéré comme inopérant. Si la Fondation requérante entend contester le caractère inapplicable de cette convention, ce point relève du bien-fondé du jugement et demeure sans incidence sur sa régularité.
Sur la décision de l'Agence de la biomédecine du 23 juin 2017 :
4. D'une part, aux termes de l'article L. 2151-6 du code de la santé publique, dans sa rédaction applicable à la date de la décision litigieuse : " L'importation de cellules souches embryonnaires aux fins de recherche est soumise à l'autorisation préalable de l'Agence de la biomédecine. Cette autorisation ne peut être accordée que si ces cellules souches ont été obtenues dans le respect des principes fondamentaux prévus par les articles 16 à 16-8 du code civil. (...) " ; aux termes de l'article R. 2151-13 du même code : " Tout organisme qui importe ou exporte des cellules souches embryonnaires doit être en mesure de justifier qu'elles ont été obtenues dans le respect des principes mentionnés aux articles 16 à 16-8 du code civil, avec le consentement préalable du couple géniteur de l'embryon qui a été conçu dans le cadre d'une assistance médicale à la procréation et ne fait plus l'objet d'un projet parental, et sans qu'aucun paiement, quelle qu'en soit la forme, n'ait été alloué au couple. ".
5. D'autre part, aux termes de l'article 16 du code civil : " La loi assure la primauté de la personne, interdit toute atteinte à la dignité de celle-ci et garantit le respect de l'être humain dès le commencement de sa vie. " ; aux termes de l'article 16-1 du même code : " Chacun a droit au respect de son corps. / Le corps humain est inviolable. / Le corps humain, ses éléments et ses produits ne peuvent faire l'objet d'un droit patrimonial. " ; aux termes de l'article 16-3 du même code : " Il ne peut être porté atteinte à l'intégrité du corps humain qu'en cas de nécessité médicale pour la personne ou à titre exceptionnel dans l'intérêt thérapeutique d'autrui. / Le consentement de l'intéressé doit être recueilli préalablement hors le cas où son état rend nécessaire une intervention thérapeutique à laquelle il n'est pas à même de consentir. " ; aux termes de l'article 16-5 du même code : " Les conventions ayant pour effet de conférer une valeur patrimoniale au corps humain, à ses éléments ou à ses produits sont nulles. " ; aux termes de l'article 16-6 du même code : " Aucune rémunération ne peut être allouée à celui qui se prête à une expérimentation sur sa personne, au prélèvement d'éléments de son corps ou à la collecte de produits de celui-ci. " ; aux termes de l'article 16-8 du même code : " Aucune information permettant d'identifier à la fois celui qui a fait don d'un élément ou d'un produit de son corps et celui qui l'a reçu ne peut être divulguée. Le donneur ne peut connaître l'identité du receveur ni le receveur celle du donneur. / En cas de nécessité thérapeutique, seuls les médecins du donneur et du receveur peuvent avoir accès aux informations permettant l'identification de ceux-ci. ". Il résulte de ces dispositions que le consentement du couple géniteur au don de l'embryon doit être recueilli avant d'autoriser l'importation de cellules souches embryonnaires dérivées.
6. En premier lieu, la Fondation requérante soutient que l'Agence de la biomédecine aurait dû, avant d'accorder l'autorisation d'importation sollicitée, vérifier en application des dispositions de l'article R. 2151-13 précitées, l'existence du consentement du couple géniteur au don de l'embryon dont sont issues les CSEh dérivées, en exigeant le formulaire de consentement signé, l'Agence de la biomédecine ne pouvant se contenter des formulaires vierges d'information et de recueil de consentement.
7. Il ressort des pièces du dossier que l'Agence de la biomédecine a disposé des formulaires vierges d'information et de recueil de consentement destinés aux couples géniteurs de l'embryon objet du don, lesquels répondent aux exigences posées par les dispositions précitées des articles L. 2151-6 et R. 2151-13 du code de la santé publique, notamment en ce qui concerne le consentement éclairé préalable du couple géniteur de l'embryon et le caractère gratuit de ce don. Par ailleurs, il ressort également des pièces du dossier que la lignée de CSEh WA-09-YAP dont l'importation est autorisée provient de la lignée de CSEh WA-09, dérivée à partir d'un embryon donné à la recherche à l'université du Wisconsin, que cette lignée est inscrite au registre américain du National Institue of Health (NIH), et que cette inscription nécessite le respect de certains principes essentiels dont celui du consentement écrit et volontaire du couple géniteur de l'embryon objet du don à la recherche. Ainsi, l'Agence de la biomédecine a pu vérifier avant d'autoriser l'importation d'une lignée de CSEh, l'existence du consentement du couple géniteur.
8. En second lieu, il ressort des pièces du dossier que les formulaires vierges d'information et de recueil du consentement produits par l'organisme fournisseur répondent aux exigences des principes de gratuité et d'anonymat du don de l'embryon à la recherche. Par ailleurs, la lignée des cellules dont l'importation a été autorisée figure au registre du NIH, inscription subordonnée au respect de certains principes dont celui de l'anonymat et de la gratuité du don. Enfin, si la requérante soutient que les Etats-Unis n'ont pas signé la convention pour la protection des droits de l'homme et de la dignité de l'être humain à l'égard des applications de la biologie et de la médecine dont l'article 18-1 stipule que " Lorsque la recherche sur les embryons in vitro est admise par la loi, celle-ci assure une protection adéquate de l'embryon. ", les conditions d'inscription de lignées de CSEh au registre du NIH permettent d'assurer une garantie du respect des principes de conception de l'embryon dans le cadre d'un processus d'aide médicale à la procréation, d'anonymat et de gratuité du don.
9. Il résulte de tout ce qui précède que la Fondation Jérôme Lejeune n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande.
Sur les frais liés à l'instance :
10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Agence de la biomédecine qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la Fondation Jérôme Lejeune le versement d'une somme de 1 500 euros à ce titre.
DECIDE :
Article 1er : La requête de la Fondation Jérôme Lejeune est rejetée.
Article 2 : La Fondation Jérôme Lejeune versera à l'Agence de la biomédecine une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la Fondation Jérôme Lejeune, à l'Agence de la biomédecine, à l'Institut national de santé et de recherche médicale et à la ministre de la santé et de la prévention.
Délibéré après l'audience du 10 mai 2022 à laquelle siégeaient :
M. Brotons, président,
Mme Le Gars, présidente assesseure,
M. Coudert, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 17 juin 2022.
La rapporteure,
A-C. A...Le président,
S. BROTONSLa greffière,
V. MALAGOLI
La République mande et ordonne à la ministre de la santé et de la prévention en ce qui la concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme
La greffière,
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N° 18VE02152