Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. et Mme N..., M. et Mme G..., M. et Mme F..., M. et Mme J..., M. et Mme H..., A... L..., M. L..., M. M..., Mme C..., M. O..., M. et Mme D..., P..., et A... K... ont demandé au tribunal administratif d'Orléans d'annuler la décision du 25 juin 2018 par laquelle la préfète d'Eure-et-Loir a déclaré d'utilité publique, au profit de la commune de Luisant, l'extinction de la servitude " non aedificandi " grevant la parcelle cadastrée à la section AC sous le n° 516, afin de permettre la réalisation d'un programme de 72 logements, dont 35 à caractère social et de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 4 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par un jugement n° 1802811 du 2 novembre 2020, le tribunal administratif d'Orléans a rejeté leur demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 28 décembre 2020, M. et Mme N... et autres, représentés par Me Karm, avocat, demandent à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif d'Orléans ;
2°) d'annuler l'arrêté de la préfète d'Eure-et-Loir du 25 juin 2018;
3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 4 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- les premiers juges ont omis de statuer sur le moyen tiré du défaut d'utilité publique dès lors que le projet entrainera une rupture d'équilibre entre l'habitat individuel et collectif ;
- l'arrêté est entaché d'un vice de procédure au regard des articles L. 442-13 et L. 442-11 du code de l'urbanisme ;
- l'arrêté est entaché d'un défaut d'utilité publique, l'opération n'étant pas nécessaire pour atteindre ses objectifs et les inconvénients du projet excédant ses avantages ;
- l'arrêté est entaché d'un détournement de pouvoir dès lors que l'opération vise à satisfaire l'intérêt financier de la commune en masquant une faute de gestion.
Par un mémoire en défense, enregistré le 19 novembre 2021, la ministre de la transition écologique conclut au rejet de l'appel.
Elle fait valoir que la requête est irrecevable, dès lors que les appelants n'ont pas soulevé des moyens d'appel et qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.
Un mémoire présenté pour M. et Mme N... et autres a été enregistré le 11 mai 2022.
Par une lettre du 5 janvier 2021, l'avocat des requérants a été informé de ce que, en application de l'article R. 751-3 du code de justice administrative et en l'absence de réponse avant la clôture d'instruction, la décision sera uniquement adressée au premier dénommé, M. et Mme N....
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'expropriation pour cause d'utilité publique ;
- le code de la construction et de l'habitation ;
- le code de l'urbanisme ;
- la loi n° 2013-61 du 18 janvier 2013 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. I...,
- les conclusions de Mme Margerit, rapporteure publique,
- et les observations de Me Karm pour M. N... et autres.
Considérant ce qui suit :
1. Le conseil municipal de la commune de Luisant a, par une délibération du 29 juin 2017, décidé d'engager une procédure en vue d'éteindre une servitude d'inconstructibilité grevant la parcelle cadastrée AC n° 516 dont elle a la propriété, au profit des habitants de la résidence Pierre de Coubertin, afin d'y permettre la réalisation d'un programme de 72 logements, dont 35 à caractère social. A l'issue de la procédure d'enquête publique, qui s'est déroulée du 5 mars au 7 avril 2018, le commissaire enquêteur a émis un avis favorable à la déclaration d'utilité publique sollicitée par la commune. Par un arrêté du 25 juin 2018, la préfète d'Eure-et-Loir a déclaré d'utilité publique l'extinction de cette servitude. M. et Mme N..., M. et Mme G..., M. et Mme F..., M. et Mme J..., M. et Mme H..., A... L..., M. L..., M. M..., Mme C..., M. O..., M. et Mme D..., P... et A... K... ont saisi le tribunal administratif d'Orléans d'un recours en annulation dirigé contre cet arrêté. Par un jugement n° 1802811 du 2 novembre 2020, le tribunal administratif Orléans a rejeté leur demande. M. et Mme N..., M. et Mme G..., M. et Mme F..., M. et Mme J..., M. et Mme H..., M. et Mme O..., M. et Mme D..., M. L... et Mme E... font appel de ce jugement.
Sur la fin de non recevoir soulevée par la ministre de la transition écologique :
2. Contrairement à ce que soutient la ministre de la transition écologique, la requête d'appel présentée par M. et Mme N... et autres ne constitue pas la reproduction littérale de sa demande de première instance, quand bien même elle reprend les mêmes titres et les mêmes moyens que ceux de sa demande de première instance, et comporte une critique du jugement attaqué. Par suite, la ministre de la transition écologique n'est pas fondée à soutenir que la requête d'appel serait irrecevable, dès lors qu'elle ne comporterait pas de moyens d'appel.
Sur le fond :
3. La déclaration d'utilité publique litigieuse porte sur l'extinction de la servitude d'inconstructibilité grevant la parcelle cadastrée AC n° 516 appartenant à la commune, instituée par un arrêté préfectoral du 28 janvier 1965 au profit des habitants de la résidence Pierre de Coubertin afin de protéger leurs vues. Cette décision entrainant l'extinction d'un droit réel immobilier détenu par ces riverains, nécessite, par suite, la mise en œuvre d'une procédure d'expropriation.
4. Il appartient au juge, lorsqu'il doit se prononcer sur le caractère d'utilité publique d'une opération nécessitant l'expropriation d'immeubles ou de droits réels immobiliers, de contrôler successivement qu'elle répond à une finalité d'intérêt général, que l'expropriant n'était pas en mesure de réaliser l'opération dans des conditions équivalentes sans recourir à l'expropriation, notamment en utilisant des biens se trouvant dans son patrimoine et, enfin, que les atteintes à la propriété privée, le coût financier et, le cas échéant, les inconvénients d'ordre social ou économique que comporte l'opération ne sont pas excessifs eu égard à l'intérêt qu'elle présente.
5. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que l'extinction de cette servitude vise à permettre la réalisation d'un programme immobilier de 72 logements dont 35 à caractère social sur cette parcelle, afin de favoriser la mixité sociale en cohérence avec les objectifs du plan local d'urbanisme concernant la rue Pierre de Coubertin, en densifiant un secteur déjà urbanisé situé en centre ville. Ce projet présente donc un intérêt général.
6. En second lieu, toutefois, s'il ressort des pièces du dossier que l'extinction de cette servitude a été décidée afin de permettre à la commune de réaliser un projet de construction destiné pour partie à combler sa carence en matière de quotas de logements sociaux imposés par la loi n° 2000-1208 du 13 décembre 2000 modifiée notamment par celle n° 2013-61 du 18 janvier 2013, qui s'élevait au 1er janvier 2017 à 55 logements sociaux, ce retard était réduit à 39 logements dès le 1er janvier 2018, et plusieurs projets de construction de logements en grande partie sociaux étaient en cours dans la commune à la date de la décision attaquée, en particulier celui portant sur l'édification d'un immeuble de 85 logements dont 54 locatifs sociaux au niveau de la rue Maurice Violette et celui portant sur la construction d'un immeuble collectif de 25 logements sociaux au 54 rue de la République. En outre, il n'est pas contesté en défense que la réalisation d'autres projets était en prévision dans le cadre de la réalisation de la future zone d'aménagement concerté intitulée " cœur de ville ". Au demeurant, il ressort de plusieurs documents versés au dossier par les requérants, postérieurs à la date de l'arrêté litigieux qui éclairent des faits antérieurs, notamment des bulletins d'information municipaux, que la commune apparaît avoir renoncé à mettre en œuvre le projet de construction envisagé sur la parcelle litigieuse, qui constitue le seul terrain libre de toutes constructions encore en sa possession et accueille depuis 2020 une zone d'éco-pâturage. Il résulte de ce qui précède que la commune pouvait atteindre ses objectifs de réalisation de logements sociaux sans recourir à la procédure d'expropriation litigieuse.
7. Enfin, il ressort des pièces du dossier que la procédure litigieuse destinée à mettre un terme à une servitude d'inconstructibilité concerne un terrain initialement affecté à usage d'espace vert lors de la création du lotissement situé à proximité par un arrêté préfectoral du 21 janvier 1964, puis affecté à l'usage d'espace public par arrêté préfectoral modificatif du 22 février 1966, qui est le seul espace dont dispose la commune pour y réaliser des activités de loisir, en particulier un terrain de football, depuis les années 60. La réalisation du projet de construction de 72 logements, qui se composera de deux immeubles collectifs sur trois niveaux et qui occupera 3602 m² d'emprise au sol, réduira sensiblement cet espace vert et sera nécessairement créateur de vues pour les riverains. Enfin, le coût de cette opération de construction s'ajoutera au montant de 630 000 euros correspondant au rachat de ce terrain par la commune en 2016 à un aménageur auquel la commune l'avait cédé en 2011 et qui a failli dans la mission d'aménagement de ce terrain qui lui avait confié. Compte tenu de l'ensemble de ces éléments, ce projet d'un coût élevé n'apportera aucun avantage particulier pour la collectivité, mais présentera en revanche des inconvénients excessifs au regard de ses intérêts.
8. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens de la requête et sur la régularité du jugement attaqué, que M. N... et autres sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif d'Orléans a rejeté leur demande d'annulation de la décision du 25 juin 2018 par laquelle la préfète d'Eure-et-Loir a déclaré ce projet d'utilité publique.
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
9. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation ".
10. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme globale de 1 500 euros à verser à M. et Mme N... et autres en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif d'Orléans n° 1802811 du 2 novembre 2020 et l'arrêté de la préfète d'Eure-et-Loir du 25 juin 2018 sont annulés.
Article 2 : L'Etat versera à M. et Mme N... et autres une somme globale de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. et Mme N..., en tant que représentant unique, et à la ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.
Délibéré après l'audience du 23 mai 2022, à laquelle siégeaient :
M. B..., premier vice-président,
Mme Colrat, première conseillère,
M. Fremont, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 9 juin 2022.
Le rapporteur,
M. FREMONTLe président,
B. B...La greffière,
C. RICHARD
La République mande et ordonne à la ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme
La greffière,
N° 20VE01212 2