Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société Groupe Courtois Automobiles a demandé au tribunal administratif de Versailles de lui accorder la décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2004 et 2005.
Par un jugement n° 1005686 du 14 octobre 2014, le tribunal administratif de Versailles a prononcé une réduction du supplément d'impôt sur les sociétés mis à sa charge au titre de l'exercice clos en 2005, et rejeté le surplus de sa demande.
Par un arrêt n° 15VE00197 du 29 mars 2018, la cour administrative d'appel de Versailles, faisant droit à l'appel formé par le ministre de l'action et des comptes publics contre ce jugement en tant qu'il avait fait partiellement droit à la demande de la société, a remis à la charge de celle-ci les suppléments d'impôt dont la décharge avait été prononcée par le tribunal.
Par une décision n° 421024 du 13 mars 2020, le Conseil d'État a annulé l'arrêt de la cour administrative d'appel de Versailles du 29 mars 2018 et renvoyé l'affaire à cette cour.
Procédure devant la cour :
Par une requête et des mémoires, enregistrés le 19 janvier 2015, et après cassation, les 25 juin et 8 septembre 2020, le ministre de l'action et des comptes publics demande à la cour :
1°) d'annuler l'article 1er du jugement du 14 octobre 2014 ;
2°) de remettre à la charge de la SAS Groupe Courtois Automobiles la somme de 145 588 euros en droits et la somme de 15 141 euros d'intérêts de retard.
Il soutient que :
- la provision litigieuse, constituée en période prescrite, n'ayant été annulée, du fait de la disparition de son objet, qu'au bilan de clôture de l'exercice clos en 2005, mais sans inscription corrélative de son montant à un compte de produits, la réintégration de cette reprise de provision aux résultats imposables de cet exercice est conforme aux dispositions du seizième alinéa du 5° du 1 de l'article 39 du code général des impôts ;
- même à estimer cette provision irrégulièrement constituée dès l'origine, en période prescrite, et à en réintégrer alors le montant aux résultats du premier exercice non prescrit, par application du 4 bis de l'article 38 du code général des impôts et de l'article L. 169 du livre des procédures fiscales, cette réintégration aurait alors dû être également opérée dans les résultats imposables au titre de l'exercice clos en 2005, premier exercice non prescrit à la date de la proposition de rectification du 20 février 2008, et non au titre de l'exercice clos en 2004 ;
- l'inscription en comptabilité d'un montant de 436 766 euros à titre de provision déductible pour risques et charges sur l'exercice clos en 2001 procède d'une erreur délibérée ;
- un contribuable n'est pas admis à remettre en cause une erreur comptable délibérée, laquelle constitue une décision de gestion irrégulière qui lui est opposable.
Par des mémoires en défense, enregistrés le 21 avril 2015, et après cassation le 21 juillet 2020, la SAS Groupe Courtois Automobiles, représentée par Me Delpeyroux, conclut au rejet de la requête.
Elle fait valoir que :
- les moyens soulevés ne sont pas fondés ;
- l'administration ayant admis, aux paragraphes nos 1, 2 et 6 de la documentation administrative de base référencée 4 E-42 mise à jour au 26 novembre 1996, que le premier exercice non prescrit s'entendait du premier exercice vérifié, les premiers juges ont, en tout état de cause, pu à bon droit retenir que la réintégration de la provision litigieuse ne pouvait être opérée qu'au titre de l'exercice clos en 2004, et non au titre de l'exercice suivant ;
- elle n'est pas redevable de l'impôt sur les sociétés pour la société Les Grands Garages de Lannion, au titre de l'exercice au cours duquel la provision litigieuse a été constituée ;
- l'administration ne lui a jamais opposé l'existence d'une erreur délibérée ;
- il n'est pas établi qu'elle n'a pas renoncé au mécanisme prévu par l'article L. 77 du livre des procédures fiscales ;
- le caractère délibéré de l'erreur ne peut être établi ni par l'absence de renoncement à un tel mécanisme, ni par la déduction erronée d'une provision au lieu de la constatation d'une dette fiscale non déductible ; aucune pénalité pour manquement délibéré n'a été mise à sa charge.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme A...,
- les conclusions de M. Huon, rapporteur public,
- et les observations de Me Devillières, avocat de la SAS Groupe Courtois Automobiles.
Considérant ce qui suit :
1. La SAS Groupe Courtois Automobiles est la société mère d'un groupe de sociétés ayant opté pour le régime d'intégration fiscale prévu aux articles 223 A et suivants du code général des impôts, dont fait partie notamment la société Les Grands Garages de Lannion, laquelle a pour activités la vente et la réparation de véhicules automobiles. Cette filiale intégrée a fait l'objet d'une vérification de comptabilité portant sur la période du 1er janvier 2004 au 31 décembre 2006, à l'issue de laquelle l'administration a, par deux propositions de rectification des 20 décembre 2007 et 20 février 2008, suivant la procédure contradictoire, d'une part, remis en cause la déduction de la provision pour dépréciation de stocks pratiquée par la société Les Grands Garages de Lannion, au titre des trois exercices vérifiés, sur des véhicules de démonstration, et, d'autre part, réintégré aux résultats déclarés au titre de l'exercice clos en 2005 la reprise d'une provision pour rappels de taxe sur le chiffre d'affaires, résultant de contrôles antérieurs et constituée par l'intéressée en période prescrite pour un montant de 436 766 euros. Ces rectifications ayant emporté dans les résultats d'ensemble du groupe déclarés par la SAS Groupe Courtois Automobiles notamment un rehaussement des bénéfices imposables au titre des exercices clos en 2004 et 2005, la société tête de groupe a vu mettre à sa charge des suppléments d'impôt sur les sociétés pour des montants en droits et pénalités de 5 015 euros au titre de l'exercice clos le 31 décembre 2004, et 163 075 euros pour l'exercice clos le 31 décembre 2005. Par un jugement n° 1005686 du 14 octobre 2014, le tribunal administratif de Versailles a prononcé la réduction, en droits et pénalités, du supplément d'impôt sur les sociétés mis à la charge de la SAS Groupe Courtois Automobiles au titre de l'exercice clos en 2005, en tant seulement qu'il procédait de la rectification de 436 766 euros, et rejeté le surplus de la demande. Par un arrêt n° 15VE00197, la cour administrative d'appel de Versailles a annulé l'article 1er de ce jugement et rétabli à la charge de la SAS Groupe Courtois Automobiles cette cotisation supplémentaire à l'impôt sur les sociétés au titre de l'exercice clos en 2005 ainsi que les pénalités correspondantes. Par une décision n° 421024 du 13 mars 2020, le Conseil d'État, statuant au contentieux, a annulé cet arrêt et renvoyé l'affaire à la cour, où elle a été enregistrée sous le n° 20VE00941.
2. Aux termes de l'article 38 du code général des impôts, dans sa rédaction résultant de l'article 43 de la loi de finances rectificative pour 2004, applicable aux impositions établies après le 1er janvier 2005 : " 2. Le bénéfice net est constitué par la différence entre les valeurs de l'actif net à la clôture et à l'ouverture de la période dont les résultats doivent servir de base à l'impôt diminuée des suppléments d'apport et augmentée des prélèvements effectués au cours de cette période par l'exploitant ou par les associés. L'actif net s'entend de l'excédent des valeurs d'actif sur le total formé au passif par les créances des tiers, les amortissements et les provisions justifiés. / (...) 4°bis. Pour l'application des dispositions du 2, pour le calcul de la différence entre les valeurs de l'actif net à la clôture et à l'ouverture de l'exercice, l'actif net d'ouverture du premier exercice non prescrit déterminé, sauf dispositions particulières, conformément aux premier et deuxième alinéas de l'article L. 169 du livre des procédures fiscales ne peut être corrigé des omissions ou erreurs entraînant une sous-estimation ou surestimation de celui-ci. / Les dispositions du premier alinéa ne s'appliquent pas lorsque l'entreprise apporte la preuve que ces omissions ou erreurs sont intervenues plus de sept ans avant l'ouverture du premier exercice non prescrit. / Elles ne sont pas non plus applicables aux omissions ou erreurs qui résultent de dotations aux amortissements excessives au regard des usages mentionnés au 2° du 1 de l'article 39 déduites sur des exercices prescrits ou de la déduction au cours d'exercices prescrits de charges qui auraient dû venir en augmentation de l'actif immobilisé ". En application de ces dispositions, dans l'hypothèse où le bénéfice imposable d'un exercice a été déterminé par différence entre les valeurs de l'actif net à la clôture et à l'ouverture de l'exercice et où son montant a servi de base à une imposition qui est devenue définitive en raison de l'expiration du délai de répétition, les erreurs qui ont entraîné une sous-estimation ou une surestimation de l'actif net ressortant du bilan de clôture de cet exercice peuvent être ultérieurement corrigées, à l'initiative du contribuable ou à celle de l'administration à la suite d'une vérification, dans les bilans des exercices non couverts par la prescription et, par suite, dans les bilans d'ouverture de ces exercices à l'exception du premier.
3. Aux termes du 1 de l'article 39 du code général des impôts, applicable à l'impôt sur les sociétés en vertu de l'article 209 de ce même code : " Le bénéfice net est établi sous déduction de toutes charges, celles-ci comprenant, sous réserve des dispositions du 5, notamment : / (...) 5° Les provisions constituées en vue de faire face à des pertes ou charges nettement précisées et que des événements en cours rendent probables, à condition qu'elles aient été effectivement constatées dans les écritures de l'exercice. / (...) Les provisions qui, en tout ou en partie, reçoivent un emploi non conforme à leur destination ou deviennent sans objet au cours d'un exercice ultérieur sont rapportées aux résultats dudit exercice. Lorsque le rapport n'a pas été effectué par l'entreprise elle-même, l'administration peut procéder aux rectifications nécessaires dès qu'elle constate que les provisions sont devenues sans objet ". Il résulte de ces dispositions qu'une provision faisant l'objet d'un emploi non conforme à sa destination ou devenue sans objet au cours d'un exercice doit être réintégrée au bilan de clôture de ce même exercice ou, si cet exercice est prescrit, dans les bilans des exercices non prescrits à l'exception du bilan d'ouverture du premier de ces exercices. Toutefois, lorsque cette provision ne satisfaisait pas, dès l'origine, aux conditions de déductibilité, cette erreur initiale, pour autant qu'elle ne revête pas, pour le contribuable, un caractère délibéré, doit être corrigée dans le bilan de clôture de l'exercice au cours duquel elle a été irrégulièrement constituée ou, si cet exercice est prescrit, dans les bilans des exercices non prescrits à l'exception du bilan d'ouverture du premier de ces exercices, rendant ainsi sans objet sa reprise ultérieure pour emploi non conforme ou perte d'objet.
4. Il résulte de l'instruction, et notamment de la proposition de rectification du 20 février 2008, qu'à l'occasion de la vérification de comptabilité diligentée à l'égard de la société Les Grands Garages de Lannion, l'administration a constaté que cette société avait comptabilisé et déduit de ses résultats, au titre d'exercices antérieurs prescrits, une provision pour risques et charges de 436 766 euros, en vue de faire face au paiement de rappels de taxe sur la valeur ajoutée lui ayant été assignés au titre des périodes du 1er janvier 1984 au 31 décembre 1986 et du 1er janvier 1989 au 31 décembre 1990, prolongée au 31 décembre 1991, ainsi que des pénalités correspondantes, rappels que l'intéressée avait alors contestés mais dont elle s'est ensuite acquittée selon un échéancier de paiement s'achevant en 2005. Le service a également relevé que cette société avait, dans son bilan de clôture de l'exercice 2005, procédé à l'annulation comptable de cette provision, ainsi devenue sans objet, mais en omettant de reprendre celle-ci dans ses résultats imposables déclarés au titre de l'exercice clos en 2005. En conséquence, le vérificateur a réintégré le montant de cette reprise aux résultats, par application des dispositions précitées du 5° du 1 de l'article 39 du code général des impôts. En outre, le vérificateur a également indiqué dans la même proposition de rectification que, " au demeurant ", la provision pour risque ainsi constituée en période prescrite n'était, dès l'origine, pas fiscalement déductible, dans la mesure où, d'une part, les rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui en étaient l'objet avaient déjà été déduits des résultats des exercices correspondants, par application du mécanisme de la cascade prévu à l'article L. 77 du livre des procédures fiscales, et où, d'autre part, les pénalités correspondantes ne présentaient pas le caractère de charges déductibles. Toutefois, le service n'a pas rejeté la déduction initiale de cette provision pour en rapporter le montant, après correction symétrique des bilans réalisée conformément aux dispositions précitées de l'article 38 du code général des impôts, aux résultats du premier exercice non prescrit, mais a, ainsi qu'il vient d'être dit, réintégré aux résultats imposables, la reprise de cette provision devenue sans objet, ainsi que la société Les Grands Garages de Lannion l'avait elle-même constaté en comptabilité dans son bilan de clôture de l'exercice clos en 2005.
5. D'une part, il est constant que les rappels de taxe sur la valeur ajoutée auxquels la société Les Grands Garages de Lannion avait été assujettie au titre des périodes correspondant aux années 1984 à 1986 et 1989 à 1991 ont donné lieu à une déduction en cascade et ne revêtaient pas le caractère d'une charge fiscalement déductible. D'autre part, en application du 2 de l'article 39 les pénalités notifiées à la société n'étaient pas déductibles. La société n'a procédé à aucune réintégration extra-comptable de la provision ou de la dotation complémentaire comptablement constatées pour la détermination du résultat fiscal de l'exercice de leur constitution. Dès lors, la provision ne satisfaisait pas, dès l'origine, aux conditions de déductibilité du bénéfice imposable de l'exercice au titre duquel elle a été constituée.
6. D'autre part, si, ainsi qu'il résulte de ce qui précède et que le soutient le service, la mise en œuvre du mécanisme de la cascade simple prévu à l'article L. 77 du livre des procédures fiscales a eu pour effet de neutraliser le rappel de taxe sur la valeur ajoutée notifié à la société Les Grands Garages de Lannion en permettant une déduction du résultat taxable à l'impôt sur les sociétés et si les dispositions du 2 de l'article 39 du code général des impôts interdisaient à cette société de déduire en charge les pénalités qui lui avaient été notifiées, la seule invocation du caractère erroné des provisions ainsi constituées ne saurait suffire à démontrer, en l'absence de tout autre élément, une volonté de méconnaître sciemment la loi fiscale par cette société, aux droits de laquelle vient la SAS Groupe Courtois Automobile. Par suite, l'administration n'établit pas que l'erreur en cause, au demeurant commise par une PME, a présenté un caractère délibéré alors, au surplus, qu'elle a indiqué dans ses écritures que la provision avait été initialement " régulièrement constatée par le débit d'un compte de charges ", qu'elle n'a invoqué que très tardivement un tel argument et n'a pas appliqué les pénalités pour manquement délibéré à ce chef de redressement. Ainsi, le ministre n'est pas fondé à soutenir que la société requérante ne pourrait prétendre à l'application de la règle de la correction symétrique des bilans.
7. Enfin, si les dispositions du 4 bis de l'article 38 du code général des impôts sont applicables à l'ensemble des impositions établies à compter du 1er janvier 2005, y compris au titre d'exercices clos avant cette date, il résulte de l'instruction que le service a notifié les rectifications envisagées au titre de l'exercice clos en 2004 par une proposition du 20 décembre 2007, interrompant ainsi la prescription de cet exercice. Par suite, à la date de la proposition de rectification du 20 février 2008, l'exercice clos en 2004 n'était pas prescrit. Dans ces conditions, l'erreur initiale de comptabilisation de la provision, constituée au cours d'un exercice prescrit à la date du 20 février 2008, devait être corrigée dans les bilans des exercices non prescrits à l'exception du bilan d'ouverture du premier de ces exercices, soit en l'espèce dans le bilan de clôture de l'exercice clos en 2004 et non au titre de l'exercice clos en 2005 ainsi que l'a fait à tort le service.
8. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l'action et des comptes publics n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Versailles a prononcé une réduction des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés mises à la charge de la SAS Groupe Courtois Automobiles au titre de l'exercice clos en 2005. Par voie de conséquence, ses conclusions tendant à la remise à la charge de la SAS Groupe Courtois Automobiles de la somme de 145 588 euros en droits et la somme de 15 141 euros en intérêts de retard doivent être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête du ministre de l'action et des comptes publics est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique et à la SAS Groupe Courtois Automobiles.
Délibéré après l'audience du 10 mai 2022, à laquelle siégeaient :
M. Bresse, président de chambre,
Mme Bonfils, première conseillère,
Mme Deroc, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 31 mai 2022.
La rapporteure,
M.-G. A...Le président,
P. BresseLa présidente,
I. I. DanielianLa greffière,
C. Fourteau
La greffière,
A. Audrain FoulonLa République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme
La greffière,
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N° 20VE00941