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04/01/2022 | FRANCE | N°20VE01338

France | France, Cour administrative d'appel de Versailles, 4ème chambre, 04 janvier 2022, 20VE01338


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme H... D... épouse E..., M. K... E..., M. C... G..., pour son propre compte et au nom de sa fille mineure B..., M. F... E..., Mme J... E... et Mme L... E..., représentés par Me Esteve, ont demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise de condamner l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris (AP-HP) à verser les sommes suivantes, correspondant à un total de 184 447,04 euros : à M. G..., 125 383,52 euros, en réparation de ses propres préjudices économiques et d'affection résultant du décès de Mme

I... E..., son épouse, ainsi que des préjudices économiques et d'affection ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme H... D... épouse E..., M. K... E..., M. C... G..., pour son propre compte et au nom de sa fille mineure B..., M. F... E..., Mme J... E... et Mme L... E..., représentés par Me Esteve, ont demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise de condamner l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris (AP-HP) à verser les sommes suivantes, correspondant à un total de 184 447,04 euros : à M. G..., 125 383,52 euros, en réparation de ses propres préjudices économiques et d'affection résultant du décès de Mme I... E..., son épouse, ainsi que des préjudices économiques et d'affection subis par sa fille mineure, B..., du fait du décès de sa mère ; à M. K... E... et Mme H... E..., 18 000 euros chacun en réparation du préjudice d'affection qu'ils ont subi du fait du décès de leur fille ; à Mmes J... et L... E... et M. F... E..., 6 000 euros chacun en réparation du préjudice d'affection qu'ils ont subi du fait du décès de leur sœur ; à l'ensemble des ayants droit, 5 063,52 euros au titre des frais d'obsèques de Mme I... E..., de mettre à la charge de l'AP-HP la somme de 2 490,80 euros toutes taxes comprises au titre des frais d'expertise qu'ils ont avancés, et de mettre à la charge de l'AP-HP la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 1709716 du 30 mars 2020, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a condamné l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris à verser à M. C... G..., la somme de 89 234,49 euros en réparation de ses préjudices économiques et d'affection propres, à M. C... G..., la somme de 31 346,73 euros en réparation des préjudices économiques et d'affection subis par sa fille mineure B..., à Mme H... D... épouse E..., M. K... E..., Mme J... E..., Mme L... E... et M. F... E..., chacun, la somme de 6 000 euros en réparation de leur préjudice d'affection, à Mme H... D... épouse E..., M. K... E..., Mme J... E..., Mme L... E..., M. F... E... et M. C... G..., la somme globale de 5 063,52 euros au titre des frais d'obsèques, a mis à la charge de l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris une somme globale de 2 490,80 euros au titre de l'article R. 761-1 du code de justice administrative, a mis à la charge de l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, et a rejeté le surplus des conclusions de la demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 4 juin 2020, Mme H... D... épouse E..., M. K... E..., M. C... G..., pour son propre compte et au nom de sa fille mineure B..., représentés par Me Esteve, avocat, demandent à la cour :

1°) de réformer ce jugement en ce qu'il n'a fait que partiellement droit à leurs demandes indemnitaires ;

2°) de condamner l'AP-HP à verser la somme de 140 622,22 euros à M. G... et la somme de 24 223,97 euros à sa fille mineure B..., en réparation de leur préjudice économique ;

3°) de condamner l'AP-HP à verser la somme de 18 000 euros à Mme H... D... épouse E..., et la même somme à M. K... E..., à M. G... et à sa fille B..., au titre de leur préjudice d'affection ;

4°) de condamner l'AP-HP à verser la somme de 1 215 euros à M. G... au titre des dépenses de santé résultant du préjudice moral subi par sa fille B... ;

5°) de mettre à la charge de l'AP-HP une somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- le jugement est irrégulier, dès lors que le tribunal n'a pas tenu compte de leur mémoire du 2 mars 2020 qui, s'il a été produit après la clôture de l'instruction, contenait l'exposé d'une circonstance de fait dont ils n'étaient pas en mesure de faire état avant la clôture de l'instruction et qui était susceptible d'exercer une influence sur le jugement de l'affaire ;

- après application d'un taux de perte de chance de 60 %, le préjudice économique subi par M. G... s'élève à la somme totale de 140 622,22 euros, et celui de sa fille B... à la somme totale de 24 223,97 euros ;

- il convient par ailleurs de leur verser à chacun, au titre de leur préjudice d'affection, la somme de 18 000 euros ;

- une somme de 1 215 euros doit être versée à M. G... au titre des dépenses de santé résultant du préjudice moral subi par sa fille B..., laquelle a dû être reçue en consultation par un psychanalyste à vingt-sept reprises ;

- après application d'un taux de perte de chance de 60 %, il convient de verser la somme de 18 000 euros à Mme H... D... épouse E..., et la même somme à M. K... E..., au titre de leur préjudice d'affection.

......................................................................................................

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Ablard,

- les conclusions de Mme Grossholz, rapporteur public,

- et les observations de Me Rua pour Mme H... D... épouse E..., M. K... E..., M. C... G..., pour son propre compte et au nom de sa fille mineure B....

Considérant ce qui suit :

1. Mme H... D... épouse E..., M. K... E..., M. C... G..., pour son propre compte et au nom de sa fille mineure B..., relèvent appel du jugement du 30 mars 2020 par lequel le tribunal administratif de Cergy-Pontoise n'a fait que partiellement droit à leurs demandes indemnitaires, présentées en réparation des préjudices qu'ils ont subis du fait du décès de Mme I... E..., intervenu le 23 décembre 2012, lors de son séjour au sein de l'hôpital Louis Mourier à Colombes.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. En premier lieu, aux termes de l'article R. 613-1 du code de justice administrative : " Le président de la formation de jugement peut, par une ordonnance, fixer la date à partir de laquelle l'instruction sera close (...) ". Aux termes de l'article R. 613-2 de ce code : " Si le président de la formation de jugement n'a pas pris une ordonnance de clôture, l'instruction est close trois jours francs avant la date de l'audience indiquée dans l'avis d'audience prévu à l'article R. 711-2. (...) ". Aux termes de l'article R. 613-3 du même code : " Les mémoires produits après la clôture de l'instruction ne donnent pas lieu à communication et ne sont pas examinés par la juridiction (...) ". Aux termes de l'article R. 613-4 de ce code : " Le président de la formation de jugement peut rouvrir l'instruction par une décision qui n'est pas motivée et ne peut faire l'objet d'aucun recours. Cette décision est notifiée dans les mêmes formes que l'ordonnance de clôture. La réouverture de l'instruction peut également résulter d'un jugement ou d'une mesure d'investigation ordonnant un supplément d'instruction. Les mémoires qui auraient été produits pendant la période comprise entre la clôture et la réouverture de l'instruction sont communiqués aux parties. ".

3. Il résulte de ces dispositions que l'instruction écrite est normalement close dans les conditions fixées par l'article R. 613-1 ou bien, à défaut d'ordonnance de clôture, dans les conditions fixées par l'article R. 613-2. Toutefois, lorsque, postérieurement à cette clôture, le juge est saisi d'un mémoire émanant de l'une des parties à l'instance, et conformément au principe selon lequel, devant les juridictions administratives, le juge dirige l'instruction, il lui appartient, dans tous les cas, de prendre connaissance de ce mémoire avant de rendre sa décision, ainsi que de le viser sans l'analyser. S'il a toujours la faculté, dans l'intérêt d'une bonne justice, d'en tenir compte - après l'avoir visé et, cette fois, analysé -, il n'est tenu de le faire, à peine d'irrégularité de sa décision, que si ce mémoire contient soit l'exposé d'une circonstance de fait dont la partie qui l'invoque n'était pas en mesure de faire état avant la clôture de l'instruction écrite et que le juge ne pourrait ignorer sans fonder sa décision sur des faits matériellement inexacts, soit d'une circonstance de droit nouvelle ou que le juge devrait relever d'office. Dans tous les cas où il est amené à tenir compte de ce mémoire, il doit - à l'exception de l'hypothèse particulière dans laquelle il se fonde sur un moyen qu'il devait relever d'office - le soumettre au débat contradictoire, soit en suspendant l'audience pour permettre à l'autre partie d'en prendre connaissance et de préparer ses observations, soit en renvoyant l'affaire à une audience ultérieure.

4. Il résulte de l'instruction que les requérants ont produit en première instance un mémoire le 2 mars 2020, postérieurement à la clôture de l'instruction fixée au 6 mars 2019. Les requérants soutiennent que, par ce mémoire, ils entendaient demander la rectification d'une erreur matérielle contenue dans leur requête introductive d'instance, relative aux montants des préjudices économiques subis par M. G... et sa fille B... auxquels auraient été appliqués deux fois au lieu d'une un taux de perte de chance de 60 %. Ils font à cet égard valoir qu'ils n'auraient été en mesure de constater leur erreur qu'en prenant connaissance du sens des conclusions du rapporteur public le 29 février 2020. Toutefois, les éléments invoqués par les requérants, lesquels étaient en mesure, entre l'enregistrement de leur demande le 20 octobre 2017 et la clôture de l'instruction le 6 mars 2019, de procéder à une vérification de leurs demandes et de constater leur erreur, ne sauraient être regardés comme une circonstance de fait dont les intéressés n'étaient pas en mesure de faire état avant la clôture de l'instruction. Par suite, et sans que les requérants puissent utilement se prévaloir du principe de la réparation intégrale des préjudices, le moyen susmentionné doit être écarté.

Au fond :

Sur l'évaluation des préjudices :

5. Le tribunal a jugé qu'en n'assurant pas un suivi adéquat de Mme I... E... et en ne prenant pas des mesures adaptées de surveillance, les personnels soignants des hôpitaux Beaujon à Clichy et Louis Mourier à Colombes l'ont privée d'une chance d'éviter son décès par suicide, évaluée à 60 %.

En ce qui concerne les préjudices économiques :

6. Le préjudice économique subi, du fait du décès d'un patient, par les ayants droit appartenant au foyer de celui-ci, est constitué par la perte des revenus de la victime qui étaient consacrés à l'entretien de chacun d'eux, en tenant compte, d'une part et si la demande en est faite, de l'évolution générale des salaires et de leurs augmentations liées à l'ancienneté et aux chances de promotion de la victime jusqu'à l'âge auquel elle aurait été admise à la retraite, d'autre part, du montant, évalué à la date du décès, de leurs propres revenus éventuels, à moins que l'exercice de l'activité professionnelle dont ils proviennent ne soit la conséquence de cet événement, et, enfin, des prestations à caractère indemnitaire susceptibles d'avoir été perçues par les membres survivants du foyer en compensation du préjudice économique qu'ils subissent. En outre, l'indemnité allouée aux enfants A... la victime décédée est déterminée en tenant compte de la perte de la fraction des revenus de leur parent décédé qui aurait été consacrée à leur entretien jusqu'à ce qu'ils aient atteint au plus l'âge de vingt-cinq ans.

7. Après application du taux de perte de chance de 60 % mentionné au point 5, lequel n'est pas contesté en appel par les requérants, les premiers juges ont évalué le préjudice économique de M. G... à la somme totale de 136 592,49 euros et celui de sa fille B... à la somme totale de 16 346,73 euros. La somme susmentionnée de 136 592,49 euros a été toutefois ramenée par le tribunal à la somme de 71 234,49 euros, montant demandé par les requérants dans leurs écritures présentées avant la clôture de l'instruction. Les requérants demandent en appel que ces sommes soient portées, après application du taux de perte de chance de 60 %, à la somme de 140 622,22 euros concernant M. G... et à la somme de 24 223,97 euros concernant sa fille B....

Quant à la période du 23 décembre 2012 au 12 décembre 2037 :

8. Le foyer de la victime, âgée de 30 ans à la date de son décès, comprenait également son époux, M. G..., et leur fille B..., née le 12 décembre 2012. Il résulte de l'instruction, et notamment de l'avis d'impôt du couple, que le revenu annuel global du foyer au titre de l'année 2012 s'élevait à la somme de 32 429 euros. En retranchant de cette somme la part consacrée à l'entretien de la famille, qui doit être fixée à 20 %, ainsi que le revenu annuel de M. G... postérieurement au décès de son épouse, soit la somme de 20 176 euros, la perte patrimoniale annuelle du foyer s'élève à la somme de 5 767 euros. Dans ces conditions, le préjudice économique du foyer au cours de la période allant du 23 décembre 2012, date du décès de Mme E..., au 12 décembre 2037, date à laquelle la fille de M. G... atteindra l'âge de vingt-cinq ans, s'élève à la somme de 144 175 euros. Ce préjudice doit être évalué à 70 % pour M. G..., soit la somme de 100 922 euros, et à 30 % pour sa fille B..., soit la somme de 43 252 euros.

Quant à la période postérieure au 12 décembre 2037 :

9. Ainsi qu'il a été dit au point 8, la perte patrimoniale annuelle du foyer, consécutive au décès de Mme E..., née en 1982, s'élève à la somme de 5 767 euros. L'euro de la rente viagère doit, compte tenu de l'âge qu'aurait eu Mme E... en 2037, soit 55 ans, être fixé à 31,494. Par suite, le préjudice économique subi par M. G... à compter de cette date s'élève à la somme de 181 625 euros.

10. Après application du taux de perte de chance de 60 %, il résulte de ce qui précède que le préjudice économique subi par M. G... s'élève à la somme totale de 169 528 euros et celui de sa fille B... à la somme totale de 25 951 euros. Toutefois, il y a lieu de ramener la somme de 169 528 euros à la somme de 140 622 euros, telle que demandée par M. G... dans ses écritures. De même, il y a lieu de ramener la somme de 25 951 euros à la somme de 24 224 euros, telle que demandée par M. G... au nom de sa fille mineure dans ses écritures. Par suite, la somme totale de 164 846 euros doit être mise à la charge de l'AP-HP au titre des préjudices économiques subis par M. G... et sa fille B....

En ce qui concerne les dépenses de santé :

11. Les requérants demandent une somme de 1 215 euros au titre des dépenses de santé résultant du préjudice moral subi par sa fille B..., laquelle a dû être reçue en consultation par un psychanalyste à vingt-sept reprises. Toutefois, si les intéressés versent au dossier une attestation établie le 21 mai 2020 par un psychanalyste, lequel indique, sans autre précision, recevoir en consultation " depuis novembre 2015, de façon irrégulière " la fille de M. G..., ce document ne permet pas d'établir la nécessité de telles séances de psychanalyse. Par suite, les conclusions présentées sur ce point par les requérants doivent être rejetées.

En ce qui concerne le préjudice d'affection :

12. Après application du taux de perte de chance de 60 % mentionné au point 5, les premiers juges ont évalué le préjudice d'affection de M. G... et de sa fille B... à la somme de 15 000 euros chacun, et celui des deux parents de la victime à la somme de 6 000 euros chacun. Si les requérants demandent que ces sommes soient portées à 18 000 euros après application du taux de perte de chance de 60 %, il ne résulte pas de l'instruction que le tribunal aurait inexactement apprécié le préjudice d'affection subi par les intéressés. Par suite, les conclusions présentées sur ce point par les requérants doivent être rejetées.

13. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner la recevabilité des conclusions indemnitaires des requérants en tant qu'elles excèdent celles présentées en première instance, que l'AP-HP doit être condamnée à verser à ceux-ci la somme totale de 164 846 euros.

Sur les frais liés à l'instance :

14. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'AP-HP une somme globale de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, à verser aux requérants.

DÉCIDE :

Article 1er : L'Assistance publique - Hôpitaux de Paris (AP-HP) est condamnée à verser à M. G... la somme de 140 622 euros et à sa fille B... la somme de 24 224 euros au titre de leur préjudice économique, soit la somme totale de 164 846 euros.

Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Cergy-Pontoise du 30 mars 2020 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 3 : L'Assistance publique - Hôpitaux de Paris (AP-HP) versera la somme globale de 1 500 euros à Mme H... D... épouse E..., M. K... E..., et M. G... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

N° 20VE01338 4


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Versailles
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 20VE01338
Date de la décision : 04/01/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. BROTONS
Rapporteur ?: M. Thierry ABLARD
Rapporteur public ?: Mme GROSSHOLZ
Avocat(s) : ESTEVE

Origine de la décision
Date de l'import : 11/01/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.versailles;arret;2022-01-04;20ve01338 ?
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