Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société DKV Euro Service a demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise de condamner l'Etat à lui verser la somme de 18 972 346,86 euros, augmentée des intérêts au taux légal et de la capitalisation des intérêts, en réparation des préjudices ayant résulté pour elle de la résiliation du contrat de partenariat pour la mise en œuvre du projet d'écotaxe poids lourds.
Par un jugement n° 1603140 du 18 juillet 2018, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a prescrit une mesure d'expertise avant de statuer sur les conclusions de la société DKV Euro Service et décidé que les frais d'expertise seraient avancés par l'Etat.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 18 septembre 2018, le ministre de la transition écologique et solidaire demande à la cour d'annuler ce jugement et de rejeter la demande présentée par la société DKV Euro Service devant le tribunal administratif.
Il soutient que :
- le moyen tiré de l'illégalité de la décision de résiliation du contrat de partenariat est inopérant, un tiers à un contrat ne pouvant utilement invoquer la violation des stipulations de ce contrat ;
- en tout état de cause, la décision de résiliation est justifiée par un motif d'intérêt général tiré de l'existence de contestations fortes et durables au projet d'écotaxe se traduisant, dans certains cas, par de graves troubles à l'ordre public ; la reconfiguration du projet par la loi du 8 août 2014 prévoyant la mise en place d'un péage de transit a fortement diminué l'équilibre économique du montage juridique initialement adopté et la rentabilité du dispositif ; les conditions de collecte prévues au contrat de partenariat ne répondant plus aux exigences de l'intérêt général, le projet a été abandonné ;
- il n'existe pas de lien de causalité direct entre la faute prétendument commise par l'Etat et le préjudice subi par la société DKV Euro Service ; l'Etat n'avait aucun lien contractuel avec les sociétés habilitées de télépéage (SHT) dont la société DKV Euro Service ; la société DKV Euro Service a retenu l'option 1 librement et en connaissance de cause ; la société DKV Euro Service a accepté les aléas résultant de la souscription d'un contrat avec Ecomouv' ;
- le préjudice doit être limité au montant de l'indemnité versée à DKV Euro Service ;
- les frais d'expertise doivent être mis à la charge de la société DKV Euro Service ;
- en cas de censure des motifs du jugement attaqué, il est soutenu, à titre principal, qu'il n'existe pas de lien de causalité entre les agissements de l'Etat et le préjudice de la société DKV Euro Service ;
- à titre subsidiaire, aucun fait n'est de nature à engager la responsabilité de l'Etat ;
- la décision de résiliation n'est pas illégale ;
- la responsabilité sans faute pour rupture d'égalité devant les charges publiques ne peut être invoquée compte tenu du risque prévisible affectant ce projet complexe et contesté et dont la mise en œuvre reposait sur un dispositif contractuel très innovant ; la société DKV Euro service savait qu'en cas de fin anticipée du contrat, elle ne serait indemnisée que de la part non amortie des équipements embarqués acquis auprès d'Ecomouv' ;
- à titre plus subsidiaire, les préjudices invoqués ne sont pas justifiés.
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Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la loi n° 2006-10 du 5 janvier 2006 ;
- la loi n° 2006-1171 du 30 décembre 2006 ;
- la loi n° 2008-1425 du 27 décembre 2008 ;
- la loi n° 2014-891 du 8 août 2014 ;
- la loi n° 2016-1917 du 29 décembre 2016 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Camenen,
- les conclusions de Mme Sauvageot, rapporteure publique,
- et les observations de Me de Moustier, pour la société DKV Euro Service.
Une note en délibéré, présentée par la ministre de la transition écologique, et une note en délibéré, présentée pour la société DKV Euro Service, ont été enregistrées respectivement le 3 et le 6 décembre 2021.
Considérant ce qui suit :
1. Il résulte de l'instruction qu'en application de l'article 153 de la loi du 27 décembre 2008 de finances pour 2009, l'Etat a conclu, le 20 octobre 2011, un contrat de partenariat avec la société Ecomouv' ayant pour objet de confier à cette dernière le financement, la conception, la réalisation, l'exploitation, l'entretien et la maintenance du dispositif technique nécessaire à la mise en œuvre de l'écotaxe poids lourds nationale et de la taxe expérimentale alsacienne résultant de l'article 27 de la loi du 5 janvier 2006 relative à la sécurité et au développement des transports. La société Ecomouv' a lancé une consultation en vue de conclure avec les sociétés habilitées un contrat définissant les conditions dans lesquelles ces dernières devaient proposer un service de télépéage pour l'acquittement des taxes. Six entreprises, dont la société DKV Euro Service, ont conclu avec la société Ecomouv' un contrat conforme au contrat-type annexé au contrat de partenariat. La société DKV Euro Service ayant choisi de fournir un service de télépéage au moyen d'un dispositif reposant essentiellement sur une solution technique développée par la société Ecomouv', le contrat a été conclu le 20 avril 2012 selon l'option n° 1 prévue par le contrat type annexé au contrat de partenariat. L'article 37 de ce contrat stipulait que la fin anticipée du contrat de partenariat entraînait sa résiliation à moins que l'Etat ne décide de le reprendre.
2. L'entrée en vigueur de l'écotaxe, initialement prévue, selon l'article 22 du contrat de partenariat, le 20 juillet 2013 pour la taxe nationale, a été reportée à deux reprises au cours de l'année 2013 puis, à la suite d'un mouvement de contestation qui s'est développé à partir de l'été 2013, le Premier ministre a décidé de suspendre la mise en œuvre de cette réforme le 29 octobre 2013. Un protocole d'accord entre la société DKV Euro Service et la société Ecomouv' relatif à la suspension de la taxe poids lourds a été conclu le 7 avril 2014. La société Ecomouv', l'Etat et les parties financières ont eux-mêmes conclu un protocole d'accord pour définir les conditions de cette suspension le 20 juin 2014. Ultérieurement, le champ d'application de la taxe a été fortement réduit par l'article 16 de la loi du 8 août 2014 de finances rectificative pour 2014, qui a fixé, au 31 décembre 2015 au plus tard, la date d'entrée en vigueur des dispositions du code des douanes relatives à cette taxe. Le 9 octobre 2014, la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie et le secrétaire d'Etat chargé des transports, de la mer et de la pêche ont décidé de suspendre sine die le dispositif de l'écotaxe. Puis, par un courrier du 30 octobre 2014, l'Etat a informé la société Ecomouv' de la résiliation du contrat de partenariat et, par un courrier du 15 décembre 2014, il a informé la société DKV Euro Service qu'il ne souhaitait pas bénéficier de la possibilité de reprise du contrat liant cette dernière à la société Ecomouv'. La société DKV Euro Service a été indemnisée de la fraction non amortie des équipements embarqués selon un protocole d'accord conclu avec l'Etat et la société Ecomouv' le 7 août 2015.
3. La société DKV Euro Service a cependant présenté à l'Etat une réclamation préalable pour obtenir l'entière indemnisation du préjudice résultant pour elle de la résiliation du contrat de partenariat. En l'absence de réponse expresse, elle a saisi le tribunal administratif de Cergy-Pontoise qui, par un jugement du 18 juillet 2018, a retenu que la résiliation du contrat de partenariat n'étant justifiée par aucun motif d'intérêt général, l'Etat avait commis une faute de nature à engager sa responsabilité quasi-délictuelle à l'égard de la société DKV Euro Service et a prescrit avant-dire droit une mesure d'expertise. Le ministre de la transition écologique et solidaire relève appel de ce jugement.
Sur la faute résultant de l'illégalité de la décision de résiliation du contrat de partenariat :
4. Il résulte de l'instruction que le gouvernement a décidé d'abandonner le dispositif d'écotaxe et de résilier le contrat de partenariat conclu avec la société Ecomouv' en raison d'une opposition forte et durable rencontrée par ce projet, qui s'est traduite, au cours de l'automne 2013, par de graves troubles à l'ordre public et à laquelle les aménagements apportés au dispositif par la loi du 8 août 2014 n'ont pas permis de mettre un terme, les acteurs économiques concernés ayant annoncé leur intention de reprendre leurs actions revendicatives à l'automne 2014. Alors même que ce motif est invoqué pour la première fois en appel, il caractérise à lui seul l'existence d'un motif d'intérêt général de nature à justifier la résiliation de ce contrat. Il n'appartient pas au juge administratif d'apprécier l'opportunité du choix ainsi effectué par le gouvernement.
5. Il résulte de ce qui précède que le ministre de la transition écologique et solidaire est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif a retenu le caractère fautif de la décision de résiliation du contrat de partenariat pour condamner l'Etat à indemniser la société DKV Euro Service sur le fondement de sa responsabilité quasi-délictuelle.
6. Toutefois, il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner l'autre moyen soulevé par la société DKV Euro Service devant le tribunal administratif et en appel.
Sur la responsabilité sans faute de l'Etat :
7. La responsabilité de la puissance publique peut se trouver engagée, même sans faute, sur le fondement du principe d'égalité des citoyens devant les charges publiques, lorsqu'une mesure légalement prise a pour effet d'entraîner, au détriment d'une personne physique ou morale, un préjudice grave et spécial, qui ne peut être regardé comme une charge lui incombant normalement. Notamment, le dommage résultant de la décision légalement prise par l'administration de résilier un contrat administratif pour un motif d'intérêt général ne saurait être regardé, s'il excède une certaine importance et revêt un caractère spécial, comme une charge incombant normalement aux tiers à ce contrat.
8. En l'espèce, si le contrat conclu en avril 2012 par la société DKV Euro Service envisageait la possibilité d'une fin anticipée du contrat de partenariat, il ne résulte cependant d'aucun élément de l'instruction qu'à la date à laquelle ce contrat a été conclu, un renoncement de l'Etat au projet d'écotaxe, qui avait été prévu par une loi votée en décembre 2008 et pour lequel l'Etat avait, au cours des années suivantes, mené la procédure requise aux fins de passation d'un contrat de partenariat, passé ce contrat de partenariat et prévu les conditions d'intervention des sociétés habilitées télépéage, pouvait être envisagé par ces dernières comme un aléa pouvant normalement survenir au cours de l'exécution de leur contrat. Il résulte au contraire de l'instruction, en particulier des rapports parlementaires sur l'écotaxe enregistrés en mai 2014, qu'un abandon pur et simple du projet d'écotaxe par le gouvernement n'était pas envisagé comme une perspective raisonnable, ce risque étant jugé quasi-inexistant par la société Ecomouv' et par les banques. Dans ces conditions, le préjudice qui résulte pour la société DKV Euro Service de la décision de résiliation du contrat de partenariat par l'Etat pour un motif d'intérêt général, excède, par son importance et ses conséquences, les aléas inhérents à son activité et présente, eu égard au rôle que jouait cette société dans la réalisation de ce projet, un caractère spécial. Il revêt ainsi un caractère grave et spécial interdisant de le regarder comme une charge devant incomber normalement à la société DKV Euro Service. Par suite, la société DKV Euro Service est fondée à demander réparation à l'Etat du préjudice en lien direct avec la décision de résiliation du contrat de partenariat, sans que l'Etat puisse utilement, pour contester le lien de causalité, se prévaloir de la circonstance que le contrat qu'elle a conclu avec la société Ecomouv' stipulait que la résiliation de ce contrat en cas de fin anticipée du contrat de partenariat ne donnerait pas lieu à indemnisation, hors la fraction non amortie des équipements embarqués.
9. Il résulte de ce qui précède que la société DKV Euro Service est fondée à demander la condamnation de l'Etat à réparer son préjudice résultant de la résiliation du contrat de partenariat sur le fondement de sa responsabilité sans faute.
Sur les dépens de première instance :
10. L'Etat étant la partie perdante en première instance, le tribunal n'a pas fait une inexacte application des dispositions de l'article R. 761-1 du code de justice en mettant à sa charge les frais d'expertise.
11. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la fin de non-recevoir invoquée par la société DKV Euro Service, que l'Etat n'est pas fondé à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif a retenu sa responsabilité et a prescrit avant-dire droit une mesure d'expertise.
Sur les frais liés à l'instance :
12. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat, partie perdante dans la présente instance, le versement de la somme de 5 000 euros à la société DKV Euro Service au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête du ministre de la transition écologique et solidaire est rejetée.
Article 2 : L'Etat versera la somme de 5 000 euros à la société DKV Euro Service au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
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N° 18VE03220