La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

23/11/2021 | FRANCE | N°19VE04336

France | France, Cour administrative d'appel de Versailles, 4ème chambre, 23 novembre 2021, 19VE04336


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... d'Almeida a demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise d'annuler la décision du 20 mars 2017 par laquelle la directrice de l'établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes Jules Fossier a prononcé son exclusion temporaire de fonctions pour une durée de six mois, d'enjoindre à l'établissement Jules Fossier de prononcer sa réintégration et de condamner cet établissement au paiement d'une indemnité d'un montant de 30 000 euros en réparation du préjudice qu'elle estime a

voir subi.

Par un jugement n° 1704221 du 5 novembre 2019, le tribunal administ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... d'Almeida a demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise d'annuler la décision du 20 mars 2017 par laquelle la directrice de l'établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes Jules Fossier a prononcé son exclusion temporaire de fonctions pour une durée de six mois, d'enjoindre à l'établissement Jules Fossier de prononcer sa réintégration et de condamner cet établissement au paiement d'une indemnité d'un montant de 30 000 euros en réparation du préjudice qu'elle estime avoir subi.

Par un jugement n° 1704221 du 5 novembre 2019, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 31 décembre 2019, Mme d'Almeida, représentée par Me Gomar, avocat, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Cergy-Pontoise ;

2°) d'annuler la décision du 20 mars 2017 ;

3°) de condamner l'EHPAD Jules Fossier au paiement rétroactif de l'intégralité des traitements et indemnités dont elle a été privée et à lui verser une somme de 30 000 euros en réparation du préjudice qu'elle estime avoir subi ;

4°) de mettre à la charge de l'EHPAD Jules Fossier le versement de la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ainsi que le paiement des entiers dépens de l'instance.

Elle soutient que :

- la décision du 20 mars 2017 n'est pas suffisamment motivée ;

- elle est entachée d'un vice de procédure dès lors que les dispositions de l'article 30 de la loi du 13 juillet 1983 n'ont pas été respectées ;

- la réalité des faits qui lui sont reprochés n'est pas établie ;

- la décision est entachée d'un détournement de pouvoir ;

- elle a été victime de harcèlement moral et est fondée à demander l'indemnisation du préjudice en résultant.

...............................................................................................................

Vu :

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 ;

- le décret n° 89-822 du 7 novembre 1989 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Coudert,

- les conclusions de Mme Grossholz, rapporteure publique,

- et les observations de Me rasamoelina, pour l'EHPAD Jules Fossier.

Considérant ce qui suit :

1. Mme A... d'Almeida est aide-soignante au sein de l'établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) Jules Fossier, situé à Louvres (Val d'Oise). Par une décision du 18 novembre 2016, Mme d'Almeida a été suspendue de ses fonctions à titre conservatoire. Par une décision du 20 mars 2017, la directrice de l'EHPAD a prononcé son exclusion temporaire de fonctions pour une durée de six mois. Mme d'Almeida relève appel du jugement du 5 novembre 2019 par lequel le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette dernière décision et à l'indemnisation du préjudice qu'elle estime avoir subi.

Sur les conclusions aux fins d'annulation de la décision du 20 mars 2017 :

En ce qui concerne la légalité externe :

2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration : " Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. / A cet effet, doivent être motivées les décisions qui : / (...) 2° Infligent une sanction ; (...) ". Aux termes de l'article L. 211-5 du même code : " La motivation exigée par le présent chapitre doit être écrite et comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision. " Ces dispositions imposent à l'autorité qui prononce la sanction de préciser elle-même, dans sa décision, les griefs qu'elle entend retenir à l'encontre de l'agent concerné, de telle sorte que ce dernier puisse, à la seule lecture de cette décision, connaître les motifs de la sanction qui le frappe.

3. La décision d'exclusion temporaire attaquée énonce de manière suffisamment précise et circonstanciée les motifs de fait sur lesquels elle se fonde, alors même qu'elle ne comporte pas de précision quant aux dates ou aux lieux. Il suit de là que le moyen tiré de l'insuffisance de motivation de cette décision doit être écarté.

4. En deuxième lieu, aux termes de l'article 30 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires : " En cas de faute grave commise par un fonctionnaire, qu'il s'agisse d'un manquement à ses obligations professionnelles ou d'une infraction de droit commun, l'auteur de cette faute peut être suspendu par l'autorité ayant pouvoir disciplinaire qui saisit, sans délai, le conseil de discipline. / Le fonctionnaire suspendu conserve son traitement, l'indemnité de résidence, le supplément familial de traitement et les prestations familiales obligatoires. Sa situation doit être définitivement réglée dans le délai de quatre mois. / Si, à l'expiration d'un délai de quatre mois, aucune décision n'a été prise par l'autorité ayant pouvoir disciplinaire, le fonctionnaire qui ne fait pas l'objet de poursuites pénales est rétabli dans ses fonctions. (...) ".

5. Ces dispositions, qui impartissent à l'administration un délai de quatre mois pour statuer sur le cas d'un fonctionnaire qui a fait l'objet d'une mesure de suspension, ont pour objet de limiter les conséquences de la suspension et non d'enfermer dans un délai déterminé l'exercice de l'action disciplinaire. Dès lors, si Mme d'Almeida soutient que la directrice de l'EHPAD a méconnu les dispositions de l'article 30 de la loi du 13 juillet 1983 en ne saisissant pas " sans délai " le conseil de discipline, cette circonstance n'entache pas d'illégalité la décision du 20 mars 2017 prononçant son exclusion temporaire de fonctions. Ce moyen doit, par suite, être écarté.

En ce qui concerne la légalité interne :

6. Aux termes de l'article 81 de la loi du 9 janvier 1986 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique hospitalière : " Les sanctions disciplinaires sont réparties en quatre groupes. / Premier groupe : / l'avertissement, le blâme ; / Deuxième groupe : / la radiation du tableau d'avancement, l'abaissement d'échelon, l'exclusion temporaire de fonctions pour une durée maximale de quinze jours ; / Troisième groupe : / la rétrogradation, l'exclusion temporaire de fonctions pour une durée de trois mois à deux ans ; / Quatrième groupe : / la mise à la retraite d'office, la révocation. / (...) ".

7. En premier lieu, il appartient au juge de l'excès de pouvoir, saisi de moyens en ce sens, de rechercher si les faits reprochés à un agent public ayant fait l'objet d'une sanction disciplinaire constituent des fautes de nature à justifier une sanction et si la sanction retenue est proportionnée à la gravité de ces fautes.

8. Il ressort des pièces du dossier que la directrice de l'EHPAD Jules Fossier a prononcé la sanction d'exclusion temporaire de fonctions en litige aux motifs que Mme d'Almeida n'avait pas veillé à la prise d'un repas et de médicaments par une résidente de l'établissement ; qu'elle avait mal exécuté des techniques d'aide à la mobilisation auprès de deux autres résidents, engendrant chez ces derniers des blessures ; qu'elle avait eu un comportement inapproprié en s'allongeant, durant son temps de pause, sur le sol de l'espace de vie des résidents alors que deux personnes visitaient l'établissement en vue d'une admission ; qu'une plainte de la fille d'une résidente avait été déposée auprès de l'agence régionale de santé à son encontre faisant état de son refus de réaliser des soins, de menaces, de paroles inappropriées et de gestes violents de sa part à l'encontre de cette résidente.

9. Il ressort des pièces du dossier et notamment de la fiche de transmissions et de la fiche de signalement produites aux débats, que, le 22 juillet 2016, Mme d'Almeida, à qui il avait été demandé de monter un plateau repas à une résidente de l'établissement, s'est bornée à déposer ce plateau, non déballé, sur la table de l'intéressée sans la réveiller pour lui permettre de prendre son repas et lui administrer son traitement médicamenteux. Mme d'Almeida n'a pas davantage porté à la connaissance du reste de l'équipe ces circonstances. La matérialité de ce premier manquement est ainsi établie.

10. Il est également fait grief à Mme d'Almeida d'avoir, en raison d'une mauvaise exécution des techniques d'aide à la mobilisation, provoqué des blessures sur une résidente et un résident dont elle avait la charge. Les éléments produits aux débats par l'EHPAD établissent que l'hématome au bras gauche présenté par la résidente et la plaie au tibia du résident résultent d'une mauvaise manipulation des aides-soignantes. Il ressort suffisamment des pièces du dossier que seule Mme d'Almeida a procédé au levé de la résidente. S'agissant de la prise en charge du résident, l'établissement fait valoir en défense que la requérante a indiqué dans le fichier des soins avoir accompli elle-même les actes de soins le concernant. Mme d'Almeida ne conteste pas sérieusement ces éléments en soutenant notamment que le résident a pu se blesser tout seul, alors qu'il ressort des pièces du dossier que cette personne est totalement dépendante et qu'aucune trace de sang n'a été observée dans sa chambre par l'infirmière lors de son intervention. Ainsi la matérialité de ce grief est établie.

11. Concernant le troisième grief reproché, si Mme d'Almeida en minimise la gravité, elle ne conteste pas sérieusement la réalité du grief tiré de ce qu'elle s'est allongée, durant son temps de pause, dans le centre d'activités naturelles tirées d'occupations utiles de l'établissement, à même le sol, alors qu'une gouvernante faisait visiter les locaux à des personnes à la recherche d'un établissement pour leur parent. Ce comportement inapproprié de l'intéressée a pu ainsi être pris en compte par l'EHPAD pour prononcer la sanction en litige.

12. En revanche, il ressort des pièces du dossier que l'agence régionale de santé a été saisie d'une plainte anonyme d'une personne se présentant comme la fille d'une résidente de l'EHPAD et faisant état de ce qu'une soignante prénommée A... " l'a (...) menacée, (...) ne lui fait pas sa toilette, lui parle mal, a eu des gestes violents ". Il ne ressort toutefois pas des pièces du dossier que l'EHPAD aurait diligenté une enquête sur ces allégations. Par ailleurs, l'établissement n'apporte aucun élément permettant de préciser les faits ainsi allégués. Dans ces conditions, Mme d'Almeida est fondée à soutenir que la matérialité de ce dernier grief n'est pas suffisamment établie par l'EHPAD Jules Fossier.

13. Les griefs énoncés aux points 9 à 11, dont la matérialité est établie et qui, s'agissant des deux premiers, sont susceptibles de mettre en danger la santé de personnes vulnérables, caractérisent des manquements graves de Mme d'Almeida à ses obligations professionnelles. Il résulte de l'instruction que la directrice de l'EHPAD Jules Fossier aurait pris la même décision de sanction en se fondant sur ces seuls griefs. Il suit de là que le moyen tiré par la requérante de ce que les faits qui lui sont reprochés ne pouvaient légalement justifier la sanction prise à son encontre, tant dans son principe que dans son quantum, doit être écarté.

14. En second lieu, aux termes de l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983 : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. / Aucune mesure concernant notamment le recrutement, la titularisation, la formation, la notation, la discipline, la promotion, l'affectation et la mutation ne peut être prise à l'égard d'un fonctionnaire en prenant en considération : / 1° Le fait qu'il ait subi ou refusé de subir les agissements de harcèlement moral visés au premier alinéa ; / 2° Le fait qu'il ait exercé un recours auprès d'un supérieur hiérarchique ou engagé une action en justice visant à faire cesser ces agissements ; / 3° Ou bien le fait qu'il ait témoigné de tels agissements ou qu'il les ait relatés. / Est passible d'une sanction disciplinaire tout agent ayant procédé ou ayant enjoint de procéder aux agissements définis ci-dessus. (...) ".

15. Il appartient à un agent public qui soutient avoir été victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral, de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence d'un tel harcèlement. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile.

16. En l'espèce, Mme d'Almeida soutient que la sanction dont elle est l'objet s'explique par la plainte qu'elle a adressée le 3 mars 2016 à la directrice de l'établissement pour dénoncer le harcèlement moral dont elle était victime de la part du cadre de santé. Elle fait notamment état à ce titre de contrôles systématiques et intempestifs de son travail, de vexations morales et d'accusations diffamatoires alors qu'ayant beaucoup d'ancienneté, elle n'avait plus rien à prouver sur le plan professionnel. Il ressort des pièces du dossier que Mme d'Almeida a réintégré les effectifs de l'EHPAD Jules Fossier en janvier 2016 après deux années de mise en disponibilité. Ainsi que le fait valoir l'établissement en défense, il a pu être constaté dès sa reprise d'activité que la requérante n'avait pas une attitude professionnelle conforme aux bonnes pratiques, un rapport circonstancié ayant été rédigé en février 2016 par le cadre de santé et un blâme ayant été infligé en conséquence à Mme d'Almeida par la directrice de l'EHPAD par décision du 12 avril 2016, dont la légalité a été confirmée par le tribunal administratif de Cergy-Pontoise par un jugement du 20 décembre 2018. Dans ce contexte, le suivi et les contrôles diligentés par le cadre de santé à l'égard de la requérante, qui visait à s'assurer du respect des bonnes pratiques professionnelles, ne peuvent être regardés comme constitutifs de harcèlement moral.

17. En dernier lieu, le détournement de pouvoir allégué n'est pas établi.

Sur les conclusions à fin d'indemnisation :

18. Il résulte de ce qui a été dit précédemment que Mme d'Almeida n'est fondée à soutenir ni que la décision prononçant son exclusion temporaire de fonctions pour une durée de six mois est entachée d'illégalité, ni qu'elle a été victime de harcèlement moral de la part de sa supérieure hiérarchique. Ses conclusions tendant à ce que l'EHPAD Jules Fossier soit condamné à lui payer l'intégralité du traitement et des indemnités dont elle a été privée en raison de son exclusion et à lui verser une somme de 30 000 euros en réparation du préjudice qu'elle estime avoir subi doivent, par voie de conséquence, être rejetées.

19. Il résulte de tout ce qui précède que Mme d'Almeida n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa demande.

Sur les dépens :

20. Le présent litige n'ayant pas entraîné de dépens, les conclusions présentées à ce titre par Mme d'Almeida doivent être rejetées.

Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

21. L'EHPAD Jules Fossier n'étant pas la partie perdante dans la présente instance, les conclusions présentées par Mme d'Almeida au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent être que rejetées. En revanche, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de Mme d'Almeida une somme de 1 500 euros à verser à l'EHPAD Jules Fossier au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de Mme d'Almeida est rejetée.

Article 2 : Mme d'Almeida versera la somme de 1 500 euros à l'EHPAD Jules Fossier au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le surplus des conclusions présentées par l'EHPAD Jules Fossier au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative est rejeté.

N° 19VE04336 6


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Versailles
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 19VE04336
Date de la décision : 23/11/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme LE GARS
Rapporteur ?: M. Bruno COUDERT
Rapporteur public ?: Mme GROSSHOLZ
Avocat(s) : SASU GOMARJURIS

Origine de la décision
Date de l'import : 30/11/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.versailles;arret;2021-11-23;19ve04336 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award