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18/11/2021 | FRANCE | N°19VE01727

France | France, Cour administrative d'appel de Versailles, 3ème chambre, 18 novembre 2021, 19VE01727


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société anonyme (SA) Bureau Véritas a, par deux instances distinctes, demandé au tribunal administratif de Montreuil, d'une part, de prononcer la décharge de la retenue à la source déjà payée au titre des années 2010 et 2011 à hauteur de 2 315 727 euros, ainsi que des pénalités et majorations correspondantes à hauteur de 555 772 euros, ainsi que celle des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et de cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises auxquelles elle a été assujett

ie au titre des années 2010 et 2011 à hauteur de 4 844 805 euros ainsi que des péna...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société anonyme (SA) Bureau Véritas a, par deux instances distinctes, demandé au tribunal administratif de Montreuil, d'une part, de prononcer la décharge de la retenue à la source déjà payée au titre des années 2010 et 2011 à hauteur de 2 315 727 euros, ainsi que des pénalités et majorations correspondantes à hauteur de 555 772 euros, ainsi que celle des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et de cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2010 et 2011 à hauteur de 4 844 805 euros ainsi que des pénalités et majorations correspondantes à hauteur de 619 053 euros et, d'autre part, de mettre à la charge de l'État une somme totale de 8 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement nos 1706936 et 1706955 du 7 janvier 2019, le tribunal administratif de Montreuil l'a déchargée des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et de cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, et de la retenue à la source ainsi que les intérêts de retard au titre des années 2010 et 2011, et a mis à la charge de l'État le versement d'une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Procédure devant la cour :

Par une requête et deux mémoires, enregistrés les 7 mai et 15 novembre 2019, et

29 juin 2020, le ministre de l'action et des comptes publics demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de rétablir les impositions dont le tribunal administratif de Montreuil a prononcé la décharge pour un montant total de 8 335 357 euros.

Il soutient que :

- les premiers juges ont commis une erreur de droit en jugeant que l'administration n'apportait pas la preuve qui lui incombe de ce que l'absence de perception par la société requérante de redevances de ses filiales étrangères constituerait un avantage par comparaison avec la pratique habituelle en l'absence de quantification de cet avantage ; la question n'est pas de savoir quels sont les taux de pleine concurrence applicables aux transactions en litige mais d'apprécier la justification avancée par la société relative à la prise en compte de législations étrangères pour la détermination du régime applicable en France ;

- ils ont dénaturé les faits en jugeant, à titre surabondant, que, pour justifier des taux pratiqués, la société avait apporté la preuve de l'existence de législations brésilienne et indienne contraignantes en matière de fixation des taux de redevance de marque et de savoir-faire ;

- ils ont, également à cet égard, commis une erreur de droit en estimant que la société avait valablement justifié sa pratique des taux litigieux par l'existence de législations locales contraignantes sans opérer de distinction en fonction de la nature de la norme étrangère.

..........................................................................................................

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Deroc,

- les conclusions de M. Huon, rapporteur public,

- et les observations de Me Soulé, avocat de la SA Bureau Véritas.

Considérant ce qui suit :

1. A la tête d'un groupe composé de nombreuses filiales, la SA Bureau Véritas, leader mondial de services d'évaluation, de conformité et de certification appliqués aux domaines de la qualité, de la sécurité, de la santé et de l'environnement, est propriétaire de l'ensemble des marques, du savoir-faire technique et de la recherche, et assume les fonctions et risques classiques d'entrepreneur principal associés à ces incorporels. Dans ce cadre, elle conclut avec ses filiales des contrats de franchise donnant accès à ses services techniques et administratifs rémunérés par une redevance fixée, selon sa politique de prix de transfert, à 3 % du chiffre d'affaires hors groupe au titre de la redevance de marque et à 5 % du chiffre d'affaires hors groupe au titre du savoir-faire et du support technique. A l'issue d'une vérification de comptabilité au titre des exercices clos les 31 décembre 2010 et 2011, l'administration fiscale a constaté que les taux de redevance facturés à sa filiale brésilienne (Bureau Veritas Do Brasil Ltd) et à ses filiales indiennes (BV India, BV Certification India et BVCPS India Ltd) étaient inférieurs à ceux fixés par la politique de prix de transfert de la société, alors que ces dernières bénéficiaient des mêmes prestations que les autres sociétés du groupe. Elle a, en conséquence, remis en cause les prix de transfert pratiqués par la société avec ces sociétés étrangères liées, motif pris d'un acte anormal de gestion, et procédé, sur le fondement de l'article 57 du code général des impôts, à la réintégration, dans les résultats de la SA Bureau Véritas des exercices clos en cause, des sommes correspondant à la renonciation à la perception des redevances aux taux habituellement pratiqués, qu'elle a regardées comme des bénéfices indirectement transférés à des sociétés membres du même groupe et situées hors de France. Le ministre de l'action et des comptes publics fait appel du jugement du 7 janvier 2019 par lequel le tribunal administratif de Montreuil a prononcé la décharge, en droits et majorations, des suppléments d'impôt sur les sociétés, de contribution additionnelle à cet impôt, de retenue à la source ainsi que de cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises auxquelles la SA Bureau Véritas a été assujettie en conséquence.

2. Aux termes de l'article 57 du code général des impôts, dans sa rédaction applicable aux années d'imposition en litige : " Pour l'établissement de l'impôt sur le revenu dû par les entreprises qui sont sous la dépendance ou qui possèdent le contrôle d'entreprises situées hors de France, les bénéfices indirectement transférés à ces dernières, soit par voie de majoration ou de diminution des prix d'achat ou de vente, soit par tout autre moyen, sont incorporés aux résultats accusés par les comptabilités. Il est procédé de même à l'égard des entreprises qui sont sous la dépendance d'une entreprise ou d'un groupe possédant également le contrôle d'entreprises situées hors de France. (...) / A défaut d'éléments précis pour opérer les rectifications (...), les produits imposables sont déterminés par comparaison avec ceux des entreprises similaires exploitées normalement ". Il résulte de ces dispositions que, lorsqu'elle constate que les prix facturés par une entreprise établie en France à une entreprise étrangère qui lui est liée sont inférieurs à ceux pratiqués, soit par cette entreprise avec d'autres clients dépourvus de liens de dépendance avec elle, soit par des entreprises similaires exploitées normalement avec des clients dépourvus de liens de dépendance, sans que cet écart s'explique par la situation différente de ces clients, l'administration doit être regardée comme établissant l'existence d'un avantage qu'elle est en droit de réintégrer dans les résultats de l'entreprise établie en France, sauf pour celle-ci à justifier que cet avantage a eu pour elle des contreparties aux moins équivalentes. A défaut d'avoir procédé à de telles comparaisons, l'administration n'est, en revanche, pas fondée à invoquer la présomption de transferts de bénéfices ainsi instituée mais doit, pour démontrer qu'une entreprise a consenti une libéralité en facturant des prestations à un prix insuffisant, établir l'existence d'un écart injustifié entre le prix convenu et la valeur vénale du bien cédé ou du service rendu.

3. Pour établir l'existence d'un avantage tarifaire octroyé au cours des exercices en litige par la SA Bureau Véritas à ses filiales brésilienne et indiennes, et, partant, d'un transfert indirect de bénéfices au sens des dispositions précitées de l'article 57 du code général des impôts, l'administration a relevé que, pour la détermination de ses prix de transfert, le groupe avait retenu la méthode du prix comparable sur marché libre dite " Comparable Uncontrolled Price " et avait mené son analyse à partir de taux de franchises comparables ayant une application nationale (États-Unis), continentale (Amérique du Nord) voire mondiale (majorité des comparables). Après avoir validé tant la méthode que le panel des comparables, l'administration a constaté que le taux de pleine concurrence retenu en résultant de 8%, soit 3 % pour la redevance de marque et de 5 % pour la redevance de savoir-faire, n'avait pas été appliqué à l'Inde et au Brésil, pour lesquels aucun panel spécifique n'avait été établi.

4. Pour établir le caractère non pertinent des comparables ainsi retenus à l'égard de ses filiales brésilienne et indiennes et justifier que l'écart entre le taux de rémunération de pleine concurrence et ceux effectivement pratiqués à l'égard de ces dernières s'explique par leur situation différente, la société requérante se prévaut de l'existence de contraintes locales d'ordre juridique, de contrôle des changes et pénal, limitant les taux de redevances pouvant être allouées et auxquelles elle était tenue de se conformer. Elle produit à cette fin, s'agissant du Brésil, un mémorandum établi par un cabinet d'avocats brésilien faisant état de la nécessité d'une inscription d'un contrat de licence de marque (" trademark License Agreement ") auprès de l'équivalent brésilien de l'INPI, laquelle est requise par la Banque centrale brésilienne (BACEN) pour le transfert des redevances de Bureau Véritas Brazil vers Bureau Véritas France et n'est approuvée notamment qu'à la condition que le taux de redevances n'excède pas 1% du total net des ventes des produits portant la marque, sous peine de non-déductibilité fiscale mais aussi d'incrimination pénale pour transfert illégal de devises à l'étranger " crime of foreign currency drain " pouvant conduire à l'emprisonnement des représentants de la société contrevenante. Par ailleurs, la règlementation brésilienne n'autorise une société locale à verser à une société étrangère des redevances de savoir-faire qu'au cours des cinq voire des dix premières années de l'introduction d'un nouveau procédé spécial. A défaut, aucun contrat de licence de savoir-faire ne peut être enregistré, ce qui entraîne, outre une absence de protection, le blocage par la banque centrale de tout transfert de fonds par la société concessionnaire à la société concédante. La filiale brésilienne ne pouvait bénéficier d'un tel contrat dès lors qu'elle a été constituée depuis plus de vingt ans et qu'aucun nouveau procédé spécial ne lui avait été concédé. La SA Bureau Véritas précise, s'agissant de l'Inde, que le taux de rémunération qu'une société est autorisée à verser à une société étrangère est égal à 2 % du chiffre d'affaires à l'export et 1% du chiffre d'affaires domestique pour l'utilisation de marques et de noms de marques d'un collaborateur étranger et respectivement 5 % et 8 % s'agissant pour les redevances de savoir-faire technique. Elle produit, en ce sens, une analyse d'un cabinet de " Chartered Accountants " relative à la filiale BV Certification India (BVCI), qui mentionne en outre que, depuis 2000, les entreprises ayant des collaborations en Inde doivent obtenir l'autorisation du gouvernement d'Inde (FIPB) pour verser de telles redevances et précisant que Bureau Véritas Certification India (private) Limited a obtenu une telle autorisation le 11 juin 2003 prévoyant le versement de redevances sous les plafonds de respectivement 2 % et 1 % pour l'utilisation de la marque, du " service mark " et du logo " BVQI ", autorisation d'ailleurs produite au dossier.

5. Si le ministre de l'action et des comptes publics soutient que la société n'apporte aucun élément de nature à établir l'existence d'une législation étrangère autre que fiscale susceptible d'interdire les redevances de savoir-faire et de limiter les taux de redevance de marques, il ne conteste toutefois pas sérieusement de telles limitationsen se bornant à faire valoir, dans un premier temps, l'absence de justification des législations locales invoquées, alors que les analyses produites par l'intéressée sont amplement documentées et circonstanciées, puis, dans un second temps, l'absence de contrainte autre que fiscale ou de change alors que, s'agissant du Brésil, il est fait état de contraintes de droit de la propriété intellectuelle ainsi que de nature pénale et, s'agissant de l'Inde, de plafonds prévus par le ministère du Commerce et de l'Industrie, d'ailleurs non contestés, ni discutés par l'administration fiscale. Ainsi et contrairement à ce que soutient l'administration, le plafonnement des redevances de marques ou de savoir-faire dans ces pays ne procède pas de leur législation fiscale mais de mesures, de portée générale large, principalement économique, visant protéger le marché intérieur. Dans ces conditions, en se fondant sur la documentation en matière de prix de transferts de la SA Bureau Véritas, elle-même fondée sur les prix pratiqués, dans des conditions de pleine concurrence, avec un panel de comparables indépendants, alors que le Brésil et l'Inde n'offrent pas de telles conditions et donc placent les filiales brésilienne et indiennes de la société dans une situation différente, à raison de contraintes réglementaires locales autres que fiscales en vigueur dans ces deux pays, le ministre de l'action et des comptes publics, qui ne propose par ailleurs aucune méthode alternative pouvant se substituer à cette comparaison, ne peut être regardé comme établissant l'existence d'un avantage qu'il est en droit de réintégrer dans les résultats de l'entreprise établie en France. Il ne saurait utilement faire valoir, à cet égard, que la prise en compte de ces contraintes locales " reviendrait à écarter, en France, l'application du principe de pleine concurrence, préconisé en droit interne en matière de prix de transfert ", dès lors, d'une part, qu'elles ne sont envisagées qu'à titre d'élément de fait et de constatation matérielle et non comme une appréciation de droit qui dicterait le traitement fiscal applicable en France et, d'autre part et par suite, que la non application, par un pays tiers, du principe de pleine-concurrence est sans influence sur l'imposition en cause.

6. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur le moyen de défense soulevé par la SA Bureau Véritas, que le ministre de l'action et des comptes publics n'est pas fondé à se plaindre que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montreuil a fait droit à la demande de la société. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'État le versement d'une somme de 2 000 euros à cette dernière au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête du ministre de l'action et des comptes publics est rejetée.

Article 2 : L'État versera à la SA Bureau Véritas une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

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N° 19VE01727


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Versailles
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 19VE01727
Date de la décision : 18/11/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

19-05-01 Contributions et taxes. - Impôts assis sur les salaires ou les honoraires versés. - Versement forfaitaire de 5 p. 100 sur les salaires et taxe sur les salaires.


Composition du Tribunal
Président : Mme DANIELIAN
Rapporteur ?: Mme Muriel DEROC
Rapporteur public ?: M. HUON
Avocat(s) : ASPIN AVOCATS AARPI

Origine de la décision
Date de l'import : 23/11/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.versailles;arret;2021-11-18;19ve01727 ?
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