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28/09/2021 | FRANCE | N°20VE02044

France | France, Cour administrative d'appel de Versailles, 3ème chambre, 28 septembre 2021, 20VE02044


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. E... B... a demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise de l'admettre au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire, d'annuler l'arrêté du 18 juin 2020 par lequel le préfet du Val-d'Oise l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel il est susceptible d'être reconduit, d'enjoindre au préfet du Val-d'Oise de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de deux mois suiva

nt la notification du jugement à intervenir et, enfin, de mettre à la charge de ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. E... B... a demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise de l'admettre au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire, d'annuler l'arrêté du 18 juin 2020 par lequel le préfet du Val-d'Oise l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel il est susceptible d'être reconduit, d'enjoindre au préfet du Val-d'Oise de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de deux mois suivant la notification du jugement à intervenir et, enfin, de mettre à la charge de l'État une somme de 1 500 euros à verser à son conseil, en application des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Par un jugement n° 2006165 du 24 juillet 2020, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Cergy-Pontoise a admis, à titre provisoire, M. B... au bénéfice de l'aide juridictionnelle, a annulé cet arrêté, a enjoint au préfet du Val-d'Oise de procéder au réexamen de la situation de M. B... dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement et de lui délivrer, dans cette attente, une autorisation provisoire de séjour, a mis à la charge de l'État la somme de 800 euros à verser à Me Raji en application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 et a rejeté le surplus des conclusions de la demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 14 août 2020, le préfet du Val-d'Oise demande à la cour d'annuler ce jugement.

Il soutient que le premier juge a, à tort, retenu l'existence d'une méconnaissance de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant alors que l'intéressé est entré en France en 2018, qu'il a déclaré lors de sa demande d'admission au séjour, être célibataire, sans enfant en France et avec deux enfants mineurs en A... d'Ivoire et que rien ne fait obstacle à ce que la cellule familiale qu'il constitue avec sa concubine et sa fille née en France se reconstitue là-bas.

..........................................................................................................

Par une décision du 31 mai 2021, le bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal de grande instance de Versailles a rejeté la demande d'aide juridictionnelle de M. B....

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention internationale des droits de l'enfant ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme Deroc a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. B..., ressortissant ivoirien né le 8 mai 1979 à Abobo-Abidjan (A... d'Ivoire), est entré en France le 21 mai 2018 et a sollicité son admission au séjour, le 4 janvier 2019, sur le fondement de l'article L. 741-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, au titre de l'asile. L'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) ayant rejeté sa demande le 17 juin suivant, décision confirmée par la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) le 20 décembre 2019, le préfet du Val-d'Oise l'a, par arrêté du 18 juin 2020, obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel il est susceptible d'être reconduit. Le préfet du Val-d'Oise fait appel du jugement du 24 juillet 2020 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Cergy-Pontoise a notamment annulé cet arrêté.

Sur l'admission provisoire au bénéfice de l'aide juridictionnelle de M. B... :

2. Selon l'article 20 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique, susvisée : " Dans les cas d'urgence (...), l'admission provisoire à l'aide juridictionnelle peut être prononcée (...) par la juridiction compétente ou son président. ".

3. Par une décision du 31 mai 2021, le bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Versailles a rejeté la demande d'aide juridictionnelle présentée par l'intéressé. Par voie de conséquence, ses conclusions tendant au bénéfice de l'aide juridictionnelle à titre provisoire doivent être rejetées.

Sur les conclusions présentées par le préfet du Val-d'Oise :

4. Pour annuler l'arrêté du 18 juin 2020 du préfet du Val-d'Oise, le premier juge a estimé que, dans les circonstances particulières de l'espèce, cet arrêté, qui a pour effet de séparer une toute jeune enfant de l'un de ses deux parents, porte une atteinte caractérisée à l'intérêt supérieur de la fille de M. B... et, par suite, méconnaît l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant.

5. Aux termes de l'article 3-1 de la convention relative aux droits de l'enfant signée à New York le 26 janvier 1990 : " Dans toutes les décisions qui concernent des enfants, qu'elles soient le fait d'institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ".

6. M. B... se prévaut de la naissance en France de sa fille, le 21 juin 2019, qu'il a eu avec une compatriote, titulaire d'une carte de résident valable jusqu'en 2025. Toutefois, s'il soutient vivre maritalement avec la mère de sa fille, il a indiqué, tant devant les premiers juges qu'en appel, demeurer chez " Coallia 95, dom. n°8345, 3 allée des platanes - CERGY ". Par ailleurs, il ne justifie pas, par les seules pièces qu'il produit, de l'intensité de ses relations avec sa fille, des modalités de prise en charge de celle-ci, ni ne précise d'ailleurs ses conditions et son lieu de vie. En outre, en tout état de cause, compte tenu du très jeune âge de l'enfant et en l'absence d'obstacle, établi ou même allégué, à la reconstitution de la cellule familiale en A... d'Ivoire dont sa concubine a la nationalité, l'arrêté attaqué ne méconnaît pas les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant.

7. Il résulte de ce qui précède que préfet du Val-d'Oise est fondé, pour ce motif, à soutenir que c'est à tort que, par le jugement entrepris du 24 juillet 2020, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Cergy-Pontoise a annulé l'arrêté du 18 juin 2020 pris à l'encontre de M. B....

8. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. B... devant la cour et le tribunal administratif de Cergy-Pontoise.

Sur le moyen commun aux décisions contestées :

9. L'arrêté attaqué été signé par Mme C... D..., adjointe au directeur des migrations et de l'intégration à la préfecture du Val-d'Oise, qui bénéficie d'une délégation permanente de signature en vertu d'un arrêté du préfet du Val-d'Oise n° 19-078 du 2 septembre 2019, publié au recueil des actes administratifs de la préfecture le même jour, aux fins de signer notamment " toute obligation de quitter le territoire français (OQTF) avec fixation ou non d'un délai de départ volontaire, toute décision fixant le pays de destination (...) ". Par suite, les moyens tirés de ce que les décisions contestées auraient été prises par une autorité incompétente pour ce faire doivent être écartés.

Sur la décision portant obligation de quitter le territoire français :

10. En premier lieu, M. B... fait valoir que la décision contestée ne ferait que reproduire des formules stéréotypées et que rien ne permettrait de s'assurer que le préfet du Val-d'Oise a effectivement procédé à un examen approfondi de sa situation personnelle. Toutefois, la décision refusant d'admettre M. B... au séjour au titre de l'asile mentionne l'article L. 741-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et expose, de façon suffisamment précise et circonstanciée, que la demande d'asile présentée par l'intéressé a fait l'objet d'un rejet de la part de l'OFPRA en date du 17 juin 2019, confirmé par la CNDA le 20 décembre suivant, qu'étant célibataire, la présente décision porterait une atteinte au droit de l'intéressé au respect de sa vie privée et familiale disproportionnée au regard du but poursuivi, qu'il n'entre dans aucun cas d'attribution de plein droit d'un titre de séjour et qu'il n'établit pas être exposé à des peines ou traitements contraires à la convention susmentionnée en cas de retour dans son pays d'origine. Cette décision, dont la rédaction n'est pas stéréotypée, comporte ainsi l'ensemble des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement. Si M. B... fait valoir, à cet égard, la présence en France de sa fille et de sa concubine, il n'établit, ni même n'allègue en avoir fait état au cours de l'instruction de sa demande d'admission au séjour, et le préfet fait valoir, sans être contesté, que l'intéressé s'est déclaré, dans sa demande, célibataire et sans enfant en France. Si M. B... fait également valoir, à cet égard, l'intérêt supérieur de son enfant, qu'il remplit les conditions légales pour obtenir un titre de séjour portant mention "vie privée et familiale" et que la décision emporte des conséquences exceptionnelles sur sa situation personnelle, ces considérations, qui ont trait à la légalité interne de la décision contestée, sont sans incidence sur le caractère suffisant ou non de sa motivation. Par suite, les moyens tirés de l'insuffisance de motivation et du défaut d'examen sérieux doivent être écartés.

11. En second lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / (...) ". Aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : / (...) / 7° A l'étranger ne vivant pas en état de polygamie, qui n'entre pas dans les catégories précédentes ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, dont les liens personnels et familiaux en France, appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'intéressé, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec la famille restée dans le pays d'origine, sont tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, sans que la condition prévue à l'article L. 313-2 soit exigée. L'insertion de l'étranger dans la société française est évaluée en tenant compte notamment de sa connaissance des valeurs de la République ".

12. M. B... se prévaut de la présence en France de sa fille, née le 21 juin 2019, et de sa concubine, compatriote titulaire d'une carte de résident valable jusqu'en 2025. Toutefois, il est constant qu'il n'est entré en France qu'au mois de mai 2018. En outre, comme indiqué précédemment, s'il soutient vivre maritalement avec la mère de sa fille, il a indiqué, tant devant les premiers juges qu'en appel, demeurer chez " Coallia 95, dom. n°8345, 3 allée des platanes - CERGY ". Par ailleurs, il ne justifie pas, par les seules pièces qu'il produit, de l'intensité de ses relations avec sa fille, des modalités de prise en charge de celle-ci, ni ne précise d'ailleurs ses conditions et son lieu de vie. Enfin, l'intéressé n'apporte aucun document justifiant d'une activité professionnelle, ou d'une quelconque forme d'intégration sociale. Il ne démontre pas, à l'inverse, qu'il n'aurait plus aucune attache dans le pays dont il a la nationalité, où vivent deux de ses enfants et dans lequel il a résidé jusqu'à l'âge de 39 ans. Comme indiqué précédemment, il n'est fait état d'aucun obstacle à ce que sa cellule familiale se reconstitue dans son pays d'origine. Dans ces conditions, M. B... n'est pas fondé à soutenir que la décision attaquée aurait porté à son droit au respect de sa privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels elle a été prise. Les moyens tirés de la méconnaissance des dispositions du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, des stipulations précitées de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'erreur manifeste d'appréciation des conséquences de cette décision sur sa situation personnelle ne peuvent qu'être écartés.

Sur la décision fixant le pays de destination :

13. En premier lieu, la décision vise les textes dont elle fait application et notamment l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ainsi que la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Elle mentionne également que M. B... n'établit pas être exposé à des peines, ou des traitements contraires à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales en cas de retour dans son pays d'origine. M. B... n'est ainsi pas fondé à soutenir que la décision fixant le pays de destination est insuffisamment motivée, ni que le préfet n'aurait pas procédé à un examen suffisant de sa situation personnelle.

14. En deuxième lieu, M. B..., qui fait valoir que la décision contestée serait entachée d'une erreur de droit en ce que le préfet " ne s'est fondé sur aucun article afin d'établir la A... d'Ivoire comme pays de destination, alors que sa situation personnelle, sa famille et ses attaches stables se trouvent en France et non plus en A... d'Ivoire. ", doit être regardé comme se prévalant d'un défaut de base légale et de la méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Toutefois et d'une part, pour prononcer la décision contestée, le préfet du Val-d'Oise s'est expressément fondé sur le I de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile selon lequel " Pour satisfaire à l'obligation qui lui a été faite de quitter le territoire français, l'étranger rejoint le pays dont il possède la nationalité ou tout autre pays non membre de l'Union européenne avec lequel ne s'applique pas l'acquis de Schengen où il est légalement admissible. (...). L'obligation de quitter le territoire français fixe le pays à destination duquel l'étranger est renvoyé en cas d'exécution d'office. ". D'autre part, pour les mêmes motifs que ceux rappelés au point 12., la décision attaquée n'a pas porté au droit de M. B... au respect de sa privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels elle a été prise. Le moyen ainsi soulevé ne peut donc qu'être écarté.

15. En troisième lieu, pour les mêmes motifs que ceux rappelés aux points précédents, les moyens tirés de ce que la décision contestée serait entachée d'une erreur manifeste d'appréciation et méconnaîtrait l'intérêt supérieur de la fille de M. B... ne peuvent qu'être écartés.

16. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet du Val-d'Oise est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Cergy-Pontoise a notamment annulé l'arrêté attaqué et lui a enjoint de procéder au réexamen de la situation de M. B.... Les conclusions de ce dernier présentées au titre au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 ne peuvent, par suite, qu'être rejetées.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 2006165 du 24 juillet 2020 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Cergy-Pontoise est annulé.

Article 2 : La demande présentée par M. B... devant le tribunal administratif de Cergy-Pontoise et ses conclusions d'appel sont rejetées.

3

N° 20VE02044


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Versailles
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 20VE02044
Date de la décision : 28/09/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-03 Étrangers. - Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : Mme DANIELIAN
Rapporteur ?: Mme Muriel DEROC
Rapporteur public ?: M. HUON
Avocat(s) : RAJI

Origine de la décision
Date de l'import : 05/10/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.versailles;arret;2021-09-28;20ve02044 ?
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