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21/07/2021 | FRANCE | N°19VE03879

France | France, Cour administrative d'appel de Versailles, 2ème chambre, 21 juillet 2021, 19VE03879


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La commune de Clichy-sous-Bois a demandé au tribunal administratif de Montreuil d'annuler l'arrêté interministériel en date du 27 septembre 2017 par lequel le ministre de l'intérieur, le ministre de l'économie et des finances et le ministre des comptes publics ont rejeté sa demande de reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle au sujet d'un mouvement de terrains consécutif à la sécheresse et à la réhydratation des sols entre le 1er juin et le 31 décembre 2016 ainsi que la décision implicite pa

r laquelle le ministre de l'intérieur a rejeté son recours gracieux.

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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La commune de Clichy-sous-Bois a demandé au tribunal administratif de Montreuil d'annuler l'arrêté interministériel en date du 27 septembre 2017 par lequel le ministre de l'intérieur, le ministre de l'économie et des finances et le ministre des comptes publics ont rejeté sa demande de reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle au sujet d'un mouvement de terrains consécutif à la sécheresse et à la réhydratation des sols entre le 1er juin et le 31 décembre 2016 ainsi que la décision implicite par laquelle le ministre de l'intérieur a rejeté son recours gracieux.

Par un jugement n° 1803501 du 2 octobre 2019, le tribunal administratif de Montreuil a annulé l'arrêté interministériel en date du 27 septembre 2017 en tant qu'il a rejeté la demande de reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle présentée par la commune de Clichy-sous-Bois ainsi que les décisions du ministre de l'intérieur rejetant le recours gracieux de la commune.

Procédure devant la cour :

Par un recours enregistré le 21 novembre 2019, le ministre de l'intérieur, représenté par Me Fergon, avocat, demande à la cour :

1° d'annuler ce jugement ;

2° de rejeter la demande de première instance de la commune de Clichy-sous-Bois ;

3° de mettre à la charge de la commune de Clichy-sous-Bois le versement de la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Le ministre de l'intérieur soutient que :

- le motif retenu par les premiers juges pour annuler l'arrêté en cause a disparu du fait de la production du procès-verbal de la réunion de la commission interministérielle réunie le 19 septembre 2017 qui énonce la qualité des membres présents et atteste la régularité de la réunion de cette instance ;

- c'est à tort que la commune soutient que les ministres se seraient à tort crus tenus par l'avis de la commission interministérielle et auraient ainsi méconnu l'étendue de leur compétence ;

- en l'espèce, s'agissant de dégâts assurables, la reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle est soumise à un double critère d'intensité et d'anormalité de l'agent naturel à l'origine des dégâts ;

- la commune n'apporte pas la preuve de ce que les critères retenus en l'espèce ne sont pas adaptés à sa situation alors qu'ils reposent sur des analyses scientifiques précises ;

- la commune ne démontre pas davantage l'existence d'une erreur manifeste d'appréciation dès lors qu'elle n'apporte pas d'éléments pertinents sur la nature de la sécheresse, la pluviométrie et l'humidité du sol ;

- sur la base des chiffres établis par Météo France, aucun critère d'intensité ou d'anormalité ne peut être retenu pour justifier la reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle.

...................................................................................................................

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code des assurances ;

- la loi n° 82-600 du 13 juillet 1982 relative à l'indemnisation des victimes de catastrophes naturelles ;

- la circulaire interministérielle du 27 mars 1984 relative à l'indemnisation des victimes de catastrophes naturelles ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme A...,

- et les conclusions de M. Bouzar, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. La commune de Clichy-sous-Bois, s'estimant en état de catastrophe naturelle, a présenté au préfet de la Seine Saint-Denis une demande de reconnaissance de cet état au titre d'un phénomène de mouvements différentiels de terrains consécutifs à la sécheresse et à la réhydratation des sols au cours de la période comprise entre le 1er juin et le 31 décembre 2016 sur le fondement de l'article L. 125-1 du code des assurances. Par l'arrêté interministériel du 27 septembre 2017, le ministre de l'intérieur, le ministre de l'économie et des finances et le ministre des comptes publics n'ont pas retenu la commune de Clichy-sous-Bois sur la liste des communes pour lesquelles l'état de catastrophe naturelle a été constaté au titre de la période en cause. Par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montreuil a annulé cette décision en se fondant sur la circonstance qu'en l'absence de justification de la composition de la commission consultative qui s'est réunie pour donner un avis sur la demande de la commune de Clichy-sous-Bois, la commune devait être regardée comme ayant été privée d'une garantie et que la procédure au terme de laquelle était intervenu l'arrêté interministériel était irrégulière. Le ministre de l'intérieur relève appel de ce jugement.

Sur la fin de non-recevoir soulevée par la commune de Clichy-sous-Bois :

2. Il ressort des termes de la requête présentée par le ministre de l'intérieur que celui-ci doit être regardé comme ayant entendu demander l'annulation du jugement litigieux du tribunal administratif de Montreuil en date du 2 octobre 2019 ainsi que le rejet de la demande présentée devant le tribunal administratif par la commune de Clichy-sous-Bois. Par suite, la fin de non-recevoir soulevée par la commune tirée de ce que le mémoire introductif d'instance devant la cour ne demande pas expressément l'annulation de ce jugement doit être écartée.

Sur le fond du litige :

3. Le ministre de l'intérieur produit devant la cour la liste des membres de la commission interministérielle consultative réunie le 19 septembre 2017 pour émettre un avis sur la demande de reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle introduite par la commune de Clichy-sous-Bois. La commune de Clichy-sous-Bois a soulevé de manière purement hypothétique le moyen tiré de ce que la régularité de la composition de la commission n'est pas démontrée. Par suite, le ministre de l'intérieur est fondé à soutenir que le motif d'annulation retenu par les premiers juges manque en fait.

4. Il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par la commune devant le tribunal administratif de Montreuil.

5. Aux termes de l'article L. 125-1 du code des assurances : " (...) Sont considérés comme les effets des catastrophes naturelles, au sens du présent chapitre, les dommages matériels directs non assurables ayant eu pour cause déterminante l'intensité anormale d'un agent naturel, lorsque les mesures habituelles à prendre pour prévenir ces dommages n'ont pu empêcher leur survenance ou n'ont pu être prises. / L'état de catastrophe naturelle est constaté par arrêté interministériel qui détermine les zones et les périodes où s'est située la catastrophe ainsi que la nature des dommages résultant de celle-ci couverts par la garantie visée au premier alinéa du présent article. Cet arrêté précise, pour chaque commune ayant demandé la reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle, la décision des ministres. Cette décision est ensuite notifiée à chaque commune concernée par le représentant de l'Etat dans le département, assortie d'une motivation (...) ".

6. Si les dispositions de l'article L. 125-1 du code des assurances précitées exigent que la décision des ministres, assortie de sa motivation, soit, postérieurement à la publication de l'arrêté, notifiée par le représentant de l'État dans le département à chaque commune concernée, elles ne sauraient être interprétées comme imposant une motivation en la forme de l'arrêté de reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle qui serait une condition de légalité de ce dernier. Ainsi la circonstance que la lettre de notification du préfet de la Seine Saint-Denis serait insuffisamment motivée est sans incidence sur la légalité de l'arrêté interministériel litigieux.

7. Il résulte des dispositions de l'article L. 125-1 du code des assurances que le législateur a entendu confier aux ministres concernés la compétence pour se prononcer sur les demandes des communes tendant à la reconnaissance sur leur territoire de l'état de catastrophe naturelle. Il leur appartient, à cet effet, d'apprécier l'intensité et l'anormalité des agents naturels en cause sur le territoire des communes concernées. Ils peuvent légalement, même en l'absence de dispositions législatives ou réglementaires le prévoyant, s'entourer, avant de prendre les décisions relevant de leurs attributions, des avis qu'ils estiment utiles de recueillir et s'appuyer sur des méthodologies et paramètres scientifiques, sous réserve que ceux-ci apparaissent appropriés, en l'état des connaissances, pour caractériser l'intensité des phénomènes en cause et leur localisation, qu'ils ne constituent pas une condition nouvelle à laquelle la reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle serait subordonnée ni ne dispensent les ministres d'un examen particulier des circonstances propres à chaque commune. Il incombe enfin aux ministres concernés de tenir compte de l'ensemble des éléments d'information ou d'analyse dont ils disposent, le cas échéant à l'initiative des communes concernées.

8. La commission interministérielle prévue par la circulaire interministérielle du 27 mars 1984 n'a pour mission que d'éclairer les ministres sur l'application à chaque commune des méthodologies et paramètres scientifiques permettant de caractériser les phénomènes naturels en cause, notamment ceux issus des travaux de Météo France, les avis qu'elle émet ne liant pas les autorités dont relève la décision. Il ressort des pièces du dossier qu'en s'appuyant sur les résultats issus de la méthodologie élaborée par cet organisme ainsi que sur l'avis de cette commission pour apprécier l'existence, dans les communes concernées, d'un état de catastrophe naturelle, les ministres n'ont, en l'espèce, pas méconnu l'étendue de leur compétence.

9. Il ressort des pièces du dossier que, pour instruire les demandes de reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle à raison des mouvements de terrain différentiels consécutifs à la sécheresse et à la réhydratation des sols constatés au cours de l'année 2016, les ministres se sont fondés sur une méthode développée par Météo France, dite " SIM ", qui utilise l'ensemble des données pluviométriques et permet de réaliser une modélisation du bilan hydrique des sols argileux sur l'ensemble du territoire français, divisé en mailles carrées de 8 kilomètres de côté, pour chacune desquelles est évalué le seuil à partir duquel le phénomène de retrait-gonflement issu de la sécheresse est considéré comme intense et anormal. Ainsi, en période hivernale, le phénomène de sécheresse est reconnu comme intense et anormal si l'indice d'humidité du sol est inférieur à 80% de la normale durant une décade du trimestre de recharge, de janvier à mars. En période estivale, la sécheresse géotechnique peut être classée en état de catastrophe naturelle si l'indice moyen d'humidité du sol mesuré sur la base d'un index dit SWI " Soil Wetness Index " au cours du 3ème trimestre de l'année 2016 est inférieur à 70% de la normale et si le nombre de décades pendant lesquelles cet indice est inférieur à 0,27 est l'une des trois périodes les plus longues constatées depuis les 20 dernières années (1989-2009) ou si cet indice d'humidité des 9 décades composant la période allant du mois de juillet au mois de septembre est si faible que le temps de retour à la normale de la moyenne représente au moins 25 années. Ces deux critères, d'ailleurs alternatifs, destinés à mesurer les sécheresses estivales, sont de nature à identifier une sécheresse d'une intensité anormale et, par suite, répondent aux objectifs définis à l'article L. 125-1 du code des assurances. Il en résulte que l'arrêté interministériel n'est pas entaché d'une erreur de droit du fait de la détermination des critères d'appréciation des agents naturels en cause dans la catastrophe naturelle dont la commune de Clichy-sous-Bois s'estime victime.

10. Il ressort des pièces du dossier et, notamment, de la fiche technique établie par Météo France que, s'agissant de la sécheresse hivernale, l'indice d'humidité des deux mailles géographiques auxquelles se rattache la commune représentait 96 et 101% de la normale, supérieur à l'indice de 80% en deçà duquel le phénomène de sécheresse pourrait être reconnu comme intense et anormal. S'agissant de la sécheresse estivale, concernant le premier critère, le rapport de la moyenne de l'indice d'humidité du sol superficiel du 3ème trimestre 2016 à la moyenne de cet indice s'établit à 137 % et 125% pour chacune des deux mailles, supérieur à l'indice de 70% mentionné au point précédent, la durée de retour à la moyenne des indices d'humidité du sol s'établissant à un an, au lieu de plus de 25 ans. Par suite, et alors que la commune de Clichy-sous-Bois n'apporte aucune précision de nature à justifier que le découpage par Météo France du territoire en mailles de 8 kilomètres de côté serait inapproprié à sa situation particulière et qu'elle ne démontre pas davantage l'inadéquation du critère de temps de retour établi par Météo France, l'erreur d'appréciation dont serait entaché l'arrêté interministériel en litige n'est pas établie.

11. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l'intérieur est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montreuil a accueilli la demande de première instance de la commune de Clichy-sous-Bois.

Sur l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme que la commune de Clichy-sous-Bois demande à ce titre. Il y a lieu en revanche de mettre à la charge de la commune de Clichy-sous-Bois au titre des mêmes dispositions la somme de 2 000 euros à verser à l'Etat, qui a constitué avocat.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n°1803501 du 2 octobre 2019 du tribunal administratif de Montreuil est annulé.

Article 2 : La demande présentée par la commune de Clichy-sous-Bois devant le tribunal administratif de Montreuil ainsi que ses conclusions présentées en appel sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : La commune de Clichy-sous-Bois versera à l'Etat la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

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N° 19VE03879


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Versailles
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 19VE03879
Date de la décision : 21/07/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. OLSON
Rapporteur ?: Mme Sophie COLRAT
Rapporteur public ?: M. BOUZAR
Avocat(s) : SELAS ARCO-LEGAL

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.versailles;arret;2021-07-21;19ve03879 ?
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