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10/06/2021 | FRANCE | N°20VE00004

France | France, Cour administrative d'appel de Versailles, 3eme chambre, 10 juin 2021, 20VE00004


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... C... a demandé au tribunal administratif de Versailles d'annuler l'arrêté du 28 août 2019 par lequel le préfet de l'Essonne lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination.

Par un jugement n° 1906832 du 5 décembre 2019, le magistrat désigné par le tribunal administratif Versailles a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 2 janvier 2020, M. C... représenté par M

e Netry, avocat, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler l'arrêté du 28 ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... C... a demandé au tribunal administratif de Versailles d'annuler l'arrêté du 28 août 2019 par lequel le préfet de l'Essonne lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination.

Par un jugement n° 1906832 du 5 décembre 2019, le magistrat désigné par le tribunal administratif Versailles a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 2 janvier 2020, M. C... représenté par Me Netry, avocat, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler l'arrêté du 28 août 2019 ;

3°) d'enjoindre au préfet de l'Essonne de lui délivrer une carte de séjour temporaire sur le fondement de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

4°) de mettre à la charge de l'État la somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- la décision en litige est insuffisamment motivée ;

- le respect des droits de la défense et du droit d'être entendu a été méconnu ;

- le préfet n'a pas apprécié l'opportunité d'une mesure de régularisation au regard de la situation personnelle de l'intéressé ;

- les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ont été méconnues ;

- la décision en litige est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;

- elle a méconnu les dispositions de l'article L.313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- elle est dépourvue de base légale ;

- la décision lui faisant obligation de quitter le territoire français est illégale par voie d'exception de l'illégalité du refus de titre de séjour.

Par un courrier du 20 avril 2021, la cour a informé les parties, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt à intervenir est susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de ce que la décision du 28 août 2019 par laquelle le préfet de l'Essonne a obligé M. C... à quitter le territoire dans un délai de trente jours pouvait être légalement fondée, par substitution de base légale avec le même pouvoir d'appréciation et sans priver l'intéressé d'aucune garantie, sur les dispositions du 2° de l'article L. 511-1-I du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile au lieu du 1° du même article.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme E... a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. B... C..., ressortissant tunisien né le 20 août 2000, est entré sur le territoire français le 9 janvier 2015 sous couvert d'un visa court séjour. A la suite d'un contrôle d'identité le 28 août 2019, le préfet de l'Essonne lui a, par un arrêté du même jour, fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination. M. C... fait appel du jugement du 5 décembre 2019 par lequel le magistrat désigné par le tribunal administratif Versailles a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Si M. C... soutient que le premier juge a omis de statuer sur le moyen tiré de la méconnaissance de l'article L.313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile au regard de sa situation personnelle, il résulte des termes mêmes du jugement que le tribunal a expressément répondu à ce moyen au point 3., pour l'écarter comme inopérant. Par suite, ce moyen doit être écarté.

Sur la légalité de l'arrêté litigieux :

3. En premier lieu, l'article 1er de la loi du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs et à l'amélioration des relations entre l'administration et le public, désormais codifié à l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration, prévoit que : " Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent.(...) ". Aux termes de l'article 3 de cette loi, désormais repris à l'article L. 211-5 du même code : " La motivation exigée par la présente loi doit être écrite et comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision ". Enfin, aux termes du I de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La décision énonçant l'obligation de quitter le territoire français est motivée ".

4. L'arrêté du 28 août 2019 vise les textes dont il fait application, notamment la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et mentionne les circonstances de fait propres à la situation personnelle de M. C... sur lesquels le préfet s'est fondé pour l'obliger à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et pour fixer le pays de destination. L'arrêté attaqué comportant l'énoncé des considérations de fait et de droit qui en constituent le fondement, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation doit, par suite, être écarté comme manquant en fait.

5. En deuxième lieu, aux termes de l'article 41 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : " 1. Toute personne a le droit de voir ses affaires réglées impartialement, équitablement et dans un délai raisonnable par les institutions et organes de l'Union. / 2. Ce droit comporte notamment : / - le droit de toute personne d'être entendue avant qu'une mesure individuelle qui l'affecterait défavorablement ne soit prise à son encontre (...) " et aux termes de l'article 51 de cette charte : " 1. Les dispositions de la présente Charte s'adressent aux institutions et organes de l'Union dans le respect du principe de subsidiarité, ainsi qu'aux Etats membres uniquement lorsqu'ils mettent en oeuvre le droit de l'Union. En conséquence, ils respectent les droits, observent les principes et en promeuvent l'application, conformément à leurs compétences respectives. / (...) ". Si le moyen tiré de la violation de l'article 41 précité par un État membre de l'Union européenne est inopérant dès lors qu'il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne que cet article ne s'adresse qu'aux organes et aux organismes de l'Union, le droit d'être entendu, qui fait partie intégrante du respect des droits de la défense, principe général du droit de l'Union, implique que l'autorité préfectorale, avant de prendre à l'encontre d'un étranger une décision portant obligation de quitter le territoire français, mette l'intéressé à même de présenter ses observations écrites et lui permette, sur sa demande, de faire valoir des observations orales, de telle sorte qu'il puisse faire connaître, de manière utile et effective, son point de vue sur la mesure envisagée avant qu'elle n'intervienne.

6. Il ressort des pièces du dossier, et notamment du procès-verbal d'audition sur la situation administrative du requérant produit par le préfet de l'Essonne en première instance, que M. C... a été auditionné le 28 août 2019 à la suite de son interpellation après un contrôle d'identité et a été interrogé, lors de cette audition, sur les conditions de son entrée et de son séjour sur le territoire français, sur sa situation personnelle et familiale en France et a été mis à même de présenter des observations sur la mesure d'éloignement envisagée à son encontre. Dans ces conditions, M. C... n'est pas fondé à soutenir qu'il a été privé de la possibilité de présenter des observations avant l'édiction de la décision en litige.

7. En troisième lieu, aux termes du I de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative peut obliger à quitter le territoire français un étranger non ressortissant d'un Etat membre de l'Union européenne (...), lorsqu'il se trouve dans l'un des cas suivants : 1° Si l'étranger ne peut justifier être entré régulièrement sur le territoire français, à moins qu'il ne soit titulaire d'un titre de séjour en cours de validité ; 2° Si l'étranger s'est maintenu sur le territoire français au-delà de la durée de validité de son visa ou, s'il n'est pas soumis à l'obligation du visa, à l'expiration d'un délai de trois mois à compter de son entrée sur le territoire sans être titulaire d'un premier titre de séjour régulièrement délivré ; 3° Si la délivrance ou le renouvellement d'un titre de séjour a été refusé à l'étranger (...) ".

8. Lorsqu'il constate que la décision contestée devant lui aurait pu être prise, en vertu du même pouvoir d'appréciation, sur le fondement d'un autre texte que celui dont la méconnaissance est invoquée, le juge de l'excès de pouvoir peut substituer ce fondement à celui qui a servi de base légale à la décision attaquée, sous réserve que l'intéressé ait disposé des garanties dont est assortie l'application du texte sur le fondement duquel la décision aurait dû être prononcée. Une telle substitution relevant de l'office du juge, celui-ci peut y procéder de sa propre initiative, au vu des pièces du dossier, mais sous réserve, dans ce cas, d'avoir au préalable mis les parties à même de présenter des observations sur ce point.

9. Il ressort des pièces du dossier que pour édicter la mesure d'éloignement à l'encontre de M. C..., le préfet s'est fondé sur le 1° du I de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Il est toutefois constant, ainsi qu'il ressort des énonciations mêmes de l'arrêté contesté que M. C... justifiait d'une entrée régulière sur le territoire français, et s'est maintenu sur le territoire français au-delà de la durée de validité de son visa sans être titulaire d'un titre de séjour. Il s'ensuit que si la décision l'obligeant à quitter le territoire français ne pouvait être prise sur le fondement des dispositions du 1° du I. de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, cette mesure d'éloignement, motivée par l'irrégularité du séjour de M. C..., trouve son fondement légal dans les dispositions du 2° du même article qui peuvent être substituées à celles du 1° dès lors que cette substitution de base légale, dont les parties ont été informées de ce que la cour entendait y procéder, n'a pas pour effet de priver l'intéressé d'une garantie et que l'administration dispose du même pouvoir d'appréciation pour appliquer l'une ou l'autre de ces deux dispositions. Par suite, le moyen tiré de l'erreur de droit doit être écarté.

10. En quatrième lieu, M. C... se prévaut d'un moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile par la décision portant obligation de quitter le territoire français qui lui est opposée. Toutefois, lorsque la loi prescrit l'attribution de plein droit d'un titre de séjour à un étranger, cette circonstance fait obstacle à ce qu'il puisse légalement être l'objet d'une mesure d'obligation de quitter le territoire français. Tel n'est pas le cas de la mise en oeuvre des dispositions de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, lesquelles ne prescrivent pas la délivrance d'un titre de plein droit mais laissent à l'administration un large pouvoir pour apprécier si l'admission au séjour d'un étranger répond à des considérations humanitaires ou si elle se justifie au regard des motifs exceptionnels dont l'intéressé se prévaut. Il en résulte qu'un étranger ne peut pas utilement invoquer le moyen tiré de la méconnaissance de l'article L. 313-14 à l'encontre d'une obligation de quitter le territoire français alors qu'il n'avait pas présenté une demande de titre de séjour sur le fondement de cet article et que l'autorité compétente n'a pas procédé à un examen d'un éventuel droit au séjour à ce titre. En l'espèce, il est constant que le requérant n'a présenté aucune demande de titre de séjour, avant de faire l'objet de la mesure d'éloignement attaquée, ainsi qu'il l'a lui-même déclaré lors de son audition par les autorités de police le 28 août 2019. Le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article L.313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ne peut donc qu'être écarté comme inopérant. Il en va de même, en tout état de cause, du moyen tiré de la méconnaissance, par le préfet de l'Essonne, de son pouvoir discrétionnaire de régularisation.

11. En cinquième lieu, aux termes des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".

12. Si M. C... fait valoir qu'il justifie de cinq années de scolarité en France depuis son arrivée en 2015, et était inscrit pour l'année 2019-2020 en lycée professionnel, il n'établit, ni même n'allègue, être dans l'impossibilité de poursuivre ses études dans son pays d'origine. Si l'intéressé se prévaut, sans autre précision, de la présence en France de ses parents, qui le prennent en charge financièrement, il n'apporte toutefois aucun élément sur la régularité de leur séjour, ni sur l'intensité des liens affectifs l'unissant à ces derniers, alors même qu'il ressort des pièces du dossier que M. C... a été placé et confié à la direction de la prévention et de la protection de l'Essonne dès son arrivée sur le territoire en 2015 et jusqu'au 4 septembre 2017, date à compter de laquelle le juge des enfants a toutefois ordonné une mesure d'assistance éducative en milieu ouvert pour 6 mois avec droit de visite et d'hébergement en faveur de ses parents, mesure non exécutée et levée à compter du 20 mars 2018. Enfin, l'intéressé qui est célibataire et sans charge de famille, n'établit pas davantage, ni même n'allègue, être dépourvu d'attaches dans son pays d'origine où il a vécu jusqu'à l'âge de 14 ans. Dans ces conditions, le préfet de l'Essonne n'a pas porté au droit au respect de la vie privée et familiale de M. C... une atteinte disproportionnée au regard des buts en vue desquels il a pris la décision attaquée et n'a, dès lors, pas méconnu l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Pour les mêmes motifs, le moyen tiré de l'erreur manifeste d'appréciation dont serait entachée la décision en cause quant à l'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle doit être écarté.

13. En dernier lieu, M. C... ne saurait utilement soutenir que la décision portant obligation de quitter le territoire français serait illégale en raison de l'illégalité de la décision portant refus de titre de séjour, dès lors que l'arrêté en cause se borne à l'obliger à quitter le territoire français et ne comporte pas de décision portant refus de titre de séjour.

14. Il résulte de tout ce qui précède que M. C... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné du tribunal de Versailles a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction ainsi que celles présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de M. C... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... C... et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée au préfet de l'Essonne.

Délibéré après l'audience du 25 mai 2021, à laquelle siégeaient :

Mme E..., présidente,

Mme D..., première conseillère,

Mme A..., première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 10 juin 2021.

La présidente-rapporteure,

I. E...L'assesseure la plus ancienne,

M-G. D...La greffière,

A. FoulonLa République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme

La greffière,

N° 20VE00004 2


Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Exces de pouvoir

Références :

Publications
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Composition du Tribunal
Président : Mme DANIELIAN
Rapporteur ?: Mme Isabelle DANIELIAN
Rapporteur public ?: M. HUON
Avocat(s) : NETRY

Origine de la décision
Tribunal : Cour administrative d'appel de Versailles
Formation : 3eme chambre
Date de la décision : 10/06/2021
Date de l'import : 15/06/2021

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 20VE00004
Numéro NOR : CETATEXT000043647589 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.versailles;arret;2021-06-10;20ve00004 ?
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