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10/06/2021 | FRANCE | N°18VE03133

France | France, Cour administrative d'appel de Versailles, 3eme chambre, 10 juin 2021, 18VE03133


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. G... E..., mandataire de la SARL Finance Carbone, a demandé au tribunal administratif de Montreuil de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des rappels de taxe sur la valeur ajoutée mis à la charge de cette société au titre de la période allant du 1er septembre 2008 au 31 octobre 2009, pour un montant global de 127 523 087 euros.

Par un jugement n° 1443785 du 2 juillet 2018, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une re

quête enregistrée le 9 septembre 2018, M. E..., agissant en qualité de mandataire de la SARL...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. G... E..., mandataire de la SARL Finance Carbone, a demandé au tribunal administratif de Montreuil de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des rappels de taxe sur la valeur ajoutée mis à la charge de cette société au titre de la période allant du 1er septembre 2008 au 31 octobre 2009, pour un montant global de 127 523 087 euros.

Par un jugement n° 1443785 du 2 juillet 2018, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 9 septembre 2018, M. E..., agissant en qualité de mandataire de la SARL Finance Carbone, représenté par Me Grifat, avocat, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement ;

2°) de confirmer le dégrèvement des rappels d'imposition en litige, accordé le 12 juillet 2013 ;

3°) de mettre à la charge de l'État les frais irrépétibles.

Il soutient que :

- la procédure est entachée d'un détournement et d'une atteinte aux droits de la défense du contribuable dans la mesure où l'avis de mise en recouvrement du 21 décembre 2012 a été irrégulièrement notifié et que le dégrèvement accordé le 12 juillet 2013 revêtait un caractère définitif ; en outre, les opérations de liquidation ont été clôturées en juin 2010 de sorte que les rappels ne pouvaient plus être recouvrés par l'avis de mise en recouvrement du 10 septembre 2013, la créance fiscale n'ayant jamais été inscrite au passif de liquidation de la société ;

- la société Finance Carbone n'a pas été avertie, après l'interlocution départementale, du maintien de l'ensemble des rappels et pénalités, ni auprès de son mandataire, ni de son conseil ;

- les rappels sont insuffisamment motivés au regard des documents qui les fondent, en méconnaissance de l'article L. 57 du livre des procédures fiscales ;

- les rappels mis à sa charge reposent sur un simple doute et un faisceau d'indices et la SARL conteste avoir eu connaissance de la fraude supposée de ses fournisseurs ; il incombe au service d'établir la preuve qu'elle n'ignorait pas les défaillances fiscales de ses fournisseurs, cette preuve devant reposer sur des éléments objectifs, conformément à l'instruction du 30 novembre 2007, 3 A-7-07 n° 7 ;

- elle a réalisé tous les contrôles et les diligences requis et à sa portée à l'égard de ses fournisseurs ;

- les exigences mises à sa charge sont excessives et portent atteinte aux principes communautaires de sécurité juridique et de proportionnalité ;

- elle n'a jamais réalisé un résultat du montant de 127 523 087 euros.

Par un mémoire en défense enregistré le 6 février 2019, le ministre de l'action et des comptes publics conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que :

- la requête est irrecevable dès lors d'une part, qu'elle est tardive et, d'autre part, qu'elle est insuffisamment motivée car elle reproduit intégralement et exclusivement sa demande de première instance ;

- aucun des moyens soulevés par M. E... n'est fondé.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la directive 77/388/CEE du Conseil du 17 mai 1977 ;

- la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme C...,

- les conclusions de M. Huon, rapporteur public,

- et les observations de Mmes D... et A... pour le Ministre de l'économie, des finances et de la relance.

Considérant ce qui suit :

1. La SARL Finance Carbone, dont l'objet social était la réalisation d'" opérations effectuées sur les marchés pour compte propre, d'opérations sur option et autres opérations d'arbitrage et notamment la vente et l'achat de quotas de carbone " a fait l'objet, à la suite de sa dissolution et de sa liquidation amiable, d'une vérification de comptabilité au titre de la période du 1er septembre 2008 au 31 octobre 2009. A l'issue de ce contrôle, l'administration fiscale a remis en cause, sur le fondement des dispositions combinées des articles 256 et 271 du code général des impôts, le droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée figurant sur les factures émises par deux fournisseurs portant sur l'acquisition de quotas d'émissions de gaz à effet de serre au motif qu'elle savait ou aurait dû savoir que, par ces opérations, elle participait à une fraude à la taxe sur la valeur ajoutée et lui a notifié, par une proposition de rectification du 10 octobre 2011, des rappels de taxe sur la valeur ajoutée d'un montant total, en droits et pénalités, de 127 523 087 euros, au titre de la période allant du 1er septembre 2008 au 31 octobre 2009. Par la requête susvisée, M. E..., ancien gérant et associé unique, désigné mandataire ad litem de la SARL Finance Carbone, fait appel du jugement du 2 juillet 2018 par lequel le tribunal administratif de Montreuil a refusé de décharger la SARL Finance Carbone des rappels de taxe sur la valeur ajoutée ainsi mis à sa charge.

Sur la régularité de la procédure :

2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 57 du livre des procédures fiscales : " L'administration adresse au contribuable une proposition de rectification qui doit être motivée de manière à lui permettre de formuler ses observations ou de faire connaître son acceptation (...) ". Il résulte de ces dispositions que, pour être régulière, une proposition de rectification doit comporter la désignation de l'impôt concerné, l'année d'imposition et la base d'imposition, et énoncer les motifs sur lesquels l'administration entend se fonder pour justifier les rectifications envisagées, de manière à permettre au contribuable de formuler ses observations de façon entièrement utile. En revanche, sa régularité ne dépend pas du bien-fondé de ces motifs.

3. Il résulte de l'instruction que la proposition de rectification du 10 octobre 2011 comporte la désignation de la taxe qui est l'objet du rappel et de la période objet du redressement, ainsi que des bases de cette imposition. Elle précise également l'origine et la nature des renseignements qu'elle a obtenus dans le cadre d'une autre vérification de comptabilité et de la mise en oeuvre du droit de communication. Elle indique également les motifs des rappels proposés, et notamment les différents éléments qui ont conduit l'administration à considérer que la SARL Finance Carbone ne pouvait ignorer qu'elle participait à une fraude à la taxe sur la valeur ajoutée, et les fondements juridiques permettant au service de remettre en cause le bénéfice du régime d'exonération de taxe sur la valeur ajoutée. Enfin, elle détaille les conséquences financières pour la société des rappels envisagés. Ces éléments étaient suffisants pour permettre à la société de présenter utilement ses observations, sans que cette dernière puisse valablement opposer le fait que les éléments recueillis ne suffisaient pas à démontrer sa connaissance de la défaillance de ses fournisseurs et d'un circuit de fraude, la régularité de la motivation ne dépendant pas du bien-fondé des motifs. Dans ces conditions, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article L. 57 du livre des procédures fiscales ne peut qu'être écarté.

4. En deuxième lieu, si la personnalité morale d'une société commerciale subsiste aussi longtemps que les droits et obligations à caractère social ne sont pas liquidés, la société ne peut plus être représentée postérieurement à la date de clôture de la liquidation que par un administrateur ad hoc désigné par la juridiction compétente. Par suite, lorsque la liquidation de la société a été clôturée et que la mention de cette liquidation a été faite au registre du commerce, l'avis de mise en recouvrement doit être adressé à un administrateur ad hoc de la société désigné en justice, le cas échéant à la demande de l'administration.

5. Il résulte de l'instruction qu'à la suite de la décision prise le 8 octobre 2009 par M. E... de dissoudre la SARL Finance Carbone, les opérations de liquidation de cette société ont été clôturées le 10 juin 2010 entrainant la radiation de celle-ci le 13 juillet 2010. Cette radiation étant opposable à l'administration fiscale, cette dernière a saisi le tribunal de commerce de Boulogne-sur-Mer d'une demande de désignation d'un mandataire ad hoc. Par une ordonnance du président de ce tribunal du 29 octobre 2010, Me F... a été nommée pour représenter la société dans le cadre des opérations de contrôles, exercés par les services fiscaux. A supposer même que le mandataire n'aurait pas remis son rapport dans un délai de trois mois, il ne résulte d'aucune ordonnance du président du tribunal de commerce qu'il aurait été mis fin à la mission de Me F..., avant le 8 octobre 2015, date à laquelle un mandataire ad litem a été nommé. Dès lors, la représentation de la SARL Finance Carbone au cours de la procédure de vérification a été conforme aux décisions prises par l'autorité judiciaire. Il est également établi que, si l'avis de mise en recouvrement du 21 décembre 2012 a dans un premier temps été notifié à tort au mandataire gérant, M. E..., et non au mandataire ad hoc, cet avis a fait l'objet d'un nouvel envoi à Me F..., le 17 janvier suivant, puis a, en tout état de cause, fait l'objet, le 16 juillet 2013 d'un dégrèvement technique par le service en vue de permettre à la société d'exercer son droit au recours auprès de l'interlocuteur départemental. Dans ces conditions, le moyen tiré de l'irrégulière notification de l'avis de mise en recouvrement du 21 décembre 2012 manque en fait et est, en tout état de cause, inopérant. Est également sans incidence, dans le cadre du présent litige d'assiette, la circonstance que la mission du mandataire n'ait été étendue aux opérations de recouvrement des impositions que le 11 septembre 2013, soit postérieurement au maintien total des rappels par le second avis de mise en recouvrement du 28 août 2013.

6. En outre, si la société Finance Carbone soutient que, par l'avis de dégrèvement du 12 juillet 2013, l'administration aurait pris position pour un abandon des impositions en litige, il résulte des termes mêmes de cet avis que ce dégrèvement, qui avait un caractère purement technique, n'a été prononcé qu'en vue de permettre à la société d'exercer son droit au recours auprès de l'interlocuteur départemental à l'issue duquel une nouvelle mise en recouvrement pourrait, le cas échéant, être effectuée. Par suite, et alors, contrairement à ce qu'il est soutenu, que l'administration a informé la société de la persistance de son intention de l'imposer, le moyen tiré du caractère définitif de l'avis de dégrèvement, qui ne valait pas abandon des rehaussements et ne faisait pas obstacle à une mise en recouvrement ultérieure, doit être écarté.

7. Enfin, M. E... ne saurait utilement se prévaloir, au soutien d'un litige en matière d'assiette, du moyen tiré du défaut d'inscription de la créance fiscale au passif de liquidation de la SARL Finance Carbone.

8. Il résulte de ce qui précède que, contrairement à ce que soutient M. E..., la procédure de vérification menée à l'encontre de la SARL Finance Carbone n'est entachée d'aucune irrégularité substantielle ni détournement de procédure susceptible d'entrainer la décharge des rappels de taxe mis à la charge de cette dernière.

Sur le bien-fondé des rappels de taxe sur la valeur ajoutée :

9. Aux termes du I de l'article 256 du code général des impôts : " Sont soumises à la taxe sur la valeur ajoutée les livraisons de biens et les prestations de services effectuées à titre onéreux par un assujetti agissant en tant que tel ". Aux termes des I et II de l'article 271 du même code : " I. 1. La taxe sur la valeur ajoutée qui a grevé les éléments du prix d'une opération imposable est déductible de la taxe sur la valeur ajoutée applicable à cette opération. / (...) II. 1. Dans la mesure où les biens et les services sont utilisés pour les besoins de leurs opérations imposables, et à la condition que ces opérations ouvrent droit à déduction, la taxe dont les redevables peuvent opérer la déduction est, selon le cas : / a) Celle qui figure sur les factures établies conformément aux dispositions de l'article 289 et si la taxe pouvait légalement figurer sur lesdites factures ; (...) ".

10. Il résulte des dispositions de l'article 17 de la sixième directive 77/388/CEE du 17 mai 1977, reprises en substance à l'article 168 de la directive 2006/112/CE du 28 novembre 2006 et dont les dispositions du I et du a) du 1 du II de l'article 271 du code général des impôts citées au point précédent assurent la transposition, que le bénéfice du droit à déduction de taxe sur la valeur ajoutée doit être refusé à un assujetti lorsqu'il est établi, au vu d'éléments objectifs, que celui-ci savait ou aurait dû savoir que, par l'opération invoquée pour fonder ce droit, il participait à une fraude à la taxe sur la valeur ajoutée commise dans le cadre d'une chaîne de livraisons ou de prestations, ainsi que l'a jugé la Cour de justice de l'Union européenne, notamment par son arrêt du 18 décembre 2014, Staatssecretaris van Financiën c/ Schoenimport " Italmoda " Mariano Previti vof et Turbu.com BV, Turbu.com Mobile Phone's BV (aff. C-131/13, 163/13 et 164/13).

11. Si les opérateurs qui prennent toute mesure pouvant raisonnablement être exigée d'eux pour s'assurer que leurs opérations ne sont pas impliquées dans une fraude, qu'il s'agisse de la fraude à la taxe sur la valeur ajoutée ou d'autres fraudes, ne doivent pas perdre leur droit à déduire la taxe sur la valeur ajoutée acquittée en amont, en revanche, un assujetti qui savait ou aurait dû savoir que, par son acquisition, il participait à une opération impliquée dans une fraude à la taxe sur la valeur ajoutée, doit être considéré comme participant à cette fraude, indépendamment de la question de savoir s'il tire ou non un bénéfice de la revente des biens, dès lors que, dans une telle situation, l'assujetti devient complice de la fraude, comme l'a jugé la Cour de justice de l'Union européenne dans son arrêt du 6 juillet 2006, Axel Kittel et Recolta Recycling SRPL (aff. C-439/04 et C-440/04).

12. Si l'administration fiscale ne peut exiger de manière générale de l'assujetti souhaitant exercer son droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée, d'une part, qu'il vérifie que l'émetteur de la facture correspondant aux biens et aux services au titre desquels l'exercice de ce droit est demandé dispose de la qualité d'assujetti, qu'il disposait des biens en cause et était en mesure de les livrer et qu'il a rempli ses obligations de déclaration et de paiement de la taxe, afin de s'assurer qu'il n'existe pas d'irrégularités ou de fraude au niveau des opérateurs en amont, ou, d'autre part, qu'il dispose de documents à cet égard, un opérateur avisé peut, en revanche, lorsqu'il existe des indices permettant de soupçonner l'existence d'irrégularités ou de fraude, se voir contraint de prendre des renseignements sur un autre opérateur auprès duquel il envisage d'acheter des biens ou des services afin de s'assurer qu'il s'est acquitté de ses obligations fiscales, comme l'a jugé la Cour de justice de l'Union européenne dans son arrêt du 21 juin 2012, Mahagében kft (aff. C-80/11). Lorsque les indices permettent de soupçonner une méconnaissance, par un fournisseur de biens ou un prestataire de services, de ses obligations de déclaration ou de paiement de la taxe sur la valeur ajoutée, il appartient ainsi à l'assujetti qui a acquis certains de ces biens ou services, pour les céder à son tour, de s'assurer qu'en ce qui concerne ces biens et services, son fournisseur ou son prestataire s'est acquitté de ses obligations.

13. Enfin, il incombe à l'administration fiscale d'établir les éléments objectifs permettant de conclure que l'assujetti savait ou aurait dû savoir que l'opération invoquée pour fonder le droit à déduction était impliquée dans une fraude. Lorsque sont en cause des opérations similaires réalisées par des sociétés différentes pendant une courte période, ces éléments doivent porter sur chacune de ces sociétés, qu'il s'agisse de l'existence de la fraude reprochée, des indices permettant à l'assujetti mis en cause de la soupçonner ou encore des mesures qui peuvent raisonnablement être exigées.

14. Il résulte de l'instruction, et en particulier de la proposition de rectification du 10 octobre 2011 adressée au mandataire ad hoc, que les sociétés BetA Construction et Kappa Distribution, fournisseurs de la SARL Finance carbone, n'ont versé aucune taxe sur la valeur ajoutée au titre des ventes qu'elles ont conclu avec la société Finance carbone, en l'absence, pour la première, de toute déclaration déposée au titre de l'année 2008 et, pour la seconde, de déclaration du chiffre d'affaires réalisé entre les mois de décembre 2008 à juin 2009. M. E..., qui n'a pas contesté la matérialité de ces constats au cours de la procédure, notamment à l'occasion de sa réclamation du 1er octobre 2013 dans laquelle il affirmait seulement que ses fournisseurs étaient légitimes à opérer sur le marché des quotas de CO², ne conteste pas davantage devant la cour la réalité des faits caractérisant la situation et les agissements de ces deux cocontractants, ni l'existence d'une fraude que ceux-ci auraient commise. Ainsi, l'administration, doit être regardée comme établissant que les sociétés BetA Construction et Kappa Distribution, qui n'ont ni déclaré, ni payé la taxe qu'elles avaient facturée à la SARL Finance Carbone pour l'acquisition de quotas d'émission de gaz à effet de serre, se sont livrées à une fraude à la taxe sur la valeur ajoutée.

15. Pour établir que la SARL Finance Carbone savait ou ne pouvait ignorer qu'elle participait au circuit de fraude à la taxe sur la valeur ajoutée ainsi mis en place, l'administration a relevé que les factures reçues des deux sociétés fournisseurs, BetA Construction et Kappa Distribution, représentaient plus de 99 % du montant de la taxe sur la valeur ajoutée déductible imputée au titre de 2008 et 2009, correspondant à des acquisitions sur de courtes périodes pour des montants respectivement 21 063 645,80 euros TTC et 503 141 429,60 euros TTC alors que l'objet social déclaré par ces sociétés était étranger à toute activité de négoce de gaz à effet de serre. En effet, la société BetA Construction avait pour objet la construction de maisons individuelles et la société Kappa Distribution exerçait l'activité de commerce de détails et autres équipements du foyer. L'administration a également constaté que ces sociétés étaient établies auprès de sociétés de domiciliation et que, outre leur création récente, respectivement le 9 février 2008 et le 12 septembre 2008, la durée éphémère de leur activité coïncidait avec leur activité de vente de quotas de carbone laquelle a cessé dès le changement de règlementation intervenu le 4 juin 2009, mettant un terme à l'exonération de la vente de quotas de CO². Elle a noté que les règlements effectués par la société Finance Carbone avaient été réalisés depuis des comptes étrangers, domiciliés en Allemagne et en Suisse, vers des comptes domiciliés à Hong Kong et en Nouvelle-Zélande, alors que le siège social de ses fournisseurs se situait en France, à Lille. Outre des anomalies dans la facturation comptabilisée, tenant à la numérotation chronologique des factures portant sur des achats réalisés auprès de sociétés différentes, l'administration a enfin opposé les prix de vente pratiqués par la société Finance Carbone, inférieurs de 1,55 % à ceux du marché, lesquels étaient déterminés par le client final, les sociétés Alby Carbon ou Consus France, dès lors qu'elle-même se fournissait en quotas de CO² à un prix de 3 centimes de moins à celui de la revente.

16. Pour contester les indices ainsi retenus par l'administration fiscale, M. E... soutient tout d'abord que les sociétés BetA Construction et Kappa Distribution étaient réputées être habilitées à opérer sur le marché des quotas d'émission de CO2. Toutefois, et alors que la date de création des sociétés fournisseurs n'est pas contestée, celles-ci n'avaient aucune antériorité sur ce marché, le requérant ne produisant par ailleurs aucun document probant tendant à établir que leur objet social n'aurait pas été dépourvu de lien avec le négoce des quotas d'émission de CO². Ainsi, si le courrier de présentation qui aurait été adressé par la société Kappa distribution à la SARL Finance Carbone, lequel n'est toutefois ni daté, ni signé, présente de manière très générale une activité de négoce en matière d'énergie verte et sur le marché des quotas de CO², il est dépourvu de toute référence précise en lien avec cette dernière activité alors que ce fournisseur se présentait comme un major du marché. Si l'appelant fait en outre valoir à bon droit l'absence de caractère illégal de la détention, par la SARL Finance Carbone, de deux comptes bancaires étrangers, il n'apporte toutefois aucune explication quant au fait que les règlements dus à la société Kappa distribution ont transité par un compte détenu en Allemagne vers un compte ouvert par son fournisseur en Nouvelle-Zélande. Il en va de même s'agissant d'un compte genevois ayant servi au règlement de factures vers un compte logé à Hong Kong, alors qu'il est établi que les sociétés de ses fournisseurs étaient domiciliées en France où étaient réalisées les transactions. Enfin, ni l'existence d'un volume de transaction considérable sur une courte période, correspondant à la quasi-totalité de son activité, ni l'existence d'un prix de vente inférieur à celui du marché, n'est contesté. Dans ces conditions, et alors même que l'administration ne conteste plus en défense les mentions et le caractère authentique des factures émises par la SARL Finance Carbone, elle justifie d'indices établissant que cette dernière était en mesure de soupçonner la fraude à la taxe sur la valeur ajoutée commise par ses fournisseurs, appelant de sa part des diligences pour s'assurer de l'absence de participation à un circuit de fraude alimenté par ses fournisseurs.

17. M. E... soutient que la SARL Finance Carbone a accompli toutes les diligences pouvant légalement être attendues de sa part sans porter atteinte au principe de proportionnalité et de neutralité de la taxe sur la valeur ajoutée. S'il fait valoir que sa société a mis en oeuvre un cadre conventionnel et commercial, a adressé des demandes de justificatifs concernant l'identité des gérants, l'extrait Kbis des sociétés et leurs coordonnées bancaires, ces vérifications, qui ne permettaient pas d'apprécier si ses fournisseurs étaient à jour de leurs obligations déclaratives et de paiement au regard de la taxe sur la valeur ajoutée, ne sauraient justifier de l'accomplissement de diligences suffisantes. Si l'extrait du tableau de la Caisse des Dépôts et Consignation établissant la liste des entités légales ayant un compte dans le Registre National mentionne bien les deux sociétés fournisseurs, alors même que l'exemplaire produit a été édité en février 2010, le contrôle de la Caisse des dépôts et consignations, qui ne portait cependant pas sur le respect par les opérateurs de leurs obligations en matière de déclaration et de paiement de la taxe sur la valeur ajoutée, ne dispensait pas la société de prendre les mesures pouvant raisonnablement être exigées d'elle pour s'assurer que ses opérations n'étaient pas impliquées dans une fraude fiscale. Sur ce point, les mentions de la copie de la première page de la déclaration de taxe sur la valeur ajoutée datant de novembre 2008 et la copie des déclarations mensuelles de taxe établies par la société Kappa distribution, et qui aurait été présentée à la société Finance Carbone à sa demande, n'attestent aucunement du dépôt effectif de ces déclarations auprès de l'administration fiscale. Ainsi, les documents produits pour établir de diligences accomplies par la SARL Finance Carbone sont dépourvus de valeur probante pour ce qui concerne la société Kappa distribution et inexistants pour ce qui concerne la société BetA construction.

18. Enfin, en se bornant à alléguer que la SARL Finance Carbone n'a jamais réalisé un résultat d'un montant de 127 523 087 euros, lequel au demeurant inclus les pénalités mises à la charge de cette société, M. E... n'apporte aucun élément de nature à remettre en cause le montant des rappels de taxe en litige.

19. Dans ces conditions, c'est par une exacte appréciation des circonstances de l'espèce que l'administration, qui s'est fondée sur un ensemble de constatations et non sur un élément en particulier, a estimé que la SARL Finance Carbone savait ou ne pouvait ignorer qu'en réalisant des opérations commerciales avec les sociétés Kappa distribution et BetA construction, elle participait à un circuit de fraude à la taxe sur la valeur ajoutée et qu'elle lui a refusé, par suite, le bénéfice du droit à la déduction de la taxe afférente aux factures délivrées par ses deux fournisseurs.

20. M. G... E... n'est pas fondé à se prévaloir, sur le fondement des dispositions de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales, des énonciations de l'instruction référencée 3 A-7-07 du 30 novembre 2007, lesquelles ne comportent pas d'interprétation de la loi fiscale différente de celle dont il est fait application dans le présent arrêt.

21. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les fins de non-recevoir opposées en défense, que M. E..., agissant en qualité de mandataire de la SARL Finance Carbone, n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent, en tout état de cause, être rejetées.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de M. E... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. G... E..., mandataire de la SARL Finance Carbone, et au ministre de l'économie, des finances et de la relance.

Délibéré après l'audience du 25 mai 2021, à laquelle siégeaient :

Mme Danielian, présidente,

Mme C..., première conseillère,

Mme B..., première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 10 juin 2021.

La rapporteure,

M.-G. C...La présidente,

I. Danielian

La greffière,

A. FoulonLa République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la relance, en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme

Le greffière,

2

N° 18VE03133


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Versailles
Formation : 3eme chambre
Numéro d'arrêt : 18VE03133
Date de la décision : 10/06/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

19-06-02-08-04 Contributions et taxes. Taxes sur le chiffre d'affaires et assimilées. Taxe sur la valeur ajoutée. Liquidation de la taxe. Fraude.


Composition du Tribunal
Président : Mme DANIELIAN
Rapporteur ?: Mme Marie-Gaelle BONFILS
Rapporteur public ?: M. HUON
Avocat(s) : GRIFAT

Origine de la décision
Date de l'import : 15/06/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.versailles;arret;2021-06-10;18ve03133 ?
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