Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société par actions simplifiée (SAS) Alphatrad a demandé au tribunal administratif Montreuil, de prononcer la décharge de la retenue à la source à laquelle elle a été assujettie au titre des années 2013 et 2014, ainsi que de l'intérêt de retard correspondant, pour un montant de 208 179 euros, et de mettre à la charge de l'État la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par un jugement n° 1702981 du 12 novembre 2018, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et deux mémoires, enregistrés les 10 janvier 2019, et 11 février et 17 juillet 2020, la SAS Alphatrad, représentée par Me Gozlan, avocat, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de prononcer la décharge sollicitée ;
3°) de mettre à la charge de l'État la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le service lui a, à tort, en méconnaissance des stipulations des i) et ii) du b. du 2. de l'article 11 de la convention fiscale conclue entre la France et la Suisse le 9 septembre 1966 et du 1. de l'article 15 de l'accord entre la Confédération suisse et la Communauté européenne en date du 26 octobre 2004, mentionné au iii) du b. du 2. du même article 11, refusé le bénéfice d'une exonération de retenue à la source dès lors que, d'une part, la société Optilingua Holding est le bénéficiaire effectif des dividendes distribués et, d'autre part, que la chaîne de participation entre elle, sa société mère de droit suisse et l'actionnaire de celle-ci n'a aucun but fiscal ;
- il lui a, également à tort, en méconnaissance du principe de libre circulation des capitaux garanti par l'article 63 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, refusé le bénéfice de l'exonération de retenue à la source prévue dans le cadre du régime des sociétés mères visé aux articles 145 et 216 du code général des impôts et de l'exonération dont bénéficient les sociétés mères résidentes, dès lors, d'une part, que, compte tenu de la jurisprudence européenne, au regard de l'imposition à la source des dividendes, résidents et non-résidents sont placés dans une situation comparable et qu'il n'existe pas de raison d'intérêt général justifiant un traitement fiscal différent et, d'autre part, que, par l'arrêt n° 15VE02634 du 12 septembre 2017, la cour a jugé, au regard de l'article 119 bis du code général des impôts, qu'une société suisse devait être exonérée de retenue à la source sur les dividendes reçus d'une société française car elle l'aurait été dans le cadre du régime des sociétés mères si elle avait été établie en France.[DM1]
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;
- l'accord du 26 octobre 2004 entre la Confédération suisse et la Communauté européenne prévoyant des mesures équivalentes à celles prévues dans la directive 2003/48/CE du Conseil en matière de fiscalité des revenus de l'épargne sous forme de paiements d'intérêts ;
- la convention entre la France et la Suisse en vue d'éviter les doubles impositions en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune signée le 9 septembre 1966 ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme A...,
- et les conclusions de M. Huon, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. A l'issue d'une vérification de comptabilité, la SAS Alphatrad, qui a pour activité la traduction et l'interprétation, a été assujettie à une retenue à la source en application du 2. de l'article 119 bis du code général des impôts, à raison des dividendes distribués à sa société-mère, la société anonyme (SA) Optilingua Holding inscrite au registre du commerce du canton de Vaud (Suisse). Elle fait appel du jugement du 12 novembre 2018 par lequel le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande tendant à la décharge de ces retenues à la source et des intérêts de retard correspondants.
2. Si une convention bilatérale conclue en vue d'éviter les doubles impositions peut, en vertu de l'article 55 de la Constitution, conduire à écarter, sur tel ou tel point, la loi fiscale nationale, elle ne peut pas, par elle-même, directement servir de base légale à une décision relative à l'imposition. Par suite, il incombe au juge de l'impôt, lorsqu'il est saisi d'une contestation relative à une telle convention, de se placer d'abord au regard de la loi fiscale nationale pour rechercher si, à ce titre, l'imposition contestée a été valablement établie et, dans l'affirmative, sur le fondement de quelle qualification. Il lui appartient ensuite, le cas échéant, en rapprochant cette qualification des stipulations de la convention, de déterminer - en fonction des moyens invoqués devant lui ou même, s'agissant de déterminer le champ d'application de la loi, d'office - si cette convention fait ou non obstacle à l'application de la loi fiscale.
3. D'une part, aux termes du 2. de l'article 119 bis du code général des impôts : " Les produits visés aux articles 108 à 117 bis donnent lieu à l'application d'une retenue à la source dont le taux est fixé par l'article 187 lorsqu'ils bénéficient à des personnes qui n'ont pas leur domicile fiscal ou leur siège en France (...) ". Les dividendes figurent au nombre des produits visés aux articles 108 à 117 bis de ce code.
4. Il est constant qu'en l'espèce, les dividendes litigieux ont été versés, en 2013 et 2014, par la SAS Alphatrad à la société Optilingua Holding, qui n'a pas son domicile fiscal ou son siège en France. Dans ces conditions et en l'absence d'ailleurs de contestation à cet égard, l'imposition a été valablement établie sur le terrain de la loi. Si, en application de l'article 187 du même code, le taux de la retenue à la source est fixé, en principe, à 25 % du montant de ces revenus, en l'espèce, les dividendes litigieux ont subi le prélèvement à la source au taux de 15 % prévu au paragraphe 2 de l'article 11 de la convention fiscale franco-suisse.
5. D'autre part, aux termes du paragraphe 1. de l'article 15 de l'accord du 26 octobre 2004 entre la Confédération suisse et la Communauté européenne prévoyant des mesures équivalentes à celles prévues dans la directive 2003/48/CE du Conseil en matière de fiscalité des revenus de l'épargne sous forme de paiements d'intérêts : " Sans préjudice de l'application des dispositions de la législation nationale ou de conventions visant à prévenir la fraude ou les abus en Suisse et dans les États membres, les dividendes payés par des sociétés filiales à leurs sociétés mères ne sont pas imposés dans l'État de la source (...). " Aux termes du b) du 2. de l'article 11 de la convention entre la France et la Suisse en vue d'éviter les doubles impositions en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune, signée le 9 septembre 1966, dans sa rédaction applicable à l'imposition : " i) (...) les dividendes (...) payés par une société qui est un résident d'un Etat contractant à une société qui est un résident de l'autre Etat contractant, qui est le bénéficiaire effectif des dividendes et qui détient directement ou indirectement au moins 10 p. cent du capital de la première société, ne sont imposables que dans cet autre État / ii) L'exonération de retenue à la source prévue au i) ne s'applique pas lorsque les dividendes distribués bénéficient à une personne morale contrôlée directement ou indirectement par des personnes qui ne sont pas résidentes de l'un des Etats contractants, sauf si cette personne morale justifie que la chaîne de participation n'a pas principalement pour objectif de tirer avantage des dispositions du i). / iii) Toutefois, lorsque l'exonération de retenue à la source est demandée sur le fondement de l'article 15, paragraphe 1 de l'Accord du 26 octobre 2004 entre la Confédération suisse et la Communauté européenne, prévoyant des mesures équivalentes à celles prévues dans la directive 2003/48/CE du Conseil en matière de fiscalité des revenus de l'épargne sous forme de paiements d'intérêts, le paragraphe précédent ne s'applique que si la personne morale est contrôlée directement ou indirectement par un ou plusieurs résidents d'Etats qui ne sont pas membres de la Communauté européenne. ". Il résulte notamment de ces stipulations combinées que les dividendes versés par une société établie en France à une société située en Suisse ne sont pas imposables en France et donc exonérés de la retenue à la source prévue au 2. de l'article 119 bis précité, sous réserve que le destinataire de ces sommes puisse être regardé comme en étant le bénéficiaire effectif.
6. Il résulte de l'instruction que, pour refuser le bénéfice de ces stipulations, le ministre de l'action et des comptes publics fait valoir que la société Optilingua Holding, destinataire des dividendes versés par la SAS Alphatrad, n'en était pas le bénéficiaire effectif lequel serait, en réalité, M. B..., résident fiscal portugais et unique associé de la société suisse. Pour justifier de ce que la société Optilingua Holding serait le bénéficiaire effectif de ces dividendes, la société requérante se prévaut de ce que sa société mère a été constituée en 1977, est immatriculée au registre du commerce suisse avec pour objet l'achat, la vente et la gestion de participations en Suisse et à l'étranger, et exerce une véritable activité de holding de groupe détenant des participations dans plusieurs pays, finançant les sociétés de son groupe, et percevant des produits financiers de toutes ses filiales. Toutefois, en se bornant à produire une convention de trésorerie entre les deux sociétés, datée de 2017, donc postérieure aux années en cause, elle ne justifie pas de la réalité de l'activité dont elle fait état et dont elle ne précise d'ailleurs pas la teneur, les effets, ni les conditions et modalités d'exercice, alors que le ministre de l'action et des comptes publics oppose l'absence de tout élément attestant d'une activité de gestion et de développement de groupe, notamment de moyens immatériels, matériels et humains. Par ailleurs, les circonstances que les dividendes perçus par la société suisse n'ont pas été reversés à M. B..., que les bénéfices disponibles de celle-ci au titre des exercices en cause ont été mis en réserve ou reportés à compte nouveau, et que M. B... ne disposait que d'un mandat d'administrateur en son sein, ne sont pas, à elles seules, de nature à établir que la société Optilingua Holding était le bénéficiaire effectif de ces sommes, dès lors qu'il n'est pas justifié, en l'absence de toute précision sur le processus de décision présidant à l'affectation des dividendes de ce que la société mère, tout en étant formellement propriétaire du revenu, disposait en pratique de pouvoirs lui permettant d'en disposer et ne se bornait pas à agir pour le compte de M. B.... Le ministre de l'action et des comptes publics fait valoir à cet égard que l'absence de redistribution des dividendes à l'associé peut être regardée comme un acte de disposition de celui-ci, unique actionnaire, et que, d'ailleurs, l'actif du bilan au 31 décembre 2014 de la société suisse révèle qu'au cours de l'exercice 2014, les avances accordées à M. B... ont cru de 20 795 CHF à 252 746 CHF, témoignant de ce que l'associé disposait des fonds sociaux. Dans ces conditions, il résulte de l'instruction que la société Optilingua Holding ne saurait être regardée comme le bénéficiaire effectif des dividendes versés par la SAS Alphatrad, dès lors que, bien qu'étant propriétaire du revenu en la forme, elle ne dispose en pratique que de pouvoirs très limités qui font d'elle un administrateur agissant pour le compte de M. B.... Par suite, l'appelante n'est pas fondée à se prévaloir du bénéfice de l'exonération prévue par les stipulations du i) du b) du 2. de l'article 11 de la convention fiscale franco-suisse, ni, par voie de conséquence, à invoquer les ii) et iii) du b) du 2.de cet article.
7. Enfin, les dispositions du 2. de l'article 119 bis du code général des impôts prévoient une retenue à la source prélevée sur les dividendes versés à une société mère non résidente par sa filiale établie en France, alors que les sociétés françaises ayant opté pour le régime prévu aux articles 145 et 216 du code général des impôts sont exonérées, en quasi-totalité, de l'impôt sur les sociétés dû à raison des dividendes versés par leurs filiales françaises. La SAS Alphatrad demande la décharge de la retenue à la source litigieuse en soulignant qu'il en résulte une différence de traitement constitutive, pour les contribuables non-résidents qui établissent être dans l'impossibilité d'imputer cette retenue sur l'impôt acquitté dans leur État de résidence, d'une restriction à la liberté de circulation des capitaux incompatible avec les stipulations de l'article 63 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne. Toutefois, si l'application de la retenue à la source litigieuse constitue une restriction à la libre circulation des capitaux, celle-ci n'est pas, en vertu de la " clause de gel " prévue à l'article 64 du même traité, incompatible avec le droit de l'Union, dès lors que les dispositions du 2. de l'article 119 bis du code général des impôts sont antérieures au 31 décembre 1993, et qu'il est constant que les retenues en cause se rapportent à des investissements directs.
8. Par ailleurs, la société Optilingua Holding, qui se réfère également à la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne relative au traitement fiscal des dividendes versés aux " résidents " et aux " non-résidents " placés dans une situation comparable, peut être regardée comme sollicitant à raison de la liberté de circulation des capitaux prévue à l'article 63 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, le bénéfice de l'exonération figurant à l'article 119 ter du code général des impôts. Toutefois, elle n'est pas fondée à se prévaloir de ces dispositions compte tenu de la " clause de gel " susmentionnée et, en tout état cause, dès lors que, comme indiqué au point 6. du présent arrêt, la société Optilingua Holding ne pouvait être regardée comme le bénéficiaire effectif des dividendes versés.
9. Il résulte de tout ce qui précède que la SAS Alphatrad n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent également être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la SAS Alphatrad est rejetée.
[DM1]
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N° 19VE00090