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27/05/2021 | FRANCE | N°18VE02710

France | France, Cour administrative d'appel de Versailles, 3ème chambre, 27 mai 2021, 18VE02710


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société anonyme (SA) Manitou BF a demandé au tribunal administratif de Nantes de fixer, au titre de l'exercice clos le 31 décembre 2011, son résultat fiscal à 6 176 827 euros et de l'établir, après imputation des déficits plafonnés, à 2 070 731 euros, de prononcer la restitution d'une somme de 140 268 euros au titre de l'exercice clos le 31 décembre 2011, et de mettre à la charge de l'État la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par ordonnanc

e n° 1510650-4 du 26 septembre 2017, le président du tribunal administratif de Nan...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société anonyme (SA) Manitou BF a demandé au tribunal administratif de Nantes de fixer, au titre de l'exercice clos le 31 décembre 2011, son résultat fiscal à 6 176 827 euros et de l'établir, après imputation des déficits plafonnés, à 2 070 731 euros, de prononcer la restitution d'une somme de 140 268 euros au titre de l'exercice clos le 31 décembre 2011, et de mettre à la charge de l'État la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par ordonnance n° 1510650-4 du 26 septembre 2017, le président du tribunal administratif de Nantes a transmis, sur le fondement de l'article R. 351-3 du code de justice administrative, la demande de la SA Manitou BF au tribunal administratif de Montreuil.

Par un jugement n° 1708681 du 16 juillet 2018, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés le 1er août 2018 et les 15 janvier, 2 août et 4 novembre 2019, la SA MANITOU BF, représentée par Mes Laisney et Joalland, avocats, demande, en dernier lieu, à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de fixer son résultat fiscal, après imputation des déficits, à la somme de 2 070 731 euros et de prononcer, en conséquence, la restitution des cotisations d'impôt sur les sociétés et des contributions sociales et additionnelle à cet impôt, pour un montant de 140 268 euros, au titre de l'exercice clos le 31 décembre 2011, ainsi que le versement des intérêts de retard y afférents ;

3°) à titre subsidiaire, de saisir, sur le fondement de l'article 267 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, la Cour de justice de l'Union européenne de deux questions préjudicielles, et de sursoir à statuer dans l'attente ;

4°) de mettre à la charge de l'État une somme de 8 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

5°) de condamner l'État aux entiers dépens.

Elle soutient :

- que l'imposition de la quote-part pour frais et charges au titre de l'exercice clos en 2011 méconnaît la liberté d'établissement garantie par l'article 49 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

- elle méconnaît également les stipulations combinées des articles 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 1er du premier protocole additionnel à cette convention.

..........................................................................................................

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- l'arrêt C-386/14 de la Cour de justice de l'Union européenne du 2 septembre 2015 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme A...,

- les conclusions de M. Huon, rapporteur public,

- et les observations de Me Joalland, avocat de la SA Manitou BF.

Considérant ce qui suit :

1. La SA Manitou BF fait appel du jugement du 16 juillet 2018 par lequel le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande tendant au remboursement des cotisations d'impôt sur les sociétés, de contribution exceptionnelle et de contribution sociale auxquelles elle a été assujettie au titre de l'exercice clos en 2011. Elle fait valoir qu'elle peut bénéficier, au titre de cet exercice, de la neutralisation de la quote-part de frais et charges afférente aux dividendes versés par ses filiales établies dans l'Union européenne, sans qu'ait d'incidence, selon elle, la circonstance qu'elle n'était pas la tête d'un groupe fiscal intégré en 2011, faute d'avoir opté pour ce régime, et ce alors même qu'elle disposait en France, durant cette période, d'une filiale répondant aux conditions objectives d'intégration prévues par l'article 223 A du code général des impôts.

2. Aux termes de l'article 216 du code général des impôts, dans sa rédaction applicable : " I. Les produits nets des participations, ouvrant droit à l'application du régime des sociétés mères et visées à l'article 145, touchés au cours d'un exercice par une société mère, peuvent être retranchés du bénéfice net total de celle-ci, défalcation faite d'une quote-part de frais et charges. / La quote-part de frais et charges visée au premier alinéa est fixée uniformément à 5 % du produit total des participations, crédit d'impôt compris. Cette quote-part ne peut toutefois excéder, pour chaque période d'imposition, le montant total des frais et charges de toute nature exposés par la société participante au cours de la même période. ". Aux termes de l'article 223 A du même code : " Une société peut se constituer seule redevable de l'impôt sur les sociétés dû sur l'ensemble des résultats du groupe formé par elle-même et les sociétés dont elle détient 95 % au moins du capital, de manière continue au cours de l'exercice, directement ou indirectement par l'intermédiaire de sociétés ou d'établissements stables membres du groupe (...) / Seules peuvent être membres du groupe les sociétés ou les établissements stables qui ont donné leur accord et dont les résultats sont soumis à l'impôt sur les sociétés dans les conditions de droit commun ou selon les modalités prévues aux articles 214 et 217 bis (...) / Les sociétés du groupe et, sous réserve de la réglementation étrangère qui leur est applicable, les sociétés intermédiaires doivent ouvrir et clore leurs exercices aux mêmes dates (...) " et aux termes de son article 223 B, dans sa rédaction applicable : " Le résultat d'ensemble est déterminé par la société mère en faisant la somme algébrique des résultats de chacune des sociétés du groupe, déterminés dans les conditions de droit commun (...) / Le résultat d'ensemble est diminué de la quote-part de frais et charges afférente aux produits de participation perçus par une société du groupe d'une société membre du groupe depuis plus d'un exercice et aux produits de participation perçus par une société du groupe d'une société intermédiaire pour lesquels la société mère apporte la preuve qu'ils proviennent de produits de participation versés par une société membre du groupe depuis plus d'un exercice et n'ayant pas déjà justifié des rectifications effectuées en application du présent alinéa ou du troisième alinéa. (...) ".

3. Aux termes de l'article 49 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) : " Dans le cadre des dispositions ci-après, les restrictions à la liberté d'établissement des ressortissants d'un État membre dans le territoire d'un autre État membre sont interdites. Cette interdiction s'étend également aux restrictions à la création d'agences, de succursales ou de filiales, par les ressortissants d'un État membre établis sur le territoire d'un État membre (...) ". Aux termes de l'article 54 du même traité : " Les sociétés constituées en conformité de la législation d'un État membre et ayant leur siège statutaire, leur administration centrale ou leur principal établissement à l'intérieur de l'Union sont assimilées, pour l'application des dispositions du présent chapitre, aux personnes physiques ressortissantes des États membres. / Par sociétés, on entend les sociétés de droit civil ou commercial, y compris les sociétés coopératives, et les autres personnes morales relevant du droit public ou privé, à l'exception des sociétés qui ne poursuivent pas de but lucratif. ".

4. Par son arrêt C-386/14 du 2 septembre 2015, la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit que l'article 49 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne doit être interprété en ce sens qu'il s'oppose à une législation d'un État membre relative à un régime d'intégration fiscale en vertu de laquelle une société-mère intégrante bénéficie de la neutralisation de la réintégration d'une quote-part de frais et charges forfaitairement fixée à 5 % du montant net des dividendes perçus par elle des sociétés résidentes parties à l'intégration, alors qu'une telle neutralisation lui est refusée, en vertu de cette législation, pour les dividendes qui lui sont distribués par ses filiales situées dans un autre État membre qui, si elles avaient été résidentes, y auraient été objectivement éligibles, sur option. Il résulte de cette interprétation que l'administration n'est pas fondée à refuser à une société mère intégrante le bénéfice de la neutralisation de la quote-part pour frais et charges, instituée par l'article 223 B du code général des impôts en faveur des groupes fiscalement intégrés, à raison des dividendes qui lui sont distribuées par ses filiales établies dans un autre État membre pour autant que ces filiales, si elles avaient été résidentes, auraient été objectivement éligibles au régime d'intégration fiscale, sur option, en vertu de l'article 223 A de ce code.

5. Il résulte ainsi des dispositions précitées du code général des impôts ainsi que de l'arrêt susmentionné de la Cour de justice de l'Union européenne que le bénéfice de la neutralisation de la quote-part de frais et charges pour les dividendes versés par leurs filiales, que celles-ci soient établies en France ou dans un autre pays de l'Union européenne, est ouvert aux sociétés mères pouvant et ayant effectivement opté pour le régime de l'intégration fiscale. Le ministre de l'action et des comptes publics soutient que sont, à l'inverse et comme en l'espèce, exclues de ce bénéfice les sociétés mères qui, alors même qu'elles détiennent une ou plusieurs filiales établies dans un autre pays de l'Union européenne mais également en France et remplissent les conditions de l'option pour le régime de l'intégration fiscale, n'ont pas exercé cette option.

6. Toutefois, ainsi que l'a rappelé la Cour de justice de l'Union européenne au point 20. de son arrêt précité, le fait d'exclure du bénéfice de l'avantage fiscal susmentionné une société mère qui détient une filiale établie dans un autre État membre est de nature à rendre moins attrayant l'exercice par cette société mère de sa liberté d'établissement, en la dissuadant de créer des filiales dans d'autres États membres. Est sans incidence à cet égard la circonstance que cette société mère ait ou non opté pour le régime de l'intégration fiscale, et ce alors même qu'elle l'aurait pu.

7. Pour que cette différence de traitement soit compatible avec les dispositions du traité relatives à la liberté d'établissement, il faut qu'elle concerne des situations qui ne sont pas objectivement comparables ou qu'elle soit justifiée par une raison impérieuse d'intérêt général.

8. D'une part, ainsi que l'a également relevé la Cour de justice de l'Union européenne au point 22. de son arrêt, à l'égard d'une réglementation, telle que celle en cause au principal, prévoyant, par l'effet de la neutralisation de la réintégration de la quote-part de frais et charges dans le bénéfice de la société mère, l'exonération fiscale totale des dividendes perçus, la situation des sociétés appartenant à un groupe fiscal intégré est comparable à celle des sociétés n'appartenant pas à un tel groupe, dans la mesure où, dans les deux cas, d'une part, la société mère supporte des frais et charges liés à sa participation dans sa filiale et, d'autre part, les bénéfices réalisés par la filiale et dont sont issus les dividendes distribués sont, en principe, susceptibles de faire l'objet d'une double imposition économique ou d'une imposition en chaîne.

9. D'autre part, le ministre de l'action et des comptes publics ne fait état d'aucune raison impérieuse d'intérêt général justifiant la différence de traitement en cause, alors que la Cour de justice de l'Union européenne a relevé, aux points 32. à 34. de son arrêt, qu'aucun lien direct n'a pu être identifié entre l'avantage fiscal en cause et un désavantage fiscal résultant de la neutralisation des opérations internes au groupe, l'objectif de l'intégration étant l'assimilation du groupe intégré constitué par la société mère et ses filiales à une seule entreprise ayant plusieurs établissements.

10. Dans ces conditions et sans qu'il soit besoin de saisir la Cour de justice de l'Union européenne, en excluant du bénéfice de la neutralisation de la quote-part pour frais et charges, les dividendes versés par ses filiales établies dans d'autres États de l'Union européenne à la SA Manitou BF au motif que celle-ci n'avait pas opté pour le régime de l'intégration fiscale alors qu'elle disposait d'une filiale établie en France et qu'il n'est pas contesté qu'étaient respectées les conditions fixées pour l'exercice de cette option, le service a contrevenu au principe de liberté d'établissement tel que prévu à l'article 49 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne. La société requérante est donc fondée à demander, dans cette mesure, la réduction de l'assiette des impositions auxquelles elle a été assujettie.

11. Si le ministre fait valoir, sur ce point, que l'impôt sur les sociétés établi au titre de l'exercice clos en 2011 par la SA Manitou BF a été intégralement payé par imputation de créances, cette circonstance, qui a trait au paiement de l'impôt, est sans incidence sur son assiette, laquelle, ainsi qu'il vient d'être dit, doit être réduite à due concurrence de 988 013 euros. En conséquence, il appartiendra à l'administration fiscale, ainsi, du reste, qu'elle en convient, de restituer à la requérante la fraction des créances fiscales, utilisée en paiement de l'impôt sur les sociétés, excédant le montant de la cotisation résultant de cette réduction de base.

12. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur l'autre moyen de la requête, que la SA Manitou BF est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande.

13. Aux termes de l'article L. 208 du livre des procédures fiscales : " Quand l'Etat est condamné à un dégrèvement d'impôt par un tribunal ou quand un dégrèvement est prononcé par l'administration à la suite d'une réclamation tendant à la réparation d'une erreur commise dans l'assiette ou le calcul des impositions, les sommes déjà perçues sont remboursées au contribuable et donnent lieu au paiement d'intérêts moratoires dont le taux est celui de l'intérêt de retard prévu à l'article 1727 du code général des impôts. Les intérêts courent du jour du paiement. Ils ne sont pas capitalisés (...) ". Il résulte de ces dispositions qu'en cas de remboursements effectués en raison de dégrèvements ou de restitution d'impôt prononcés par une juridiction, les intérêts moratoires dus au contribuable sont, conformément aux dispositions de l'article R. 208-1 du même livre, " payés d'office en même temps que les sommes remboursées au contribuable par le comptable chargé du recouvrement des impôts ". La SA Manitou BF ne fait état d'aucun litige né et actuel avec le comptable compétent pour procéder au paiement des intérêts dus sur le fondement de ces dispositions. Dès lors, ses conclusions tendant au paiement de ces intérêts sont sans objet et ne peuvent, par suite, qu'être rejetées.

14. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'État la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Enfin, ne peuvent qu'être rejetées les conclusions présentées par la SA Manitou BF tendant à la condamnation de l'État aux dépens, faute, pour celle-ci, d'établir en avoir exposés.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1708681 du 16 juillet 2018 du tribunal administratif de Montreuil est annulé.

Article 2 : Les bases d'imposition à l'impôt sur les sociétés et aux contributions additionnelles à cet impôt de l'exercice clos en 2011 de la SA Manitou BF sont réduites de 988 013 euros.

Article 3 : Il est accordé à la SA Manitou BF la restitution des cotisations d'impôt sur les sociétés et des contributions additionnelles à cet impôt auxquelles elle a été assujettie au titre de l'exercice clos en 2011 à hauteur de la réduction de bases prononcée à l'article 2.

Article 4 : L'État versera à la SA Manitou BF une somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le surplus des conclusions présentées par la SA Manitou BF est rejeté.

2

N° 18VE02710


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Versailles
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 18VE02710
Date de la décision : 27/05/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

19-04-01-04-03-01 Contributions et taxes. Impôts sur les revenus et bénéfices. Règles générales. Impôt sur les bénéfices des sociétés et autres personnes morales. Détermination du bénéfice imposable.


Composition du Tribunal
Président : Mme DANIELIAN
Rapporteur ?: Mme Muriel DEROC
Rapporteur public ?: M. HUON
Avocat(s) : FIDAL NANTES SELAS

Origine de la décision
Date de l'import : 08/06/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.versailles;arret;2021-05-27;18ve02710 ?
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