Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme D... a demandé au tribunal administratif de Montreuil de condamner l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) à lui verser une somme de 880 052 euros en réparation des préjudices subis.
Par un jugement n° 1208015 du 21 avril 2016, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté la requête de Mme D... et condamné l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris à verser à la caisse primaire d'assurance maladie de Seine-et-Marne la somme de 11 640,17 euros assortie des intérêts, la somme de 1 037 euros en application de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale, et mis les frais d'expertise à la charge de l'Etat.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire complémentaire enregistrés les 20 juin 2016 et 16 novembre 2018, Mme D..., représentée par Me Adam-Ferreira, avocat, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement et de condamner l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris à lui verser une indemnité de 1 457 594 euros en réparation des divers préjudices subis ;
2°) de mettre à la charge solidairement de l'ONIAM et de l'AP-HP une somme de 2 000 euros au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle soutient que :
- elle n'a pas demandé réparation des souffrances endurées du fait du défaut de surveillance post-opératoire, mais des souffrances liées à la luxation costo-costale ;
- l'AP-HP a commis une première faute dans le défaut d'information qui lui a fait perdre une chance d'échapper au dommage résultant des opérations ;
- la deuxième faute est médicale : elle est révélée par la luxation costo-costale, mettant en évidence que l'opération du 6 mai 2009 et les suivantes n'ont pas été réalisées dans les règles de l'art ;
- le tribunal a considéré à tort que le préjudice lié à la perte de revenus professionnels n'était pas établi ; elle est fondée à demander une somme de 617 644,78 euros à ce titre ;
- le tribunal a considéré à tort que le préjudice lié à l'incidence professionnelle n'était pas établi; ce préjudice peut être évalué à 50 000 euros ;
- les troubles dans les conditions d'existence et le préjudice d'agrément ont été sous évalués par le tribunal ; ils peuvent être évalués respectivement à 97 950 euros pour l'un avant consolidation et 100 000 euros après, et à 10 000 euros pour l'autre avant consolidation et 20 000 euros après consolidation ;
- le tribunal n'a pas distingué les souffrances temporaires et les souffrances permanentes ; les souffrances physiques et morales doivent être évaluées à 200 000 euros avant consolidation et à 150 000 euros chacune après consolidation;
- le lien avec le préjudice sexuel n'a pas été admis à tort ; il peut être évalué à 10 000 euros avant consolidation et à 50 000 euros après consolidation.
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de la sécurité sociale ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme C...,
- les conclusions de Mme Grossholz, rapporteur public,
- et les observations de Me A... pour Mme D....
Considérant ce qui suit :
1. Mme D... qui souffrait d'endométriose a subi une intervention chirurgicale par coelioscopie gynécologique le 6 mai 2009 à l'hôpital de Bondy, dépendant de l'AP-HP. Elle a ressenti de vives douleurs de façon persistante et s'est rendue aux urgences à plusieurs reprises avant que ne soit diagnostiquée une fistule urétérale droite. Elle a subi une intervention afin d'installer une sonde le 20 juin 2009, puis est réopérée en mars 2010, dans un autre hôpital pour réimplanter des uretères. En novembre 2009, elle a demandé à l'AP-HP réparation des préjudices subis qu'elle impute à l'opération du 6 mai 2009. L'AP-HP a admis un défaut de surveillance post-opératoire et un protocole transactionnel a été signé le 17 mars 2011 pour une somme de 32 600 euros. En juillet 2011, Mme D... a demandé de nouveau à l'AP-HP réparation de douleurs ressenties au niveau de l'hypocondre droit qu'elle impute à une luxation survenue au cours de l'opération du 6 mai 2009 ou des opérations postérieures. Refusant le montant de l'indemnité proposé par l'AP-HP, elle a demandé au tribunal administratif de Montreuil de condamner l'AP-HP à l'indemniser de ces préjudices. Par un jugement du 21 avril 2016 dont elle relève appel, le tribunal a rejeté sa demande.
Sur les fautes invoquées de l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris :
2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 1111-2 du code de la santé publique : " Toute personne a le droit d'être informée sur son état de santé. Cette information porte sur les différentes investigations, traitements ou actions de prévention qui sont proposés, leur utilité, leur urgence éventuelle, leurs conséquences, les risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu'ils comportent ainsi que sur les autres solutions possibles et sur les conséquences prévisibles en cas de refus. ". Il n'est pas contesté que Mme D... n'a pas été informée des suites possibles de la coelioscopie opératoire pour l'hystéroscopie réalisée le 6 mai 2009. Toutefois, elle demande réparation des dommages résultant des douleurs ressenties au niveau de l'hypochondre droit. Or, il ne résulte d'aucune pièce du dossier que de telles douleurs relèveraient des risques fréquents ou graves normalement prévisibles de l'opération subie le 6 mai 2009 ou des opérations ultérieures visant à réimplanter l'uretère droit. La requérante n'est ainsi pas fondée à soutenir que l'AP-HP a commis une faute en ne l'informant pas des conséquences possibles de ses opérations.
3. En second lieu, aux termes du I de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute. (...) ". Mme D... soutient que les douleurs ressenties trouvent leur origine dans une luxation costo-costale résultant des opérations subies, et produit en ce sens un certificat du Dr Limoges du 16 janvier 2012 qu'elle a consulté. Toutefois, si ce certificat émet l'hypothèse qu'il existe probablement un lien entre son intervention initiale et ses douleurs actuelles puisqu'elles sont apparues en post opératoire et qu'il peut s'agir d'une position lors de l'intervention chirurgicale qui a entrainé cette luxation costo-costale droite, il n'admet pas l'existence certaine d'une telle luxation. De plus, le rapport de l'expertise diligentée par le tribunal met en cause l'existence d'une telle luxation et indique simplement que l'existence de douleurs peuvent provenir des interventions et positionnement sur la table, sans qualifier de fautif le positionnement lors des opérations. Enfin, l'expert désigné par un arrêt avant-dire droit de la cour du 21 janvier 2020 a estimé que la durée et la persistance des douleurs vont à l'encontre d'un quelconque traumatisme et que les douleurs costales ressenties ne sont pas en lien avec les positionnements lors des opérations subies les 6 mai 2009 et 10 mars 2010. Son examen clinique ne met pas davantage en avant l'existence d'une telle luxation. Il ne résulte ainsi pas de l'instruction qu'une faute médicale à l'origine des douleurs costales droites de la requérante puisse être retenue à l'encontre de l'AP-HP.
Sur la mise en oeuvre de la solidarité nationale :
4. Aux termes du II de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " Lorsque la responsabilité d'un professionnel, d'un établissement, service ou organisme mentionné au I ou d'un producteur de produits n'est pas engagée, un accident médical, une affection iatrogène ou une infection nosocomiale ouvre droit à la réparation des préjudices du patient, et, en cas de décès, de ses ayants droit au titre de la solidarité nationale, lorsqu'ils sont directement imputables à des actes de prévention, de diagnostic ou de soins et qu'ils ont eu pour le patient des conséquences anormales au regard de son état de santé comme de l'évolution prévisible de celui-ci et présentent un caractère de gravité, fixé par décret, apprécié au regard de la perte de capacités fonctionnelles et des conséquences sur la vie privée et professionnelle mesurées en tenant notamment compte du taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique, de la durée de l'arrêt temporaire des activités professionnelles ou de celle du déficit fonctionnel temporaire (...) ". Il résulte de ces dispositions que l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales doit assurer, au titre de la solidarité nationale, la réparation des dommages résultant directement d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins à la double condition qu'ils présentent un caractère d'anormalité au regard de l'état de santé du patient comme de l'évolution prévisible de cet état et que leur gravité excède le seuil défini à l'article D. 1142-1.
5. Il résulte de l'instruction ainsi qu'il a été dit au point 3 du présent arrêt et notamment du rapport d'expertise du Dr Goldberg que les douleurs costales invalidantes ressenties par Mme D... ne peuvent être regardées comme liées aux opérations subies et ne résultent ainsi pas des actes de soins prodigués par l'AP-HP. Les conditions de la mise en oeuvre d'une indemnisation au titre de la solidarité nationale ne sont ainsi pas réunies.
6. Par suite, et sans qu'il soit besoin d'examiner la fin de non-recevoir opposée par l'AP-HP, Mme D... n'est pas fondée à se plaindre de ce que par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande tendant à réparer les préjudices qu'elle invoque.
Sur l'appel incident de l'AP-HP:
7. Aucune faute imputable à l'AP-HP n'est à l'origine des douleurs costales droites ressenties par la requérante. Toutefois, les débours dont la CPAM a demandé le remboursement se rapportent aux soins et prises en charge consécutifs aux opérations subies par la requérante pour lesquelles l'AP-HP a admis sa responsabilité pour défaut de surveillance post-opératoire dans un protocole d'indemnisation signé avec Mme D.... La condamnation de l'AP-HP à rembourser 50 % des débours de la CPAM prononcée par le tribunal doit ainsi être maintenue dans cette mesure. Les conclusions présentées par l'AP-HP tendant à ce que la cour réforme le jugement attaqué en ce qu'il a mis à sa charge une somme de 11 640,17 euros à verser à la CPAM et le montant de l'indemnité forfaitaire de gestion doivent par suite être rejetées.
Sur les dépens :
8. Aux termes des dispositions de l'article 40 de la loi susvisée du 10 juillet 1991 : " L'aide juridictionnelle concerne tous les frais afférents aux instances, procédures ou actes pour lesquels elle a été accordée. Le bénéficiaire de l'aide est dispensé du paiement, de l'avance ou de la consignation de ces frais. Les frais occasionnés par les mesures d'instruction sont avancés par l'Etat (...). ". Aux termes de l'article 42 du même texte : " Lorsque le bénéficiaire de l'aide juridictionnelle est condamné aux dépens ou perd son procès, il supporte exclusivement la charge des dépens effectivement exposés par son adversaire, sans préjudice de l'application éventuelle des dispositions de l'article 75. / Le juge peut toutefois, même d'office, laisser une partie des dépens à la charge de l'Etat. ".
9. Les frais d'expertise taxés et liquidés à la somme de 2 946 euros par ordonnance du président de la cour administrative de Versailles sont mis à la charge définitive de l'Etat, Mme D... bénéficiant de l'aide juridictionnelle totale.
Sur les autres frais liés au litige :
10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge à ce titre de l'AP-HP ou l'ONIAM qui ne sont pas les parties perdantes dans la présente instance. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de Mme D... la somme demandée par la CPAM de la Seine-et-Marne.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête Mme D... est rejetée.
Article 2 : L'appel incident de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris est rejeté.
Article 3 : Les frais de l'expertise ordonnée par l'arrêt avant-dire droit de la cour du 21 janvier 2020, liquidés et taxés à la somme de 2 946 euros par ordonnance du 18 mars 2021, sont mis à la charge définitive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle accordée à Mme D....
Article 4 : Les conclusions de la CPAM de la Seine-et-Marne tendant au bénéfice des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
N° 16VE01846 2