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04/05/2021 | FRANCE | N°17VE02738

France | France, Cour administrative d'appel de Versailles, 4ème chambre, 04 mai 2021, 17VE02738


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La Fondation Jérôme Lejeune a demandé au tribunal administratif de Montreuil d'annuler la décision du 10 octobre 2016 de l'Agence de la biomédecine autorisant l'Institut national de la santé et de la recherche médicale à mettre en œuvre un protocole de recherche sur des cellules souches embryonnaires humaines.

Par un jugement n° 1700621 du 21 juin 2017, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires, enregist

rés les 21 août et 20 septembre 2017, les 23 mai 2018 et 29 octobre 2019, la Fondation Jerôme ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La Fondation Jérôme Lejeune a demandé au tribunal administratif de Montreuil d'annuler la décision du 10 octobre 2016 de l'Agence de la biomédecine autorisant l'Institut national de la santé et de la recherche médicale à mettre en œuvre un protocole de recherche sur des cellules souches embryonnaires humaines.

Par un jugement n° 1700621 du 21 juin 2017, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés les 21 août et 20 septembre 2017, les 23 mai 2018 et 29 octobre 2019, la Fondation Jerôme Lejeune, représentée par Me Hourdin, avocat, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 21 juin 2017 ainsi que la décision du 10 octobre 2016 de la directrice de l'Agence de la biomédecine ;

2°) de mettre à la charge de l'Agence de la biomédecine une somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la décision attaquée a été prise en méconnaissance des dispositions des I et II de l'article L. 2151-5 du code de la santé publique, contrairement à ce qu'a jugé le tribunal ;

- l'existence de méthodes alternatives a été méconnue en méconnaissance de l'article L. 2151-5 I 3° du code de la santé publique.

Par trois mémoires en défense enregistrés les 8 décembre 2017, 24 août 2018 et 30 septembre 2019, l'Agence de la biomédecine, représentée par la SCP Piwnica et Molinié, avocats au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 2 000 euros soit mise à la charge de la Fondation Jérôme Lejeune au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- le consentement des couples relève des praticiens intervenant en matière d'aide à la procréation, très en amont des protocoles de recherche et que les formulaires de consentement ne sont pas remis au responsable de la recherche, et le rapport du professeur Jonveaux du 10 septembre 2016 atteste de la remise des documents exigés ;

- un expert a considéré que le recours aux cellules souches d'embryons humains était nécessaire compte tenu des modifications épigénétiques des cellules IPS et de leurs mutations, et les modèles murins mutés pour APC ne récapitulent qu'incomplètement la pathologie oculaire et mal des tumeurs desmoïdes humaines, et l'autre expert a considéré que l'utilisation exclusive d'IPS pouvait être préjudiciable à l'obtention de résultats robustes ;

- les cellules souches pluripotentes de type IPS sont très hétérogènes, alors que les cellules souches d'embryons humains sont beaucoup plus homogènes ;

- les cellules souches d'embryons humains sont la référence dans le domaine de la pluripotence ;

- les cellules dérivées d'embryons humains sont beaucoup moins artificielles dès lors qu'elles n'ont subi aucune manipulation génétique ou épigénétique et plus à même de valider la démarche scientifique lors de modélisation de maladies ;

- il est préférable d'utiliser des cellules souches spontanément pluripotentes, sans passer par un processus de reprogrammation pour étudier les mutations de la protéine APC qui induisent des dysfonctionnement dans d'autres tissus qui peuvent servir de marqueurs de prédiction dans les familles à risque. Le processus de reprogrammation serait susceptible d'interférer avec les résultats ;

- le raisonnement est identique pour le second objectif du protocole, l'établissement d'organoïdes intestinaux à partir de cellules souches d'embryons humains, la voie " Wnt " étant cruciale pour le fonctionnement des cellules souches intestinales. La comparaison entre les cellules souches d'embryons humains et les IPS est systématique.

..........................................................................................................

Vu :

- les rapports d'expertise enregistrés les 8 et 17 décembre 2020 ;

- les ordonnances du 21 décembre 2020 et du 12 janvier 2021 du président de la cour administrative d'appel de Versailles liquidant et taxant les frais d'expertise à la somme de 1 705 euros pour le Dr A... et à la somme de 300 euros pour le Pr de Vos ;

- les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Le Gars,

- les conclusions de Mme Grossholz, rapporteur public,

- les observations de Me Hourdin pour la Fondation Jérôme Lejeune, et celles de Me de Cenival pour l'Agence de la biomédecine.

Considérant ce qui suit :

1. La Fondation Jérôme Lejeune relève appel du jugement du 21 juin 2017 par lequel le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande d'annulation de la décision du 10 octobre 2016 de l'Agence de la biomédecine autorisant l'Institut national de la santé et de la recherche médicale à mettre en œuvre un protocole de recherche sur des cellules souches embryonnaires humaines.

2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 2151-5 du code de la santé publique : " I.- Aucune recherche sur l'embryon humain ni sur les cellules souches embryonnaires ne peut être entreprise sans autorisation. Un protocole de recherche conduit sur un embryon humain ou sur des cellules souches embryonnaires issues d'un embryon humain ne peut être autorisé que si : 1° La pertinence scientifique de la recherche est établie ; 2° La recherche, fondamentale ou appliquée, s'inscrit dans une finalité médicale ; 3° En l'état des connaissances scientifiques, cette recherche ne peut être menée sans recourir à ces embryons ou ces cellules souches embryonnaires ; 4° Le projet et les conditions de mise en œuvre du protocole respectent les principes éthiques relatifs à la recherche sur l'embryon et les cellules souches embryonnaires. II.-Une recherche ne peut être menée qu'à partir d'embryons conçus in vitro dans le cadre d'une assistance médicale à la procréation et qui ne font plus l'objet d'un projet parental. La recherche ne peut être effectuée qu'avec le consentement écrit préalable du couple dont les embryons sont issus, ou du membre survivant de ce couple, par ailleurs dûment informés des possibilités d'accueil des embryons par un autre couple ou d'arrêt de leur conservation. A l'exception des situations mentionnées au dernier alinéa de l'article L. 2131-4 et au troisième alinéa de l'article L. 2141-3, le consentement doit être confirmé à l'issue d'un délai de réflexion de trois mois. Le consentement des deux membres du couple ou du membre survivant du couple est révocable sans motif tant que les recherches n'ont pas débuté.(...) ".

3. Il résulte de ce qui précède que le principe, dont le contenu est précisé au II de l'article L. 2151-5 du code de la santé publique et qui résulte également des principes fondamentaux énoncés par les articles 16 à 16-8 du code civil, selon lequel aucune recherche sur l'embryon humain ou sur les cellules souches embryonnaires humaines ne peut être menée sans le consentement écrit préalable des membres du couple dont l'embryon est issu, ou du membre survivant de ce couple, est au nombre des conditions légales auxquelles une telle recherche est subordonnée et dont la méconnaissance est pénalement sanctionnée. Il fait partie des principes éthiques relatifs à la recherche sur l'embryon et les cellules souches embryonnaires auxquels fait référence le 4° du I de l'article L. 2151-5 du code de la santé publique.

4. Il incombe ainsi à l'Agence de la biomédecine de veiller, notamment à l'occasion des inspections qu'elle diligente, au respect de cette condition de consentement et de suspendre ou de retirer l'autorisation accordée à une recherche qui serait menée en méconnaissance de ce principe. Il résulte en revanche des termes mêmes du III de l'article L. 2151-5 du code de la santé publique que le recueil effectif des consentements individuels n'a pas à être vérifié lors de cette autorisation.

5. L'Agence de la biomédecine produit l'attestation du 1er décembre 2015 du Pr Viville, responsable de l'organisme fournisseur des CSEh pour les deux lignées de cellules souches dérivées en France, justifiant que le consentement des couples donneurs a été recueilli, dans le cadre d'un don, dans des conditions conformes aux exigences législatives. Elle produit également le modèle type du formulaire de consentement utilisé. Le moyen tiré de l'absence de vérification du consentement des couples d'embryons doit par suite, et en tout état de cause, être écarté.

6. En second lieu, aux termes de l'article L. 2151-5 du code de la santé publique : " I. Aucune recherche sur l'embryon humain ni sur les cellules souches embryonnaires ne peut être entreprise sans autorisation. Un protocole de recherche conduit sur un embryon humain ou sur des cellules souches embryonnaires issues d'un embryon humain ne peut être autorisé que si (...) / 3° En l'état des connaissances scientifiques, cette recherche ne peut être menée sans recourir à ces embryons ou ces cellules souches embryonnaires ; ". Il résulte de ces dispositions que l'autorisation par l'Agence de la biomédecine d'un protocole de recherche conduit sur un embryon humain ou sur des cellules souches embryonnaires issues d'un embryon humain est subordonnée, notamment, à la condition que la recherche ne doit pas pouvoir, en l'état des connaissances scientifiques, être menée sans recourir à des embryons ou des cellules souches embryonnaires, qui comporte la vérification du moment et de l'étendue du recours projeté par le protocole à l'embryon humain ou à des cellules souches embryonnaires issues d'un embryon humain, ce recours devant être différé et limité autant qu'il demeure scientifiquement pertinent de le faire.

7. La Fondation Jérôme Lejeune conteste la régularité de l'expertise aux motifs que chacun des deux experts a remis son rapport sans que figure une indication de confrontation de leurs points de vue pour aboutir à des conclusions communes, que les parties n'ont pas été entendues au cours de l'expertise, et que l'un des experts n'était pas compétent techniquement. Toutefois, à supposer même que l'expertise soit entachée d'irrégularité, cette circonstance ne fait pas obstacle à ce que les rapports d'expertise soient retenus par la cour à titre d'élément d'information.

8. Le projet de recherche autorisé porte sur l'étude des rôles physiopathologiques de la protéine APC, mutée dans la polypose adénomateuse familiale, et responsable de cancers colorectaux. Pour autoriser le projet, l'Agence de la biomédecine s'est fondée sur le fait que le recours aux cellules souches pluripotentes induites (IPS. ) " ne semble pas adapté " dans la mesure où elles ne reproduisent pas complètement le phénotype des cellules souches embryonnaires humaines (CSEh), tendent à conserver une mémoire épigénétique, sont porteuses de mutations génétiques dues au processus de reprogrammation et sont extrêmement hétérogènes, alors que les CSEh sont beaucoup plus homogènes et spontanément pluripotentes, sans nécessité d'induire des modifications génétiques ou épigénétiques.

9. Il ressort des diverses pièces du dossier que les CSEh étaient considérées à la date de la délivrance de l'autorisation attaquée comme la référence dans le domaine de la recherche, qu'alors que les différences entre les cellules IPS et les CSEh peuvent s'estomper selon la qualité du protocole de reprogrammation, les CSEh restent donc les plus authentiquement pluripotentes contrairement aux cellules IPS dont la pluripotence est artificiellement obtenue. Il en ressort également qu'il n'est pas possible d'établir que des recherches menées sur des cellules IPS aboutiraient à un résultat identique à celles menées sur des CSEh qui avaient ainsi toute leur place dans le travail de recherche en question. Dans ces conditions, il ne ressort pas des pièces du dossier que le programme de recherche autorisé pouvait être mené sans avoir recours aux CSEh. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance du 3° de l'article L. 2151-5 du code de la santé publique doit être écarté.

10. Il résulte de tout ce qui précède que la Fondation Jérôme Lejeune n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué du 21 juin 2017, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande.

Sur les dépens :

11. Les frais d'expertise, taxés et liquidés aux sommes de 1 705 et 300 euros sont mis à la charge définitive de la Fondation Jérôme Lejeune.

Sur les frais liés à l'instance :

12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Agence de la biomédecine qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance. Il n'y a pas lieu dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la Fondation Jérôme Lejeune la somme demandée au titre de ces mêmes dispositions.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de la Fondation Jérôme Lejeune est rejetée.

Article 2 : Les frais d'expertise sont mis à la charge définitive de la Fondation Jérôme Lejeune.

Article 3 : Les conclusions présentées par l'Agence de la biomédecine au titre de l'article

L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

N° 17VE02738 5


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Versailles
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 17VE02738
Date de la décision : 04/05/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

61-05 Santé publique. - Bioéthique.


Composition du Tribunal
Président : M. OLSON
Rapporteur ?: Mme Laurence BESSON-LEDEY
Rapporteur public ?: Mme GROSSHOLZ
Avocat(s) : SCP PIWNICA et MOLINIE

Origine de la décision
Date de l'import : 05/10/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.versailles;arret;2021-05-04;17ve02738 ?
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