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29/03/2021 | FRANCE | N°19VE02828

France | France, Cour administrative d'appel de Versailles, 4ème chambre, 29 mars 2021, 19VE02828


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mmes A... et E... B... ont demandé au tribunal administratif de Montreuil de condamner la commune de Rosny-sous-Bois à leur verser une somme de 100 000 euros en réparation des préjudices qu'elles ont subis du fait de l'intervention à leur domicile des agents municipaux de l'unité d'hygiène de la commune.

Par un jugement n° 1801167 du 6 juin 2019, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté cette demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 2 août 2019 et u

n mémoire en réplique enregistré le 4 juillet 2020, Mmes B..., représentées par Me Coll, avoc...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mmes A... et E... B... ont demandé au tribunal administratif de Montreuil de condamner la commune de Rosny-sous-Bois à leur verser une somme de 100 000 euros en réparation des préjudices qu'elles ont subis du fait de l'intervention à leur domicile des agents municipaux de l'unité d'hygiène de la commune.

Par un jugement n° 1801167 du 6 juin 2019, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté cette demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 2 août 2019 et un mémoire en réplique enregistré le 4 juillet 2020, Mmes B..., représentées par Me Coll, avocat, demandent à la Cour :

1° d'annuler ce jugement ;

2° de condamner la commune de Rosny-sous-Bois à leur verser une somme de 100 000 euros, sauf à parfaire, en réparation des préjudices subis du fait de l'intervention à leur domicile des agents municipaux de l'unité d'hygiène ;

3° d'assortir cette somme des intérêts de droit à compter de la réception de leur demande préalable du 10 janvier 2018 ;

4° de mettre à la charge de la commune de Rosny-sous-Bois la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Mmes B... soutiennent que :

- le jugement est entaché d'une irrégularité en ce qu'il omet de statuer sur leur demande d'indemnisation de leurs préjudices ;

- le jugement est entaché d'une erreur de droit en ce qu'il n'a pas reconnu que la commune avait commis une faute de nature à engager sa responsabilité en faisant un usage de ses pouvoirs de police excédant les prescriptions de l'ordonnance du tribunal de grande instance de Bobigny du 20 juin 2016 ;

- le jugement est entaché d'une erreur de droit en ce qu'il n'a pas reconnu que la responsabilité de la commune avait été engagée sur le fondement de la rupture d'égalité devant les charges publiques ;

- elles ont subi des préjudices d'ordre matériel et moral qui peuvent être évalués à 50 000 euros chacun et qui sont le résultat direct de l'intervention des agents de l'unité d'hygiène de la commune de Rosny-sous-Bois.

...............................................................................................................

Vu la demande indemnitaire préalable du 10 janvier 2018 et les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. D...,

- les conclusions de Mme Grossholz, rapporteur public,

- et les observations de Me C..., substituant Me F..., pour la commune de Rosny-sous-Bois.

Considérant ce qui suit :

1. Mmes A... et E... B... habitent au 25 rue des Berthauds dans la résidence " Villebois Mareuil ", à Rosny-sous-Bois (Seine-Saint-Denis). Par des courriers en date du 10 juillet 2015, 30 septembre 2015, 3 mars 2016 et 1er avril 2016, le syndicat des copropriétaires de la résidence a alerté le maire de cette commune sur l'existence de nuisances olfactives provenant de l'appartement de Mmes B... et a demandé l'intervention des services de l'inspection de la salubrité publique. Plusieurs rendez-vous ont alors été fixés par les services municipaux, les 5 novembre 2015, 15 décembre 2015, 29 décembre 2015, 7 mars 2016 et 22 mars 2016, en vain, Mmes B... ayant toujours refusé aux fonctionnaires municipaux l'accès à leur logement. La commune a alors obtenu, le 20 juin 2016, une ordonnance du tribunal de grande instance de Bobigny, autorisant les agents de l'unité d'hygiène à entrer dans le logement afin d'en constater l'état et à effectuer d'office les travaux de nettoyage en ayant recours à une société privée de nettoyage aux frais de Mme A... B.... Par ailleurs, par un courrier du 27 juillet 2016, le Préfet de la Seine-Saint-Denis a accordé le concours de la force publique à la commune pour mener à bien cette opération. Celle-ci se déroula du 1er au 5 août 2016. Par un courrier du 10 janvier 2018, reçu le 15 janvier suivant, Mmes B... ont saisi la commune de Rosny-sous-Bois d'une demande indemnitaire préalable tendant à la réparation des préjudices matériel et moral qui résulteraient de cette opération. Cette demande a été rejetée par la commune le 5 février 2018. Mmes B... relèvent appel du jugement du 6 juin 2019 par lequel le tribunal administratif de Montreuil a rejeté leur demande tendant à la condamnation de la commune à leur verser la somme de 100 000 euros, assortie des intérêts légaux, en réparation de leurs préjudices.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Dès lors que les premiers juges ont considéré que Mmes B... n'étaient pas fondées à engager la responsabilité de la commune de Rosny-sous-Bois à raison des opérations de nettoyage réalisées dans leur logement du 1er au 5 août 2016, ils ont pu, sans entacher leur jugement d'une omission à statuer, s'abstenir de se prononcer sur la réalité des préjudices allégués par les requérantes. Ces dernières ne sont donc pas fondées à soutenir que le jugement du tribunal administratif de Montreuil est irrégulier de ce chef.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

En ce qui concerne la responsabilité pour faute de la commune :

3. Aux termes de l'article L. 2212-1 du code général des collectivités territoriales, " le maire est chargé, sous le contrôle administratif du représentant de l'Etat dans le département, de la police municipale, de la police rurale et de l'exécution des actes de l'Etat qui y sont relatifs ". Selon l'article L. 2212-2 du même code, " la police municipale a pour objet d'assurer le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publique (...) ".

4. Par l'ordonnance du 20 juin 2016 déjà mentionnée du tribunal de grande instance de Bobigny les agents de l'unité d'hygiène de la commune de Rosny-sous-Bois ont été autorisés à entrer dans le logement de Mme A... B... avec l'assistance d'un officier de police judiciaire et d'un serrurier, à constater l'état du logement et à effectuer d'office les travaux de nettoyage en ayant recours à une société privée de nettoyage aux frais de Mme A... B....

5. Les requérantes soutiennent que les services de la commune, lors de l'opération de nettoyage, ont excédé les prescriptions de l'ordonnance du tribunal de grande instance et ont ainsi commis une faute de nature à engager la responsabilité de la commune. Elles font valoir à cet égard que la porte d'entrée, les volets et les fenêtres de l'appartement ont été cassés, qu'elles-mêmes ont été violemment expulsées de leur logement, causant des hématomes aux deux bras et aux deux jambes de Mme A... B..., et laissées errantes pendant la durée de l'opération, sans effets personnels et sans logement, que la quasi-totalité de leurs affaires personnelles ont été jetées, détruisant ainsi toute une vie de souvenirs.

6. Il résulte cependant de l'instruction, et notamment du procès-verbal de constat établi par l'huissier présent pendant les opérations, que lorsque le 1er août 2016, les agents publics se sont présentés à 14h30 au domicile de Mmes B..., celles-ci ont refusé de leur ouvrir, de sorte qu'il a dû être fait appel à un serrurier pour procéder à l'ouverture forcée de la porte, sans qu'il soit toutefois possible de pénétrer dans l'appartement en raison d'un amoncellement de sacs bloquant le passage. Les pompiers ont alors été appelés afin d'installer une échelle télescopique pour accéder à l'appartement via son balcon, en vain, puisque la pièce donnant sur le balcon était elle aussi obstruée par des sacs et des détritus. La décision a alors été prise de forcer l'ouverture de la porte. Tout au long de ces opérations, les occupantes se sont opposées formellement à l'entrée d'une tierce personne dans l'appartement et ont proféré des injures à l'égard des personnes présentes. L'attitude de Mmes B... a conduit les forces de police à intervenir, " sans usage excessif de la force ", ainsi que le constate l'huissier et, du fait de la résistance opposée, à menotter les deux occupantes avant de les descendre en bas de l'immeuble où elles ont été prises en charge par les pompiers afin de les apaiser et leur prodiguer des soins médicaux. Après avoir été transportées à 16h30 à l'hôpital de Montreuil, Mmes B... ont décidé de quitter l'hôpital et de réintégrer leur logement vers 18h00, où elles ont commencé à remonter un certain nombre d'affaires et de sacs poubelles précédemment descendus par les services de l'hygiène pour procéder au nettoyage. Le lendemain les occupantes de l'appartement se sont à nouveau opposées à la poursuite de l'opération de nettoyage avant d'être finalement reconduites à l'hôpital de Montreuil où elles ont été vues par un psychiatre et ont accepté, sur sa proposition, une solution de relogement temporaire pendant la durée des opérations qui se sont déroulées jusqu'au 5 août 2016, date à laquelle Mmes B... ont réintégré leur logement.

7. D'une part, il ne résulte pas de l'instruction, contrairement à ce soutiennent les requérantes, que les volets et les fenêtres de l'appartement auraient été cassés lors de ces opérations. Si la porte d'entrée a été fracturée, il résulte de ce qui a été dit que les dégâts ainsi causés résultent du seul refus des requérantes à laisser les agents de l'unité d'hygiène de la commune de Rosny-sous-Bois pénétrer, ainsi qu'ils y avaient été autorisés par l'ordonnance du 20 juin 2016, dans leur appartement. Il est au surplus relevé que la porte ainsi fracturée a été remplacée gracieusement par la commune dès le 1er août 2016.

8. D'autre part, il résulte des circonstances de fait retracées au point 6 que les conditions dans lesquelles Mmes B... ont été conduites à l'extérieur de leur appartement ce même jour, qui résultent sur ce point également de l'attitude des intéressées, ne sont pas constitutives d'une faute de nature à engager la responsabilité de la commune, étant relevé par ailleurs que la plainte déposée par Mme A... B... pour violence policière a été classée sans suite. Contrairement à ce que les requérantes soutiennent, elles n'ont pas été laissées errantes pendant la durée des opérations, sans effets personnels et sans logement. Il résulte en effet du procès-verbal de constat que toutes les solutions de relogement proposées par la commune le premier jour de l'intervention ont été refusées par Mmes B.... C'est également de son propre chef que Mme A... B... s'est rendue le 1er août dans un centre commercial, pieds nus. Par ailleurs, il ne résulte pas de l'instruction que les requérantes aient été empêchées de prendre, lors de leur départ du logement le lendemain, des affaires personnelles.

9. Enfin, il résulte de l'instruction, et notamment du procès-verbal de constat de l'huissier, qu'un tri des affaires de Mmes B... a été effectué lors des opérations de nettoyage afin que les biens propres et les papiers personnels des occupantes puissent être mis de côté, alors que les affaires qui étaient pourries, remplies de moisissures ou dans un état de putréfaction ont été jetées. Si les requérantes soutiennent notamment que des costumes d'époque et des perruques à la valeur inestimable appartenant à Mme E... B..., comédienne, ont été jetés, elles ne l'établissent pas par les pièces produites en première instance.

10. Il résulte de ce qui précède, compte tenu de l'attitude de Mmes B... lors de l'exécution des opérations ainsi que de l'état d'extrême saleté et d'encombrement dans lequel se trouvait l'appartement, que les agents de l'unité d'hygiène de la commune n'ont pas excédé les prescriptions de l'ordonnance du 20 juin 2016 du tribunal de grande instance de Bobigny. En conséquence, Mmes B... ne sont pas fondées à soutenir que la responsabilité pour faute de la commune de Rosny-sous-Bois serait engagée à raison de ces opérations de nettoyage et de désinfection de leur logement.

En ce qui concerne la responsabilité sans faute de la commune :

11. La responsabilité de la puissance publique peut se trouver engagée, même sans faute, sur le fondement du principe d'égalité des citoyens devant les charges publiques, lorsqu'une mesure légalement prise a pour effet d'entraîner, au détriment d'une personne physique ou morale, un préjudice grave et spécial, qui ne peut être regardé comme une charge lui incombant normalement.

12. Mmes B... soutiennent que les opérations de nettoyage et de désinfection menées par les services de la commune de Rosny-sous-Bois dans leur logement auraient eu pour conséquence de leur causer un préjudice grave et spécial dès lors notamment qu'elles se seraient retrouvées privées de leurs affaires personnelles, jetées durant l'opération, à l'exception de quelques biens. Cependant, il résulte de l'instruction que cette intervention de la commune a été motivée par les demandes répétées du syndicat des copropriétaires de la résidence compte tenu des nuisances olfactives provenant de l'appartement des requérantes et d'un possible risque sanitaire en raison de la putréfaction de détritus et de la multiplication de moucherons. Par ailleurs, et malgré des demandées répétées de la commune puis une ordonnance du tribunal de grande instance de Bobigny, Mmes B... ont systématiquement refusé de nettoyer leur appartement, d'y laisser entrer les agents de la commune ou d'aider à l'opération de nettoyage et de désinfection, opposant même une résistance physique à cette dernière. Dans ces conditions, les préjudices matériel et moral allégués, à les supposer établis, ne peuvent être regardés comme des préjudices anormaux et spéciaux mais, au contraire, comme le résultat du comportement fautif de Mmes B..., totalement exonératoire. Dès lors, ces dernières ne sont pas davantage fondées à soutenir que la responsabilité de la commune de Rosny-sous-Bois pour rupture d'égalité devant les charges publiques serait engagée.

13. Il résulte de tout ce qui précède que Mmes B... ne sont pas fondées à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté leur demande.

Sur l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

14. La commune de Rosny-sous-Bois n'étant pas la partie perdante dans la présente instance, les conclusions présentées par Mmes B... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent être que rejetées. Il y a lieu, en revanche, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge solidaire de Mmes B... une somme de 1 500 euros à verser à la commune de Rosny-sous-Bois au titre des frais exposés dans la présente instance et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de Mmes B... est rejetée.

Article 2 : Mmes B... verseront solidairement la somme de 1 500 euros à la commune de Rosny-sous-Bois au titre de l'article L. 761-1 du code de la justice administrative.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la commune de Rosny-sous-Bois présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative est rejeté.

N° 19VE02828 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Versailles
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 19VE02828
Date de la décision : 29/03/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. BROTONS
Rapporteur ?: M. Bruno COUDERT
Rapporteur public ?: Mme GROSSHOLZ
Avocat(s) : CABINET COLL

Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.versailles;arret;2021-03-29;19ve02828 ?
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