Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. D... C... a demandé au tribunal administratif de Montreuil d'annuler la décision du 13 février 2014 par laquelle le directeur du centre hospitalier Delafontaine de Saint-Denis a résilié sa convention de stage.
Par un jugement n° 1401900 du 25 septembre 2015, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande.
Par un arrêt n° 15VE03582 du 19 décembre 2017, la Cour a rejeté l'appel formé par M. C... contre ce jugement.
Par une décision n° 418299 du 12 février 2020, rectifiée par une ordonnance du 20 février 2020, le Conseil d'État, statuant au contentieux, a annulé cet arrêt et renvoyé l'affaire à la Cour.
Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 27 novembre 2015 et des mémoires enregistrés les 14 décembre 2015, 24 juillet 2017, et, après cassation, le 18 mai 2020, M. C..., représenté par Me A..., avocat, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Montreuil n° 1401900 du 25 septembre 2015 ;
2°) d'annuler la décision du 13 février 2014 par laquelle le directeur du centre hospitalier Delafontaine de Saint-Denis a résilié sa convention de stage ;
3°) de mettre à la charge du centre hospitalier Delafontaine de Saint-Denis la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient, dans le dernier état de ses écritures, que :
- la décision attaquée, en tant qu'elle se fonde sur son insuffisante maitrise de la langue française, repose sur des faits matériellement inexacts ;
- cette décision est entachée d'une erreur de droit dans l'application des principes de laïcité et de neutralité ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation de son comportement et du caractère que revêt le port d'une barbe ;
- elle méconnait les principes de laïcité et de neutralité garantis par l'article 1er de la Constitution, par son Préambule et par et la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Eglises et de l'État ;
- elle méconnait les stipulations de l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle méconnait sa liberté fondamentale du droit au travail garantie par la charte sociale européenne ;
- elle méconnait l'article 15 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- elle méconnait l'article 23 de la déclaration universelle des droits de l'homme et le préambule de la Constitution ;
- elle méconnait les articles 17, 18, 19 et 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques ;
- l'administration ne pouvait le contraindre de quitter son logement avant le 21 avril 2014.
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la Constitution, et notamment son Préambule ;
- le code de la santé publique ;
- la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Eglises et de l'État ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Illouz, conseiller,
- les conclusions de Mme Danielian, rapporteur public,
- et les observations de Me A..., pour M. C..., et de Me B..., pour le centre hospitalier Delafontaine de Saint-Denis.
Une note en délibéré, présentée pour M. C..., a été enregistrée le 25 juin 2020.
Considérant ce qui suit :
1. M. C..., chirurgien de nationalité égyptienne, a conclu avec le centre hospitalier Delafontaine de Saint-Denis une convention le 17 octobre 2012 prévoyant son accueil en qualité de stagiaire dans le cadre des dispositions des articles L. 6134-1 et suivants du code de la santé publique. Ce stage, qui devait initialement démarrer le 4 novembre 2013 et durer un an, a été précédé d'une période d'observation suivie par M. C... au sein des services du centre hospitalier à compter du 30 septembre 2013. Dès le 2 octobre suivant, la directrice des affaires médicales du centre hospitalier l'a reçu afin de lui demander de raser ou de réduire la taille de sa barbe, considérée par l'administration comme présentant le caractère d'un " signe religieux extérieur et ostentatoire ". M. C... n'ayant pas déféré à cette invitation, celui-ci a été invité à cesser de se présenter au sein du service, à titre conservatoire, à compter du 14 octobre 2013, avant d'être suspendu de ses fonctions par une décision du directeur du centre hospitalier du 31 octobre suivant. Par une décision du 13 février 2014, cette autorité a résilié la convention le liant au centre hospitalier et a mis fin à son stage. M. C... fait régulièrement appel du jugement du 25 septembre 2015 par lequel le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision.
Sur la légalité de la décision du 13 février 2014 :
En ce qui concerne la manifestation extérieure d'une croyance religieuse :
2. Aux termes de l'article L. 6134-1 du code de la santé publique, dans sa rédaction applicable au litige : " Dans le cadre des missions qui leur sont imparties et dans les conditions fixées par voie réglementaire, les établissements publics de santé peuvent participer à des actions de coopération, y compris internationales (...) ". L'article R. 6134-2 du même code dispose que : " Bénéficient d'une formation complémentaire dans le cadre des conventions mentionnées à l'article L. 6134-1 : / 1° Les médecins et pharmaciens titulaires d'un diplôme de docteur en médecine ou en pharmacie permettant l'exercice dans le pays d'obtention ou d'origine et n'effectuant pas une formation universitaire en France. Ils sont désignés en qualité de stagiaires associés pour une période de six mois renouvelable une fois (...) ". Ainsi que l'a jugé le Conseil d'État, statuant au contentieux, par sa décision n° 418299 du 12 février 2020, les praticiens étrangers qui sont, en application de ces dispositions, accueillis en tant que stagiaires associés dans un établissement public de santé doivent respecter les obligations qui s'imposent aux agents du service public hospitalier. A ce titre, s'ils bénéficient de la liberté de conscience qui interdit toute discrimination fondée sur la religion, le principe de laïcité fait obstacle à ce qu'ils manifestent leurs croyances religieuses dans le cadre du service public.
3. Pour estimer que M. C... avait manqué aux obligations qui viennent d'être rappelées, le directeur du centre hospitalier Delafontaine de Saint-Denis a, dans les motifs de la décision attaquée, relevé que l'intéressé arborait une " barbe très imposante de type islamique, rappelant à l'évidence [son] appartenance religieuse et lue par tous [les] personnels comme telle ", et dont le caractère ostentatoire ne ferait, selon lui, aucun doute. Il ne ressort toutefois pas des pièces du dossier que les membres du personnel ou les usagers du centre hospitalier, qui ne produit aucune pièce en ce sens, auraient manifesté une quelconque gêne à la vue de la barbe de M. C..., ni qu'ils auraient identifié celle-ci comme un signe d'appartenance religieuse. L'établissement ne fournit pas davantage d'éléments de nature à révéler que cette barbe, dont aucune photographie contemporaine de la décision attaquée n'est versée aux débats, devrait nécessairement s'analyser comme ayant une signification d'ordre religieux que l'intéressé aurait souhaité lui donner. Dans ces conditions, les seules circonstances que M. C... ait refusé de raser ou tailler sa barbe et n'ait pas formellement démenti le caractère religieux de celle-ci sont insuffisantes pour établir que l'intéressé aurait méconnu l'interdiction de manifester une croyance religieuse au sein du service. Par suite, le directeur du centre hospitalier Delafontaine de Saint-Denis a inexactement qualifié les faits de l'espèce en estimant que la barbe et le comportement de l'intéressé présentaient un caractère religieux et ostentatoire révélant que celui-ci manifestait une conviction religieuse au sein du service.
En ce qui concerne la maîtrise de la langue française :
4. Pour résilier la convention de stage conclue en vue de l'accueil de M. C... au sein de l'établissement, le directeur du centre hospitalier Delafontaine de Saint-Denis s'est également fondé sur la circonstance que son " niveau de français paraissait insuffisant pour participer aux activités " du service auquel il avait vocation à être affecté. Il ressort toutefois des pièces du dossier que M. C... est titulaire d'un diplôme d'études en langue française ayant notamment sanctionné de bonnes notes obtenues en matière d'expression orale. Dès lors, la seule circonstance que l'intéressé a demandé à poursuivre en anglais les entretiens avec la direction du centre hospitalier relatifs à son apparence physique n'est pas, alors que les échanges préalables à son recrutement s'étaient déroulés en français, de nature à révéler une maitrise insuffisante de la langue française, notamment pour l'exercice de ses fonctions médicales pour lesquelles aucune insuffisance de maitrise du français ne ressort des pièces du dossier. En retenant ce second motif pour prendre la décision en litige, le directeur du centre hospitalier Delafontaine de Saint-Denis s'est, par suite, fondé sur des faits matériellement inexacts.
5. Il résulte de tout ce qui précède que, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, M. C... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande.
Sur les frais liés au litige :
6. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de M. C..., qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme que le centre hospitalier Delafontaine de Saint-Denis demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens. Il y a lieu, en revanche, de mettre à la charge de ce centre une somme de 1 500 euros à verser à M. C... sur le fondement des mêmes dispositions.
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Montreuil n° 1401900 du 25 septembre 2015 et la décision du directeur du centre hospitalier Delafontaine de Saint-Denis du 13 février 2014 sont annulés.
Article 2 : Le centre hospitalier Delafontaine de Saint-Denis versera à M. C... une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Les conclusions présentées par le centre hospitalier Delafontaine de Saint-Denis au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
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N° 20VE00675
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