Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société Groupe Lucien Barrière a demandé au Tribunal administratif de Montreuil de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés, de contribution sociale et de contribution exceptionnelle mises à sa charge au titre de l'exercice clos le 31 octobre 2012.
Par un jugement n° 1707036 du 17 janvier 2019, et une ordonnance n° 1707036 du 29 janvier 2019, le Tribunal administratif de Montreuil a déchargé la société Groupe Lucien Barrière des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés, de contribution sociale et de contribution exceptionnelle sur cet impôt au titre de l'exercice en litige, pour un montant de 2 894 788 euros.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et des mémoires, enregistrés les 22 mars, 9 octobre et 4 décembre 2019, le MINISTRE DE L'ACTION ET DES COMPTES PUBLICS demande à la Cour :
1° d'annuler les articles 1 et 2 de ce jugement ;
2° de rétablir les cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés de contribution sociale et de contribution exceptionnelle mises à la charge de la société Groupe Lucien Barrière au titre de l'exercice clos le 31 octobre 2012 à hauteur du montant de 2 894 788 euros.
Il soutient que :
- c'est à tort que les premiers juges ont estimé que les impositions supplémentaires litigieuses, qui résultent du refus opposé en vertu des dispositions de l'article 223 A du code général des impôts de prendre en compte la déduction des pertes prétendues définitives de la Société d'animation touristique de Dinant (SATD), filiale belge de la SAS Société de Participations Casinotières (SPC), filiale intégrée du groupe dont la société Groupe Lucien Barrière est la tête, portent atteinte à la liberté d'établissement garantie par les articles 49 et 54 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, qui se sont substitués aux articles 43 et 48 du Traité instituant la communauté européenne ; les différentes décisions de la Cour de justice de l'Union européenne interprétant ces dispositions en ce qui concerne la possibilité de déduire les pertes définitives, soit des filiales d'une société européenne établies dans d'autres États membres, soit des succursales ou établissements stables de telles sociétés-mères, n'emportent pas incompatibilité avec ce principe des dispositions de l'article 223 A du code général des impôts qui ne permettent la déduction du résultat d'ensemble d'un groupe fiscalement intégré que des pertes subies par une filiale même du groupe d'intégration fiscale, qui par définition ne peut être qu'une filiale établie en France ;
- les dispositions de l'article 223 A du code général des impôts, comme l'a d'ailleurs confirmé la jurisprudence administrative nationale, font obstacle à la déduction des pertes d'une filiale européenne par une société-mère française, une telle filiale étant par nature hors de l'intégration fiscale ;
- la société Groupe Lucien Barrière ne démontrant pas le caractère définitif des pertes constatées par la société SATD, cette circonstance faisait obstacle, dans tous les cas de figure, à la déduction de ces pertes du revenu d'ensemble du groupe ;
- en tout état de cause, la perte comptabilisée est intervenue dans le champ d'un groupe d'intégration fiscale dont la société-mère était la SAS SPC et qui a disparu le 31 octobre 2005, soit sept ans avant la clôture de l'exercice au cours duquel les pertes litigieuses ont été imputées sur le résultat d'ensemble du groupe dont la société Groupe Lucien Barrière est la société de tête et alors même que ces pertes ont été constatées avant que la SAS SPC n'entre dans ce dernier groupe d'intégration fiscale ;
- la société Groupe Lucien Barrière ne démontre ni qu'elle satisfait aux conditions pour bénéficier du dispositif de déduction des pertes, ni qu'elle était dans l'impossibilité de valoriser les pertes de sa filiale.
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- les arrêts de la Cour de justice des Communautés européennes du 13 décembre 2005, Marks et Spencer (C-446/03), du 25 février 2010, X Holding BV (C-337/08), du 19 juin 2019, Skatteverket contre Holmen AB (C-608/17) ;
- l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 modifiée ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme A...,
- les conclusions de Mme Deroc, rapporteur public,
- et les observations de Me Renoux, avocat, représentant la société Groupe Lucien Barrière.
Une note en délibéré, présentée par la société Groupe Lucien Barrière, a été enregistrée le 28 mai 2020.
Considérant ce qui suit :
1. La société par actions simplifiée (SAS) Société de Participations Casinotières (SPC), membre d'un groupe fiscalement intégré dont la société tête de groupe est la société Groupe Lucien Barrière, avait comme filiale la Société d'Animation Touristique de Dinant (SATD), société de droit belge, jusqu'à la liquidation de cette dernière, intervenue le 31 janvier 2012. A la suite d'une vérification de comptabilité portant sur la période du 1er novembre 2010 au 31 octobre 2012, le service a remis en cause l'imputation du déficit de la société SATD sur le résultat fiscal de la SAS SPC. En conséquence, des impositions supplémentaires d'impôt sur les sociétés, de contribution sociale et de contribution exceptionnelle sur cet impôt au titre des exercices clos le 31 décembre 2012 ont été mises en recouvrement auprès de la société Groupe Lucien Barrière le 16 novembre 2016 pour un montant global de 2 894 788 euros. Le MINISTRE DE L'ACTION ET DES COMPTES PUBLICS fait appel du jugement n° 1707036 du 17 janvier 2019 par lequel le Tribunal administratif de Montreuil a déchargé la société Groupe Lucien Barrière des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés, de contribution sociale et de contribution exceptionnelle sur cet impôt au titre de l'exercice en litige, pour un montant de 2 894 788 euros.
2. L'article 49 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne stipule : " Dans le cadre des dispositions ci-après, les restrictions à la liberté d'établissement des ressortissants d'un État membre dans le territoire d'un autre État membre sont interdites. Cette interdiction s'étend également aux restrictions à la création d'agences, de succursales ou de filiales, par les ressortissants d'un État membre établis sur le territoire d'un État membre. / La liberté d'établissement comporte l'accès aux activités non salariées et leur exercice, ainsi que la constitution et la gestion d'entreprises, et notamment de sociétés au sens de l'article 54, deuxième alinéa, dans les conditions définies par la législation du pays d'établissement pour ses propres ressortissants, sous réserve des dispositions du chapitre relatif aux capitaux ". Selon l'article 54 du même traité : " Les sociétés constituées en conformité de la législation d'un État membre et ayant leur siège statutaire, leur administration centrale ou leur principal établissement à l'intérieur de l'Union sont assimilées, pour l'application des dispositions du présent chapitre, aux personnes physiques ressortissantes des États membres. / Par sociétés, on entend les sociétés de droit civil ou commercial, y compris les sociétés coopératives, et les autres personnes morales relevant du droit public ou privé, à l'exception des sociétés qui ne poursuivent pas de but lucratif ".
3. En outre, aux termes de l'article 223 A du code général des impôts, seuls peuvent être membres d'un groupe fiscal intégré les sociétés et établissements dont les résultats sont soumis à l'impôt sur les sociétés en France. Une société mère d'un groupe fiscal intégré ne peut imputer les pertes subies par une filiale sur le résultat d'ensemble du groupe qu'en application de cet article. Il s'ensuit qu'une société française à la tête d'un groupe fiscalement intégré ne peut, en principe, déduire du résultat d'ensemble de son groupe les pertes subies par une filiale établie dans un autre État de l'Union européenne.
4. D'une part, les stipulations des articles 49 et 54 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne comme celles des articles 43 et 48 du Traité instituant la Communauté européenne qu'elles remplacent, telles qu'interprétées par la Cour de justice de l'Union européenne notamment par son arrêt du 25 février 2010 X Holding BV (affaire C-337/08), ne s'opposent pas à la législation d'un État membre qui, à l'instar des dispositions précitées de l'article 223 A du code général des impôts, ouvre la possibilité, pour une société mère, de constituer une entité fiscale unique avec ses filiales résidentes, mais font obstacle à la constitution d'une entité fiscale unique avec une filiale non-résidente, dès lors que les bénéfices de cette dernière ne sont pas soumis à la loi fiscale de cet État membre.
5. D'autre part, il est vrai, la Cour de justice de l'Union européenne, par son arrêt du 13 décembre 2005, Marks and Spencer plc. (affaire C-446/03), précisé par son arrêt du 19 juin 2019, Skatteverket contre Holmen AB (C-608/17), a dit pour droit que ces mêmes stipulations, ne s'opposent pas, en l'état actuel du droit de l'Union, à une législation d'un État membre qui exclut de manière générale la possibilité pour une société mère résidente de déduire de son bénéfice imposable des pertes subies dans un autre État membre par une filiale établie sur le territoire de celui-ci, alors qu'elle accorde une telle possibilité pour des pertes subies par une filiale résidente, mais qu'elles s'opposent en revanche à ce qu'une telle législation exclut cette possibilité de déduction pour la société mère résidente dans une situation où, d'une part, la filiale non résidente a épuisé les possibilités de prise en compte des pertes qui existent dans son État de résidence au titre de l'exercice fiscal concerné par la demande de dégrèvement ainsi que des exercices fiscaux antérieurs et où, d'autre part, il n'existe pas de possibilités pour que ces pertes puissent être prises en compte dans son État de résidence au titre des exercices futurs soit par elle-même, soit par un tiers, notamment en cas de cession de la filiale à celui-ci, les pertes subies par la filiale non-résidente étant, dans ce cas, définitives, ce qu'il appartient à la société mère résidente de démontrer. A cet égard, le caractère définitif des pertes ne saurait se déduire de la seule liquidation de la filiale non-résidente dès lors que l'imputation de ces pertes sur un résultat imposable dans l'État de résidence demeure possible, notamment dans le cadre du transfert à un tiers assujetti à l'impôt dans ce même État avant la clôture de la liquidation.
6. Il résulte de l'instruction, et notamment de la proposition de rectification adressée à la SAS SPC, que les pertes constatées dans la comptabilité de la société SATD correspondent à un déficit d'exploitation cumulé de 2001 à 2005 d'un montant de 8 018 802 euros et reporté jusqu'à la dissolution de la société au 31 janvier 2012.
7. La société Groupe Lucien Barrière ne démontre pas que ces pertes d'exploitation, qui ne présentent pas par elles-mêmes de caractère définitif et qui n'ont d'ailleurs subsisté jusqu'à la dissolution de la société SATD que du fait du choix de cette société et de sa société mère de les reporter jusqu'à cette échéance, présenteraient un tel caractère définitif en faisant valoir que les dispositions de l'article 207 du code des impôts sur les revenus belge, qui prévoient que, par dérogation à l'article 206 du même code, les pertes professionnelles antérieures ne sont pas déductibles du résultat imposable d'une société au titre de l'exercice d'imposition au cours duquel intervient une prise de contrôle ou un changement de contrôle de la société en cause qui ne répond pas à des besoins légitimes de caractère économique ou financier, auraient fait obstacle à la valorisation des pertes de la société SATD par un tiers cessionnaire, résident fiscal belge, dès lors que ces dispositions, dont il n'est d'ailleurs pas établi qu'elles feraient obstacle de manière absolue à une telle valorisation, ne peuvent à elles seules avoir pour effet d'imposer à l'administration fiscale française de permettre la prise en compte, dans le résultat d'ensemble du groupe dont la société Groupe Lucien Barrière est la tête, de pertes qui ne seraient définitives que par le seul effet de la loi fiscale belge, sauf à méconnaître l'autonomie et la répartition équilibrée du pouvoir d'imposition de chaque Etat membre.
8. Au surplus, la société Groupe Lucien Barrière ne démontre pas davantage que les modalités particulières de changement d'exploitant du casino de Dinant dont la société SATD assurait la gestion dans le cadre d'une concession consentie par la commune de Dinant auraient fait obstacle à la reprise des actifs de cette société par un tiers de quelque nature que ce soit avant la clôture de la liquidation. Par suite, et à supposer, en tout état de cause, que la société Groupe Lucien Barrière eût pu procéder à une telle imputation sur le fondement de l'article 223 A du code général des impôts, l'absence de caractère définitif des pertes de la société SATD faisait obstacle à ce qu'elles soient déduites du bénéfice réalisé par la SAS SPC au titre de l'exercice clos en 2012.
9. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la requête ni de poser, comme le demande la société Groupe Lucien Barrière, une question préjudicielle à la Cour de justice de l'Union européenne, que le MINISTRE DE L'ACTION ET DES COMPTES PUBLICS est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montreuil a prononcé la décharge des impositions supplémentaires d'impôt sur les sociétés, de contribution sociale et de contribution exceptionnelle sur cet impôt mises à la charge de la société Groupe Lucien Barrière au titre de l'exercice clos le 31 octobre 2012.
Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
10. Ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'État, qui n'est pas la partie perdante à la présente instance, la somme que demande la société Groupe Lucien Barrière au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : Les articles 1 et 2 du jugement n° 1707036 du 17 janvier 2019 du Tribunal administratif de Montreuil sont annulés.
Article 2 : La somme de 2 894 788 euros est remise à la charge de la société Groupe Lucien Barrière.
Article 3 : Les conclusions de la société Groupe Lucien Barrière présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
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N° 19VE01012