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10/03/2020 | FRANCE | N°17VE00525

France | France, Cour administrative d'appel de Versailles, 4ème chambre, 10 mars 2020, 17VE00525


Vu la procédure suivante :

Procédure antérieure :

Mme B... A... a demandé au Tribunal administratif de Cergy-Pontoise d'annuler la décision du 23 janvier 2014 par laquelle le ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social a autorisé la société The Phone House à procéder au transfert de son contrat de travail.

Par un jugement n°1402960 du 20 décembre 2016, le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 20 février 2017, et deux m

émoires complémentaires du 23 mai 2018 et 28 novembre 2018, Mme A..., représentée par Me C...,...

Vu la procédure suivante :

Procédure antérieure :

Mme B... A... a demandé au Tribunal administratif de Cergy-Pontoise d'annuler la décision du 23 janvier 2014 par laquelle le ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social a autorisé la société The Phone House à procéder au transfert de son contrat de travail.

Par un jugement n°1402960 du 20 décembre 2016, le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 20 février 2017, et deux mémoires complémentaires du 23 mai 2018 et 28 novembre 2018, Mme A..., représentée par Me C..., avocat, demande à la Cour :

1° d'annuler le jugement du 20 décembre 2016 ;

2° d'annuler la décision du 23 janvier 2014 par laquelle le ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social a autorisé la société The Phone House à procéder au transfert de son contrat de travail ;

2° de mettre à la charge de la société The Phone House une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la décision est insuffisamment motivée ;

- la procédure de consultation du comité d'entreprise est entachée d'irrégularité ;

- la décision est entachée d'une erreur d'appréciation dès lors qu'il n'y a pas identité des activités exercées par les sociétés The Phone House et The New Kase et que les magasins vendus à la société The New Kase ne constituent pas une entité économique autonome ;

- elle est entachée de fraude.

.....................................................................................................................

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la directive 2001/23/CE du Conseil du 12 mars 2001 concernant le rapprochement des législations des États membres relatives au maintien des droits des travailleurs en cas de transfert d'entreprises, d'établissements ou de parties d'entreprises ou d'établissements ;

- le code du travail ;

- la loi n°79-587 du 1er juillet 1979 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme E...,

- les conclusions de Mme Bruno-Salel, rapporteur public,

- et les observations de Me C..., représentant Mme A..., et de Me D..., substituant Me F..., représentant la société Connected World Services.

Considérant ce qui suit :

1. Mme B... A..., engagée à compter du 2 novembre 2005 par la société The Phone House Services Telecom en tant que " conseiller commercial débutant, a été promue " responsable magasin confirmé " le 22 octobre 2010 et élue déléguée du personnel titulaire sur la liste CGT le 2 mai 2011. Par une décision du 23 janvier 2014, le ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social a, d'une part, annulé la décision du 9 septembre 2013 par laquelle l'inspectrice du travail avait refusé de délivrer à la société The Phone House l'autorisation de procéder au transfert de son contrat de travail et, d'autre part, autorisé ledit transfert. Mme A... a demandé au Tribunal administratif de Cergy-Pontoise d'annuler la décision du 23 janvier 2014 par laquelle le ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social a autorisé la société The Phone House à procéder au transfert de son contrat de travail. Par un jugement 20 décembre 2016, le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa demande. Mme A... relève régulièrement appel de ce jugement.

Sur les conclusions à fin d'annulation, sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens :

2. Aux termes de l'article L. 1224-1 du code du travail : " Lorsque survient une modification dans la situation juridique de l'employeur, notamment par succession, vente, fusion, transformation du fonds, mise en société de l'entreprise, tous les contrats de travail en cours au jour de la modification subsistent entre le nouvel employeur et le personnel de l'entreprise. " ; qu'aux termes de l'article L. 2414-1 de ce code : " Le transfert d'un salarié compris dans un transfert partiel d'entreprise ou d'établissement par application de l'article L. 1224-1 ne peut intervenir qu'après autorisation de l'inspecteur du travail lorsqu' il est investi de l'un des mandats suivants : 1° Délégué syndical et ancien délégué syndical ayant exercé ses fonctions pendant au moins un an ; 2° Délégué du personnel (...) " . Aux termes du 1er alinéa de l'article L. 2421-9 du même code : " Lorsque l'inspecteur du travail est saisi d'une demande d'autorisation de transfert, en application de l'article L. 2414-1, à l'occasion d'un transfert partiel d'entreprise ou d'établissement, il s'assure que le salarié ne fait pas l'objet d'une mesure discriminatoire. ".

3. En vertu des dispositions du code du travail, les salariés protégés bénéficient d'une protection exceptionnelle instituée dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent, afin d'éviter que ces salariés ne fassent l'objet de mesures discriminatoires dans le cadre d'une procédure de licenciement ou d'un transfert partiel d'entreprise. Dans ce dernier cas, il appartient à l'autorité administrative, saisie d'une demande d'autorisation de transfert sur le fondement de l'article L. 2414-1 du code du travail, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, de vérifier, d'une part, que sont remplies les conditions prévues à l'article L. 1224-1 du code du travail. Cette dernière disposition, interprétée à la lumière de la directive n° 2001/23/CE du 12 mars 2001 susvisée, ne s'applique qu'en cas de transfert par un employeur à un autre employeur d'une entité économique autonome conservant son identité et dont l'activité est poursuivie ou reprise par le nouvel employeur. Constitue une entité économique autonome un ensemble organisé de personnes et d'éléments corporels ou incorporels permettant l'exercice d'une activité économique qui poursuit un objectif économique propre. Le transfert d'une telle entité ne s'opère que si des moyens corporels ou incorporels significatifs et nécessaires à l'exploitation de l'entité sont repris, directement ou indirectement, par un autre exploitant, la situation de l'entité devant être examinée à la date du transfert de son activité au cessionnaire. Il incombe, d'autre part, à l'autorité administrative de s'assurer que le transfert envisagé est dépourvu de lien avec le mandat ou l'appartenance syndicale du salarié transféré et que, ce faisant, celui-ci ne fait pas l'objet d'une mesure discriminatoire.

4. Il ressort des pièces du dossier que l'objet de la demande de transfert de contrats entre la société The Phone House et New Kase a été pour la cédante, membre d'un groupe international, de se séparer d'un réseau territorial français de 114 magasins ayant pour activité le conseil en téléphonie, la vente de téléphones et d'abonnements de différents opérateurs, dans un contexte tenant à ce qu'elle venait de perdre, avec la rupture de ses contrats avec les opérateurs Bouygues et Orange, 90 % de son portefeuille d'affaires. La société cessionnaire, The New Kase, préparait pour sa part le lancement d'un concept spécifique consistant à fabriquer et vendre des coques de téléphones et de tablettes personnalisées au choix des acquéreurs. Le projet a donné lieu à une opération en deux temps, avec dans un premier temps, à la création par la société The Phone House d'une filiale appelée NEWCO exerçant sous 1'enseigne TeletCo, puis, dans un second temps, la cession par la société The Phone House de cette filiale à la société The New Kase, selon un " projet de traité de cession d'actions " daté du 18 juillet 2013, avec effet au 1er août 2013. S'agissant de la première phase de la cession, l'apport à la filiale signé le 31 juillet 2013 portait sur 114 magasins comprenant les droits aux baux à hauteur "en valeur réelle" de 2 537 325 euros, les immobilisations financières correspondant aux dépôts de garantie de ces baux à hauteur de 1 426 33l euros, les immobilisations corporelles correspondant aux agencements et mobiliers, les installations de climatisation et matériels informatiques non loués, pour une valeur de " 0 euros " et diverses créances à hauteur de 908 832 euros. Cet apport a expressément exclu les stocks de produits en magasin laissés à la disposition du bénéficiaire au moyen d'un contrat­cadre de prestations de services prévoyant un dépôt de ces produits, la marque The Phone House pour laquelle le bénéficiaire obtiendra une licence gratuite à titre d'enseigne pour les besoins de son activité, les logiciels et développements informatiques, dont l'usage sera consenti au bénéficiaire au moyen du contrat cadre de prestations, le matériel informatique loué par la société The Phone House laissé à la disposition du bénéficiaire au moyen dudit contrat de prestation de service, les créances clients au titre de l'activité de la société The Phone House avant la date d'effet de l'apport, les contrats avec les opérateurs et la compagnie d'assurance dont les services seront commercialisés dans les magasins repris par TeletCo World. Ce contrat de prestations de services devait permettre au bénéficiaire de réaliser ladite commercialisation, ainsi que " Les contrats d'achat avec les fabricants de téléphones mobiles, tablettes, accessoires, etc ". Cet acte a par ailleurs prévu que le bénéficiaire TeletCo reprendrait le personnel strictement affecté à la branche d'activité et serait subrogé purement et simplement dans le bénéfice et la charge des contrats de travail des salariés transférés et des droits et obligations qui y étaient attachés. S'agissant de la seconde phase de la cession, la société The Phone House a cédé cette filiale à la société The New Kase selon un "projet de traité de cession d'actions" prévoyant en ses articles 3-1 et suivants que, pendant la période intermédiaire, TeletCo World et l'acquéreur New Kase ne supporteraient aucun coût de quelque nature que ce soit et ne seraient tenues d'aucun paiement ou décaissement des charges, coûts ou pertes à l'exception des coûts engagés par TeletCo World pour la préparation et l'exploitation de son activité future sous l'enseigne The Kase. Enfin, dans un dernier temps, la société THE PHONE HOUSE a mis en place, comme prévu à l'article 3.1 du contrat de cession, un contrat cadre de prestations de services entre Carephone Warehouse Europelimited (CWEL) et la société TeletCo World, signé le 1er août 2013, dont l'objet était que, pendant la période intermédiaire définie au contrat de cession, TeletCo World ne serait tenue d'aucun paiement ou décaissement au titre des charges d'exploitation et des charges exceptionnelles desdits magasins, ces paiements étant effectués directement par la société The Phone House ou CWEL pour le compte de TeletCo World, notamment pour les charges liées aux salaires ou aux loyers, ou tout d'abord pris en charge par la société The Phone House pour la totalité de son parc de magasins avant de donner lieu à refacturation de sa quote-part à TeletCo World, notamment les charges d'électricité, d'eau, ou autres contrats de fournitures. Cette période intermédiaire a été définie comme celle courant entre le 1er août 2013 et la date de fermeture des magasins en vue de leur rénovation par la société The Kase, cessionnaire. TNK, nouvelle appellation de TeletCo World, mettait concomitamment en place un calendrier de rénovation des différents magasins pour les mettre au design de son nouveau concept au rythme d'une quinzaine de magasins par mois selon planning fixé en annexe 2 audit contrat de prestation, les 15 premiers magasins devant être fermés le 15 octobre 2013 et les 9 derniers le 1er mai 2014.

5. Il ressort du phasage de la cession que la mise en oeuvre de cet ensemble d'accords s'est traduite par, d'une part, l'exécution pendant cette période transitoire d'un contrat de prestations conclu entre la société The Phone House et The New Kase au terme duquel cette dernière poursuivait l'exploitation des magasins, avant rénovation, pour le compte de la société The Phone House, et, d'autre part, l'engagement de TeletCo World à faire les meilleurs efforts pour faire respecter par ses salariés, avec l'aide et la coopération de la société The Phone House, pendant la période intermédiaire, les différentes procédures, et notes émises par la société The Phone House pour la bonne exécution de ce contrat.

6. Il résulte de toutes ces constatations de fait que si 1'ensemble du réseau de distribution de la société The Phone House en France regroupé dans la filiale TeletCo World a pu constituer une activité autonome dont l'objet était la vente et le conseil en téléphonie et la vente d'abonnements, ce transfert a eu lieu précisément après qu'elle a perdu 90 % de ses contrats de fournitures d'accès, qu'elle avait décidé de se retirer de ce marché tout en conservant 1'exploitation à son profit de la vente et de la distribution des stocks de l'activité transférée, de sorte que l'activité transférée portait sur une part minime et résiduelle de l'activité d'origine. La société TeletCo World se trouvait donc en position de vendre des fournitures appartenant à la société The Phone House en vertu d'un contrat fournisseur lui appartenant et pour son compte, cela dans des conditions notamment d'encaissement, de facturation précisément fixées par la mère. Selon les articles 6 et suivants ce même contrat, la société cessionnaire, qui ne disposait pas encore de locaux rénovés puisqu'il s'agissait de gérer la période transitoire, était investie d'une mission s'apparentant à un mandat pour gérer les magasins et reverser le chiffre d'affaires réalisé à la société cédante, la société The Phone House. La plupart des charges correspondant à cette période comme celle des baux transférés, la charge salariale et sociale, les impôts et taxes, la formation continue, les charges exceptionnelles, si elles étaient d'abord réglées par la cessionnaire, étaient prises en charge au final par la société The Phone House. Cette période d'exploitation transitoire ainsi décidée contractuellement ne laissait aucune autonomie de gestion et de direction à la société cessionnaire, qui ne pouvait déterminer les conditions de commercialisation des produits. La société TeletCo ne disposait pas d'un total pouvoir de gestion sur les salariés du cédant qui n'ont à cette date pas été transférés mais seulement " mis à disposition ". Il n'est enfin ni établi ni même sérieusement allégué que la société The New Kase aurait exercé pendant cette période transitoire et pour son propre compte une activité propre et autonome présentant un lien de continuité avec celle transférée. En effet, son propre projet commercial à l'issue de cette période transitoire étant, une fois les a été magasins rénovés, le lancement de son propre concept de fabrique et vente de coques de téléphones et tablettes personnalisées, clairement distinct de celui-de l'activité transférée.

7. Il résulte de ce qui précède qu'au jour fixé pour le transfert, les sociétés cédante et cessionnaire ne pouvaient être regardées comme ayant organisé le transfert d'une entité économique autonome conservant son identité et dont l'activité était poursuivie ou reprise entrant dans le champ de l'article L. l224-1 du code du travail.

8. Il résulte de tout ce qui précède que la requérante est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement en cause, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a considéré que le transfert opéré par la société The Phone House au profit de la société The Kase entrait dans le champ d'application des dispositions de l'article L. 1224-1 du code du travail, et à en demander l'annulation. Elle est également fondée à demande l'annulation de la décision du 23 janvier 2014 par laquelle le ministre du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle a autorisé la société The Phone House à procéder au transfert de son contrat de travail.

Sur l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

9. Les dispositions précitées font obstacle à ce qu'il soit mis à la charge de Mme A... qui n'est pas la partie perdante, une somme au titre de l'article L 761-1 du code de justice administrative. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat et de la société Connected World Services venant aux droits de la société The Phone House, pris ensemble, le versement à Mme A... d'une somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.

D É C I D E :

Article 1er : Le jugement du 20 décembre 2016 du Tribunal administratif de Cergy-Pontoise est annulé.

Article 2 : La décision du 23 janvier 2014 par laquelle le ministre du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle a autorisé la société The Phone House à procéder au transfert du contrat de travail de Mme A... est annulée.

Article 3 : L'Etat et la société Connected World Services, pris ensemble, verseront à Mme A... une somme de 2000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

N°17VE0525 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Versailles
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 17VE00525
Date de la décision : 10/03/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

66-075 Travail et emploi. Transferts.


Composition du Tribunal
Président : M. BROTONS
Rapporteur ?: Mme Diane MARGERIT
Rapporteur public ?: Mme BRUNO-SALEL
Avocat(s) : SELARL BERNARD et VIDECOQ

Origine de la décision
Date de l'import : 18/04/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.versailles;arret;2020-03-10;17ve00525 ?
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