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03/03/2020 | FRANCE | N°18VE01207

France | France, Cour administrative d'appel de Versailles, 1ère chambre, 03 mars 2020, 18VE01207


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La SA NATIXIS LEASE IMMO, venant aux droits de la société civile Fructibail Invest a demandé au Tribunal administratif de Montreuil de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés, des contributions sociales correspondantes et des impositions annuelles forfaitaires auxquelles a été assujettie la société civile Fructibail Invest au titre des exercices clos le 31 décembre 2007, 31 mars 2009 et 31 mars 2010 pour un montant total en droits et pénalités de 13 647 384 euro

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Par un jugement n° 1606371 du 15 février 2018, le Tribunal administratif ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La SA NATIXIS LEASE IMMO, venant aux droits de la société civile Fructibail Invest a demandé au Tribunal administratif de Montreuil de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés, des contributions sociales correspondantes et des impositions annuelles forfaitaires auxquelles a été assujettie la société civile Fructibail Invest au titre des exercices clos le 31 décembre 2007, 31 mars 2009 et 31 mars 2010 pour un montant total en droits et pénalités de 13 647 384 euros.

Par un jugement n° 1606371 du 15 février 2018, le Tribunal administratif de Montreuil l'a déchargée en droits et pénalités des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés, des contributions sociales correspondantes et de l'imposition forfaitaire annuelle auxquelles la société civile Fructibail Invest a été assujettie au titre de l'exercice 2007 pour un montant total de 4 717 088 euros, et a rejeté le surplus de sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés le 10 avril 2018 et le 11 janvier 2019, la SA NATIXIS LEASE IMMO, venant aux droits de la société civile Fructibail Invest, représentée par Me B... et Me C..., demande à la Cour :

1° d'annuler le jugement attaqué en tant qu'il rejette le surplus de sa demande ;

2° de prononcer la restitution des impositions correspondantes ;

3° de mettre à la charge de l'Etat la somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- l'administration devait recourir à la procédure de répression des abus de droit pour requalifier les revenus perçus en intérêt d'emprunt ;

- l'administration n'a pas défini la nature juridique des revenus litigieux réalisés aux Etats-Unis au regard du droit de l'Etat de New-York, alors même qu'ils constituent des revenus de location de biens immobiliers et non des revenus d'emprunt tant au regard du droit civil local que du droit civil et commercial français et du droit conventionnel ;

- l'administration ne pouvait opérer une confusion des contrats de location et de sous-location dès lors qu'ils concernent des parties différentes ;

- l'imposition forfaitaire annuelle n'est pas justifiée dès lors que les revenus tirés de la sous-location ne peuvent être regardés comme des produits financiers au sens de l'article 223 septies du code général des impôts.

Vu le jugement attaqué.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention fiscale franco-américaine du 31 août 1994 ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme A...,

- les conclusions de M. Chayvialle, rapporteur public,

- et les observations de Me B..., pour la SA NATIXIS LEASE IMMO.

Considérant ce qui suit :

1. Par deux contrats signés le 27 février 2006, la société civile Fructibail Invest a réalisé avec le groupe Bank of New-York une opération dite de " lease and lease-back ". En vertu du premier contrat de location signé avec la société 4101 Austin Boulevard Corp., elle a pris à bail, pour une durée de 25 ans, deux immeubles situés à New-York, moyennant un loyer fixe et unique de 435 800 000 euros. En vertu du second contrat, elle a sous-loué ces deux immeubles pour la même durée à la société Bank of New-York, moyennant le versement d'un loyer trimestriel de 6 398 312 euros. Le 3 décembre 2009, les deux contrats ont été résiliés à la demande de la société civile Fructibail Invest, laquelle s'est vue verser une indemnité pour résiliation anticipée du contrat pour un montant de 390 792 784 euros. A la suite d'une vérification de comptabilité, l'administration a considéré que les revenus tirés de ces opérations ne constituaient pas des loyers imposables aux Etats-Unis mais des revenus financiers imposables en France. La SA NATIXIS LEASE IMMO, venant aux droits de la société civile Fructibail Invest, a demandé au Tribunal administratif de Montreuil la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et des contributions sociales correspondantes auxquelles cette dernière a été assujettie au titre des exercices clos le 31 décembre 2007, 31 mars 2009 et 31 mars 2010 pour des montants en droits et pénalités de 13 647 384 euros. Par un jugement en date du 18 janvier 2018, le Tribunal administratif de Montreuil l'a déchargée des impositions supplémentaires afférentes à l'exercice clos le 31 décembre 2007. Par la présente requête, la SA NATIXIS LEASE IMMO relève appel de ce jugement en tant qu'il a rejeté le surplus des conclusions de sa demande.

Sur la procédure d'imposition :

2. Aux termes de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales : " Afin d'en restituer le véritable caractère, l'administration est en droit d'écarter, comme ne lui étant pas opposables, les actes constitutifs d'un abus de droit, soit que ces actes ont un caractère fictif, soit que, recherchant le bénéfice d'une application littérale des textes ou de décisions à l'encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, ils n'ont pu être inspirés par aucun autre motif que celui d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que l'intéressé, si ces actes n'avaient pas été passés ou réalisés, aurait normalement supportées eu égard à sa situation ou à ses activités réelles. En cas de désaccord sur les rectifications notifiées sur le fondement du présent article, le litige est soumis, à la demande du contribuable, à l'avis du comité de l'abus de droit fiscal. L'administration peut également soumettre le litige à l'avis du comité. Si l'administration ne s'est pas conformée à l'avis du comité, elle doit apporter la preuve du bien-fondé de la rectification (...) ".

3. Il résulte de ces dispositions que lorsque l'administration use de la faculté qu'elles lui confèrent dans des conditions telles que la charge de la preuve lui incombe, elle est fondée à écarter comme ne lui étant pas opposables certains actes passés par le contribuable, dès lors que ces actes ont un caractère fictif, ou, que, recherchant le bénéfice d'une application littérale des textes à l'encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, ils n'ont pu être inspirés par aucun autre motif que celui d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que l'intéressé, s'il n'avait pas passé ces actes, auraient normalement supportées, eu égard à sa situation ou à ses activités réelles. Il résulte également de ces dispositions que, lorsque l'administration invoque des faits constitutifs d'un abus de droit pour justifier un chef de rectification, le contribuable, qui n'a pas demandé la saisine du comité de l'abus de droit fiscal, doit être regardé comme ayant été privé de la garantie tenant à la faculté de provoquer cette saisine si, avant la mise en recouvrement de l'imposition, l'administration omet de l'aviser expressément que le redressement a pour fondement les dispositions précitées de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales.

4. Pour justifier les réintégrations litigieuses, l'administration fiscale fait valoir qu'elle n'a aucunement écarté comme fictives les deux conventions du 26 février 2006 mais qu'elle s'est bornée à les requalifier en se fondant sur la commune intention des parties sans implicitement soutenir leur intention de frauder. Il résulte de l'instruction que le service a constaté, d'une part, que les locaux en litige étaient occupés préalablement à la signature des contrats de location et sous-location par la société The Bank of New York, de sorte que la société civile Fructibail Invest n'a réalisé aucune mise à disposition des immeubles en litige et n'en assure pas la gestion, d'autre part, que ces contrats se sont traduits par des frais financiers entraînant une dissymétrie des flux financiers et notamment la mise à disposition par la société civile Fructibail Invest au groupe Bank of New-York par l'intermédiaire de la société 4101 Austin Boulevard Corp. d'un capital de 435 800 000 euros à la signature du contrat de location au titre des 100 loyers trimestriels correspondant à une période de 25 ans, puis l'encaissement par la société civile Fructibail Invest de sous-loyers facturés à la société Bank of New-York s'élevant à 6 398 312 euros payables trimestriellement sur la même durée, qui correspondent au remboursement de ce capital majoré d'un taux d'emprunt de 3,3 %, enfin que les autorités fiscales américaines, dans leur réponse à la demande d'assistance administrative diligentée par leurs soins, font valoir que l'opération litigieuse représente, selon les déclarations mêmes de la société américaine, un bail synthétique assimilable fiscalement à une transaction de financement. En se bornant ainsi à requalifier les deux conventions du 26 février 2006 en tenant compte de la commune intention des parties, révélée lors de son exécution, l'administration fiscale ne s'est pas placée sur le terrain de l'abus de droit. La circonstance que l'administration ait procédé à la requalification de deux contrats et que le propriétaire bailleur et le sous-locataire des immeubles en cause soient deux personnes morales distinctes, ne font pas obstacle à l'exercice par l'administration fiscale de son pouvoir général de requalification, dès lors qu'il se fonde sur la commune intention des parties. Dans ces conditions, l'administration fiscale, qui n'a pas implicitement cherché à réprimer un abus de droit, n'a privé la société requérante d'aucune garantie. Ainsi, le moyen tiré de ce que l'administration aurait commis un abus de droit rampant doit être écarté.

Sur le bien-fondé de l'imposition :

En ce qui concerne l'application de la loi fiscale :

5. Aux termes de l'article 209 du code général des impôts : " I. Sous réserve des dispositions de la présente section, les bénéfices passibles de l'impôt sur les sociétés sont déterminés d'après les règles fixées par les articles 34 à 45, 53 A à 57 et 302 septies A bis et en tenant compte uniquement des bénéfices réalisés dans les entreprises exploitées en France ainsi que de ceux dont l'imposition est attribuée à la France par une convention internationale relative aux doubles impositions. (...) ".

6. Pour contredire les éléments relevés par l'administration fiscale lui ayant permis de requalifier les conventions litigieuses, la société requérante se borne à opposer que les conditions de financement étaient usuelles dans ce type de contrat, que le contrat de location n'imposait à la société preneuse aucun sous-locataire, et que le bailleur initial et le sous-locataire sont des personnes morales distinctes. Il résulte toutefois de l'instruction que les contrats de location et de sous-location ont été signés avec la société The Bank of New-York qui occupait déjà les locaux pris à bail au jour de la signature des deux conventions, que ces conventions portaient sur une durée similaire de 25 ans et que le contrat de sous-location ne prévoyait de cause de résiliation du bail qu'en cas de manquement grave ou défaut de paiement. Enfin, si le bailleur initial et le sous-locataire sont de fait des personnes morales distinctes, la circonstance que le sous-locataire The Bank of New-York détienne directement et indirectement la totalité des parts de la société 4101 Austin Boulevard Corp. permet de considérer l'opération d'une manière globale. Il s'ensuit que c'est à bon droit l'administration, en recherchant la commune intention des parties, et avant de faire application des dispositions de droit interne puis du droit conventionnel, et sans qu'il soit besoin qu'elle fasse application du droit local de l'Etat de New-York ou du droit fédéral américain, a assimilé les flux financiers associés aux contrats à un prêt de 435 800 000 euros remboursables sur 25 ans assorti d'intérêt de 3,3 %. En application des dispositions précitées de l'article 209 du code général des impôts, les revenus financiers tirés de l'opération en litige sont imposables à l'impôt sur les sociétés.

En ce qui concerne l'application de la convention fiscale franco-américaine :

7. Aux termes de l'article 11 de la convention franco-américaine susvisée : " 1. Les intérêts provenant d'un Etat contractant et dont le bénéficiaire effectif est un résident de l'autre Etat contractant ne sont imposables que dans cet autre Etat. ". Aux termes de l'article 24 de la même convention : " 1. En ce qui concerne la France, les doubles impositions sont éliminées de la manière suivante : / a) Les revenus qui proviennent des Etats-Unis, et qui sont imposables ou ne sont imposables qu'aux Etats-Unis conformément aux dispositions de la présente Convention, sont pris en compte pour le calcul de l'impôt français lorsque leur bénéficiaire est un résident de France et qu'ils ne sont pas exemptés de l'impôt sur les sociétés en application de la législation interne française. Dans ce cas, l'impôt américain n'est pas déductible de ces revenus, mais le bénéficiaire a droit à un crédit imputable sur l'impôt français. Ce crédit d'impôt est égal : / i) pour les revenus non mentionnés aux ii et iii, au montant de l'impôt français correspondant à ces revenus " ;

8. Il est constant que la société civile Fructibail Invest, bénéficiaire des revenus financiers résultant de l'opération en litige et provenant des Etats-Unis, est résidente fiscale française. En application des stipulations précitées de l'article 11 de la convention franco-américaine, lesdits revenus sont imposables en France, sans que les stipulations de l'article 24 de la même convention n'aient à s'appliquer. Il s'ensuit que, sans qu'il y ait lieu de procéder à un raisonnement par assimilation dès lors que les notions invoquées par la société requérante relèvent des mêmes qualifications et présentent les mêmes caractéristiques en droit américain et en droit français, que la société requérante n'est pas fondée à soutenir qu'elle pouvait bénéficier pour les revenus en litige du crédit d'impôt prévu par des stipulations de l'article 24 susmentionné.

Sur l'imposition forfaitaire annuelle :

9. Considérant qu'aux termes de l'article 223 septies du code général des impôts : " Les personnes morales passibles de l'impôt sur les sociétés sont assujetties à une imposition forfaitaire annuelle d'un montant fixé à : / 20 500 euros pour les personnes morales dont le chiffre d'affaires majoré des produits financiers est compris entre 15 000 000 euros et 75 000 000 euros ".

10. Considérant qu'il est constant que la société civile Fructibail Invest a réalisé un chiffre d'affaires majoré de produits financiers compris entre 15 000 000 d'euros et 75 000 000 d'euros sur les exercices restant en litige. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 223 septies du code général des impôts manque en fait.

11. Il résulte de tout ce qui précède que la SA NATIXIS LEASE IMMO n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande de décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés, des contributions sociales correspondantes et des impositions annuelles forfaitaires auxquelles a été assujettie la société civile Fructibail Invest au titre des exercices clos le 31 mars 2009 et 31 mars 2010. Il y a lieu, par voie de conséquence, de rejeter les conclusions présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DECIDE :

Article 1er : La requête de la SA NATIXIS LEASE IMMO est rejetée.

2

N° 18VE01207


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Versailles
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 18VE01207
Date de la décision : 03/03/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

19-01-03-03 Contributions et taxes. Généralités. Règles générales d'établissement de l'impôt. Abus de droit et fraude à la loi.


Composition du Tribunal
Président : M. BEAUJARD
Rapporteur ?: Mme Alice DIBIE
Rapporteur public ?: M. CHAYVIALLE
Avocat(s) : CMS BUREAU FRANCIS LEFEBVRE

Origine de la décision
Date de l'import : 10/03/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.versailles;arret;2020-03-03;18ve01207 ?
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