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17/12/2019 | FRANCE | N°17VE02164

France | France, Cour administrative d'appel de Versailles, 1ère chambre, 17 décembre 2019, 17VE02164


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. et Mme C... D... ont demandé au Tribunal administratif de Montreuil de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires à l'impôt sur le revenu et aux prélèvements sociaux auxquelles ils ont été assujettis, d'un montant de 17 369 951 euros, au titre de l'année 2009.

Par un jugement n° 1508089 du 13 mars 2017, le Tribunal administratif de Montreuil a rejeté la demande de M. et Mme D....

Procédure devant la Cour :

Par une requête et des mémoires c

omplémentaires, enregistrés respectivement le 10 juillet 2017, le 30 mars 2018, le 27 novembre 20...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. et Mme C... D... ont demandé au Tribunal administratif de Montreuil de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires à l'impôt sur le revenu et aux prélèvements sociaux auxquelles ils ont été assujettis, d'un montant de 17 369 951 euros, au titre de l'année 2009.

Par un jugement n° 1508089 du 13 mars 2017, le Tribunal administratif de Montreuil a rejeté la demande de M. et Mme D....

Procédure devant la Cour :

Par une requête et des mémoires complémentaires, enregistrés respectivement le 10 juillet 2017, le 30 mars 2018, le 27 novembre 2018, le 11 février 2019 et le 19 mars 2019, M. et Mme D..., représentés par Mes Philippe Durant et Marc Priol, avocats, puis par Me B... et Me E..., avocats, demandent à la Cour :

1° d'annuler le jugement attaqué ;

2° de prononcer la décharge de ces impositions ;

3° à titre de subsidiaire, de réduire les suppléments d'impôt sur le revenu et de contributions sociales résultant de la fin du sursis d'imposition d'une plus-value ;

4° de mettre à la charge de l'État la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- la proposition de rectification n'est pas motivée faute de préciser les dispositions dont l'application littérale aurait été contraire aux intentions du législateur ;

- ils rapportent la preuve d'une activité économique conséquente de la société Vaolu, qui ne saurait être regardée comme un opérateur artificiel interposé à seule fin d'éluder l'impôt ;

- l'administration a recouru à tort à la procédure de répression des abus de droit, dès lors que le même avantage fiscal aurait pu être obtenu par un moyen non justifiable d'un redressement fiscal, soit par installation du siège de la société Incotech au Luxembourg au début de l'année 2009, soit par l'apport des titres des titres d'Incotech à une société de droit malais ;

- la succession d'opérations intercalaires d'apport de titres d'un côté avec Incotech suivie d'une réduction du capital de cette société en 2009 ne pouvait avoir pour effet de mettre fin au sursis d'imposition ;

- en y mettant fin, l'administration a méconnu les dispositions tant de l'article 150 O B du code général des impôts que du §1 de BOI-RPPM-PVBMI-30-10-20-20160304 RPPM et le rapport de la commission des finances du Sénat du 12 décembre 2012 ;

- la base d'imposition de la plus-value dégagée en 2009 est surévaluée et ne peut en aucun cas être égale au prix d'apport à Incotech, soit 2 millions d'euros ;

- l'administration a fait le choix du mode de mise en recouvrement des redressements le moins protecteur, à savoir des avis d'imposition ;

- elle ne rapporte pas la preuve qui lui incombe, malgré le sens de l'avis du comité de l'abus de droit, du bien-fondé de la pénalité de 80 %, en se contentant de constater le manque de moyens de la société Vaolu, et en s'abstenant d'établir la part active du requérant dans la combinaison de montages que le comité a qualifiée d'abus de droit.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention fiscale signée le 24 avril 1975 entre la France et la Malaisie ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative ;

- la décision lue le 17 juin 2019 par laquelle le Conseil d'Etat a estimé qu'il n'y avait pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par M. et Mme D..., et tenant à ce que l'article 1658 du code général des impôts méconnaîtrait le principe d'égalité devant la loi fiscale et le principe d'égalité devant les charges publiques, garantis par les articles 6 et 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, la garantie des droits, le droit à un recours effectif, les droits de la défense garantis par l'article 16 de la même Déclaration, les principes de sécurité juridique et de confiance légitime, le principe de clarté de la loi ainsi que l'article 34 de la Constitution.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Soyez, président-assesseur ;

- les conclusions de M. A... yvialle, rapporteur public ;

- et les observations de Me B... et Me E..., avocats, pour M. et Mme D....

Considérant ce qui suit :

1. M. D... a créé, le 29 juillet 2005, la société Incotech, à laquelle il a apporté, le 31 mars 2006, les parts qu'il détenait dans la société Homelidays, en contrepartie de l'obtention de 200 000 parts de cette société d'une valeur unitaire de 10 euros. Il a placé la plus-value consécutive en sursis d'imposition, conformément aux dispositions de l'article 150-0 B du code général des impôts. En 2009, la société Incotech a cédé, le 28 janvier, l'intégralité des titres de la société Homelidays à la société Homeaway pour un montant de 27 283 850 euros puis, le 31 mars, M. D... a apporté l'ensemble des titres de la cessionnaire Incotech à la société de droit luxembourgeois Vaolu, créée le même jour par le requérant. Le 5 mai 2009, Vaolu a, d'une part, distribué le résultat d'Incotech en créditant son compte courant d'associé à hauteur d'une somme de 24 390 362 euros et, d'autre part, réduit le capital d'Incotech d'un montant de 1 687 686 euros, également crédité sur son compte courant d'associé le 9 juin 2009. Enfin, après être devenu résident fiscal en Malaisie le 16 juin 2009, M. D..., unique associé de Vaolu, en a réduit le capital le 11 décembre 2009, d'une somme de 25 086 000 euros, n'y laissant qu'une somme de 1 000 000 euros. À l'issue d'un contrôle sur pièces du dossier fiscal de M. et Mme D..., l'administration a, par proposition de rectification du 21 juin 2011, estimé exclusivement destinées à éluder l'impôt, les opérations effectuées par Vaolu et, après les avoir écartées sur le fondement de la procédure de répression des abus de droit, a réintégré, dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers pour l'année 2009, une somme de 24 390 362 euros correspondant aux revenus distribués par Incotech et à la réduction de son capital social. Elle a également imposé une somme de 2 000 000 euros sur le fondement des articles 150-0 A et 150-0 D du code général des impôts, au motif que le sursis d'imposition de la plus-value d'apport réalisée en 2006 avait pris fin en 2009. Par avis du 23 septembre 2014, le comité de l'abus de droit a confirmé le recours à la procédure prévue par l'article L. 64 du livre des procédures fiscales, les rectifications d'impôt sur le revenu et de prélèvements sociaux, ainsi que la pénalité de 80 % pour abus de droit. M. et Mme D... relèvent appel du jugement du 13 mars 2017, par lequel le Tribunal administratif de Montreuil a rejeté leur demande.

Sur l'étendue du litige :

2. Par décision du 22 janvier 2019, postérieure à l'introduction de la requête, le ministre de l'action et des comptes publics a prononcé le dégrèvement, en droits et pénalités, à concurrence respectivement des sommes de 103 889 euros en matière d'impôt sur le revenu, et de 69 836 euros en matière des prélèvements sociaux, auxquels M. et Mme D... ont été assujettis, en droits et pénalités, au titre de l'année 2009. Si M. et Mme D... contestent le principe de l'imposition des plus-values retirées en 2009 de l'apport le 31 mars 2006 à Incotech des parts qu'ils détenaient dans la société Homelidays, en contrepartie, ils ne critiquent aucunement le montant de la plus-value déterminée par l'administration conformément à l'avis du comité de l'abus de droit, qui a conduit au dégrèvement partiel d'impôt sur le revenu et prélèvements sociaux. Par suite les conclusions de la requête de M. et Mme D... sont, dans cette mesure, devenues sans objet.

Sur la régularité de la procédure d'imposition :

3. Aux termes de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales : " Afin d'en restituer le véritable caractère, l'administration est en droit d'écarter, comme ne lui étant pas opposables, les actes constitutifs d'un abus de droit, soit que ces actes ont un caractère fictif, soit que, recherchant le bénéfice d'une application littérale des textes ou de décisions à l'encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, ils n'ont pu être inspirés par aucun autre motif que celui d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que l'intéressé, si ces actes n'avaient pas été passés ou réalisés, aurait normalement supportées eu égard à sa situation ou à ses activités réelles. / En cas de désaccord sur les rectifications notifiées sur le fondement du présent article, le litige est soumis, à la demande du contribuable, à l'avis du comité de l'abus de droit fiscal. L'administration peut également soumettre le litige à l'avis du comité. / Si l'administration ne s'est pas conformée à l'avis du comité, elle doit apporter la preuve du bien-fondé de la rectification ". Il résulte de ces dispositions que l'administration est fondée à écarter comme ne lui étant pas opposables certains actes passés par le contribuable dès lors que ces actes ont un caractère fictif, ou bien, à défaut, recherchent le bénéfice d'une application littérale des textes à l'encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs et n'ont pu être inspirés par aucun motif autre que celui d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que l'intéressé, s'il n'avait pas passé ces actes, aurait normalement supportées eu égard à sa situation et à ses activités réelles.

4. Il découle tant de la proposition de rectification du 21 juin 2011 que des écritures de l'administration devant le juge qu'elle a en toutes lettres motivé le recours à la procédure de répression des abus de droit, en spécifiant que, par le sursis d'imposition de plus-values résultant de l'apport des titres de Homelidays à Incotech, M. et Mme D... ont détourné les dispositions de l'article 150 OB du code général des impôts, et que, concernant les distributions de dividendes d'Incotech à Vaolu et leur appréhension par les requérants après réduction du capital de cette société luxembourgeoise, ceux-ci ont fait des dispositions du 1° du I de l'article 109 du même code, combinées avec les dispositions des articles 4 A et B de ce code, une application contraire aux intentions de leurs auteurs, en ce qui concerne la fixation de la résidence fiscale en Malaisie du requérant. Ainsi, le moyen tiré du défaut de motivation des rectifications opérées doit être écarté.

Sur le bien-fondé des impositions :

En ce qui concerne le moyen tiré de la substance et de l'activité économiques de Vaolu :

5. À l'appui de l'abus de droit litigieux, l'administration s'est fondée, d'une part, sur l'absence de locaux, de moyens techniques ou humains de cette société, créée le jour même où M. et Mme D... lui ont fait apport des titres d'Incotech pour un montant de 26 086 000 euros, d'autre part, sur le retrait, à la fin de la première année de l'existence de Vaolu, de cette somme, à la réserve d'un million d'euros, selon une succession rapide d'opérations ayant abouti à l'appréhension, en franchise d'impôt, par M. D..., de 96% de l'apport effectué par lui. Si M. et Mme D... à qui incombe la charge de la preuve, en vertu de ce qui a été dit au point 3, ne contestent pas sérieusement l'absence de moyens matériels et humains de Vaolu, ils font valoir qu'elle n'est pas pour autant dépourvue de toute capacité d'action. À cet effet, ils excipent de l'article 2 des statuts de Vaolu, selon lequel cette société a pour objet la prise de participation sous quelque forme que ce soit, dans d'autres sociétés luxembourgeoises ou étrangères, ainsi que la gestion, le contrôle et la mise en valeur de ces participations. Ils soulignent que Vaolu mène effectivement une politique active de prise de participation, et que ses investissements représentent près de 30% de leur capacité financière, après les rectifications contestées. Ils relèvent qu'elle détient des participations, pour un montant qui représente moins de 4%, avant impôt, des produits, dans les sociétés HEARTRONICS, de téléphonie en Malaisie, BOOKINGROUPS dans le domaine du tourisme par internet, VENTE CIBLEE, TRUE GLOBAL VENTURE qui a pour objet la prise de participations dans des sociétés financières technologiques. Toutefois, à supposer que cette activité revête un caractère économique et non patrimonial, et qu'avec 4 % des produits appréhendés après le 5 mai 2009, elle ne représente pas un montant résiduel de ces produits, il est constant que ces prises de participation ont toutes été opérées après la proposition de rectification du 21 juin 2011. Enfin, le prêt de 3 400 544 euros accordé par Vaolu à Incotech le 12 juin 2009, remboursable 9 et 21 mois plus tard au taux de 2,6 %, ne saurait à lui seul établir que Vaolu a effectué des opérations proprement économiques. Le moyen tiré de l'absence de " substance économique " de cette société, et de réinvestissement en temps utile des sommes que les requérants lui ont apportées, doit être écarté.

En ce qui concerne le moyen tiré de ce que l'administration ne pouvait remettre en cause les opérations litigieuses sur le terrain de l'abus de droit :

6. M. et Mme D... soutiennent qu'alors même que l'enchaînement des opérations décrites plus haut au cours de l'année 2009 n'aurait eu d'autre fin que d'atténuer leurs charges fiscales, cet enchaînement ne saurait constituer un abus de droit dès lors qu'il leur était loisible, par d'autres moyens, de ne supporter qu'une charge fiscale équivalente à celle résultant de l'abus de droit litigieux, et que, par suite, l'administration a pris le parti d'appliquer la procédure de redressement la plus onéreuse pour eux.

7. À cet effet, ils font valoir, en premier lieu, qu'en se contentant de fixer le siège d'Incotech au Luxembourg le 31 mars 2009, au lieu de créer Vaolu, ils auraient bénéficié d'une exonération d'impôt sur le revenu des dividendes qu'Incotech leur aurait distribués le 5 mai 2009 et qu'ils auraient encaissés le 11 décembre 2009. Ils relèvent qu'à cette date, ils n'étaient plus résidents fiscaux en France depuis le 16 juin 2009, et n'auraient pas été imposés en France.

8. Aux termes du 1 de l'article 109 du code général des impôts : " Sont considérés comme revenus distribués : / 1° Tous les bénéfices ou produits qui ne sont pas mis en réserve ou incorporés au capital (...) ". En vertu des dispositions de l'article 111 bis du code général des impôts, lorsqu'une personne morale soumise à l'impôt sur les sociétés cesse d'y être assujettie, notamment en cas de transfert du siège ou d'un établissement accompagné du transfert de tous les éléments de l'actif immobilisé, ses bénéfices et réserves sont réputés distribués aux associés à proportion de leurs droits. En vertu des dispositions de l'article 221-2 du même code, dans leur rédaction en vigueur en 2009, un transfert vers un autre État membre fait obstacle aux conséquences fiscales de l'article 111 bis, à savoir la cessation d'entreprise à l'égard des associés. Et aux termes de l'article 120 du code général des impôts, dans sa version également en vigueur en 2009 : " Sont considérés comme revenus au sens du présent article : / 1° Les dividendes, intérêts, arrérages et tous autres produits des actions de toute nature et des parts de fondateur des sociétés, compagnies ou entreprises financières, industrielles, commerciales, civiles et généralement quelconques dont le siège social est situé à l'étranger quelle que soit l'époque de leur création ".

9. Il résulte de la combinaison de ces dispositions, d'une part, qu'en cas de transfert de siège social dans un autre État membre de la Communauté européenne, l'entreprise ne cesse pas d'exister et que ses bénéfices et réserves ne sont pas réputés distribués aux associés à proportion de leurs droits, d'autre part, que les sommes inscrites au crédit d'un compte courant d'associé d'une société sont, sauf preuve contraire, à la disposition de cet associé, alors même que l'inscription résulterait d'une erreur comptable involontaire. En l'absence de toute erreur de ce genre alléguée, M. et Mme D... doivent être regardés comme ayant appréhendé les dividendes en provenance d'Incotech, à la date de leur distribution, le 5 mai 2009, et non à celle de leur encaissement, soit le 11 décembre suivant. À cette date, M. et Mme D... ne contestent pas avoir été encore résidents fiscaux en France. Ainsi, en vertu des dispositions précitées de l'article 120 du code général des impôts, ils auraient été imposés à l'impôt sur le revenu en France dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers. Par suite, M. et Mme D... ne démontrent pas qu'en installant le siège d'Incotech au Luxembourg, au lieu d'y créer Vaolu, ils auraient bénéficié d'une charge fiscale équivalente à celle résultant de l'enchaînement des montages qualifiés d'abus de droit par l'administration.

10. Il ne saurait davantage, en raison de la date d'appréhension des dividendes, se prévaloir utilement de l'interprétation de la loi fiscale donnée par le BOI-IS-CESS-30 n° 220, 3-9-2013, qui est postérieure à l'année d'imposition.

11. En second lieu, pour établir qui lui était loisible d'échapper à l'imposition, sans enchaîner les montages qualifiés d'abus de droit, M. et Mme D... se prévalent de la possibilité d'apporter des titres d'Incotech à une société de droit malais, et qu'en pareil cas, la distribution de dividendes par Incotech à une telle société aurait entraîné le versement d'une retenue à la source d'un taux de 5 %, en application de l'article 10 de la convention fiscale franco-malaise visée ci-dessus, soit, pour un dividende versé par Incotech d'environ 25 millions d'euros, une imposition d'environ de 1,2 millions d'euros, sans commune mesure avec les redressements litigieux. Toutefois, il résulte des propres écritures de M. et Mme D... qu'après avoir créé en Malaisie la société Semalu en 2008 en vue de constituer une holding patrimoniale, ils ont renoncé à ce projet de transfert en raison de " l'instabilité du statut fiscal de la Malaisie ", qui était au nombre des pays fiscalement non coopératifs. De plus, comme le fait valoir l'administration, les statuts de Semalu leur permettent de fixer son siège partout en Malaisie, notamment dans la zone franche de Labuan. Enfin, il n'est pas établi, malgré le rapport des commissaires aux comptes, que la société Semalu ait acquitté l'impôt sur les sociétés au titre de l'exercice clos en 2009. Dans ces conditions, M. et Mme D... avaient d'eux-mêmes exclu le versement des dividendes d'Incotech à une société de droit malais en raison des risques que présentait une telle opération, et ne démontre pas davantage, par les quelques éléments peu circonstanciés dont il fait état, qu'il aurait pu bénéficier d'une charge fiscale seulement légèrement supérieure à celle en litige, sans s'exposer à une rectification importante.

En ce qui concerne la remise en cause du sursis d'imposition des plus-values relatives au titre de la société Homelidays :

12. En vertu des dispositions de l'article 150-0 A du code général des impôts, sous réserve des dispositions propres aux bénéfices industriels et commerciaux, aux bénéfices non commerciaux et aux bénéfices agricoles ainsi que des articles 150 UB et 150 UC, les gains nets retirés des cessions à titre onéreux, effectuées directement, par personne interposée ou par l'intermédiaire d'une fiducie, de valeurs mobilières, de droits sociaux, de titres mentionnés au 1° de l'article 118 et aux 6° et 7° de l'article 120, de droits portant sur ces valeurs, droits ou titres ou de titres représentatifs des mêmes valeurs, droits ou titres, sont soumis à l'impôt sur le revenu. Et en vertu des dispositions de l'article 150-0 B du même code, ne subissent pas l'imposition prévue à l'article 150-0 A, au titre de l'année de l'échange des titres, les plus-values réalisées notamment dans le cadre d'un apport de titres, à une société soumise à l'impôt sur les sociétés. En adoptant les dispositions qui viennent d'être rappelées, le législateur a entendu faciliter les opérations de restructuration d'entreprises, en vue de favoriser la création et le développement de celles-ci, par l'octroi automatique d'un sursis d'imposition pour les plus-values résultant de certaines de ces opérations, notamment d'échanges de titres. Il a, pour ce faire, entendu assurer la neutralité au plan fiscal de ces opérations d'échanges de titres et, à cette fin, sauf lorsqu'il en a disposé autrement, regarder de telles opérations comme des opérations intercalaires. Il en résulte qu'eu égard à cet objectif et en l'absence de dispositions contraires, lorsque les titres d'une société sont apportés par un contribuable soumis à l'impôt sur le revenu qui reçoit, en échange, des titres de la société bénéficiaire de l'apport et bénéficie, s'agissant du gain le cas échéant réalisé à cette occasion, du régime du sursis automatique d'imposition prévu par l'article 150-0-B, les titres reçus en rémunération de l'apport doivent être réputés être entrés dans le patrimoine de l'apporteur aux conditions dans lesquelles y étaient entrés les titres dont il a fait apport. Si la société bénéficiaire de l'apport procède à une réduction de son capital social, non motivée par des pertes, par réduction de la valeur nominale de ses titres, les sommes mises en conséquence à la disposition d'un associé qui a acquis ces titres en rémunération de l'apport de titres d'une autre société ne peuvent constituer des remboursements d'apports non constitutifs de revenus distribués, au sens du 1° de l'article 112 du code général des impôts et sous réserve du respect des conditions auxquelles ces dispositions subordonnent leur application, que dans la limite des apports initialement consentis par cet associé à la société dont il a apporté les titres.

13. Comme il a été dit au paragraphe 1, les parts que M. et Mme D... détenaient dans la société Homelidays, ont été apportées le 31 mars 2006, à Incotech, en échange de 200 000 parts de cette société d'une valeur unitaire de 10 euros. Le requérant a placé la plus-value en résultant en sursis d'imposition. Le 28 janvier 2009, Incotech, a cédé l'intégralité des titres de la société Homelidays à la société Homeaway pour un montant de 27 283 850 euros. Puis, le 31 mars 2009, M. et Mme D... ont apporté l'ensemble des titres d'Incotech à Vaolu, que le requérant contrôle. Enfin, le 5 mai 2009, Vaolu a fait distribué sur son compte courant d'associé les dividendes d'Incotech à hauteur d'une somme de 24 390 362 euros et en a réduit le capital d'un montant de 1 687 686 euros créée. Les sommes en cause ont été appréhendées à hauteur de plus de 96 % par M. et Mme D... le 11 décembre 2009 par suite d'une réduction de capital de la société Vaolu, réduction non motivée par des pertes. Par suite, l'administration était fondée à estimer caduc en 2009 au regard des dispositions de l'article 150 0B du code général des impôts, le sursis d'imposition des plus-values constatées le 31 mars 2006. M. et Mme D... ne sauraient utilement se prévaloir, à l'encontre de l'imposition qui en résulte, des dispositions du §1 du BOI-RPPM-PMBMI-30-10-20-20160304 du 30 octobre 2020 20160304, qui sont postérieures à l'année d'imposition et ne comportent, en tout état de cause, pas une interprétation différente de la loi fiscale. Ils ne sauraient davantage invoquer le rapport de la commission des finances du Sénat du 12 décembre 2012 relatif au régime du sursis d'imposition, qui ne comporte pas une interprétation de la loi fiscale.

14. Si M. et Mme D... contestent comme insuffisant le dégrèvement partiel de ces opérations par suite d'une réduction de la plus-value nette à un montant égal à celui retenu par le comité des abus de droit, ils n'assortissent leur critique d'aucune précision permettant d'en apprécier le bien-fondé.

En ce qui concerne le moyen tiré du recours à un acte de recouvrement défavorable au requérant :

15. Aux termes de l'article 1658 du code général des impôts, dans sa version applicable au litige : " Les impôts directs et les taxes y assimilées sont recouvrés en vertu de rôles rendus exécutoires par arrêté du préfet ou d'avis de mise en recouvrement (...) ". Ces dispositions offrent à l'administration la faculté de procéder au recouvrement des impôts directs, s'agissant notamment de cotisations supplémentaires établies à l'issue d'une procédure de rectification, soit au moyen de rôles rendus exécutoires, soit par voie d'avis de mise en recouvrement.

16. En premier lieu, M. et Mme D... soutiennent qu'en ce qu'il prévoit la possibilité pour l'administration de choisir de mettre en recouvrement des impositions supplémentaires soit par l'émission d'un rôle supplémentaire, soit en notifiant au contribuable un avis de mise en recouvrement, l'article 1658 du code général des impôts a pour effet de soumettre des contribuables placés dans une situation identique à une différence de traitement constitutive d'une rupture d'égalité devant la loi fiscale et devant les charges publiques, dans la mesure où les mentions devant obligatoirement figurer sur un avis d'imposition sont moins complètes que celles devant figurer sur un avis de mise en recouvrement. Il soutient également que l'article 1658 du code général des impôts, du fait de ce choix laissé à l'administration, entraîne, pour les contribuables pour lesquels le recouvrement intervient par voie de rôle, une méconnaissance des principes du droit à un recours effectif et du respect des droits de la défense garantis par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789. Toutefois, les mentions devant obligatoirement figurer, respectivement sur les avis de mise en recouvrement et sur les avis d'imposition, sont déterminées non par l'article 1658 du code général des impôts mais, respectivement, par les articles L. 256 et R. 256-1 du livre des procédures fiscales et par l'article L. 253 du même livre. Il en résulte que l'article 1658 du code général des impôts n'est pas, par lui-même et pris isolément, à l'origine de la différence de traitement alléguée.

17. En second lieu, par une ordonnance n° 17VE02164 du 21 mars 2019, le président de la 1ère chambre de la Cour administrative d'appel de Versailles a décidé, par application des dispositions de l'article 23-2 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, de transmettre au Conseil d'Etat la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution de l'article 1658 du code général des impôts, en ce qu'il méconnaîtrait le principe d'égalité devant la loi fiscale et le principe d'égalité devant les charges publiques, garantis par les articles 6 et 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, la garantie des droits, le droit à un recours effectif, les droits de la défense garantis par l'article 16 de la même Déclaration, les principes de sécurité juridique et de confiance légitime, le principe de clarté de la loi ainsi que l'article 34 de la Constitution. Par une décision lue le 17 juin 2019, le Conseil d'Etat a estimé qu'il n'y avait pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité transmise par la Cour administrative d'appel de Versailles.

Sur les pénalités pour abus de droit :

18. En vertu des dispositions du B) de l'article 1729 du code général des impôts, les inexactitudes ou les omissions relevées dans une déclaration, un acte comportant l'indication d'éléments à retenir pour l'assiette ou la liquidation de l'impôt ainsi que la restitution d'une créance de nature fiscale dont le versement a été indûment obtenu de l'Etat entraînent l'application d'une majoration de 80 % en cas d'abus de droit au sens de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales. Cette majoration est ramenée à 40 % lorsqu'il n'est pas établi que le contribuable a eu l'initiative principale du ou des actes constitutifs de l'abus de droit ou en a été le principal bénéficiaire. Et en vertu des dispositions de l'article L. 195 A du livre des procédures fiscales, la preuve de la mauvaise foi et des manoeuvres frauduleuses incombe à l'administration, lorsque le contribuable conteste les pénalités fiscales infligées au titre des impôts directs, de la taxe sur la valeur ajoutée et des autres taxes sur le chiffre d'affaires, des droits d'enregistrement, de la taxe de publicité foncière et du droit de timbre.

19. M. et Mme D... exposent qu'en se bornant à relever l'absence tant de locaux, de personnel et de moyens matériels de Vaolu que de substance économique, l'administration ne rapporte pas la preuve qu'ils auraient eu une part prépondérante dans l'abus de droit litigieux. Ils allèguent, mais n'établissent pas, que Vaolu étant gérée par deux administrateurs, le requérant n'en était pas le dirigeant effectif. Ils arguent de l'absence de compétences juridiques et fiscales du requérant pour décliner sa responsabilité dans l'enchaînement des montages qui a été qualifié d'abus de droit et qui aurait été conçu par des conseils spécialisés. Le requérant allègue s'être consacré, en 2009, à la vente de son entreprise, et à l'installation de sa famille en Malaisie. Toutefois, l'administration relève que, quel que soit le statut juridique du requérant dans les sociétés impliquées dans ces montages, il en était l'unique associé et qu'il ne produit aucun contrat passé avec des conseillers juridiques et fiscaux, ni aucune étude émanant de tels prestataires. Par suite, l'administration rapporte la preuve de la part prépondérante de M. et Mme D... dans l'abus de droit en question. Le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions du B de l'article 1729 du code général des impôts doit donc être écarté.

20. Il résulte de tout ce qui précède que, d'une part, il n'y a pas lieu à statuer sur les impositions en litige à concurrence des sommes de 103 889 euros en matière d'impôt sur le revenu, et de 69 836 euros en matière des prélèvements sociaux, d'autre part, que M. et Mme D... ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Montreuil a rejeté le surplus de leur demande.

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

21. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions de M. et Mme D... qui sont, dans la présente instance, la partie principalement perdante, et de mettre à la charge de l'État, la somme qu'ils demandent au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : Il n'y a lieu de statuer sur la requête de M. et Mme D... à hauteur des montants précisés au point 16 ci-dessus.

Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête de M. et Mme D... est rejeté.

2

N°17VE02164


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Versailles
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 17VE02164
Date de la décision : 17/12/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. BEAUJARD
Rapporteur ?: M. Jean-Eric SOYEZ
Rapporteur public ?: M. CHAYVIALLE
Avocat(s) : TOUTTEE CONSEIL ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 14/01/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.versailles;arret;2019-12-17;17ve02164 ?
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