Vu la procédure suivante :
Par un arrêt du 12 mars 2019, la Cour a, en application de l'article L. 113-1 du code de justice administrative, saisi le Conseil d'État d'une demande d'avis transmis une demande d'avis sur une question de droit posée par la requête n°17VE02738 de la Fondation Jérôme Lejeune, enregistrée le 21 août 2017 et tendant à l'annulation du jugement n°1700621 par lequel le Tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande d'annulation de la décision de l'Agence de la biomédecine du 10 octobre 2016 autorisant l'Institut national de la santé et de la recherche médicale à mettre en oeuvre un protocole de recherche sur des cellules souches embryonnaires humaines, et a sursis à statuer sur la requête n°1702738' jusqu'à l'avis du Conseil d'Etat.
Par décision n°428838,428841 du 5 juillet 2019, le Conseil d'Etat a rendu son avis.
Procédure devant la cour :
Par une requête et deux mémoires complémentaires enregistrés les 21 août 2017, 20 septembre 2017 et 23 mai 2017, la Fondation Jérôme Lejeune, représenté par A..., avocat, demande à la Cour :
1° d'annuler le jugement n° 1700621 du Tribunal administratif de Montreuil du 21 juin 2017 ;
2° d'annuler la décision de l'Agence de la biomédecine du 10 octobre 2016 ;
3° de mettre à la charge de l'Agence de la biomédecine une somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la décision attaquée a été prise en méconnaissance des dispositions des I et II de l'article L.2151-5 du code de la santé publique, contrairement à ce qu'a jugé le tribunal ;
- l'existence de méthodes alternatives a été méconnue en méconnaissance de l'article L.2151-5 I 3° du code de la santé publique.
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Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de la santé publique;
- la décision du Conseil constitutionnel n° 2013-674 DC du 1er août 2013;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme B...,
- les conclusions de Mme Bruno-Salel, rapporteur public,
- les observations de Me A..., pour la Fondation Jérôme Lejeune, et de Me C... pour l'Agence de la biomédecine.
Considérant ce qui suit :
1. La Fondation Jérôme Lejeune relève appel du jugement en date du 21 juin 2017 par lequel le Tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa requête tendant à l'annulation de la décision de l'Agence de biomédecine du 10 octobre 2016 autorisant l'Institut national de la santé et de la recherche médicale à mettre en oeuvre un protocole de recherche sur des cellules souches embryonnaires humaines.
2. Aux termes de l'article L.2151-5 du code de la santé publique : " I.-Aucune recherche sur l'embryon humain ni sur les cellules souches embryonnaires ne peut être entreprise sans autorisation. Un protocole de recherche conduit sur un embryon humain ou sur des cellules souches embryonnaires issues d'un embryon humain ne peut être autorisé que si (...) / 3° En l'état des connaissances scientifiques, cette recherche ne peut être menée sans recourir à ces embryons ou ces cellules souches embryonnaires ; ".
3. Pour autoriser le programme de recherche en cause, soit l'étude des rôles physiopathologiques de la protéine APC, mutée dans la polypose adénomateuse familiale, et responsable de cancers colorectaux, l'Agence de la biomédecine s'est fondée sur le fait que le recours aux cellules souches pluripotentes induites (IPS) " ne semble pas adapté " dans la mesure où elles ne reproduisent pas complètement le phénotype des cellules souches embryonnaires humaines (CSEh), tendent à conserver une mémoire épigénétique, sont porteuses de mutations génétiques dues au processus de reprogrammation et sont extrêmement hétérogènes, alors que les CSEh sont beaucoup plus homogènes et spontanément pluripotentes, sans nécessité d'induire des modifications génétiques ou épigénétiques.
4. Toutefois, la requérante explique que les anomalies des cellules iPS dues aux reprogrammations sont les mêmes que pour les cellules souches dérivées de cellules embryonnaires et que l'utilisation de micromarqueurs permet d'éliminer les cellules déviantes, par un système de contrôle et d'élimination des cellules anormales utilisé pour les deux types de cellules. Concernant l'inconvénient de " la mémoire épigénétique " des cellules IPS, la Fondation soutient que cette " mémoire " est liée à une reprogrammation incomplète et s'efface lors des passages en " culture cellulaire ", qu'en outre, des techniques permettent d'estomper cette " mémoire ", telles que l'emploi d'agents modificateurs de la chromatine, l'extension de la période de culture, ou la reprogrammation des cellules IPS. Le caractère plus hétérogène des cellules IPS est également contesté au motif qu'il existe aussi un très grand nombre de lignées de CSEh, dérivées dans des conditions très différentes selon les laboratoires. La Fondation souligne également l'instabilité de ces cellules, liée à celle récurrente du génome humain. Selon elle le programme de recherche en cause utilise plusieurs types de lignées différentes de CSEh, allant ainsi à l'encontre de l'objectif d'homogénéité. Enfin, la requérante présente une méthode permettant de pallier cette diversité. Elle soutient à cet effet qu'il suffit de sélectionner des lignées de cellules IPS pour ne garder que celles pleinement reprogrammées, en faisant appel aux marqueurs de surface EpCAM et e-cadherin, afin d'obtenir des lignées de cellules IPS de grade clinique (GMP, " Good Manufacturing Practice ") et fournit plusieurs références de banques de lignées de cellules parfaitement standardisées.
5. Dans ces conditions, compte tenu des éléments contradictoires produits à l'instance, l'état actuel du dossier ne permet pas à la Cour de déterminer si les cellules IPS pouvaient présenter des caractéristiques comparables aux CESH pour la modélisation et l'analyse des altérations induites par la mutation APC dans deux cibles extra-intestinales, la rétine et les cellules souches mésenchymateuses et si le programme de recherche autorisé pouvait être mené sans avoir recours à l'utilisation de CSEh . Au vu de ce qui précède il y a lieu avant de statuer sur la requête d'ordonner une expertise qui aura lieu dans les conditions précisées ci-après.
D E C I D E :
Article 1 : Avant de statuer sur la requête de la Fondation Jérôme Lejeune, il sera procédé à une expertise confiée à un collège de deux experts, désignés par le président de la Cour.
Article 2 : Les experts auront pour mission d'étudier si le programme de recherche en cause, soit l'étude des rôles physiopathologiques de la protéine APC, mutée dans la polypose adénomateuse familiale, ne pouvait être mené, en l'état des connaissances scientifiques connues en octobre 2016, sans avoir recours aux cellules souches embryonnaires humaines, ou s'il existait une alternative à ce moyen de recherche.
Article 3 : Les experts accompliront leur mission dans les conditions prévues par les articles R.621-2 à R.621-4 du code de justice administrative. Les experts déposeront leur rapport au greffe de la Cour en deux exemplaires dans un délai de trois mois, et en notifieront copie aux parties dans le délai fixé par le président de la Cour dans sa décision les désignant.
Article 4 : Tous droits et moyens des parties sur lesquels il n'est pas expressément statué par le présent arrêt sont réservés jusqu'en fin d'instance.
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N°17VE02738