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18/06/2019 | FRANCE | N°16VE02320

France | France, Cour administrative d'appel de Versailles, 4ème chambre, 18 juin 2019, 16VE02320


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B...a demandé au Tribunal administratif de Versailles de condamner solidairement l'Etat et l'agence régionale de santé d'Ile-de-France à lui verser la somme de 437 786 euros au titre de l'indemnisation de ses préjudices, résultant de l'illégalité fautive des décisions du préfet de la région Ile-de-France des 28 septembre 2008 et du 30 juillet 2009 lui ayant refusé l'usage du titre professionnel d'ostéopathe.

Par un jugement n° 1306734 du 19 mai 2016, le Tribunal administratif de Versailles

a condamné l'Etat à verser à Mme B...la somme de 73 000 euros au titre du préjudic...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B...a demandé au Tribunal administratif de Versailles de condamner solidairement l'Etat et l'agence régionale de santé d'Ile-de-France à lui verser la somme de 437 786 euros au titre de l'indemnisation de ses préjudices, résultant de l'illégalité fautive des décisions du préfet de la région Ile-de-France des 28 septembre 2008 et du 30 juillet 2009 lui ayant refusé l'usage du titre professionnel d'ostéopathe.

Par un jugement n° 1306734 du 19 mai 2016, le Tribunal administratif de Versailles a condamné l'Etat à verser à Mme B...la somme de 73 000 euros au titre du préjudice subi.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 18 juillet 2016, la ministre des affaires sociales et de la santé, demande à la Cour :

1° d'annuler ce jugement ;

2° de rejeter la demande indemnitaire présentée par Mme B...devant le Tribunal administratif de Versailles.

Elle soutient que :

- le jugement attaqué est entaché d'une erreur d'appréciation en ce qu'aucun document comptable probant ne permet d'évaluer quantitativement l'activité d'ostéopathe de la requérante ;

- le jugement attaqué est entaché d'une erreur d'appréciation en ce que le tarif de la séance n'est pas plus justifié, aucun document comptable ou note d'honoraires n'ayant été produit ;

- le jugement attaqué est entaché d'une erreur d'appréciation dès lors que la requérante ne fournit aucun renseignement sur l'importance de sa clientèle pendant les années considérées.

.................................................................................................................

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Margerit,

- les conclusions de Bruno-Salel, rapporteur public,

- et les observations de Me A...pour MmeB....

Considérant ce qui suit :

1. Mme C...B..., infirmière et pédicure-podologue de formation, a développé une activité d'ostéopathe à partir de septembre 2001. Suite au décret n° 2007-435 du 25 mars 2007 relatif aux actes et aux conditions d'exercice de l'ostéopathie, Mme B...a déposé, le 12 juillet 2007, un dossier en vue d'obtenir l'autorisation d'usage du titre professionnel d'ostéopathe auprès de la DRASS d'Ile-de-France. Par une décision du 28 septembre 2008, confirmée par une décision du 30 juillet 2009 du préfet de région Ile-de-France, préfet de Paris, sa demande a été refusée, au motif qu'aucune des deux conditions exigées par la réglementation n'était remplie. Par un jugement nos 1000320 et 1000322 du 12 novembre 2012, le Tribunal administratif de Versailles a annulé ces deux décisions préfectorales. Ce jugement est devenu définitif. Le 4 février 2013, Mme B...s'est vue délivrer l'autorisation d'user du titre professionnel d'ostéopathe et, le 20 juin 2013, elle a adressé au préfet de la région Ile-de-France une demande préalable d'indemnisation des préjudices subis du fait des décisions du 28 septembre 2008 et du 30 juillet 2009, l'ayant illégalement privée de la possibilité d'exercer l'activité d'ostéopathe entre le 13 février 2009 et le 4 février 2013. Par un jugement n° 1306734 du 19 mai 2016, le Tribunal administratif de Versailles a condamné l'Etat à lui verser la somme de 75 000 euros en réparation du préjudice subi. La ministre des affaires sociales et de la santé relève régulièrement appel de ce jugement en ce qu'il a condamné l'Etat. Mme B...demande, par la voie d'un appel incident, une augmentation de la somme allouée.

En ce qui concerne la responsabilité :

2. Toute illégalité commise par l'administration constitue une faute susceptible d'engager sa responsabilité, pour autant qu'il en soit résulté un préjudice direct et certain.

3. Par un jugement n° 1306734 du 19 mai 2016, le Tribunal administratif de Versailles a considéré que le préfet de la région Ile-de-France, préfet de Paris, a commis une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat en rejetant pour un motif illégal la demande de Mme B...en date du 12 juillet 2007. Les parties ne contestent pas en appel l'appréciation faite par les premiers juges du fondement de la responsabilité de l'Etat.

En ce qui concerne les préjudices :

Sur l'appel principal de la ministre des affaires sociales et de la santé :

4. En premier lieu, il résulte de l'instruction que Mme B...a produit des documents indiquant la répartition claire des recettes issues de son activité de thérapie manuelle - ostéopathie entre 2001 et 2007. Pour chacune de ces années, le pourcentage occupé par l'ostéopathie dans ses recettes annuelles est identifié. Ces chiffres sont par ailleurs certifiés par une attestation de l'Association des Jeunes Libéraux Agréés datée du 23 décembre 2008, jointe au dossier de première instance. Cette attestation vient compléter les comptes de résultat fiscal des années 2001 à 2007. Par suite la ministre des affaires sociales et de la santé n'est pas fondée à soutenir qu'aucun document comptable probant ne permettait d'évaluer quantitativement l'activité d'ostéopathe de la requérante, et que, partant, son préjudice n'aurait pas été justifié.

5. En deuxième lieu, la ministre des affaires sociales et de la santé n'établit pas en quoi le versement au dossier des notes d'honoraires des séances d'ostéopathie pratiquées par Mme B...serait nécessaire pour apprécier le montant du préjudice financier subi par cette dernière entre février 2009 et février 2013, alors que, ainsi qu'il vient d'être dit, ses comptes de résultat fiscal des années 2001 à 2007 et l'attestation de la répartition de ses recettes entre 2001 et 2007 fournie par l'Association des Jeunes Libéraux Agréés ont été versées au dossier Par suite, la ministre des affaires sociales et de la santé n'est pas fondée à soutenir que des documents indiquant le tarif de la séance d'ostéopathie auraient dû être versés au dossier pour apprécier le montant du préjudice financier à réparer.

6. En troisième lieu, il résulte de l'instruction que la démonstration du volume de la patientèle de Mme B...découle du montant de son chiffre d'affaires annuel en ostéopathie, tel qu'indiqué par l'attestation du 23 décembre 2008 fournie par l'Association des Jeunes Libéraux Agréés, document dont la compréhension s'accompagne des comptes de résultat fiscal de l'intéressée de 2001 à 2007. Par suite, la ministre n'est pas fondée à soutenir qu'aucun renseignement sur l'importance de la patientèle de Mme B...n'aurait été versé au dossier.

7. Il résulte de ce qui précède que la ministre des affaires sociales et de la santé n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Versailles a condamné l'Etat à verser à Mme B...la somme de 75 000 euros en réparation du préjudice subi à raison du refus illégal de délivrance d'autorisation d'usage du titre professionnel d'ostéopathe.

Sur l'appel incident de MmeB... tendant à ce que la somme qui lui a été allouée en réparation de son préjudice soit portée à 167 406,87 euros:

Sur le préjudice économique :

8. Il résulte de l'instruction que la faute commise par l'État en refusant illégalement de délivrer à Mme B...l'autorisation d'usage du titre professionnel d'ostéopathe en application du décret n° 2007-435 du 25 mars 2007, a eu pour conséquence directe l'impossibilité d'exercer l'activité d'ostéopathe de février 2009 à février 2013 et par suite l'absence de revenus financiers découlant de cette activité pratiquée par Mme B...depuis septembre 2001. Pour justifier le préjudice financier qu'elle invoque, Mme B...a produit, d'une part, ses comptes de résultat fiscal de 2001 à 2007 ainsi qu'une attestation de la répartition de ses recettes entre 2001 et 2007 fournie par l'Association des Jeunes Libéraux Agréés le 23 décembre 2008, ce dernier document indiquant le pourcentage occupé par les prestations d'ostéopathie chaque année, et, d'autre part, suite à une mesure supplémentaire d'instruction, ses déclarations fiscales pour les années 2007 à 2013.

9. Mme B...est fondée à demander l'indemnisation de son préjudice économique, qui sera justement évalué en retenant une somme établie sur la base de l'année d'exercice 2007, dès lors que cette année correspond à l'année pouvant être regardée comme référence en ce que l'intéressée a commencé au titre de cette année une expansion de son activité d'ostéopathe, sans qu'il ne ressorte de l'instruction que le chiffre d'affaires réalisé durant cette année 2007 aurait été susceptible de connaître une diminution en l'absence des décisions litigieuses. La somme due en réparation de son préjudice correspond au bénéfice annuel tiré de son activité d'ostéopathie, soit 52 987 euros, et prend en compte la seule part des activités d'ostéopathie de Mme B...dans ce bénéfice, de laquelle sont déduites les charges étrangères à l'activité d'ostéopathe, dont les frais d'entretien et de réparation du matériel, les frais de véhicule et les côtisations syndicales et professionnelles attachées à ses activités d'infirmière libérale et de pédicure-podologue et les charges relatives à l'activité d'ostéopathie, représentant 39,14% de l'activité totale, s'élevant à la somme de 10 870,74 euros. Ce bénéfice annuel correspond donc à une somme de 42 116,26 euros. La période à indemniser porte sur les quarante-huit mois d'interdiction illégale d'usage du titre professionnel d'ostéopathe, entre février 2009 et février 2013, période de laquelle il convient de déduire, d'une part, les huit mois pendant lesquels Mme B...a été placée en arrêt de maladie, et, d'autre part, les douze mois de l'année 2009 pour laquelle Mme B...a enregistré une hausse de ses revenus. Alors qu'il ne ressort pas de l'instruction que, sur les vingt huit mois restants, Mme B... aurait pu compenser ses pertes de bénéfices dues à l'arrêt de son activité d'ostéopathe, l'Etat, en réparation du préjudice économique subi, de laquelle il n'y a pas lieu de déduire la somme due au titre de l'impôt sur le revenu dont se serait acquittée l'intéressée, versera donc à Mme B...une somme de 98 271,27 euros, augmentée des intérêts au taux légal à compter du 26 novembre 2016.

Sur le préjudice d'atteinte à l'image et à la crédibilité professionnelle :

10. MmeB..., qui avait constitué depuis 2001 une clientèle en hausse et avait réussi à mettre son cabinet dans une dynamique d'expansion, a, durant quatre ans d'interruption d'exercice, été obligée de reconstituer cette patientèle après 2013. Cette reconstitution s'est révélée difficile en raison de l'installation d'autres ostéopathes dans son secteur géographique et des conséquences du refus d'autorisation pendant une durée importante sur le lien de confiance qu'elle avait construit avec ses patients.

11. Le tribunal n'a pas fait une inexacte appréciation du préjudice lié à l'atteinte à la crédibilité et à l'image Mme B...en tant qu'ostéopathe en fixant la somme due par l'Etat à 3 000 euros.

12. Il résulte de tout ce qui précède que Mme B...est fondée à demander la condamnation de l'Etat à lui verser la somme de 98 271,27 euros avec intérêts à compter du 26 novembre 2016 et la réformation du jugement du Tribunal administratif dans cette mesure.

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

13. Les dispositions susvisées font obstacle à ce que MmeB..., qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, soit condamnée à verser à l'Etat la somme que celui-ci demande au titre des frais irrépétibles. En revanche, dans les circonstances de l'espèce, en application des mêmes dispositions, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat le versement à Mme B...de la somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par cette dernière, non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de la ministre des affaires sociales et de la santé est rejetée.

Article 2 : L'Etat est condamné à verser à Mme B...la somme de 98 271,27 euros augmentée des intérêts au taux légal à compter du 26 novembre 2016.

Article 3 : L'Etat versera à Mme B...une somme de 1 500 euros au titre de l'article

L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le jugement du 19 mai 2016 du Tribunal administratif de Versailles est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

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N° 16VE02320


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Versailles
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 16VE02320
Date de la décision : 18/06/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

55-03 Professions, charges et offices. Conditions d'exercice des professions.


Composition du Tribunal
Président : Mme BESSON-LEDEY
Rapporteur ?: Mme Diane MARGERIT
Rapporteur public ?: Mme BRUNO-SALEL
Avocat(s) : TARON

Origine de la décision
Date de l'import : 25/06/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.versailles;arret;2019-06-18;16ve02320 ?
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