Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société Mizuho Bank Ltd a demandé au Tribunal administratif de Montreuil de prononcer la décharge des cotisations de contribution exceptionnelle sur l'impôt sur les sociétés mises à sa charge au titre de ses exercices clos en 2011 et 2012 à concurrence de 370 918 euros, assortie des intérêts moratoires prévus à l'article L. 208 du livre des procédures fiscales.
Par un jugement n° 1409662 du 22 septembre 2016, le Tribunal administratif de Montreuil a accordé à la société Mizuho Bank Ltd la décharge sollicitée, mis à la charge de l'État une somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administratif et rejeté le surplus de sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par un recours et deux mémoires, enregistrés les 20 octobre 2016, 6 janvier 2017 et
24 février 2017, le MINISTRE DE L'ECONOMIE ET DES FINANCES demande à la Cour :
1° d'annuler ce jugement ;
2° de remettre à la charge de la société Mizuho Bank Ltd les impositions dont la décharge a été prononcée par le Tribunal administratif de Montreuil.
Il soutient que :
- contrairement à ce qu'a estimé le tribunal et ainsi que l'a jugé le Conseil d'État dans sa décision n° 395015 du 9 décembre 2016, le seuil d'assujettissement à la contribution exceptionnelle sur l'impôt sur les sociétés prévu par l'article 235 ter ZAA du code général des impôts doit s'apprécier au regard du chiffre d'affaires total réalisé par la société et non du seul chiffre d'affaires réalisé par son établissement stable en France, sans qu'y fassent obstacle les règles de territorialité posées à l'article 209 du code général des impôts et 7 de la convention fiscale franco-japonaise ;
- cette disposition ne méconnaît pas la clause de non-discrimination prévue à l'article 24 de la convention fiscale franco-japonaise.
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la Constitution, et notamment son article 61-1 ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et son premier protocole additionnel ;
- la convention signée le 3 mars 1995 entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Japon en vue d'éviter les doubles impositions et de prévenir l'évasion et la fraude fiscales en matière d'impôts sur le revenu ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
- la décision, en date du 29 mars 2017, n° 402162, par laquelle le Conseil d'État a refusé de transmettre au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité formée par la société IKB Deutsche Industriebank.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Huon,
- les conclusions de M. Coudert, rapporteur public,
- et les observations de Me Ugolini, avocat de la société Mizuho Bank Ltd.
1. Considérant que la société japonaise Mizuho Bank Ltd, qui exerce une activité bancaire, a été assujettie, à raison de son établissement stable en France, à la contribution exceptionnelle sur l'impôt sur les sociétés prévue par l'article 235 ter ZAA du code général des impôts au titre de ses exercices clos en 2011 et 2012 à hauteur respectivement de 213 637 euros et 157 281 euros ; que, par jugement du 22 septembre 2016, le Tribunal administratif de Montreuil a accordé à la société Mizuho Bank Ltd la décharge sollicitée, mis à la charge de l'État une somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administratif et rejeté le surplus de sa demande ; que le MINISTRE DE l'ECONOMIE ET DES FINANCES doit être regardé comme relevant appel de ce jugement en tant qu'il lui fait grief ;
2. Considérant, d'une part, qu'aux termes de l'article 235 ter ZAA du code général des impôts, applicable à l'espèce : " I.- Les redevables de l'impôt sur les sociétés réalisant un chiffre d'affaires supérieur à 250 millions d'euros sont assujettis à une contribution exceptionnelle égale à une fraction de cet impôt calculé sur leurs résultats imposables, aux taux mentionnés à l'article 219, des exercices clos à compter du 31 décembre 2011 et jusqu'au 30 décembre 2013. / Cette contribution est égale à 5 % de l'impôt sur les sociétés dû, déterminé avant imputation des réductions et crédits d'impôt et des créances fiscales de toute nature (...) / Le chiffre d'affaires mentionné au premier alinéa du présent I s'entend du chiffre d'affaires réalisé par le redevable au cours de l'exercice ou de la période d'imposition, ramené à douze mois le cas échéant (...) " ;
3. Considérant, d'autre part, qu'aux termes de l'article 209 du code général des impôts : " I. Sous réserve des dispositions de la présente section, les bénéfices passibles de l'impôt sur les sociétés sont déterminés (...) en tenant compte uniquement des bénéfices réalisés dans les entreprises exploitées en France (...) ainsi que de ceux dont l'imposition est attribuée à la France par une convention internationale relative aux doubles impositions (...) " ; qu'aux termes de l'article 7 de la convention fiscale franco-japonaise du 3 mars 1995 susvisée : " 1. Les bénéfices d'une entreprise d'un Etat contractant ne sont imposables que dans cet Etat, à moins que l'entreprise n'exerce son activité dans l'autre Etat contractant par l'intermédiaire d'un établissement stable qui y est situé. Si l'entreprise exerce son activité d'une telle façon, les bénéfices de l'entreprise sont imposables dans l'autre Etat mais uniquement dans la mesure où ils sont imputables à cet établissement stable (...) " ;
4. Considérant qu'en application de l'article 235 ter ZAA précité, l'assujettissement à la contribution exceptionnelle sur l'impôt sur les sociétés repose sur la qualité de redevable de l'impôt sur les sociétés et sur la réalisation d'un chiffre d'affaires annuel d'au moins
250 millions d'euros ; que si la territorialité de l'impôt sur les sociétés résultant de l'article 209 du code général des impôts limite les bénéfices passibles de l'impôt sur les sociétés à ceux réalisés en France, sous réserve des stipulations des conventions internationales relatives aux doubles impositions, elle n'a ni pour objet ni pour effet de limiter le chiffre d'affaires pris en compte pour apprécier le seuil d'assujettissement à la contribution exceptionnelle à celui réalisé en France ; que, par suite, en jugeant qu'il y avait lieu, pour l'application de l'article
235 ter ZAA du code général des impôts, de retenir le seul chiffre d'affaires qui se rattache aux bénéfices soumis en France à l'impôt sur les sociétés conformément à l'article 209 de ce code et aux stipulations de la convention fiscale franco-japonaise précitée applicable au cas d'espèce, le tribunal administratif a fait une inexacte interprétation de l'article 235 ter ZAA ; que le MINISTRE DE L'ECONOMIE ET DES FINANCES est ainsi fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal a prononcé la décharge des impositions litigieuses au motif que le chiffre d'affaires imputable à la succursale française de la société Mizuho Bank Ltd était, au cours des exercices clos en 2011 et 2012, inférieur au seuil d'assujettissement de 250 millions d'euros, alors que le chiffre d'affaires mondial de cette société était supérieur à ce seuil ;
5. Considérant, toutefois, qu'il appartient à la Cour, saisie par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par la société Mizuho Bank Ltd devant le Tribunal administratif et devant elle ;
Sur la question prioritaire de constitutionnalité :
6. Considérant qu'aux termes de l'article 61-1 de la Constitution : " Lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'Etat ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé (...) " ; qu'aux termes du premier alinéa de l'article 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " La juridiction statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'Etat ou à la Cour de cassation. Il est procédé à cette transmission si les conditions suivantes sont remplies : / 1° La disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites ; / 2° Elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances ; / 3° La question n'est pas dépourvue de caractère sérieux " ;
7. Considérant que, par sa décision n° 402162 du 29 mars 2017, le Conseil d'État a refusé de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution de l'article 235 ter ZAA du code général des impôts ; qu'ainsi, et dès lors que la question prioritaire de constitutionnalité posée par la société Mizuho Bank Ltd dans la présente instance concerne les mêmes dispositions législatives et soulève les mêmes griefs que ceux écartés par la décision précitée, il n'y a pas lieu de la transmettre au Conseil d'État ;
Sur le moyen tiré de la méconnaissance du principe de non discrimination prévu au paragraphe 2 de l'article 24 de la convention fiscale franco-japonaise :
8. Considérant qu'aux termes de l'article 24 de la convention fiscale franco-japonaise susvisée : " (...) 2. L'imposition d'un établissement stable qu'une entreprise d'un Etat contractant a dans l'autre Etat contractant n'est pas établie dans cet autre Etat d'une façon moins favorable que l'imposition des entreprises de cet autre Etat qui exercent la même activité. (...) " ;
9. Considérant, d'une part, qu'au regard de la contribution exceptionnelle sur l'impôt sur les sociétés, une société établie au Japon disposant d'un établissement stable en France est traitée de manière identique à une société établie en France ayant un établissement stable en France ou à l'étranger, et notamment au Japon, dès lors que, dans l'une ou l'autre de ces situations, le seuil d'assujettissement à cette contribution s'apprécie au regard du chiffre d'affaires mondial de l'entreprise et que, par ailleurs, seul le bénéfice réalisé en France est retenu pour l'assiette de l'impôt ;
10. Considérant, d'autre part, que la société requérante ne saurait utilement soutenir qu'elle se trouve placée dans une situation plus défavorable que celle qui serait la sienne si son activité était exercée en France par l'intermédiaire d'une filiale, et non d'une succursale, dès lors que le principe de non-discrimination n'implique pas que les différentes structures susceptibles d'être choisies par les opérateurs pour exercer leurs activités économiques soient soumises à un seul et même traitement fiscal alors, de surcroît, que la filiale et la succursale françaises d'une société résidente ne font pas elles-mêmes l'objet d'un traitement similaire ;
11. Considérant, par suite, que le moyen tiré de ce que les modalités d'application de la contribution exceptionnelle, telles que précisées ci-dessus, méconnaîtraient la clause de non-discrimination prévue à l'article 24 de la convention fiscale franco-japonaise ne peut qu'être écarté ;
Sur le moyen tiré de la méconnaissance du principe de non discrimination prévu à l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales combiné avec l'article 1er du premier protocole additionnel à cette convention :
12. Considérant qu'aux termes de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation " ; qu'aux termes de l'article 1er du premier protocole additionnel à cette même convention : " Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens (...) " ; qu'une distinction entre des personnes placées dans une situation analogue est discriminatoire, au sens des stipulations de l'article 14 de la convention, si elle n'est pas assortie de justifications objectives et raisonnables, c'est-à-dire si elle ne poursuit pas un objectif d'utilité publique ou si elle n'est pas fondée sur des critères objectifs et rationnels en rapport avec les buts de la loi ;
13. Considérant, ainsi qu'il a été dit ci-dessus, que la différence de chiffres d'affaires à prendre en compte selon que la société étrangère exerce son activité en France par l'intermédiaire d'une succursale ou d'une filiale est la conséquence nécessaire de l'absence de personnalité propre de la succursale et qu'elle ne peut être regardée comme étant, en elle-même, à l'origine d'une discrimination prohibée ; que, dès lors, le moyen tiré de ce qu'il existerait, de ce fait, une différence de traitement à l'origine d'une discrimination prohibée par la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté ;
14. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le MINISTRE DE L'ECONOMIE ET DES FINANCES est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Montreuil a déchargé la société Mizuho Bank Ltd de la contribution exceptionnelle sur l'impôt sur les sociétés établie au titre de ses exercices 2011 et 2012 ;
Sur les conclusions de la société Mizuho Bank Ltd tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
15. Considérant qu'aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation " ;
16. Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'État, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que demande la société Mizuho Bank Ltd au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;
Sur les dépens :
17. Considérant que la présente instance n'a donné lieu à aucun dépens ; qu'ainsi, les conclusions présentées à ce titre par l'intimée ne peuvent qu'être rejetées ;
DÉCIDE :
Article 1er : Il n'y a pas lieu de transmettre au Conseil d'État la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la société Mizuho Bank Ltd.
Article 2 : Les articles 1er et 2 du jugement n° 1409662 du 22 septembre 2016 du Tribunal administratif de Montreuil sont annulés.
Article 3 : Les impositions dont le Tribunal administratif de Montreuil a prononcé la décharge par le jugement précité sont remises à la charge de la société Mizuho Bank Ltd.
Article 4 : Les conclusions présentées par la société Mizuho Bank Ltd au titre des dépens et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
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N° 16VE03060