Vu le recours, enregistré le 11 mai 2012, présenté par le MINISTRE DU BUDGET, DES COMPTES PUBLICS ET DE LA REFORME DE L'ETAT ; le ministre demande à la Cour :
1° d'annuler le jugement n° 1004064 en date du 15 mars 2012 par lequel le Tribunal administratif de Montreuil a prononcé la décharge du rappel d'intérêts moratoires mis à la charge de la Société générale SA au titre de l'année 2008 ;
2° de remettre ce rappel d'intérêts moratoires à la charge de la Société générale SA ;
Il soutient que :
- le jugement est entaché d'une insuffisance de motivation, le tribunal administratif ayant rejeté sa demande sans répondre au moyen selon lequel tout litige fiscal n'entre pas dans le champ d'application de l'article L. 208 du livre des procédures fiscales ;
- les dégrèvements prononcés en exécution d'une décision de justice ne sont pas systématiquement assortis des intérêts moratoires, dès lors que tout litige n'entre pas nécessairement dans le champ de l'article L. 208 du livre des procédures fiscales ;
- le versement des intérêts moratoires n'est dû qu'au " contribuable " selon la lettre même de l'article L. 208 et non pas à un tiers, tel que le cessionnaire d'une créance qui tient ses droits non pas du paiement d'un impôt indu mais du prix payé pour l'achat de ladite créance ;
..........................................................................................................
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
Vu le code monétaire et financier ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 13 mai 2014 :
- le rapport de M. Bresse, président assesseur,
- les conclusions de M. Locatelli, rapporteur public,
- et les observations de M. A...pour le MINISTRE DES FINANCES ET DES COMPTES PUBLICS et celles de Me B...pour la Société générale SA ;
1. Considérant que la société Rhodia s'est vue accorder, par un jugement n° 0404552 du 21 décembre 2006 du Tribunal administratif de Versailles, la restitution du précompte mobilier assis sur les dividendes reçus de ses filiales installées dans des pays membres de l'Union européenne autres que la France au titre, respectivement, des années 1999 et 2000, et acquitté en 2001 pour une somme de 13 759 427 euros ; que la société Rhodia avait cédé le 1er février 2006 à la Société générale SA sa créance sur le Trésor public relative au précompte ; que le jugement du tribunal administratif a été exécuté le 8 juin 2007 par l'administration qui a versé à la Société générale SA le solde de la créance augmenté des intérêts moratoires ; que, cependant, l'administration, ayant ultérieurement estimé que l'article L. 208 du livre des procédures fiscales réservait le paiement desdits intérêts aux seuls remboursements faits au contribuable lui-même, a procédé à un rappel des intérêts moratoires versés à la Société générale SA à hauteur de 2 739 928,52 euros ; que, le 28 avril 2010, la Société générale SA a demandé au Tribunal administratif de Montreuil la décharge du rappel d'intérêts moratoires mis ainsi à sa charge au titre de l'année 2008 ; que le MINISTRE DU BUDGET, DES COMPTES PUBLICS ET DE LA REFORME DE L'ETAT fait appel du jugement du 15 mars 2012 par lequel le Tribunal administratif de Montreuil a fait droit à cette demande ;
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Considérant qu'après avoir rappelé les textes applicables au litige, le Tribunal administratif de Montreuil a énoncé que la cession de la créance fiscale donnait qualité à la société cessionnaire pour demander à l'Etat que la restitution des sommes versées par la société cédante soit assortie des intérêts moratoires prévus à l'article L. 208 du livre des procédures fiscales ; que, ce faisant, il a, implicitement mais nécessairement, écarté le moyen tiré de ce que tout litige fiscal n'entre pas dans le champ d'application de l'article suscité dès lors que la cession d'une créance à un tiers dans le cadre de la loi Dailly lui ferait perdre sa nature fiscale ; que le tribunal administratif, qui n'était pas tenu de répondre à l'ensemble des arguments invoqués devant lui, a ainsi écarté, par une motivation suffisante, l'ensemble des moyens développés par la Société Générale ; que le MINISTRE DU BUDGET, DES COMPTES PUBLICS ET DE LA REFORME DE L'ETAT n'est, par suite, pas fondé à soutenir que le jugement attaqué serait entaché d'une insuffisance de motivation ;
Sur le principe du paiement d'intérêts moratoires :
3. Considérant, d'une part, qu'aux termes de l'article L. 208 du livre des procédures fiscales : " Quand l'Etat est condamné à un dégrèvement d'impôt par un tribunal ou quand un dégrèvement est prononcé par l'administration à la suite d'une réclamation tendant à la réparation d'une erreur commise dans l'assiette ou le calcul des impositions, les sommes déjà perçues sont remboursées au contribuable et donnent lieu au paiement d'intérêts moratoires dont le taux est celui de l'intérêt de retard prévu à l'article 1727 du code général des impôts. Les intérêts courent du jour du paiement (...) " et, d'autre part, qu'aux termes de l'article L. 313-27 du code monétaire et financier : " La cession ou le nantissement prend effet entre les parties et devient opposable aux tiers à la date apposée sur le bordereau lors de sa remise, quelle que soit la date de naissance, d'échéance ou d'exigibilité des créances, sans qu'il soit besoin d'autre formalité, et ce quelle que soit la loi applicable aux créances et la loi du pays de résidence des débiteurs. (...) La remise du bordereau entraîne de plein droit le transfert des sûretés, des garanties et des accessoires attachés à chaque créance, y compris les sûretés hypothécaires, et son opposabilité aux tiers sans qu'il soit besoin d'autre formalité " ;
4. Considérant, d'une part, que si, comme le soutient le ministre, tout remboursement octroyé par le Trésor public n'ouvre pas nécessairement droit au versement des intérêts moratoires sur le fondement de l'article L. 208 du livre des procédures fiscales, le dégrèvement accordé le 21 décembre 2006 par le Tribunal administratif de Versailles présentait le caractère d'un dégrèvement d'impôt accordé par un tribunal au sens de l'article L. 208 du livre des procédures fiscales ouvrant droit au versement d'intérêts moratoires au contribuable, à savoir la Société Rhodia ; que, d'autre part, l'acte de cession à la Société générale SA, le 1er février 2006, de la créance fiscale sur le Trésor détenue par la société Rhodia du fait du précompte mobilier en litige mentionnait expressément qu'elle portait également sur les intérêts moratoires associés à cette créance, lesquels constituent d'ailleurs un accessoire des impositions principales, et donnait ainsi qualité à la société cessionnaire, substituée dans les droits du contribuable au versement de ces intérêts moratoires, pour demander à l'Etat que la restitution des sommes versées de ce chef soit assortie des intérêts moratoires prévus à l'article L. 208 du livre des procédures fiscales ; qu'à cet égard, l'administration ne peut utilement se prévaloir de la circonstance que la cession de créance fait obstacle à ce qu'elle procède aux compensations auxquelles elle pourrait prétendre avec les dettes du contribuable lui-même ; qu'elle ne saurait davantage faire valoir, dès lors que les intérêts moratoires étaient dus à la société Rhodia, que des intérêts ne sauraient être versées à la Société générale SA au titre d'une période antérieure à la cession de la créance ou encore que cette cession est rémunérée par ailleurs ; qu'il suit de là que l'entière exécution du jugement prononçant la restitution du précompte mobilier implique nécessairement, contrairement à ce que soutient l'administration, le remboursement à la société Rhodia et, par voie de conséquence, à la Société générale SA, cessionnaire, du principal et des intérêts moratoires liés au remboursement dudit précompte ; que, cependant, ainsi que le fait valoir le ministre, le montant de ce remboursement ayant été ramené de 13 759 427 euros à 6 674 760 euros, par une décision n° 317074 du 10 décembre 2012 du Conseil d'Etat statuant au contentieux, les intérêts moratoires dus devront, par voie de conséquence, être calculés sur cette nouvelle base ;
5. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le MINISTRE DU BUDGET, DES COMPTES PUBLICS ET DE LA REFORME DE L'ETAT n'est pas fondé à demander l'annulation du jugement attaqué ;
Sur l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
6. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par la Société générale SA et non compris dans les dépens ;
DECIDE :
Article 1er : Le recours du MINISTRE DU BUDGET, DES COMPTES PUBLICS ET DE LA REFORME DE L'ETAT est rejeté.
Article 2 : L'Etat versera à la Société générale SA une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la Société générale SA tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative est rejeté.
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N° 12VE01712 4