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10/10/2013 | FRANCE | N°11VE01315

France | France, Cour administrative d'appel de Versailles, 5ème chambre, 10 octobre 2013, 11VE01315


Vu la requête, enregistrée le 6 avril 2011, présentée pour la société AEROPORTS DE PARIS (ADP), dont le siège est 291 boulevard Raspail à Paris Cedex 14 (75675), représentée par son directeur en exercice, par Me Marquet, avocat ;

La société AEROPORTS DE PARIS demande à la Cour :

1° d'annuler le jugement n° 0711997 en date du 10 février 2011 par lequel le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise n'a que partiellement fait droit à sa demande tendant à la condamnation solidaire des sociétés Bec Frères et Dragados à lui payer en principal la somme de 402 750,43

euros TTC en réparation des désordres affectant les caniveaux à fentes des aires...

Vu la requête, enregistrée le 6 avril 2011, présentée pour la société AEROPORTS DE PARIS (ADP), dont le siège est 291 boulevard Raspail à Paris Cedex 14 (75675), représentée par son directeur en exercice, par Me Marquet, avocat ;

La société AEROPORTS DE PARIS demande à la Cour :

1° d'annuler le jugement n° 0711997 en date du 10 février 2011 par lequel le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise n'a que partiellement fait droit à sa demande tendant à la condamnation solidaire des sociétés Bec Frères et Dragados à lui payer en principal la somme de 402 750,43 euros TTC en réparation des désordres affectant les caniveaux à fentes des aires de dégivrage de l'aéroport de Roissy-Charles-de-Gaulle ainsi que la somme de 30 000 euros en remboursement des frais d'expertise avec intérêts de droit à compter de la date de la requête de première instance, sur le fondement des principes dont s'inspirent les articles 1792 et suivants du code civil ;

2° de condamner, sur le fondement de la garantie décennale, la société Bec Frères à lui payer en principal la somme de 402 750,43 euros TTC en réparation de ces désordres ainsi que la somme de 30 000 euros en remboursement des frais d'expertise susmentionnés ;

3° de condamner la société Bec Frères à lui payer la somme de 15 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

4° de condamner la société Bec Frères aux entiers dépens ;

Elle soutient que :

- sa responsabilité en tant que maître d'oeuvre du chantier ne peut être retenue, ainsi que le Tribunal l'a fait, à la hauteur de 50 %, dès lors que l'expert n'a nullement retenu sa responsabilité, et a retenu exclusivement celle de la société Buscaglia, sous-traitant de la société Bec Frères ; le rapport d'expertise conclut que les caniveaux à fentes Prefaest de diamètre 400 et de classe F 900 mis en oeuvre sur les aires de dégivrage n'étaient pas conformes à leur destination puisque ne pouvant résister aux charges d'exploitation relativement importantes qu'ils avaient à subir du fait de l'utilisation des surfaces intéressées par de nombreux avions gros porteurs de plus de 400 tonnes ;

- c'est à la société Bec Frères qu'incombait la charge de vérifier que les caniveaux qui se sont avérés défectueux étaient bien adaptés à l'usage qu'ils devaient avoir ;

- elle n'a pas eu d'informations précises sur la portée de la norme EN 124 concernant les caniveaux à fentes de classe F 900 ; l'entreprise Buscaglia commercialisant la fourniture aurait dû informer les intervenants sur le fait que la conformité de ce type de caniveaux à la norme, et notamment à la charge d'essai de 900 KN dans ladite norme, ne constituait pas une garantie de la conformité des caniveaux à leur destination au regard des charges d'exploitation liées à la densité du trafic aérien et à l'utilisation d'avions gros porteurs particulièrement lourds ; elle a commercialisé ces produits en toute connaissance de cause ;

- elle n'a pas donné son accord pour l'utilisation des caniveaux, le visa sur les plans d'exécution n'emportant pas agrément du matériau choisi par les entreprises, mais seulement de la méthodologie d'exécution des travaux définissant " le phasage de réalisation de la structure des chaussées au droit du caniveau " ;

..........................................................................................................

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code civil et notamment ses articles 1792 et 2270 ;

Vu le code des marchés publics ;

Vu la loi n° 85-704 du 12 juillet 1985 relative à la maîtrise d'ouvrage publique et à ses rapports avec la maîtrise d'oeuvre privée ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 26 septembre 2013 :

- le rapport de Mme Margerit, premier conseiller,

- les conclusions de Mme Besson-Ledey, rapporteur public,

- et les observations de MeB..., substituant MeA..., pour la société Bec Frères ;

1. Considérant que dans le cadre de la construction, au sein de l'aéroport de Roissy-Charles-de-Gaulle, de la piste n° 3, et de l'allongement de la piste n° 1, la société AEROPORTS DE PARIS (ADP), a confié, par un acte d'engagement signé le 23 mars 1999, le lot 14Z consistant en la réalisation de terrassements, réseaux et chaussées, à un groupement d'entreprises conjoint dont l'entreprise Dragados était le mandataire commun ; qu'au sein du lot 14Z, la société Bec Frères s'est vu attribuer les lots n° 1 " terrassement " et n° 2 " réseaux " ; que les travaux ainsi confiés à la société Bec Frères comportaient notamment la fourniture et la mise en oeuvre de caniveaux à fentes sur les aires de dégivrage destinées à recueillir différents produits mis en oeuvre lors du dégivrage des avions avant leur décollage ; que la réception des travaux a été prononcée le 18 juillet 2001 ; que, courant 2002, des fissures et épaufrures sont apparues au droit des caniveaux à fentes des aires de dégivrage ; qu'en septembre et octobre 2002, suite à un règlement amiable, la société Bec Frères a pris en charge la remise en état des zones endommagées ; qu'en 2004, de nouvelles fissures et épaufrures, constatées par huissier à la demande de la société ADP, sont apparues sur les parties remises en état, endommageant au total 472 m de pistes ; que la société Bec Frères a refusé toute nouvelle intervention et rejeté toute responsabilité dans les désordres ; que le 6 septembre 2004, la société ADP a saisi le juge des référés du Tribunal administratif de Paris d'une demande d'expertise tendant notamment à faire constater les désordres affectant l'ouvrage et à en déterminer les causes ; que par un jugement en date du 10 février 2011, le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise, saisi par ADP d'une demande tendant, sur le fondement de la garantie décennale, à la condamnation du groupement d'entreprises, a condamné la société Bec Frères à lui payer en principal la somme de 172 810 euros en réparation des désordres affectant les caniveaux et à laisser à sa charge la moitié des frais d'expertise taxés et liquidés à la somme de 30 000 euros ; que la société ADP relève régulièrement appel de ce jugement ;

2. Considérant que la garantie due par les constructeurs sur le fondement des principes dont s'inspirent les articles 1792, 1792-4 et 2270 du code civil s'applique aux désordres qui, n'étant pas apparents au moment de la réception sont de nature à rendre l'ouvrage impropre à sa destination ou affectent la solidité de ce dernier, et aux éléments indispensables à l'ouvrage ou indissociables de celui-ci dès lors qu'ils rendent ce dernier impropre à sa destination ;

3. Considérant qu'il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise du 5 janvier 2007, que les caniveaux objets du litige ont été spécifiquement conçus et produits pour la construction, au sein de l'aéroport de Roissy-Charles-de-Gaulle, de la piste n° 3 et de l'allongement de la piste n° 1, aux fins de recueillir les différents produits mis en oeuvre pour le dégivrage des avions avant le décollage, pour notamment empêcher la stagnation de ces produits sur les pistes ; qu'ils doivent ainsi être regardés comme des éléments d'équipement indissociables de ces dernières au sens des dispositions de l'article 1792-4 du code civil ; qu'ainsi, la société Bec Frères ne peut utilement soutenir que la responsabilité décennale fondée sur les principes dont s'inspirent les articles 1792 et 2270 du code civil ne saurait s'appliquer à ces caniveaux ;

4. Considérant qu'eu égard à la destination d'une piste d'aéroport et aux impératifs de sécurité qui s'y attachent, la défaillance de l'un de ses éléments d'équipement est de nature à la rendre impropre à l'usage qui lui incombe ; que les épaufrures et fissures qui ont affecté les caniveaux litigieux sur une longueur totale de 472 mètres, en empêchant l'écoulement des pertes de matière provenant du dégivrage des avions avant leur décollage, constituaient une nuisance propre à porter atteinte à la sécurité de ces derniers ; que la mention, en page 6 du rapport d'expertise, que la remise en état des caniveaux a été imposée d'urgence entre septembre et octobre 2005, avant la période d'hiver nécessitant le dégivrage des avions, atteste du caractère immédiat de cette nuisance ; qu'ainsi, les désordres affectant ces caniveaux, qui empêchaient les aires de dégivrage des pistes nos 1 et 3 de remplir leurs fonctions, nécessaires à l'envol en toute sécurité des avions, étaient de nature à rendre ces pistes impropres à leur destination ; que, par suite, c'est à bon droit que les premiers juges ont estimé que ces dommages étaient couverts par la garantie décennale des constructeurs ;

5. Considérant que les désordres susdécrits ont été constatés en 2004 et que la société ADP a saisi le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise d'une demande tendant à la mise en cause de la responsabilité des constructeurs enregistrée le 29 octobre 2007, soit dans le délai de dix ans suivant la réception des travaux, qui expirait le 18 juillet 2011 ; que, dans ces conditions, le moyen tiré de la prescription de la garantie décennale doit être écarté ;

6. Considérant que selon le rapport d'expertise : " les caniveaux mis en oeuvre n'étant pas conformes à leur destination présentent différents désordres dus à leur fragilité relative (fissuration, épaufrures) compte tenu des charges relativement importantes qu'ils ont à subir (avions gros porteurs dépassant un poids de 400 tonnes) ", et que " bien que répondant aux normes pour une utilisation courante ces caniveaux n'étaient pas conformes à leur destination très particulière compte tenu de l'importance du trafic aéroportuaire " ; qu'il n'est pas contesté que la société Bec Frères, qui répond des choix de son fournisseur, a pris l'initiative de livrer des caniveaux différents de ceux suggérés au cahier des clauses techniques particulières (CCTP) ; qu'elle ne démontre, ni même n'allègue, que les normes prévues au CCTP étaient inadaptées ou que les caniveaux mis en place auraient été de norme équivalente à celle préconisée par ledit CCTP ; que, toutefois, si la société Bec Frères a proposé des caniveaux de provenance différente de celle initialement recommandée au CCTP, c'est sous l'entier contrôle de la société ADP, en sa qualité de maître d'oeuvre, qui en a été informée et n'a émis aucune réserve sur ce choix, et a apposé son visa sur les plans d'exécution ;

7. Considérant, dès lors, que les désordres survenus sont imputables tant à la société Bec Frères en tant qu'entrepreneur qu'à la société ADP en qualité de maître d'oeuvre, seule à même de définir avec suffisamment de précision les besoins auxquels l'ouvrage devait répondre et de vérifier l'adéquation des caniveaux livrés auxdits besoins ainsi que la qualité des matériaux et des composants qui étaient fournis ; qu'ainsi, l'abstention du maître d'oeuvre à remplir l'intégralité de ses missions a constitué une faute de nature à exonérer partiellement la société Bec Frères de sa responsabilité ; que les parties n'apportent aucun élément susceptible d'infirmer le partage de responsabilité arrêté par les premiers juges qui ont estimé qu'il serait fait une exacte répartition des responsabilités encourues en laissant 50 % des responsabilités à la charge de la société ADP ; que, dès lors, la société Bec Frères n'est pas fondée à demander que la responsabilité de la société ADP soit portée à 80 % ;

Sur l'application de la taxe sur la valeur ajoutée :

8. Considérant que les frais exposés par une société comprennent, en règle générale, la taxe sur la valeur ajoutée (TVA), élément indissociable du coût des travaux, à moins que le maître d'ouvrage ne relève d'un régime fiscal lui permettant normalement de déduire tout ou partie de cette taxe de celle qu'il a perçue à raison de ses propres opérations ; que, dans ce cas, le montant de l'indemnisation doit être diminué du montant de la taxe ainsi déductible ou remboursable ; qu'en l'espèce la société ADP qui, en sa qualité de société anonyme, est normalement assujettie à la TVA n'établit pas qu'elle n'est pas susceptible d'imputer ou de se faire rembourser la taxe qui grève le coût des travaux de réfection de l'ouvrage ; que, par suite, c'est à bon droit que les premiers juges ont estimé qu'il n'y avait pas lieu d'inclure la TVA dans le montant de l'indemnité allouée à la société ADP ;

Sur les frais d'expertise :

9. Considérant qu'aux termes de l'article R. 761-1 du code de justice administrative : " Les dépens comprennent les frais d'expertise, d'enquête et de toute autre mesure d'instruction dont les frais ne sont pas à la charge de l'Etat. Sous réserve de dispositions particulières, ils sont mis à la charge de toute partie perdante sauf si les circonstances particulières de l'affaire justifient qu'ils soient mis à la charge d'une autre partie ou partagés entre les parties. L'Etat peut être condamné aux dépens " ; qu'en l'espèce, compte tenu du partage de responsabilité retenu, c'est à bon droit que le paiement des frais d'expertise a été également réparti par les premiers juges entre la société Bec Frères et la société ADP ;

10. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la société ADP n'est pas fondée à demander la réformation du jugement litigieux par lequel le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise a partiellement rejeté sa demande de première instance ;

Sur l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

11. Considérant que dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux demandes présentées tant par la société Bec Frères que par la société ADP sur le fondement de ces dispositions ;

D E C I D E :

Article 1er : La requête de la société AEROPORTS DE PARIS est rejetée.

Article 2 : L'appel incident formé par la société Bec Frères est rejeté.

Article 3 : Les conclusions présentées par la société Bec Frères sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

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N° 11VE01315


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Versailles
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 11VE01315
Date de la décision : 10/10/2013
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Marchés et contrats administratifs - Fin des contrats - Nullité.

Marchés et contrats administratifs - Règles de procédure contentieuse spéciales - Pouvoirs et obligations du juge - Pouvoirs du juge du contrat.


Composition du Tribunal
Président : Mme COËNT-BOCHARD
Rapporteur ?: Mme Diane MARGERIT
Rapporteur public ?: Mme BESSON-LEDEY
Avocat(s) : MARQUET

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.versailles;arret;2013-10-10;11ve01315 ?
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