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12/06/2012 | FRANCE | N°10VE03637

France | France, Cour administrative d'appel de Versailles, 4ème chambre, 12 juin 2012, 10VE03637


Vu la requête, enregistrée au greffe de la Cour administrative d'appel de Versailles le 19 novembre 2010, présentée pour Mme Danielle A demeurant ..., par Me Bethune, avocat ; Mme A demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 0710790 du 6 avril 2010 par lequel le Tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande tendant à la condamnation conjointe et solidaire de l'hôpital Max Fourestier de Nanterre et de l'Etablissement français du sang à réparer les préjudices liés à sa contamination par le virus de l'hépatite C en lui versant les sommes respectives de 50

000 euros au titre du déficit fonctionnel permanent, de 150 000 euros...

Vu la requête, enregistrée au greffe de la Cour administrative d'appel de Versailles le 19 novembre 2010, présentée pour Mme Danielle A demeurant ..., par Me Bethune, avocat ; Mme A demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 0710790 du 6 avril 2010 par lequel le Tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande tendant à la condamnation conjointe et solidaire de l'hôpital Max Fourestier de Nanterre et de l'Etablissement français du sang à réparer les préjudices liés à sa contamination par le virus de l'hépatite C en lui versant les sommes respectives de 50 000 euros au titre du déficit fonctionnel permanent, de 150 000 euros au titre des souffrances endurées, de 150 000 euros au titre des pertes de gains professionnels et de 150 000 euros au titre des autres préjudices causés par ses pathologies évolutives, majorées des intérêts au taux légal à compter de la date de sa demande initiale ;

2°) de condamner conjointement et solidairement l'hôpital Max Fourestier de Nanterre et l'Etablissement français du sang à lui verser ces indemnités, majorées des intérêts au taux légal à compter de la date de sa demande initiale ;

3°) de condamner l'hôpital Max Fourestier de Nanterre et l'Etablissement français du sang aux entiers dépens ;

4°) d'ordonner l'exécution provisoire de l'arrêt à intervenir ;

Mme A soutient que :

- c'est à tort que le tribunal administratif a estimé qu'elle a été exposée à de multiples facteurs de risques de contamination autres que la transfusion sanguine intervenue le 12 décembre 1985 ; elle ne s'est jamais droguée à l'héroïne ; elle n'a jamais été transfusée lors des précédentes interventions chirurgicales qu'elle a subies ; la preuve que la Tunisie serait un pays endémique n'a pas été rapportée ; dans la période considérée, le mode transfusionnel a été le facteur de risque le plus important de contamination par l'hépatite C ; l'enquête transfusionnelle n'a pas permis d'établir que la totalité des donneurs n'étaient pas porteurs du virus VHC ; deux donneurs sur cinq n'ont pas été retrouvés ; le doute doit lui bénéficier ;

- elle est fondée à demander une indemnité de 50 000 euros au titre du déficit fonctionnel permanent en raison de la gêne subie pour les actes de la vie courante ; la qualité de travailleur handicapé lui a été reconnue le 10 novembre 1999 ; elle a obtenu un carte station debout le 15 novembre 2001 ; le 15 septembre 2006 la Cotorep lui a reconnu un taux d'incapacité égal ou supérieur à 80 % ;

- les souffrances endurées doivent être réparées par une somme de 150 000 euros ; elle est astreinte à des fréquents et pénibles examens médicaux ; elle est sujette à de fréquentes crises de dépression ;

- la perte des gains professionnels actuels et futurs doit être indemnisée par une indemnité de 150 000 euros car elle est dans l'incapacité d'exercer une activité professionnelle ;

- sa maladie ne peut être consolidée en raison de son caractère évolutif et cette situation entraîne des préjudices qui doivent être réparés par une somme de 150 000 euros ;

..........................................................................................................

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de la santé publique ;

Vu la loi du 21 juillet 1952 modifiée par la loi du 2 août 1961 ;

Vu la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé ;

Vu la loi n° 2008-1330 du 17 décembre 2008 de financement de la sécurité sociale pour 2009 ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 29 mai 2012 :

- le rapport de M. Brumeaux, président assesseur,

- les conclusions de Mme Ribeiro-Mengoli, rapporteur public,

- et les observations de Me Birfet, pour Mme A ;

Considérant que Mme A demande réparation des préjudices que lui a causés sa contamination, révélée le 27 mai 1993, imputée aux transfusions sanguines qui lui ont été administrés pendant son hospitalisation au centre d'accueil et de soins hospitaliers de Nanterre Max Fourestier lors de son accouchement par césarienne pratiqué le 12 décembre 1985 ; que, dans le dernier état de ses conclusions, Mme A met en cause la responsabilité du centre hospitalier de Nanterre et celle de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) ;

Sur la responsabilité de l'hôpital Max Fourestier :

Considérant qu'en vertu des dispositions de la loi du 21 juillet 1952 sur l'utilisation thérapeutique du sang, de son plasma et de leurs dérivés, modifiée par la loi du 2 août 1961, en vigueur à la date de la transfusion litigieuse, les centres de transfusion sanguine avaient le monopole des opérations de collecte de sang et avaient pour mission d'assurer le contrôle médical des prélèvements, le traitement, le conditionnement et la fourniture des produits sanguins ; qu'eu égard tant à la mission qui leur était ainsi confiée par la loi qu'aux risques que présente la fourniture de produits sanguins, les centres de transfusion étaient responsables, même en l'absence de faute, de la mauvaise qualité des produits fournis ; qu'ainsi, jusqu'à l'entrée en vigueur des dispositions de l'article L. 1221-14 du code de la santé publique mettant cette réparation à la charge de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales, la réparation des dommages subis par la victime d'une contamination transfusionnelle par le virus de l'hépatite C incombait à ces centres ou, le cas échéant, à l'Etablissement français du sang auquel leurs obligations avaient été transférées ; qu'en revanche, lorsque l'établissement hospitalier dans lequel la transfusion avait été effectuée avait une personnalité juridique distincte du centre de transfusion sanguine ayant fourni les produits transfusés, cet établissement ne peut être tenu pour responsable des dommages imputables à la qualité de ces produits, qu'il ne lui appartenait pas de contrôler ; qu'il résulte de ce qui précède que, hors le cas où une faute dans les soins dispensés par l'établissement a concouru à la réalisation du dommage, un établissement hospitalier ne gérant aucun centre de transfusion sanguine ne peut voir sa responsabilité engagée à raison d'une contamination imputable aux produits sanguins qu'il a transfusés ;

Considérant qu'il résulte de l'instruction que le centre hospitalier Max Fourestier de Nanterre n'assurait pas la gestion du centre de transfusion sanguine qui a élaboré les produits transfusés et qui était doté d'une personnalité juridique distincte de la sienne ; que, par suite, le centre hospitalier ne peut être regardé comme le fournisseur des produits et ne peut être tenu pour responsable des conséquences dommageables de la transfusion ; qu'il en résulte que les conclusions de Mme A dirigées contre l'hôpital Max Fourestier de Nanterre doivent être rejetées ;

Sur la mise en cause de l'ONIAM :

Considérant qu'aux termes de l'article L. 1221-14 du code de la santé publique, issu du I de l'article 67 de la loi susvisée du 17 décembre 2008 : " Les victimes de préjudices résultant de la contamination par le virus de l'hépatite C causée par une transfusion de produits sanguins ou une injection de médicaments dérivés du sang réalisée sur les territoires auxquels s'applique le présent chapitre sont indemnisées par l'office mentionné à l'article L. 1142-22 dans les conditions prévues à la seconde phrase du troisième alinéa de l'article L. 3122-1, aux deuxième et troisième alinéas de l'article L. 3122-2, au premier alinéa de l'article L. 3122-3 et à l'article L. 3122-4 (...) " ; qu'aux termes du IV du même article 67 de la loi n° 2008-1330 du 17 décembre 2008 : " A compter de la date d'entrée en vigueur du présent article, l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales se substitue à l'Etablissement français du sang dans les contentieux en cours au titre des préjudices mentionnés à l'article L. 1221-14 du code de la santé publique n'ayant pas donné lieu à une décision irrévocable. / Dans le cadre des actions juridictionnelles en cours visant à la réparation de tels préjudices, pour bénéficier de la procédure prévue à l'article L. 1221-14 du même code, le demandeur sollicite de la juridiction saisie un sursis à statuer aux fins d'examen de sa demande par l'office. / Cependant, dans ce cas, par exception au quatrième alinéa de l'article L. 1221-14 du même code, l'échec de la procédure de règlement amiable ne peut donner lieu à une action en justice distincte de celle initialement engagée devant la juridiction compétente " ; que les dispositions de l'article 67 de la loi du 17 décembre 2008 sont entrées en vigueur le 1er juin 2010 ; que l'ONIAM se trouve dès lors substitué de plein droit à l'Etablissement français du sang dans la présente instance relative à l'indemnisation du préjudice résultant de la contamination de Mme A A par le virus de l'hépatite C du fait de l'administration de produits d'origine sanguine ;

Considérant qu'aux termes de l'article 102 de la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé : " En cas de contestation relative à l'imputabilité d'une contamination par le virus de l'hépatite C antérieure à la date d'entrée en vigueur de la présente loi, le demandeur apporte des éléments qui permettent de présumer que cette contamination a pour origine une transfusion de produits sanguins labiles ou une injection de médicaments dérivés du sang. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que cette transfusion ou cette injection n'est pas à l'origine de la contamination. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Le doute profite au demandeur. / Cette disposition est applicable aux instances en cours n'ayant pas donné lieu à une décision irrévocable " ;

Considérant que la présomption prévue par les dispositions précitées est constituée dès lors qu'un faisceau d'éléments confère à l'hypothèse d'une origine transfusionnelle de la contamination, compte tenu de l'ensemble des éléments disponibles, un degré suffisamment élevé de vraisemblance ; que tel est normalement le cas lorsqu'il résulte de l'instruction que le demandeur s'est vu administrer, à une date où il n'était pas procédé à une détection systématique du virus de l'hépatite C à l'occasion des dons du sang, des produits sanguins dont l'innocuité n'a pas pu être établie, à moins que la date d'apparition des premiers symptômes de l'hépatite C ou de révélation de la séropositivité démontre que la contamination n'a pas pu se produire à l'occasion de l'administration de ces produits ; qu'eu égard à la disposition selon laquelle le doute profite au demandeur, la circonstance que l'intéressé a été exposé par ailleurs à d'autres facteurs de contamination, résultant notamment d'actes médicaux invasifs ou d'un comportement personnel à risque, ne saurait faire obstacle à la présomption légale que dans le cas où il résulte de l'instruction que la probabilité d'une origine transfusionnelle est manifestement moins élevée que celle d'une origine étrangère aux transfusions ;

Considérant que lors de son accouchement par césarienne, Mme A a été transfusée de deux plasmas frais congelés et de trois culots globulaires ; que si l'enquête transfusionnelle ascendante a révélé que trois des cinq donneurs n'étaient pas porteurs du virus de l'hépatite C, la sérologie de deux autres donneurs n'a pas pu être contrôlée ; que l'Etablissement français du sang soutient, sans être utilement contredit, que la probabilité que l'un de ces deux produits sanguins soit contaminant est de l'ordre de 0,5 % ; que, toutefois, il résulte de l'instruction, et notamment du rapport de l'expert désigné par une ordonnance du 18 janvier 2005, que Mme A a été exposée à de multiples facteurs de risque de contamination ; que, notamment, si la requérante conteste avoir un passé de toxicomane, l'éventualité de sa contamination par toxicomanie ne peut être écartée en raison des comptes-rendus d'hospitalisation en milieu psychiatrique versés au dossier, qui font mention de ses antécédents de toxicomanie à l'héroïne ; que la littérature médicale, citée dans le rapport d'expertise, souligne que la toxicomanie est le mode de contamination prédominant et qu'elle est à l'origine de 70 % des infections au virus de l'hépatite C ; que, dans ces circonstances, la probabilité d'une origine transfusionnelle est manifestement moins élevée que celle d'une origine étrangère aux transfusions ; que par suite ses conclusions indemnitaires dirigées contre l'ONIAM ne peuvent être que rejetées ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que Mme A n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande ;

Sur les conclusions présentées par la CPAM des Hauts-de-Seine :

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les conclusions de la Caisse primaire d'assurance maladie des Hauts-de-Seine doivent être rejetées ;

Sur les dépens :

Considérant qu'aux termes de l'article R. 761-1 du code de justice administrative : " Les dépens comprennent les frais d'expertise, d'enquête et de toute autre mesure d'instruction dont les frais ne sont pas à la charge de l'Etat. / Sous réserve de dispositions particulières, ils sont mis à la charge de toute partie perdante sauf si les circonstances particulières de l'affaire justifient qu'ils soient mis à la charge d'une autre partie ou partagés entre les parties (...) " ; qu'il résulte de ces dispositions que les conclusions de Mme A tendant à la condamnation du centre hospitalier et de l'EFS, auquel l'ONIAM est substitué, ne peuvent être que rejetées ;

Considérant qu'aux termes de l'article 42 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique : " Lorsque le bénéficiaire de l'aide juridictionnelle est condamné aux dépens ou perd son procès, il supporte exclusivement la charge des dépens effectivement exposés par son adversaire, sans préjudice de l'application éventuelle des dispositions de l'article 75. / Le juge peut toutefois, même d'office, laisser une partie des dépens à la charge de l'Etat. " ; qu''il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre les frais de l'expertise liquidés et taxés à la somme de 800 euros à la charge de Mme A à raison de 50 % et à la charge de l'Etat à raison de 50 % ;

Sur les conclusions tendant à ce que soit ordonnée l'exécution provisoire du jugement :

Considérant qu'en vertu des dispositions de l'article L. 11 du code de justice administrative, les arrêts des cours administratives d'appel sont exécutoires ; que, par suite, les conclusions de la requérante tendant à l'exécution provisoire du jugement sont, en tout état de cause, sans objet ;

DECIDE :

Article 1er : La requête de Mme A est rejetée.

Article 2 : Les frais d'expertise liquidés et taxés à la somme de 800 euros par le président du Tribunal administratif de Versailles sont mis à la charge de Mme A à raison de 50 % et à la charge de l'Etat à raison de 50 %.

Article 3 : L'article 4 du jugement susvisé du 6 avril 2010 du Tribunal administratif de Versailles est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 4 : Les conclusions de la Caisse primaire d'assurance maladie des Hauts-de-Seine sont rejetées.

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N° 10VE03637 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Versailles
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 10VE03637
Date de la décision : 12/06/2012
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Responsabilité de la puissance publique - Responsabilité en raison des différentes activités des services publics - Service public de santé - Établissements publics d'hospitalisation - Responsabilité sans faute.

Responsabilité de la puissance publique - Réparation - Causes exonératoires de responsabilité.


Composition du Tribunal
Président : M. BROTONS
Rapporteur ?: M. Michel BRUMEAUX
Rapporteur public ?: Mme RIBEIRO-MENGOLI
Avocat(s) : CABINET HOUDART et ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.versailles;arret;2012-06-12;10ve03637 ?
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