La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

29/12/2011 | FRANCE | N°09VE03565

France | France, Cour administrative d'appel de Versailles, 1ère chambre, 29 décembre 2011, 09VE03565


Vu la requête, enregistrée le 26 octobre 2009 au greffe de la Cour administrative d'appel de Versailles, présentée pour le FONDS DE GARANTIE DES VICTIMES DES ACTES DE TERRORISME ET D'AUTRES INFRACTIONS, dont le siège est sis 64 rue Defrance à Vincennes Cedex (94682), par Selafa cabinet Cassel ; le FONDS DE GARANTIE DES VICTIMES DES ACTES DE TERRORISME ET D'AUTRES INFRACTIONS demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 0604814 du 24 septembre 2009 par lequel le Tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision en date du 8 mar

s 2006 par laquelle le ministre de la justice a refusé de faire d...

Vu la requête, enregistrée le 26 octobre 2009 au greffe de la Cour administrative d'appel de Versailles, présentée pour le FONDS DE GARANTIE DES VICTIMES DES ACTES DE TERRORISME ET D'AUTRES INFRACTIONS, dont le siège est sis 64 rue Defrance à Vincennes Cedex (94682), par Selafa cabinet Cassel ; le FONDS DE GARANTIE DES VICTIMES DES ACTES DE TERRORISME ET D'AUTRES INFRACTIONS demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 0604814 du 24 septembre 2009 par lequel le Tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision en date du 8 mars 2006 par laquelle le ministre de la justice a refusé de faire droit à sa demande indemnitaire présentée le 26 octobre 2005 tendant au remboursement des sommes versées à M. B en réparation des préjudices qu'il a subis lors de son incarcération à la Maison d'arrêt de Fleury-Mérogis ;

2°) d'annuler pour excès de pouvoir cette décision ;

3°) de condamner le ministre de la justice à verser au FONDS DE GARANTIE DES VICTIMES DES ACTES DE TERRORISME ET D'AUTRES INFRACTIONS la somme de 40 460 euros avec intérêts de droit à compter de l'introduction de la demande devant le Tribunal, soit à compter du 9 mai 2006 ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 4 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Le FONDS DE GARANTIE DES VICTIMES DES ACTES DE TERRORISME ET D'AUTRES INFRACTIONS soutient que M. B a subi des violences, tortures et sévices sexuels lors de son incarcération entre le 27 juillet 2002 et le 2 août 2002, date à laquelle il a été changé de cellule ; qu'un examen médico-légal a mis en évidence ces lésions et blessures ; que son co-détenu, M. A, coupable de ces sévices et violences a été condamné par la cour d'assises de l'Essonne pour ces faits le 6 octobre 2004 à une peine de dix ans de réclusion criminelle ; que M. B a obtenu réparation de ces préjudices par la commission d'indemnisation des victimes d'infractions du Tribunal de grande instance d'Evry ; que l'administration pénitentiaire est responsable d'un grave défaut d'organisation du service pour défaut de surveillance, plusieurs détenus ayant pu entendre les cris et les pleurs de la victime pendant huit jours sans que les surveillants n'interviennent ; que le 9 août 2002, le médecin a constaté les sévices ; que M. A, condamné par la cour d'assises pour ces sévices, était redouté de tous les détenus et sa personnalité perverse connue de la maison d'arrêt ; qu'un rapport d'expertise en ce sens avait été établi par la maison d'arrêt de Villepinte que l'administration pénitentiaire a d'ailleurs produit devant la Cour d'assises ; que M. A aurait dû faire l'objet d'une surveillance particulière ; que l'administration pénitentiaire a commis des fautes car elle doit, par sa surveillance et les conditions de placement des détenus, s'assurer du respect de leur intégrité mentale et physique et faire obstacle à toute violence commise sur leurs personnes ; qu'il n'est plus besoin dans ce cadre que la faute lourde soit établie pour engager la responsabilité de l'Etat ; qu'ainsi, la responsabilité de l'Etat est engagée ; que l'information judiciaire a permis d'établir les faits, que le mis en examen a d'ailleurs reconnus, d'humiliations tant physiques que mentales et de traitements inhumains et dégradants et de violences, y compris sexuelles, de nature à créer chez la victime un traumatisme durable ; que, durant la nuit, le premier surveillant a reconnu que, pour l'ensemble de l'aile du bâtiment qui abritait 500 détenus, il n'y avait que huit surveillants encadrés par un premier surveillant ; que, par suite, le grave défaut de surveillance et d'organisation du service à l'origine des faits est suffisamment établi ; que la commission nationale de déontologie et de sécurité a constaté qu'en l'espèce une situation de détresse a échappé aux surveillants, y compris au surveillant en poste fixe ; que l'administration n'a pris aucune mesure pour faire cesser les faits ; que les préjudices subis sont d'une exceptionnelle gravité ; que le lien de causalité est établi ; que le FONDS DE GARANTIE DES VICTIMES DES ACTES DE TERRORISME ET D'AUTRES INFRACTIONS a indemnisé totalement les préjudices qui ont résulté pour M. B des actes de torture et barbarie dont il a été victime ;

..........................................................................................................

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Vu le code de procédure pénale ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 13 décembre 2011 :

- le rapport de Mme Belle, premier conseiller,

- les conclusions de Mme Dioux-Moebs, rapporteur public,

- et les observations de Me Derer du Cabinet Cassel ;

Considérant que le FONDS DE GARANTIE DES VICTIMES DES ACTES DE TERRORISME ET D'AUTRES INFRACTIONS, subrogé dans les droits de la victime en application de l'article 706-11 du code de procédure pénale, relève appel du jugement du 24 septembre 2009 par lequel le Tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du ministre de la justice refusant de l'indemniser de la somme de 40 460 euros qu'il a versée à M. B à la suite de la décision du 27 mars 2006 par laquelle la commission d'indemnisation des victimes d'infractions d'Evry a mis à sa charge cette somme, en réparation des préjudices subis par la victime lors de son incarcération provisoire à la maison d'arrêt de Fleury-Mérogis ;

Considérant que M. B, âgé de 19 ans, qui n'avait jamais alors été incarcéré, a été interpellé par les forces de police dans la nuit du 21 ou 22 juillet 2002 pour trafic de stupéfiants à la sortie d'une discothèque et, à la suite d'une garde à vue, placé en détention provisoire ; que lors de son arrivée à la maison d'arrêt de Fleury-Mérogis il a été, dans un premier temps, et à sa demande, après son passage en cellule d'accueil dans la nuit du 25 au 26 juillet, placé en cellule double avec M. A, âgé de 18 ans, qu'il venait de rencontrer et qui avait déjà commis des actes de délinquance, dans le quartier des arrivants ; que, pendant cinq jours environ, du 28 juillet au 1er août 2002 inclus, M. A a soumis M. B à des actes de torture et de barbarie, à diverses violences, extorsions de fonds et sévices sexuels, violences qui se déroulaient principalement la nuit entre les rondes des gardiens ; que, pour ces faits, M. A a été condamné à dix ans de réclusion criminelle par la cour d'assises de l'Essonne ; que, par peur des représailles de son codétenu dont il redoutait l'extrême violence, M. B ne les a dénoncés qu'après avoir été changé de cellule le 2 août 2002 ; que saisie par le député de l'Essonne le 11 octobre 2002, la commission nationale de déontologie et de sécurité a rendu son avis sur les sévices très graves dont M. B a fait l'objet de la part de son codétenu et a procédé à l'audition du directeur de la maison d'arrêt, de trois chefs de service pénitentiaire et d'un infirmier psychiatrique, deux de ses membres s'étant rendus à la maison d'arrêt pour visiter le quartier des arrivants ;

Sur la responsabilité :

Considérant qu'aux termes de l'article D. 189 du code de procédure pénale : A l'égard de toutes les personnes qui lui sont confiées par l'autorité judiciaire, à quelque titre que ce soit, le service public pénitentiaire assure le respect de la dignité inhérente à la personne humaine et prend toutes les mesures destinées à faciliter leur réinsertion sociale. ; que s'agissant des mesures privatives de liberté, si elles s'accompagnent inévitablement de souffrance et d'humiliation, tout détenu doit être détenu dans des conditions compatibles avec le respect de la dignité humaine et les modalités de détention ne doivent pas soumettre le détenu à une détresse ou à une épreuve qui excède le niveau de souffrance inhérent à une telle mesure et, eu égard aux exigences pratiques de l'emprisonnement, sa santé et son bien-être doivent être assurés de manière adéquate ;

Considérant, en premier lieu, que l'administration pénitentiaire, de l'aveu même du chef de service pénitentiaire, reconnaît que la surveillance des détenus durant la nuit n'avait pas lieu dans les meilleures conditions, compte tenu du nombre insuffisant de surveillants, soit huit surveillants pour cinq-cents détenus, encadrés par un premier surveillant ; que si les surveillants avaient la charge d'effectuer des rondes à l'oeilleton et si deux de ces rondes étaient prévues la nuit, il résulte de l'instruction que celles-ci n'ont pas été effectuées avec le sérieux souhaité dès lors que M. B a indiqué, sans être contredit, que pour cacher les violences qu'il exerçait sur son codétenu, lors de la ronde à l'oeilleton, la nuit, M. A envoyait M. B dans le cabinet de toilettes de sorte qu'il ne soit plus visible, et dissimulait le reste du temps l'oeilleton, avec un cache ; que le mode d'organisation des rondes est décrit par le chef de service pénitentiaire lui-même dans le rapport de la commission nationale de déontologie et de sécurité, lequel estime que le surveillant placé sous son autorité doit, lors de ces rondes, voir les deux détenus lorsqu'ils sont deux en cellule ; que, par suite, la surveillance effectuée, qui plus est dans un quartier de détenus primo-arrivants et pour un détenu qui n'avait jamais été incarcéré, doit être regardée comme défaillante, le fait de ne pas avoir vérifié par l'oeilleton si le détenu était présent et en bonne santé, révélant un défaut de surveillance et, par suite, une faute dans l'organisation du service ; que cette faute s'est reproduite à plusieurs reprises ; que si l'administration pénitentiaire soutient qu'aucune faute ne peut lui être reprochée, le détenu ayant demandé à être incarcéré avec M. A et n'ayant en outre jamais révélé les faits avant son changement de cellule, elle ne conteste pas que la surveillance à l'oeilleton ne s'est pas déroulée de manière adéquate ; que si le premier surveillant indique que si un détenu tape ou crie lorsque le surveillant est dans une autre aile ou un autre étage, il est difficile d'entendre ce qui se passe au rez-de-chaussée ou de savoir d'où proviennent les appels, a contrario, il est constant que de nombreux détenus ont entendu les cris et les pleurs de la victime durant la nuit ; que, dans ces conditions, et alors même que le repérage de ces violences présentait des difficultés, la surveillance telle qu'elle a été assurée révèle une faute commise par l'administration pénitentiaire ;

Considérant, en second lieu, que le juge d'instruction, qui a rencontré M. B avant son incarcération, a signalé qu'il était très angoissé et que la fiche du détenu, à son arrivée à la maison d'arrêt de Fleury-Mérogis, constate la fragilité du jeune homme s'agissant de son premier séjour en prison ; que les services pénitentiaires n'ont pas interrogé le détenu ni vérifié pour quels motifs il ne prenait pas de douche ou évitait les promenades alors que ces points avaient été remarqués par les surveillants ; que M. B a indiqué que malgré les traces de violence qu'il présentait sur le visage et les scènes d'humiliation qui se déroulaient dans la cour, aucun surveillant ne s'en est alarmé ; que si la maison d'arrêt avait mis en place en mai 2002 une aile arrivants afin de suivre de près le comportement des nouveaux arrivants, le suivi adéquat n'a, en l'espèce, pas eu lieu, qui aurait dû conduire à opérer un certain nombre de vérifications, aucun système d'alerte n'ayant été prévu après les formalités liées à l'entrée des détenus qui n'avaient, en outre, pas d'activité spécifique et étaient privés de télévision et de cantinage ; que ces manquements ont impliqué que M. B n'a pu échapper aux violences que lui infligeait son codétenu, et ce de manière répétitive pendant au moins cinq jours, et aux tortures et humiliations de tous ordres, dont des sévices sexuels, qui ont valu à M. A sa condamnation devant la cour d'assises à dix ans de réclusion criminelle pour des actes de torture et de barbarie ; que ces manquements révèlent également une faute dans l'organisation du service pour le suivi des primo-arrivants, en l'occurrence un détenu en détention provisoire, de nature à engager la responsabilité de l'Etat ; qu'il résulte de tout ce qui précède que le dommage intervenu présente un lien direct avec le défaut de surveillance adéquate constaté ;

Sur le préjudice :

Considérant qu'il sera fait une juste appréciation du préjudice subi par M. B à l'occasion de sa détention à la maison d'arrêt de Fleury-Mérogis, qui s'est caractérisé par une souffrance physique et morale d'une intensité exceptionnelle, compte tenu des actes de torture et de barbarie dont il a été la victime, en le chiffrant à 40 000 euros ; qu'il y a ainsi lieu, de condamner l'Etat à verser au FONDS DE GARANTIE DES VICTIMES DES ACTES DE TERRORISME ET D'AUTRES INFRACTIONS la somme totale de 40 000 euros, avec intérêts de droit à compter de la date de sa demande présentée devant le Tribunal administratif de Versailles ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le FONDS DE GARANTIE DES VICTIMES DES ACTES DE TERRORISME ET D'AUTRES INFRACTIONS est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision en date du 8 mars 2006 par laquelle le ministre de la justice a refusé de faire droit à sa demande indemnitaire présentée le 26 octobre 2005, tendant au remboursement des sommes versée à M. B en réparation des préjudices qu'il a subis lors de son incarcération à la Maison d'arrêt de Fleury-Mérogis à concurrence de 40 000 euros ; qu'il y a lieu, en revanche, de rejeter sa demande tendant au versement de la somme de 460 euros qui correspond au montant des frais exposés et non compris dans les dépens accordés à M. B et versés par le FONDS DE GARANTIE DES VICTIMES DES ACTES DE TERRORISME ET D'AUTRES INFRACTIONS en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ;

Sur les conclusions du FONDS DE GARANTIE DES VICTIMES DES ACTES DE TERRORISME ET D'AUTRES INFRACTIONS tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par le FONDS DE GARANTIE DES VICTIMES DES ACTES DE TERRORISME ET D'AUTRES INFRACTIONS devant la Cour et non compris dans les dépens ;

DECIDE :

Article 1er : Le jugement n° 0604814 du 24 septembre 2009 et la décision du 8 mars 2006 par laquelle le ministre de la justice a refusé d'indemniser le FONDS DE GARANTIE DES VICTIMES DES ACTES DE TERRORISME ET D'AUTRES INFRACTIONS pour un montant de 40 000 euros, sont annulés.

Article 2 : Le ministre de la justice est condamné à verser au FONDS DE GARANTIE DES VICTIMES DES ACTES DE TERRORISME ET D'AUTRES INFRACTIONS une somme de 40 000 euros avec intérêts de droit à compter du 9 mai 2006.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 4 : L'Etat versera au FONDS DE GARANTIE DES VICTIMES DES ACTES DE TERRORISME ET D'AUTRES INFRACTIONS une somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

''

''

''

''

N° 09VE03565 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Versailles
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 09VE03565
Date de la décision : 29/12/2011
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-02-09 Responsabilité de la puissance publique. Responsabilité en raison des différentes activités des services publics. Service de la justice.


Composition du Tribunal
Président : M. SOUMET
Rapporteur ?: Mme Laurence BELLE VANDERCRUYSSEN
Rapporteur public ?: Mme DIOUX-MOEBS
Avocat(s) : SELAFA CABINET CASSEL

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.versailles;arret;2011-12-29;09ve03565 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award