Vu la requête, enregistrée le 15 juin 2010 au greffe de la Cour administrative d'appel de Versailles, présentée pour la société EUROBARGES, représentée par son gérant, dont le siège est 29 avenue Claude Monet à Vétheuil (95510), par Me Lequillerier ; la société EUROBARGES demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 0607691 du 11 décembre 2009 par lequel le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'état exécutoire émis le 2 août 2006 par Voies navigables de France (VNF) pour un montant de 37 195,54 € ;
2°) d'annuler, pour excès de pouvoir, ledit état exécutoire ;
3°) de mettre à la charge de Voies navigables de France une somme de 2 000 € au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Elle soutient que :
- le jugement ne lui ayant pas été notifié régulièrement, le délai d'appel n'a pu courir ;
- le tribunal a considéré à tort que la juridiction administrative n'était pas compétente dès lors que l'état exécutoire attaqué a été pris en application de prérogatives de puissance publique ;
- l'état exécutoire attaqué a été émis en application d'une délibération de VNF qui n'a pas fait l'objet d'une publication suffisante ;
- le conseil d'administration de VNF ne tire d'aucun texte de nature législative ou réglementaire la compétence d'instaurer un droit d'accès au réseau, d'une part, le décret n° 91-797 du 20 août 1991 ne prévoyant pas de notion de droit d'accès au réseau, d'autre part, en vertu des principes de gratuité du domaine public, de liberté d'aller et venir et de liberté d'entreprise, seul le législateur a compétence pour instaurer un droit d'accès payant au domaine public ; qu'ainsi le titre exécutoire attaqué manque de base légale ;
- la diminution des tarifs de moitié pour les bateaux effectuant plus de 10 voyages par mois la désavantage par rapport à ses concurrents dès lors qu'elle est dans l'impossibilité d'effectuer plus de 10 voyages ; qu'elle subit donc une grave distorsion de concurrence et une rupture d'égalité des usagers devant le service public ;
..........................................................................................................
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la loi n° 90-1168 du 29 décembre 1990 ;
Vu la loi n° 91-1385 du 31 décembre 1991 ;
Vu le décret n° 91-696 du 18 juillet 1991 ;
Vu le décret n° 91-797 du 20 août 1991 ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 3 novembre 2011 :
- le rapport de Mme Geffroy, premier conseiller,
- les conclusions de Mme Kermorgant, rapporteur public,
- et les observations de Me Charluet substituant Me Burgeat pour Voies Navigables de France ;
Considérant que, par un jugement en date du 11 décembre 2009, le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté les conclusions de la société EUROBARGES dirigées contre un titre de recette du 2 août 2006 d'un montant de 37 195,54 euros émis par Voies navigables de France (VNF) à son encontre ; que le Tribunal a ainsi estimé que, s'agissant d'un litige opposant un service public industriel et commercial à un de ses usagers, la juridiction administrative n'était pas compétente ; que par la requête susvisée la société EUROBARGES relève appel de ce jugement ;
Sur la compétence de la juridiction administrative :
Considérant qu'aux termes de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1991 portant dispositions diverses en matière de transports en vigueur à la date de la décision contestée : L'établissement public mentionné au I de l'article 124 de la loi de finances pour 1991 (n° 90-1168 du 29 décembre 1990) prend le nom de Voies navigables de France. Il constitue un établissement public industriel et commercial. ; qu'aux termes de l'article 124 de la loi de finances du 29 décembre 1990 : (...) III. - Les transporteurs de marchandises ou de passagers et les propriétaires de bateaux de plaisance d'une longueur supérieure à 5 mètres ou dotés d'un moteur d'une puissance égale ou supérieure à 9,9 chevaux sont assujettis, dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat, à des péages perçus au profit de l'établissement public lorsqu'ils naviguent sur le domaine public qui lui est confié, à l'exception des parties internationales du Rhin et de la Moselle. Le montant de ces péages est fixé par l'établissement (...) ;
Considérant que les péages prévus par ces dispositions, qui ne peuvent être rangés ni parmi les contributions indirectes ni parmi les impôts directs et qui ne constituent pas davantage une redevance pour service rendu, sont directement liés à l'occupation du domaine public ; que leur contentieux relève, à ce titre, de la juridiction administrative ;
Considérant qu'il suit de là que le litige tendant à l'annulation d'un titre de perception qui oppose la société EUROBARGES à l'établissement public Voies navigables de France au sujet du paiement de péages en contrepartie de l'utilisation du domaine public fluvial relève de la compétence de la juridiction administrative ; qu'il y a lieu, en conséquence, d'annuler le jugement attaqué et de se prononcer par voie d'évocation sur la demande de la société EUROBARGES dirigée contre le titre de recettes émis par Voies navigables de France ;
Sur la fin de non-recevoir opposée par VNF et tirée de la tardiveté de la requête :
Considérant qu'aux termes de l'article R. 431-1 du code de justice administrative : Lorsqu'une partie est représentée devant le tribunal administratif par un des mandataires mentionnés à l'article R. 431-2, les actes de procédure, à l'exception de la notification de la décision prévue aux articles R. 751-3 et suivants, ne sont accomplis qu'à l'égard de ce mandataire. ; qu'aux termes de l'article R. 751-3 du code de justice administrative : Sauf disposition contraire, les décisions sont notifiées le même jour à toutes les parties en cause et adressées à leur domicile réel, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, sans préjudice du droit des parties de faire signifier ces décisions par acte d'huissier de justice. ; qu'enfin, aux termes de l'article R. 811-2 du code de justice administrative : Sauf disposition contraire, le délai d'appel est de deux mois. Il court contre toute partie à l'instance à compter du jour où la notification a été faite à cette partie dans les conditions prévues aux articles R. 751-3 et R. 751-4. / Si le jugement a été signifié par huissier de justice, le délai court à dater de cette signification à la fois contre la partie qui l'a faite et contre celle qui l'a reçue. ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction que le jugement en date du 11 décembre 2009 rendu sur la demande de la société EUROBARGES a été notifié à ladite société, en application des dispositions précitées de l'article R. 751-3 du code de justice administrative, à l'adresse de Bonnières-sur-Seine dont elle avait initialement fait état au moment du dépôt de sa demande et a été retourné au tribunal sans avoir été distribué ; que, cependant, il ressort des pièces du dossier que la société EUROBARGES a fait état, dans ses mémoires ultérieurement communiqués au greffe du Tribunal les 21 mai 2007 et 9 novembre 2009, d'une nouvelle adresse de son siège social situé au 29, avenue Claude Monet à Vétheuil (Val-d'Oise) ; que, dans ces conditions, et à défaut, pour le greffe dudit tribunal, d'avoir procédé à la modification des coordonnées de la requérante en se reportant à ses derniers mémoires, le jugement en cause ne peut être regardé comme ayant fait l'objet d'une notification régulière de nature à faire courir le délai d'appel ; que la notification du jugement du tribunal administratif du 11 décembre 2009, qui a été faite le 19 janvier 2010 à l'avocat de la société EUROBARGES, n'a pas davantage fait courir le délai dont cette dernière disposait pour relever appel de ce jugement ; qu'enfin, et contrairement à ce que soutient Voies navigables de France, la circonstance que par un courrier en date du 29 septembre 2010 le greffier du tribunal administratif aurait confirmé que cette notification du jugement est régulière est sans influence sur la régularité de la notification ; qu'ainsi, la présente requête n'est pas tardive ;
Sur la légalité de l'état exécutoire contesté :
Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête ;
Considérant qu'en vertu du I de l'article 124 de la loi du 29 décembre 1990 de finances pour 1991, l'établissement public qui a pris le nom de Voies navigables de France s'est vu confier l'exploitation, l'entretien, l'amélioration, l'extension des voies navigables et de leurs dépendances et la gestion du domaine de l'Etat nécessaire à l'accomplissement de ses missions ; que ces dispositions prévoient également que l'établissement public perçoit à son profit notamment des redevances et droits fixes sur les personnes publiques ou privées pour l'usage d'une partie du domaine public ; qu'aux termes du III de l'article 124 de la même loi : Les transporteurs de marchandises ou de passagers (...) sont assujettis, dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat, à des péages perçus au profit de l'établissement public lorsqu'ils naviguent sur le domaine public qui lui est confié (...) Le montant de ces péages est fixé par l'établissement (...) ; qu'aux termes de l'article 1er du décret du 20 août 1991 relatif aux recettes instituées au profit de Voies navigables de France par l'article 124 de la loi de finances pour 1991 : Pour le transport public ou privé de marchandises à l'intérieur des limites du domaine confié à Voies navigables de France par l'article 124 de la loi de finances pour 1991 (n° 90-1168 du 29 décembre 1990) susvisée, le transporteur acquitte un péage pour tout parcours utilisant le réseau fluvial. Les tarifs du péage sont fonction des caractéristiques du bateau, du trajet, de la nature des marchandises transportées, du chargement du bateau ainsi que, le cas échéant, de la période d'utilisation du réseau, que ce bateau relève du régime de la navigation intérieure ou de celui de la navigation maritime. / Il est dû en sus des impôts et cotisations de toute nature que les transporteurs de marchandises doivent acquitter par ailleurs. (...) ; qu'aux termes de l'article 5 de ce décret : Le conseil d'administration de l'établissement fixe le montant des péages prévus aux articles 1er, 2 et 3, les modalités de calcul des péages forfaitaires mentionnés à l'article 3 bis ainsi que les modalités de la facturation d'office prévue à l'article 6 quinquies. ;
Considérant qu'il résulte de l'ensemble de ces dispositions que le tarif des péages que doivent acquitter les professionnels pour le transport de marchandises réalisé à l'intérieur des limites du domaine public fluvial dont la gestion est confiée à Voies navigables de France est fixé par une délibération du conseil d'administration de l'établissement public, laquelle a un caractère réglementaire ; que, par suite, la délibération en question n'est opposable aux usagers du domaine public fluvial, et ne peut donc justifier l'établissement du titre de recette contesté, que si elle a fait l'objet d'une mesure de publicité suffisante ;
Considérant que Voies navigables de France fait valoir que la délibération du conseil d'administration du 6 avril 2005 portant détermination des tarifs des péages de navigation de marchandises et du service spécial d'éclusage applicables à compter du 1er juillet 2005 a fait l'objet d'un affichage du 7 avril 2005 au 7 mai 2005 dans le hall du siège social de Béthune et que le Bulletin Officiel du 20 avril 2005 était accessible sur le site internet de l'établissement public et que, par suite, la délibération critiquée aurait fait l'objet d'une publicité suffisante ;
Considérant, d'une part, que VNF ne démontre pas, en se limitant à produire une copie d'écran non datée, que, à la date de la décision contestée, la délibération précitée du 6 avril 2005 avait effectivement fait l'objet d'une publication sur un site internet accessible aux usagers du domaine public fluvial ;
Considérant, d'autre part, qu'à la supposer avérée, la seule circonstance qu'il aurait été procédé à un affichage, dans le hall du siège social Voies navigables de France à Béthune, de la délibération adoptée le 6 avril 2005 par le conseil d'administration de cet établissement ne constitue pas une mesure de publicité suffisante permettant de rendre opposable le texte en question aux usagers du domaine public fluvial ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la société EUROBARGES est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa demande d'annulation de l'état exécutoire émis le 2 août 2006 par Voies navigables de France ;
Sur l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant, d'une part, que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de la société EUROBARGES, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement à Voies navigables de France de la somme que ce dernier demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ; qu'il y a lieu, en revanche, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de Voies navigables de France le versement à la société EUROBARGES de la somme de 2 000 euros sur le fondement de ces mêmes dispositions ;
DECIDE :
Article 1er : Le jugement n° 0607691 du Tribunal administratif de Cergy-Pontoise du 11 décembre 2009 et l'état exécutoire émis le 2 août 2006 par Voies navigables de France à l'encontre de la société EUROBARGES sont annulés.
Article 2 : Il est mis à la charge de Voies navigables de France le versement à la société EUROBARGES d'une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
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N° 10VE01934