Vu la requête, enregistrée au greffe de la Cour administrative d'appel de Versailles le 24 février 2010, présentée pour la SA ESSO SAF, dont le siège est sis Tour Manhattan à La Défense cedex (92095), par Mes Chatel et Bussac, avocats ; la SA ESSO SAF demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 0609967 en date du 28 décembre 2009 par lequel le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa demande tendant à la décharge partielle des cotisations minimales de taxe professionnelle auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2004 et 2005 ;
2°) de lui accorder la décharge partielle demandée pour un montant de 50 433 euros au titre de l'année 2004 et 115 606 euros au titre de l'année 2005 ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat le paiement d'une somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Elle soutient que la Taxe Générale sur les Activités Polluantes (TGAP), qui repose sur le principe du pollueur-payeur, est destinée à inciter les pollueurs à réduire leur consommation ou leur production de substances polluantes ; que cet objectif ne peut être atteint si la taxe n'est pas répercutée sur ces pollueurs et conservée au niveau de l'entreprise de raffinerie ; que la TGAP répercutée sur les clients est assimilable à un complément de prix de vente à soumettre à la taxe sur la valeur ajoutée (Cf. réponse ministérielle Boulaud, JO du 18 octobre 1999, p. 6032) ; que, pour déterminer la valeur ajoutée, prévue par l'article 1647 B sexies du code général des impôts, servant au calcul du plafonnement, l'instruction 6 E-10-85 du 18 décembre 1985 précise qu'il y a lieu de tenir compte des formulaires fiscaux adaptés au plan comptable ; que la valeur ajoutée comptable doit être calculée hors taxe sur le chiffre d'affaires et taxes assimilées ainsi que hors droits indirects ; que la documentation administrative à jour au 1er juin 1995, 6-E 4332, § 20 exclut de la valeur ajoutée les taxes sur le chiffre d'affaires et assimilées, les contributions indirectes et la taxe intérieure de consommation des produits pétroliers ; que, par un arrêt du 7 juillet 2004, le Conseil d'Etat a défini les principes de détermination de la prise en compte d'une taxe dans les charges d'exploitation ; que de nombreuses décisions de Tribunaux administratifs et de Cour administratives d'appel confirment le principe de déductibilité de la TGAP de la valeur ajoutée ; que la TGAP minore la valeur ajoutée, quelle que soit l'activité qui donne lieu à son versement, dès lors qu'elle a été incluse dans les recettes d'exploitation et répercutée sur le consommateur ; que le jugement est irrégulier, le Tribunal administratif ayant soulevé d'office un moyen qui n'était pas d'ordre public, à savoir, qu'aucune disposition légale ne prévoyait une faculté de refacturation de la TGAP alors que l'administration soutenait en défense que la répercussion sur le client n'était pas rendue obligatoire par le législateur contrairement à la jurisprudence de la cour administrative d'appel de Versailles ; que les premiers juges ont méconnu la définition du champ d'application de la loi ; que cet argument soulevé d'office n'a pas été soumis aux parties en méconnaissance du principe du contradictoire ; que l'exigence par le Tribunal administratif de Cergy-pontoise d'une disposition légale prévoyant la faculté de refacturer la TGAP instaure un critère non prévu par la loi ; que les premiers juges ont ainsi statué extra legem ; que la distinction opérée par le Tribunal entre les activités pouvant ou non donner lieu à refacturation est contraire à l'esprit de la loi fiscale qui s'interprète strictement ; qu'en l'absence de toute disposition contraire, les redevables de la TGAP sur les lubrifiants doivent être considérés comme ayant la faculté de la refacturer à leurs clients et de la prendre en compte dans le calcul de la valeur ajoutée ; que l'article 14 de la convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales interdit toute discrimination vis-à-vis des droits et libertés protégés par la convention ; que le Conseil d'Etat a admis que les dispositions combinées de l'article 1er du premier protocole et de l'article 14 de la convention peuvent être utilement invoquées pour soutenir que la loi fiscale serait à l'origine de discriminations injustifiées entre contribuables ; qu'une distinction entre personnes placées dans une situation analogue doit être assortie de justifications objectives et raisonnables (objectif d'utilité publique ou critères rationnels en rapport avec les buts de la loi) ; que la distinction, opérée par les premiers juges, entre les redevables de la TGAP qui sont visés au 1 et au 5 de l'article 266 decies et les autres, qui sont pourtant placés dans une situation analogue, ne poursuit pas un objectif d'utilité publique et n'est pas fondée sur des critères rationnels en rapport avec les buts de la loi et porte donc atteinte aux stipulations combinées de l'article 1er du premier protocole et de l'article 14 précité ; que l'impossibilité de déduire la TGAP manque de fondement légal ; que, dans la mesure où la société ESSO SAF répercute la TGAP sur le prix du service rendu, cette taxe frappe directement le prix du service et doit donc être déduite de la valeur ajoutée pour le calcul du plafonnement de la taxe professionnelle de la société ;
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Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
Vu le code des douanes ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 21 juin 2011 :
- le rapport de Mme Dioux-Moebs, premier conseiller,
- et les conclusions de M. Dhers, rapporteur public ;
Considérant que la SA ESSO SAF, qui a pour objet le raffinage de pétrole et le commerce de détails de carburants, a acquitté un supplément de cotisation minimale de taxe professionnelle de 3 586 709 euros au titre de l'année 2004 et 9 225 696 euros au titre de l'année 2005 ; que ladite taxe, prévue par l'article 1647 E du code général des impôts pour les entreprises dont le chiffre d'affaires est supérieur à 7 600 000 euros, est au moins égale à 1,5% de la valeur ajoutée produite telle que définie par le II de l'article 1647 B sexies du code général des impôts ; que, par une décision du 25 août 2006, la direction générale des grandes entreprises a refusé à la SA ESSO SAF le dégrèvement partiel qu'elle avait demandé à concurrence respective des sommes de 50 433 euros et 115 606 euros résultant de la déduction de la valeur ajoutée de l'entreprise servant au calcul de la cotisation minimale de taxe professionnelle, de la taxe générale sur les activités polluantes prévue par le 4 du I de l'article 266 sexies du code des douanes ; que, n'ayant pas obtenu devant les premiers juges la décharge desdites sommes, la SA ESSO SAF relève appel du jugement en date du 28 décembre 2009 du Tribunal administratif de Cergy-Pontoise ;
Sur la régularité du jugement :
Considérant qu'il appartient au juge administratif de se prononcer sur le bien-fondé des moyens dont il est saisi et, le cas échéant, d'écarter de lui-même, quelle que soit l'argumentation du défendeur, un moyen qui lui paraît infondé, au vu de l'argumentation qu'il incombe au requérant de présenter au soutien de ses prétentions ; qu'en l'espèce, les premiers juges ont considéré qu'aucune disposition légale ne prévoyait une possibilité de refacturation de la TGAP au profit des personnes visées aux points 1 et 5 du I de l'article 266 decies du code des douanes ; qu'en statuant ainsi, ils n'ont pas relevé d'office un moyen qu'ils auraient été tenus de communiquer aux parties en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative ;
Sur le bien-fondé des impositions litigieuses :
Sur la loi fiscale :
Considérant qu'aux termes de l'article 1647 E du code général des impôts applicable en l'espèce : I. - La cotisation de taxe professionnelle des entreprises dont le chiffre d'affaires est supérieur à 7 600 000 euros est au moins égale à 1,5 % de la valeur ajoutée produite par l'entreprise, telle que définie au II de l'article 1647 B sexies. Le chiffre d'affaires et la valeur ajoutée à prendre en compte sont ceux de l'exercice de douze mois clos pendant l'année d'imposition ou, à défaut d'un tel exercice, ceux de l'année d'imposition ; que l'article 1647 B sexies du même code dispose que : I. Sur demande du redevable, la cotisation de taxe professionnelle de chaque entreprise est plafonnée en fonction de la valeur ajoutée produite au cours de l'année au titre de laquelle l'imposition est établie ou au cours du dernier exercice de douze mois clos au cours de cette même année lorsque cet exercice ne coïncide pas avec l'année civile. La valeur ajoutée est définie selon les modalités prévues au II / (...) II. 1. La valeur ajoutée mentionnée au I est égale à l'excédent hors taxe de la production sur les consommations de biens et services en provenance de tiers constaté pour la période définie au I. / 2. Pour la généralité des entreprises, la production de l'exercice est égale à la différence entre : / D'une part, les ventes, les travaux, les prestations de services ou les recettes ; les produits accessoires ; les subventions d'exploitation ; les ristournes, rabais et remises obtenus ; les travaux faits par l'entreprise pour elle-même ; les stocks à la fin de l'exercice ; / Et, d'autre part, les achats de matières et marchandises, droits de douane compris ; les réductions sur ventes ; les stocks au début de l'exercice. / Les consommations de biens et services en provenance de tiers comprennent : les travaux, fournitures et services extérieurs, à l'exception des loyers afférents aux biens pris en crédit-bail (...) ;
Considérant que l'article 266 sexies du code des douanes dans sa rédaction applicable aux impositions contestées dispose que : I. - Il est institué une taxe générale sur les activités polluantes qui est due par les personnes physiques ou morales suivantes : / 1. Tout exploitant d'une installation de stockage de déchets ménagers et assimilés ou tout exploitant d'une installation d'élimination de déchets industriels spéciaux par incinération, coïncinération, stockage, traitement physico-chimique ou biologique non exclusivement utilisées pour les déchets que l'entreprise produit ; / (...) 4. a. Toute personne qui effectue une première livraison après fabrication nationale ou qui livre sur le marché intérieur en cas d'acquisition intracommunautaire ou qui met à la consommation des lubrifiants susceptibles de produire des huiles usagées ; / b. Tout utilisateur d'huiles et préparations lubrifiantes, autres que celles visées au a produisant des huiles usagées dont le rejet dans le milieu naturel est interdit ; / 5. Toute personne qui livre pour la première fois après fabrication nationale ou qui livre sur le marché intérieur après achat, importation ou fabrication dans un autre Etat membre de la Communauté européenne ou qui met à la consommation des préparations pour lessives, y compris des préparations auxiliaires de lavage, ou des produits adoucissants ou assouplissants pour le linge relevant respectivement des rubriques 34022090, 34029090 et 38091010 à 38099100 du tarif douanier (...) ; que l'article 266 decies du même code dispose que : 1. Les lubrifiants mentionnés au a du 4 du I de l'article 266 sexies, donnent lieu sur demande à remboursement de la taxe afférente lorsque l'utilisation particulière des lubrifiants ne produit pas d'huiles usagées ou lorsque ces lubrifiants sont expédiés à destination d'un Etat membre de la Communauté européenne, exportés ou livrés à l'avitaillement. / (...) 3. Les préparations pour lessives, y compris les préparations auxiliaires de lavage, les produits adoucissants ou assouplissants pour le linge, les matériaux d'extraction, les produits antiparasitaires à usage agricole et les produits assimilés mentionnés respectivement aux 5, 6 et 7 du I de l'article 266 sexies donnent lieu, sur demande, à remboursement de la taxe acquittée lorsqu'ils sont expédiés à destination d'un Etat membre de la Communauté européenne ou exportés. / 4. Les personnes mentionnées au 1 du I de l'article 266 sexies peuvent répercuter la taxe afférente dans les contrats conclus avec les personnes physiques ou morales dont ils réceptionnent les déchets. / 5. Les personnes mentionnées au 5 du I de l'article 266 sexies peuvent répercuter la taxe afférente dans les contrats conclus avec les personnes physiques ou morales auxquelles elles vendent les produits correspondants (...) ;
Considérant qu'aux termes de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation ; qu'en vertu des stipulations de l'article premier du premier protocole additionnel à cette convention : Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. / Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes ;
Considérant qu'une distinction entre des personnes placées dans une situation analogue est discriminatoire, au sens des stipulations précitées de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, si elle n'est pas assortie de justifications objectives et raisonnables, c'est-à-dire si elle ne poursuit pas un objectif d'utilité publique, ou si elle n'est pas fondée sur des critères rationnels en rapport avec les buts de la loi ;
Considérant qu'en vertu des points 4 et 5 de l'article 266 decies du code des douanes susrappelé, les personnes mentionnées au 1 du I de l'article 266 sexies peuvent répercuter la taxe générale sur les activités polluantes dans les contrats conclus avec les personnes physiques ou morales dont elles réceptionnent les déchets et les personnes mentionnées au 5 du I du même article peuvent répercuter ladite taxe dans les contrats conclus avec les personnes physiques ou morales auxquelles elles vendent des préparations pour lessives ; que cette possibilité n'est pas offerte par l'article 266 decies du code des douanes aux entreprises, visées par le point 4 de l'article 266 sexies dudit code, qui fabriquent, livrent ou mettent à la consommation des lubrifiants susceptibles de produire des huiles usagées ; qu'en conséquence, ces entreprises, contrairement à celles qui sont mentionnées aux points 1 et 5 du I de l'article 266 sexies du code des douanes, ne peuvent déduire de la valeur ajoutée servant de base au calcul de leur cotisation minimale de taxe professionnelle la taxe générale sur les activités polluantes qui grève le prix des biens et services qu'elles vendent ;
Considérant qu'en instituant une taxe générale sur les activités polluantes, le législateur a entendu en intégrer la charge dans le coût des produits polluants ou des activités polluantes, afin de réduire la consommation des premiers et limiter le développement des secondes ; que la SA ESSO SAF soutient que l'article 266 decies du code des douanes, qui instaure une différence de traitement entre les entreprises polluantes qu'il énumère, serait incompatible avec les stipulations combinées précitées de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 1er du premier protocole additionnel à cette convention, dès lors que ladite distinction opérée entre des personnes placées dans une situation analogue ne serait pas assortie de justifications objectives et raisonnables et revêtirait donc un caractère discriminatoire ; qu'ainsi, les impositions contestées qui résultent de l'intégration de la taxe générale sur les activités polluantes dans la valeur ajoutée produite par la SA ESSO SAF ne pourraient légalement être fondées sur les dispositions incompatibles de l'article 266 decies du code des douanes ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction que les personnes physiques ou morales visées par l'article 266 sexies du code des douanes ne sont pas placées dans des situations analogues compte tenu des conditions économiques régissant leur activité et de l'impact prévisible de cette activité sur l'environnement ; que, par suite, les distinctions qui sont opérées entre ces personnes, notamment au regard de la possibilité de répercuter la TGAP, à laquelle elles sont assujetties selon des modalités d'ailleurs différentes, dans les contrats qu'elles concluent avec leurs clients, ne sont pas discriminatoires au sens des stipulations de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article premier du premier protocole additionnel à cette convention susrappelés ;
Considérant, par ailleurs, que la requérante ne peut utilement se prévaloir de ce qu'elle aurait répercuté ladite taxe sur ses clients, cette faculté ne lui étant pas ouverte par les dispositions de l'article 266 decies du code des douanes ;
Sur la doctrine :
Considérant qu'aux termes de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales dans sa rédaction applicable en l'espèce : Il ne sera procédé à aucun rehaussement d'impositions antérieures si la cause du rehaussement poursuivi par l'administration est un différend sur l'interprétation par le redevable de bonne foi du texte fiscal et s'il est démontré que l'interprétation sur laquelle est fondée la première décision a été, à l'époque, formellement admise par l'administration. / Lorsque le redevable a appliqué un texte fiscal selon l'interprétation que l'administration avait fait connaître par ses instructions ou circulaires publiées et qu'elle n'avait pas rapportée à la date des opérations en cause, elle ne peut poursuivre aucun rehaussement en soutenant une interprétation différente ;
Considérant que la SA ESSO SAF ne peut, en tout état de cause, se prévaloir sur le fondement des dispositions précitées de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales des réponses ministérielle Boulaud et Perben publiées respectivement au journal officiel de la République française des 18 octobre 1999 et 16 mars 2010, lesdites réponses ne concernant pas la TGAP ; que, de la même manière, elle ne peut se prévaloir des instructions 6 E 10-58 du 18 décembre 1985 et 6 E 4332 du 1er juin 1995 relatives à la taxe professionnelle qui ne précisent pas, contrairement à ce que soutient la société requérante, que la TGAP serait déductible de la valeur ajoutée ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la SA ESSO SAF n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa demande ; qu'il suit de là que les conclusions de la société requérante à fin d'injonction et celles qu'elle a présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées ;
DECIDE :
Article 1er : La requête de la SA ESSO SAF est rejetée.
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N° 10VE00597