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15/05/2007 | FRANCE | N°05VE01208

France | France, Cour administrative d'appel de Versailles, 1ère chambre, 15 mai 2007, 05VE01208


Vu la requête, enregistrée au greffe de la Cour administrative d'appel de Versailles le 21 juin 2005, présentée pour la société PEUGEOT CITROEN POISSY, dont le siège est 45 rue Jean-Pierre Timbaud à Poissy (78307), par Me Gatineau ; la société PEUGEOT CITROEN POISSY demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 0401859-0402473 en date du 12 avril 2005 par lequel le Tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande en réduction d'une part, à hauteur de 448 765 euros, de la cotisation de taxe professionnelle à laquelle elle a été assujettie au titre de l'anné

e 2001 et d'autre part, à hauteur de 535 007 euros, de la cotisation de t...

Vu la requête, enregistrée au greffe de la Cour administrative d'appel de Versailles le 21 juin 2005, présentée pour la société PEUGEOT CITROEN POISSY, dont le siège est 45 rue Jean-Pierre Timbaud à Poissy (78307), par Me Gatineau ; la société PEUGEOT CITROEN POISSY demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 0401859-0402473 en date du 12 avril 2005 par lequel le Tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande en réduction d'une part, à hauteur de 448 765 euros, de la cotisation de taxe professionnelle à laquelle elle a été assujettie au titre de l'année 2001 et d'autre part, à hauteur de 535 007 euros, de la cotisation de taxe professionnelle à laquelle elle a été assujettie au titre de l'année 2002 ;

2°) d'accorder les réductions de taxe professionnelle litigieuses pour les montants précités ;

3°) subsidiairement de poser à la Cour de justice des communautés européennes deux questions préjudicielles relatives à la compatibilité de l'article 59 de la loi de finances rectificative pour 2003 en date du 30 décembre 2003 avec l'ordre juridique communautaire ;

4°) de condamner l'Etat à lui verser 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Elle soutient que la minute du jugement ne comporte pas les signatures exigées par l'article R. 741-7 du code de justice administrative ; que le jugement attaqué ne vise ni n'analyse le mémoire en défense de l'administration ni son mémoire en réplique, alors que le tribunal a fondé sa décision sur des moyens qui n'avaient pas été invoqués par l'administration, et sans solliciter les observations des parties ; que les premiers juges ont consacré la compatibilité de l'article 59 de la loi de finances rectificative pour 2003 en date du 30 décembre 2003 avec le premier protocole additionnel à la convention européenne des droits de l'homme par un autre motif que celui présenté par l'administration ; que le tribunal administratif a également soulevé d'office le moyen qui lui a permis d'écarter les principes de confiance légitime et de sécurité juridique ; que le jugement est insuffisamment motivé ; que le tribunal administratif n'a pas répondu au moyen tiré de la distinction entre le contentieux fiscal proprement dit et les litiges portant sur la restitution d'impositions dont le caractère indu n'est pas réellement en cause ; que le jugement est imprécis sur l'absence d'atteinte au droit garanti à l'article 1er du protocole additionnel, omettant de mentionner la doctrine administrative dont les sous-traitants auraient pu se prévaloir ; que la jurisprudence a consacré la notion d'utilisation matérielle pour l'application de l'article 1467 du code général des impôts ; que c'est à tort que les premiers juges ont considéré que l'article 6 de la convention européenne des droits de l'homme ne pouvait être utilement invoqué, le litige ne portant pas sur une question de droit fiscal ; que récemment la cour européenne des droits de l'homme a explicitement qualifié d'actions en droit privé des actions en restitution, intentées par des personnes privées, indépendamment de la nature fiscale du litige ; que la Cour administrative d'appel de Paris a jugé que lorsque le juge de l'impôt se prononce sur une créance détenue par un contribuable, certaine dans son principe et dans son montant, dès lors qu'elle procède d'une imposition illégalement établie et exigible seulement à raison d'une législation rétroactivement applicable, il est saisi d'une contestation relative à un droit de caractère civil au sens de l'article 6-1 de la convention européenne ; que l'article 59 de la loi rectificative de 2003 doit être regardé comme incompatible avec cet article ; que la loi de validation est susceptible d'être contrôlée dès lors qu'elle est intervenue après la réclamation contentieuse préalable ; que l'Etat ne peut, au regard de cette disposition, prendre des mesures législatives à portée rétroactive dont la conséquence est une modification des règles à appliquer par le juge pour statuer sur des litiges dont l'Etat est partie, à moins qu'existe un motif d'intérêt général suffisant ; que la cour européenne exige désormais un motif impérieux d'intérêt général ; que la loi de finances est intervenue pour contrecarrer une jurisprudence bien établie ; qu'il n'existe en l'espèce aucun motif impérieux d'intérêt général justifiant de faire obstacle à la jurisprudence du Conseil d'Etat ; qu'un intérêt financier ne saurait constituer par lui-même un tel motif ; qu'il n'est pas certain que les sous-traitants auraient rempli les conditions strictes pour pouvoir opposer à l'administration sa propre doctrine ; que l'enjeu financier allégué par le tribunal a été surestimé ; que le risque de perte de recettes fiscales, à le supposer établi, est exclusivement imputable à l'Etat ; que la préoccupation avancée d'éviter un transfert d'une année sur l'autre de recettes fiscales entre collectivités locales constitue un motif contradictoire car reposant sur le paiement des taxes litigieuses par les sous-traitants ; qu'il s'agit d'une hypothèse provisoire puisque la loi vise à assujettir les donneurs d'ordre pour les biens mis à disposition ; que les stipulations de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne des droits de l'homme sont applicables au présent litige, le droit au remboursement d'une taxation indue ayant le caractère d'un bien au sens de cet article ; que l'article 59 de la loi de finances est incompatible avec le respect des biens garanti par ce protocole ; que la validation rétroactive d'impositions indues doit reposer sur un motif d'intérêt général suffisant pour justifier une telle ingérence dans le droit de propriété du contribuable ; que le contrôle exercé sur le fondement des respects des biens doit être égal à celui exercé sur le fondement de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme ; que la loi de validation doit trouver un équilibre entre l'atteinte portée au droit de propriété des individus et le motif d'intérêt général susceptible de la justifier ; que la validation par modification rétroactive des règles d'assiette, destinée à éviter à l'Etat de restituer des taxes indues, n'est pas légitime et fait peser sur le contribuable indûment assujetti une charge exorbitante et injustifiée ; qu'il ne ressort pas des travaux préparatoires que l'objet de la mesure litigieuse ait été d'éviter une perte de rentrée fiscale causée par l'invocation de la doctrine fiscale que les sous-traitants auraient pu opposer pour échapper au paiement de l'impôt ; que le simple risque de transfert momentané de recettes entre collectivités locales ne pouvait constituer un motif d'intérêt général justifiant de faire obstacle à la jurisprudence du Conseil d'Etat ; que la perte hypothétique de recettes s'élève à 110 millions d'euros, insusceptible d'obérer le budget des collectivités locales ; que l'administration aurait dû dès 2000 tirer les conséquences de la jurisprudence du Conseil d'Etat ; que le refus illégal de rembourser une taxation indue constitue une distorsion de concurrence injustifiée et a des incidences sur la libre circulation des biens et des marchandises, ainsi que sur le principe de libre prestation de service et de libre établissement ; que si le donneur d'ordre, ressortissant d'un autre Etat membre, met les équipements à la disposition d'un sous-traitant français, c'est ce dernier qui acquittera la taxe professionnelle ; qu'ainsi le sous-traitant, à condition égale de mise à disposition d'équipements, a intérêt à fournir à un donneur d'ordre français qui paiera la taxe professionnelle sur les immobilisations mises à disposition ; que le tribunal administratif ne pouvait se limiter à contrôler que la mesure n'avait pas pour objet d'instituer une différence de traitement sans en examiner également les effets ; que l'article 59 de la loi de finances rectificative pour 2003 en date du 30 décembre 2003 institue une différence de traitement, indirecte et effective, qui résulte de la nationalité, ou de l'Etat d'installation du donneur d'ordre, et qui influe sur la mise en oeuvre des principes de libre établissement, de libre prestation de service ; qu'il existe également une différence de traitement résultant de la nationalité ou du pays d'installation du sous-traitant ; que dans l'hypothèse d'une mise à disposition gratuite de biens par un donneur d'ordre français à un sous-traitant étranger, les biens ne seront pas du tout taxés ; qu'ainsi le donneur d'ordre a intérêt à choisir un fournisseur ou un sous-traitant hors de France ; que la disposition litigieuse est incompatible avec les principes de sécurité juridique et de confiance légitime puisqu'elle prive rétroactivement les donneurs d'ordre de leur droit à restitution à une imposition indue ; que l'application de ces principes ne doit pas être limitée à la mise en oeuvre ou à l'application du droit communautaire ; que subsidiairement une question préjudicielle pourrait être posée à la Cour de justice des communautés européennes relative à la compatibilité de l'article 59 de la loi de finances rectificative pour 2003 en date du 30 décembre 2003 avec l'ordre juridique communautaire dès lors qu'elle tend à inciter les fournisseurs français bénéficiant d'une mise à disposition gratuite d'équipements à privilégier des donneurs d'ordre français et les donneurs d'ordre français à choisir des fournisseurs et sous-traitants installés dans un autre Etat membre que la France ;

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Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 3 mai 2007 :

- le rapport de M. Brumeaux, premier conseiller ;

- et les conclusions de Mme Le Montagner, commissaire du gouvernement ;

Sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens de la requête :

Considérant que la société requérante demande la restitution d'une partie des cotisations de taxe professionnelle acquittées au titre des années 2001 et 2002 en raison de la prise en compte dans ses bases d'imposition de la valeur locative d'immobilisations mises gratuitement à disposition de sous-traitants et de fournisseurs ;

Considérant qu'aux termes de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : « Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. Les dispositions précitées ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou amendes » ; qu'il résulte des termes même de cet article que le droit au respect de ses biens reconnu à toute personne physique ou morale ne porte pas atteinte au droit de chaque Etat de mettre en oeuvre les lois qu'il estime nécessaires pour assurer le paiement des impôts ;

Considérant qu'aux termes de l'article 59 de la loi de finances rectificative pour 2003 en date du 30 décembre 2003 modifiant l'article 1469 3° bis du code général des impôts : « I… Les biens visés aux 2° et 3°, utilisés par une personne qui n'en est ni propriétaire, ni locataire, ni sous-locataire, sont imposés au nom de leur sous-locataire ou à défaut de leur locataire ou, à défaut de leur propriétaire dans le cas où ceux-ci sont passibles de la taxe professionnelle. II. Les dispositions du I s'appliquent aux impositions relatives à l'année 2004 ainsi qu'aux années ultérieures et sous réserve des décisions passées en force de chose jugée aux impositions relatives aux années antérieures » ;

Considérant qu'aux termes de l'article 1467 du code général des impôts : « La taxe professionnelle a pour base : 1° …a) la valeur locative… des immobilisations corporelles dont le redevable a disposé pour les besoins de son activité professionnelle… » ; que par un arrêt en date du 25 avril 2003, le Conseil d'Etat a jugé que les immobilisations dont la valeur locative est ainsi intégrée dans l'assiette de la taxe professionnelle sont les biens placés sous le contrôle du redevable et que celui ci utilise matériellement pour la réalisation des opérations qu'il effectue ; que pour l'application de ce principe avant l'entrée en vigueur de l'article 59 précité, les sous-traitants qui utilisaient matériellement pour la réalisation des opérations constitutives de leur activité des outillages spécifiquement adaptés que le donneur d'ordres, qui en conservait la propriété, mettait à leur disposition étaient réputés disposer de ces outillages au sens de l'article 1467 1° a du code général des impôts, nonobstant la finalité du donneur d'ordres et alors même que les sous-traitants n'auraient pas exercé au moins partiellement un contrôle sur ces outillages ; qu'ainsi, un contribuable qui avait mis gratuitement à la disposition de ses sous-traitants des immobilisations était en droit, en application de la jurisprudence précitée, et avant l'entrée en vigueur de l'article 59 de la loi de finances rectificative pour 2003, d'obtenir la restitution des cotisations de taxe professionnelle qu'il avait acquittées résultant de l'intégration dans ses bases d'imposition de la valeur locative desdites immobilisations ;

Considérant que la restitution de cotisations de taxe professionnelle indûment acquittées constitue un bien au sens des stipulations de l'article 1er au premier protocole additionnel de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales précité ; que les dispositions de l'article 59 de la loi du 30 décembre 2003 précitées, adoptées postérieurement à la demande de restitution des cotisations de taxe professionnelle litigieuses présentées par la société requérante, ont eu pour effet de la priver rétroactivement du droit à une telle restitution en raison de l'intégration indue dans sa base d'imposition de la valeur locative d'immobilisations mises à disposition de sous-traitants ; que ni la volonté d'éviter un transfert de charges entre les collectivités locales en fonction du redevable de la taxe professionnelle, ni un éventuel « aléa contentieux » ne constituent des motifs d'intérêt général de nature à justifier l'atteinte portée à ses droits par la privation rétroactive au droit à restitution des cotisations de taxe professionnelle indûment perçues par les services fiscaux au titre des années 2001 et 2002 ; que dès lors la société PEUGEOT CITROEN POISSY est fondée à soutenir que c'est à tort que le Tribunal administratif de Versailles s'est fondé, dans le jugement attaqué, sur les dispositions de l'article 59 de la loi de finances du 30 décembre 2003 pour rejeter sa demande tendant à la restitution des cotisations de taxe professionnelle à laquelle elle a été assujettie au titre des années 2001 et 2002 dans les rôles de la commune de Poissy à raison des immobilisations mises à la disposition gratuite de ses sous-traitants ;

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros au titre des frais exposés par la société requérante et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Versailles en date du 12 avril 2005 est annulé.

Article 2 : La société PEUGEOT CITROEN POISSY est déchargée de la part des cotisations de taxe professionnelle auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2001 et 2002 résultant de l'intégration dans ses bases d'imposition de la valeur locative d'immobilisations mises à la disposition gratuite de sous-traitants.

Article 3 : L'Etat versera à la société PEUGEOT CITROEN POISSY la somme de 3 000 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

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Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Versailles
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 05VE01208
Date de la décision : 15/05/2007
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme ROBERT
Rapporteur ?: M. Michel BRUMEAUX
Rapporteur public ?: Mme LE MONTAGNER
Avocat(s) : GATINEAU

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.versailles;arret;2007-05-15;05ve01208 ?
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