Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société anonyme Frey a demandé au tribunal administratif de Montpellier d'annuler la décision du 24 février 2021 par laquelle le président de Montpellier Méditerranée Métropole a préempté un local à usage commercial constituant le lot " volume 11 " d'un immeuble situé au n° 2565 de l'avenue Georges Frêche, sur le territoire de la commune de Pérols.
Par un jugement n° 2101643 du 30 mars 2023, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté la demande de la société Frey et a mis à sa charge une somme de 750 euros à verser à Montpellier Méditerranée Métropole et une somme du même montant à verser à la commune de Pérols sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Procédure devant la cour :
Par une requête et des mémoires, enregistrés le 30 mai 2023, le 16 janvier 2024 et le 27 août 2024, la société anonyme Frey, représentée par Me Raquin, demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :
1°) d'annuler le jugement du 30 mars 2023 ;
2°) d'annuler la décision prise par le président de Montpellier Méditerranée Métropole le 24 février 2021 ;
3°) de supprimer les écrits outrageants et diffamatoires contenus dans le mémoire de Montpellier Méditerranée Métropole enregistré le 3 mai 2024, en application des dispositions de l'article L. 741-2 du code de justice administrative ;
4°) de mettre à la charge de Montpellier Méditerranée Métropole une somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du même code.
Elle soutient que :
Sur la régularité du jugement :
- le tribunal administratif de Montpellier n'a pas répondu ou a répondu d'une manière insuffisamment motivée au moyen tiré de l'absence de réalité d'un projet de nature à justifier l'exercice du droit de préemption ;
- il n'a pas non plus répondu ou a répondu d'une manière insuffisamment motivée au moyen tiré de l'absence d'intérêt général suffisant de la préemption en litige compte tenu de la situation locative du bien concerné ;
Sur le bien-fondé du jugement :
- la décision de préemption en litige est illégale en l'absence de réalité d'un projet de nature à la justifier : la métropole n'établit pas la réalité du projet invoqué, consistant en la relocalisation de commerces au sein du secteur d'aménagement " Ode à la mer " ; à supposer même qu'un tel projet soit avéré, il ne pourrait pas se réaliser dès lors que la métropole a modifié le contenu de l'opération d'aménagement pour le secteur en cause et que le bien litigieux ne présente pas des caractéristiques adaptées pour le projet invoqué ; la décision attaquée procède, par suite, d'une inexacte application de l'article L. 210-1 du code de l'urbanisme ;
- la décision de préemption en litige ne répond pas à un intérêt général suffisant compte tenu des caractéristiques du bien et du coût prévisible de l'opération ;
- la décision en cause procède d'un détournement de pouvoir en ce qu'elle a pour seul but de l'évincer en raison d'un autre litige l'opposant à la métropole.
Par des mémoires en défense, enregistrés le 12 décembre 2023 et le 3 mai 2024, Montpellier Méditerranée Métropole, représentée par la SCP CGCB avocats et associés, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de la société requérante une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que les moyens invoqués ne sont pas fondés.
La clôture de l'instruction est intervenue le 24 septembre 2024, avec effet immédiat, sur le fondement de l'article R. 611-11-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'urbanisme ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Jazeron, premier conseiller,
- les conclusions de M. Diard, rapporteur public,
- et les observations de Me Langlois, substituant la SCP CGCB avocats et associés, représentant Montpellier Méditerranée Métropole.
Considérant ce qui suit :
1. La société civile immobilière H et L Immobilier était propriétaire depuis 2014 d'un bien immobilier composé d'un local à usage commercial ainsi que de places de stationnement souterraines, lequel constitue le lot " volume 11 " de l'immeuble nommé " Le Liner ", situé au n° 2565 de l'avenue Georges Frêche, sur le territoire de la commune de Pérols (Hérault). Le local en cause est loué à la société H et L en vertu d'un bail commercial signé le 1er octobre 2015 pour une durée de neuf ans et héberge un commerce de mobilier et matériel de cuisine exploité sous l'enseigne " Arthur Bonnet ". La société H et L Immobilier a conclu, le 10 décembre 2020, une promesse unilatérale de vente avec la société Frey concernant ce bien immobilier pour un prix de 1,8 million d'euros. Le notaire en charge de la vente a transmis, le 16 décembre suivant, la déclaration d'intention d'aliéner aux services de la commune de Pérols. Par une décision prise le 24 février 2021, le président de Montpellier Méditerranée Métropole a exercé le droit de préemption urbain sur ce bien pour un prix de 900 000 euros. Par la présente requête, la société Frey, acquéreuse évincée, interjette appel du jugement du 30 mars 2023 par lequel le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande d'annulation de cette décision.
Sur la régularité du jugement :
2. L'article L. 9 du code de justice administrative dispose que : " Les jugements sont motivés. ". Il ressort des termes mêmes du jugement attaqué que le tribunal administratif de Montpellier a répondu, aux points 5 et 6, aux moyens soulevés par la société requérante tirés respectivement de l'absence de réalité du projet justifiant la préemption et de l'absence d'intérêt général suffisant caractérisant cette préemption. Les premiers juges n'étaient pas tenus de se prononcer sur l'ensemble des arguments exposés par les parties et ont énoncé avec une précision suffisante les raisons pour lesquelles ils ont écarté les deux moyens susmentionnés. Ils ont notamment pris en compte, au point 6, les éléments avancés par la société Frey concernant la surface du bien immobilier en cause ainsi que sa situation locative. Par conséquent, le jugement litigieux n'est entaché ni d'une omission à statuer, ni d'une insuffisance de motivation.
Sur le bien-fondé du jugement :
3. L'article L. 210-1 du code de l'urbanisme, dans sa rédaction applicable à la date de la décision de préemption litigieuse, mentionne que : " Les droits de préemption institués par le présent titre sont exercés en vue de la réalisation, dans l'intérêt général, des actions ou opérations répondant aux objets définis à l'article L. 300-1, à l'exception de ceux visant à sauvegarder ou mettre en valeur les espaces naturels, à préserver la qualité de la ressource en eau, ou pour constituer des réserves foncières en vue de permettre la réalisation desdites actions ou opérations d'aménagement. (...) ". L'article L. 300-1 du même code précise que : " Les actions ou opérations d'aménagement ont pour objets de mettre en œuvre un projet urbain, une politique locale de l'habitat, d'organiser le maintien, l'extension ou l'accueil des activités économiques, de favoriser le développement des loisirs et du tourisme, de réaliser des équipements collectifs ou des locaux de recherche ou d'enseignement supérieur, de lutter contre l'insalubrité et l'habitat indigne ou dangereux, de permettre le renouvellement urbain, de sauvegarder ou mettre en valeur le patrimoine bâti ou non bâti et les espaces naturels. ".
4. Il résulte des dispositions citées ci-dessus que les collectivités titulaires du droit de préemption urbain peuvent légalement exercer ce droit, d'une part, si elles justifient, à la date à laquelle elles l'exercent, de la réalité d'un projet d'action ou d'opération d'aménagement répondant aux objets mentionnés à l'article L. 300-1 du code de l'urbanisme, alors même que les caractéristiques précises de ce projet n'auraient pas été définies à cette date, et, d'autre part, si elles font apparaître la nature de ce projet dans la décision de préemption. En outre, la mise en œuvre de ce droit doit, eu égard notamment aux caractéristiques du bien faisant l'objet de l'opération ou au coût prévisible de cette dernière, répondre à un intérêt général suffisant.
5. Il ressort des pièces du dossier que le bien immobilier préempté par Montpellier Méditerranée Métropole se situe dans le périmètre de l'opération d'aménagement d'ensemble " Route de la mer " ou " Ode à la mer ", inscrite dans le schéma de cohérence territoriale de l'agglomération de Montpellier dès 2006 et pilotée par la communauté d'agglomération de Montpellier, puis par la métropole, depuis 2011. Il ressort de la motivation de la délibération du 29 novembre 2011 par laquelle le conseil de la communauté d'agglomération a approuvé ce projet, programmé sur le territoire des communes de Lattes et Pérols, que l'opération en cause tend à la fois à renouveler le tissu économique par la recomposition et la modernisation de l'armature et des formes commerciales et à réaliser des logements autour des infrastructures de transports en commun dans un but de mixité sociale et fonctionnelle. Le bien en litige s'inscrit, plus précisément, dans le périmètre de la zone d'aménagement concerté dite " Ode Acte I ", laquelle a été déclarée d'intérêt général par le conseil communautaire le 20 décembre 2013. Il ressort par ailleurs des motifs de la décision contestée que, pour exercer le droit de préemption sur le bien dont s'agit, après avoir rappelé les objectifs de l'opération d'ensemble, le président de la métropole a notamment relevé que la collectivité se devait d'acquérir des locaux pour pouvoir proposer une relocalisation à des occupants commerciaux et que l'acquisition du bien en cause, implanté dans un site prévu à cet effet, participerait à la réalisation de ce projet d'aménagement répondant à plusieurs des objets mentionnés à l'article L. 300-1 du code de l'urbanisme.
6. En premier lieu, si la société Frey soutient que Montpellier Méditerranée Métropole n'établirait pas la réalité du projet invoqué pour justifier la préemption du bien en litige et que le projet en cause serait notamment devenu obsolète lorsque la décision attaquée est intervenue, il résulte toutefois de ce qui a été mentionné au point précédent que cette préemption s'inscrit dans le cadre d'une opération d'aménagement d'ensemble approuvée par la collectivité publique plusieurs années auparavant et prévue sur un horizon de long terme estimé à au moins vingt ans. Les pièces produites par la métropole à l'appui de ses écritures en défense attestent qu'au moins six biens immobiliers, dont quatre locaux commerciaux, ont été acquis par elle-même ou par la société d'aménagement de l'agglomération de Montpellier, en sa qualité de concessionnaire de l'opération " Ode à la mer ", par préemption ou par voie amiable, entre le 19 novembre 2015 et l'édiction de la décision contestée, au sein du périmètre de cette opération ou à sa périphérie immédiate. Il ressort au demeurant de ces mêmes pièces que la politique d'acquisition de biens situés dans ce même périmètre s'est poursuivie après la décision en litige, avec six nouveaux locaux acquis entre le 30 avril 2021 et le 22 avril 2022, dont cinq à usage de commerces. Si la société requérante souligne par ailleurs que la métropole a modifié le contenu de l'opération pour le secteur " Ode Acte I " en prévoyant la réalisation d'un stade de football à la place du vaste centre commercial initialement prévu, il ne ressort pas des pièces du dossier qu'une telle modification remettrait en cause la vocation de ce secteur à accueillir également des commerces sur les espaces situés autour du stade. En outre, contrairement à ce qui est allégué par la société Frey, il n'apparaît pas que le bien préempté, situé en rez-de-chaussée et offrant une surface au sol d'au moins 295 m2, présenterait des caractéristiques inadaptées à la relocalisation d'un ou plusieurs commerces de petite ou moyenne taille. Enfin, la circonstance que le bien en question soit actuellement loué par une société commerciale qui l'a spécialement aménagé et qui pourrait souhaiter renouveler le bail en cours n'est pas de nature à remettre en cause, par elle-même, l'effectivité du projet justifiant la préemption, lequel s'inscrit dans le long terme comme il a été indiqué précédemment. Par suite, Montpellier Méditerranée Métropole justifie de la réalité du projet d'aménagement pour lequel son président a exercé le droit de préemption urbain.
7. En deuxième lieu, si la société Frey soutient que la décision attaquée ne répondrait pas à un intérêt général suffisant, il résulte de ce qui précède, d'une part, que les buts poursuivis par la communauté d'agglomération, puis par la métropole, répondent à un tel intérêt et, d'autre part, que le local litigieux présente des caractéristiques adaptées à l'accueil d'un commerce. La seule circonstance que la société occupant actuellement ce local ne souhaiterait pas le quitter à l'échéance du bail commercial en cours, à la supposer même avérée, n'est pas de nature à retirer son caractère d'intérêt général au projet ayant motivé la préemption, lequel s'inscrit dans le long terme ainsi qu'il a déjà été rappelé. Il ne ressort, par ailleurs, d'aucune pièce du dossier que la métropole entendrait imposer à cette société de quitter les lieux et qu'elle serait ainsi amenée à lui verser une indemnité d'éviction. De surcroît et en tout état de cause, le prix d'acquisition mentionné dans la décision contestée est significativement inférieur à celui qui était prévu dans la déclaration d'intention d'aliéner et le coût de l'opération n'apparaît, ainsi, pas excessif pour les finances publiques au regard des buts recherchés. Dans ces conditions, la société Frey n'est pas fondée à soutenir que la préemption ne répondrait pas à un intérêt général suffisant.
8. En troisième lieu, la société appelante n'établit pas que la décision de préemption en litige procéderait d'un détournement de pouvoir en se bornant à souligner que cette mesure est intervenue dans le contexte d'un contentieux judiciaire l'opposant à la métropole au sujet de la même opération d'aménagement. Il résulte au contraire de ce qui a été dit précédemment que la mesure en cause répond à un but d'intérêt général et il ne ressort d'aucun élément du dossier que le président de la métropole l'aurait prise dans le seul but d'entraver le projet d'achat poursuivi par la requérante. En conséquence, le moyen invoqué en ce sens ne peut qu'être écarté.
9. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que la société Frey n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par son jugement du 30 mars 2023, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 24 février 2021.
Sur la suppression d'écrits outrageants ou diffamatoires :
10. L'article L. 741-2 du code de justice administrative prévoit que : " Sont également applicables les dispositions des alinéas 3 à 5 de l'article 41 de la loi du 29 juillet 1881 ci-après reproduites : / " Art. 41, alinéas 3 à 5. - Ne donneront lieu à aucune action en diffamation, injure ou outrage, ni le compte rendu fidèle fait de bonne foi des débats judiciaires, ni les discours prononcés ou les écrits produits devant les tribunaux. / Pourront néanmoins les juges, saisis de la cause et statuant sur le fond, prononcer la suppression des discours injurieux, outrageants ou diffamatoires, et condamner qui il appartiendra à des dommages-intérêts. / (...) " ".
11. En l'espèce, les passages du mémoire en défense de Montpellier Méditerranée Métropole du 3 mai 2024 dont la société Frey demande la suppression n'excèdent pas le droit à la libre discussion et ne présentent pas un caractère injurieux, outrageant ou diffamatoire qui justifierait qu'ils soient supprimés en application des dispositions législatives précitées. Dès lors, les conclusions présentées par la société appelante en ce sens doivent être rejetées.
Sur les frais liés au litige :
12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative s'opposent à ce que soit mis à la charge de Montpellier Méditerranée Métropole, laquelle n'est pas la partie perdante dans la présente instance, le versement d'une somme quelconque à la société Frey au titre des frais exposés par celle-ci et non compris dans les dépens. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de la société Frey une somme de 1 500 euros à verser à Montpellier Méditerranée Métropole sur le fondement de ces mêmes dispositions.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de la société Frey est rejetée.
Article 2 : La société Frey versera à Montpellier Méditerranée Métropole une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société anonyme Frey et à Montpellier Méditerranée Métropole.
Copie en sera adressé à la société civile immobilière H et L Immobilier.
Délibéré après l'audience du 7 juillet 2025, à laquelle siégeaient :
M. Chabert, président,
M. Teulière, président assesseur,
M. Jazeron, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 17 juillet 2025.
Le rapporteur,
F. JazeronLe président,
D. Chabert
La greffière,
N. Baali
La République mande et ordonne au préfet de l'Hérault, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 23TL01264