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17/06/2025 | FRANCE | N°23TL01996

France | France, Cour administrative d'appel de TOULOUSE, 2ème chambre, 17 juin 2025, 23TL01996


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Sous le n°2202895, M. C... B... a demandé au tribunal administratif de Nîmes de l'admettre à l'aide juridictionnelle provisoire, d'annuler l'arrêté du 8 septembre 2022 par lequel la préfète du Gard lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi, d'enjoindre à la préfecture de lui délivrer un titre de séjour ou une autorisation provisoire de séjour sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter

de la décision à intervenir et de mettre à la charge de l'État la somme de 1 500 euros sur...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Sous le n°2202895, M. C... B... a demandé au tribunal administratif de Nîmes de l'admettre à l'aide juridictionnelle provisoire, d'annuler l'arrêté du 8 septembre 2022 par lequel la préfète du Gard lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi, d'enjoindre à la préfecture de lui délivrer un titre de séjour ou une autorisation provisoire de séjour sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter de la décision à intervenir et de mettre à la charge de l'État la somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Sous le n°2202897, Mme A... D... a demandé au tribunal administratif de Nîmes de l'admettre à l'aide juridictionnelle provisoire, d'annuler l'arrêté du 8 septembre 2022 par lequel la préfète du Gard lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi, d'enjoindre à la préfecture de lui délivrer un titre de séjour ou une autorisation provisoire de séjour sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter de la décision à intervenir et de mettre à la charge de l'État la somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 2202895-2202897 du 16 novembre 2022, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nîmes, après avoir joint les affaires, a admis M. B... et Mme D... au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire et a rejeté le surplus de leurs demandes.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 2 août 2023, M. C... B... et Mme A... D..., représentés par Me Ruffel, demandent à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nîmes du 16 novembre 2022 ;

2°) d'annuler les arrêtés du 8 septembre 2022 par lesquels la préfète du Gard leur a respectivement fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi ;

3°) d'enjoindre à l'autorité administrative de leur délivrer un titre de séjour ou une autorisation provisoire de séjour sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter de la décision à intervenir ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros en application des articles 37 et 75 de la loi du 10 juillet 1991.

Ils soutiennent que :

En ce qui concerne la décision portant obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours concernant M. B... :

- la préfète du Gard n'a pas procédé à un examen réel et complet de la situation de M. B..., notamment en ce qu'elle n'a pas tenu compte de la naissance de son troisième enfant, des documents produits par M. B... concernant sa situation professionnelle, et de l'évolution de sa situation depuis le dépôt de leurs demandes d'asile ;

- elle est entachée d'erreur manifeste d'appréciation, dès lors que M. B... justifiait d'une situation permettant son admission exceptionnelle au séjour par le travail, compte tenu de l'expérience professionnelle de M. B..., de la promesse d'embauche dont il bénéficiait, outre la demande d'une autorisation de travail le concernant, et que sa situation d'ensemble justifiait également son admission au séjour au titre de la vie privée et familiale ;

- elle méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant ;

En ce qui concerne la décision portant obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours concernant Mme D... :

- la préfète du Gard n'a pas procédé à un examen réel et complet de la situation de Mme D..., notamment en ce qu'elle n'a pas tenu compte de la naissance de son troisième enfant, et de l'évolution de sa situation depuis le dépôt de leurs demandes d'asile ;

- elle est entachée d'erreur manifeste d'appréciation dès lors que sa situation justifiait son admission au séjour au titre de la vie privée et familiale ;

- elle méconnaît l'article 8 de ce la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant ;

En ce qui concerne les décisions fixant le pays de destination :

- elles sont dépourvues de base légale, les décisions portant obligation de quitter le territoire français étant illégales ;

- elles sont entachées d'erreur de droit dès lors que la préfète du Gard s'est fondée uniquement sur l'existence d'un rejet de leurs demandes d'asile par l'office français de protection des réfugiés et apatrides puis par la cour nationale du droit d'asile, leur situation n'ayant en conséquence pas été examinée au regard de l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Par un mémoire en défense, enregistré le 31 janvier 2024, le préfet du Gard conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par M. B... et Mme D... ne sont pas fondés.

Par ordonnance du 23 mai 2024, la clôture d'instruction a été fixée au 24 juin 2024.

M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 5 juillet 2023.

Mme D... a vu sa demande d'admission au bénéfice de l'aide juridictionnelle rejetée par une décision du 5 juillet 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention internationale des droits de l'enfant ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Le rapport de Mme Virginie Dumez-Fauchille, première conseillère, a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. B..., ressortissant russe, né le 30 juin 1989, et Mme D..., son épouse, de même nationalité, née le 31 octobre 1990, entrés sur le territoire français en 2019 selon leurs déclarations, ont été déboutés de leurs demandes d'asile par décisions de l'office français de protection des réfugiés et apatrides du 10 mars 2021, confirmées par une décision de la cour nationale du droit d'asile du 22 juin 2022. Par arrêtés du 8 septembre 2022, la préfète du Gard a fait obligation, respectivement à M. B... et à Mme D..., de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi. Par jugement du 16 novembre 2022, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nîmes a admis M. B... et Mme D... à l'aide juridictionnelle provisoire et rejeté leurs demandes d'annulation de ces arrêtés. M. B... et Mme D... relèvent appel de ce jugement.

Sur les conclusions aux fins d'annulation :

En ce qui concerne la décision portant obligation de quitter le territoire français prise à l'encontre de M. B... :

2. D'une part, aux termes de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, en vigueur à la date de l'arrêté attaqué : " L'autorité administrative peut obliger un étranger à quitter le territoire français lorsqu'il se trouve dans les cas suivants : (...)4° La reconnaissance de la qualité de réfugié ou le bénéfice de la protection subsidiaire a été définitivement refusé à l'étranger ou il ne bénéficie plus du droit de se maintenir sur le territoire français en application des articles L. 542-1 et L. 542-2, à moins qu'il ne soit titulaire de l'un des documents mentionnés au 3° (...) ". Par ailleurs, en vertu de l'article L. 542-4 du même code : " L'étranger auquel la reconnaissance de la qualité de réfugié ou le bénéfice de la protection subsidiaire a été définitivement refusé ou qui ne bénéficie plus du droit de se maintenir sur le territoire français en application de l'article L. 542-2 et qui ne peut être autorisé à demeurer sur le territoire à un autre titre doit quitter le territoire français, sous peine de faire l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français ".

3. D'autre part, aux termes de l'article L. 431-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsqu'un étranger a présenté une demande d'asile qui relève de la compétence de la France, l'autorité administrative, après l'avoir informé des motifs pour lesquels une autorisation de séjour peut être délivrée et des conséquences de l'absence de demande sur d'autres fondements à ce stade, l'invite à indiquer s'il estime pouvoir prétendre à une admission au séjour à un autre titre et, dans l'affirmative, à déposer sa demande dans un délai fixé par décret. Il est informé que, sous réserve de circonstances nouvelles, notamment pour des raisons de santé, et sans préjudice de l'article L. 611-3, il ne pourra, à l'expiration de ce délai, solliciter son admission au séjour (...) ". Aux termes de l'article D. 431-7 du même code : " Pour l'application de l'article L. 431-2, les demandes de titres de séjour sont déposées par le demandeur d'asile dans un délai de deux mois. Toutefois, lorsqu'est sollicitée la délivrance du titre de séjour mentionné à l'article L. 425-9, ce délai est porté à trois mois ".

4. Si, en application du 4° de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le préfet peut prendre directement une obligation de quitter le territoire français à l'encontre d'un demandeur d'asile auquel la reconnaissance de la qualité de réfugié ou le bénéfice de la protection subsidiaire a été définitivement refusée, dans les conditions prévues par ces dispositions, sous réserve de vérifier, avec les éléments sur la situation de l'intéressé dont il dispose, que ce dernier ne peut prétendre de plein droit à la délivrance d'un titre de séjour, il lui appartient, lorsque l'intéressé a, à la date à laquelle il prend sa décision, régulièrement déposé une demande de titre de séjour sur un autre fondement, d'examiner cette demande avant de prononcer une obligation de quitter le territoire français par voie de conséquence du rejet de la demande d'asile.

5. Il ressort des pièces du dossier que, par un courrier du 5 août 2022 adressé par courriel du même jour, dont la préfète du Gard n'a pas contesté la réception en première instance, M. B... a, par la voie de son conseil, présenté une demande d'admission au séjour à titre principal au titre de la vie privée et familiale, à titre subsidiaire en qualité de salarié, sur le fondement des articles L. 423-23, L. 435-1 et L. 421-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Cette demande, adressée moins de deux mois après l'intervention de la décision du 22 juin 2022 par laquelle la cour nationale du droit d'asile a rejeté son recours formé par M. B... contre la décision de l'office français de la protection des réfugiés et des apatrides, est intervenue dans le délai prescrit par les dispositions précitées de l'article D. 431-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Il n'est pas contesté que cette demande n'a pas été examinée par la préfète du Gard avant que soit prononcée à l'encontre de l'intéressé, par la décision attaquée, une obligation de quitter le territoire français par voie de conséquence du rejet de la demande d'asile. Dans ces conditions, la mesure d'éloignement en litige n'a, ainsi que le soutient M. B..., pas été précédée d'un examen réel et complet de sa situation, ce qui entache d'illégalité la décision attaquée.

En ce qui concerne la décision portant obligation de quitter le territoire français prise à l'encontre de Mme D... :

6. Il ressort des pièces du dossier que Mme D... est l'épouse de M. B..., avec lequel elle s'est mariée en 2010, et que le couple a trois enfants nés respectivement en 2012,2015 et 2021. Dès lors qu'en conséquence de ce qui a été dit au point précédent, la décision obligeant M. B... à quitter le territoire français doit être annulée, et eu égard à la composition du foyer ainsi rappelée, la décision d'obligation de quitter le territoire français prise à l'encontre de son épouse porte une atteinte disproportionnée au droit à la vie privée et familiale de Mme D..., en méconnaissance de l'article 8 convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

7. Il résulte de tout ce qui précède, les appelants sont fondés à soutenir que, c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nîmes a rejeté leurs conclusions aux fins d'annulation des décisions portant obligation de quitter le territoire français ainsi que, par voie de conséquence, des décisions fixant le pays de renvoi. Par suite, le jugement du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nîmes du 16 novembre 2022 et les arrêtés de la préfète du Gard du 8 septembre 2022 doivent être annulés.

Sur les conclusions à fin d'injonction sous astreinte :

8. Le présent arrêt, s'il n'implique pas que soit délivré un titre de séjour aux appelants, implique toutefois nécessairement qu'il soit procédé par le préfet du Gard au réexamen de la situation des appelants dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt et que leur soit délivrée dans l'attente, une autorisation provisoire de séjour. Il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.

Sur les frais exposés à l'occasion du litige :

9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 000 euros à verser à Me Ruffel, sous réserve que cet avocat renonce à la part contributive de l'Etat, en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement n° 2202895-2202897 du 16 novembre 2022 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nîmes et les arrêtés de la préfète du Gard du 8 septembre 2022 sont annulés.

Article 2 : Il est enjoint au préfet du Gard de réexaminer la situation de M. B... et de Mme D... dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt, et que leur soit délivrée dans l'attente, une autorisation provisoire de séjour.

Article 3 : L'Etat versera une somme de 1 000 (mille) euros à Me Ruffel, conseil de M. B... et de Mme D..., en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que cet avocat renonce à la part contributive de l'Etat.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de M. B... et de Mme D... est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... B..., à Mme A... D..., à Me Ruffel, au ministre de l'intérieur et au préfet du Gard.

Délibéré après l'audience du 3 juin 2025, à laquelle siégeaient :

Mme Geslan-Demaret, présidente de chambre,

Mme Teuly-Desportes, présidente assesseure,

Mme Dumez-Fauchille, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 17 juin 2025.

La rapporteure,

V. Dumez-Fauchille

La présidente,

A. Geslan-Demaret

La greffière,

M-M. Maillat

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N° 23TL01996


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de TOULOUSE
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 23TL01996
Date de la décision : 17/06/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Étrangers - Séjour des étrangers - Refus de séjour.

Étrangers - Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : Mme Geslan-Demaret
Rapporteur ?: Mme Virginie Dumez-Fauchille
Rapporteur public ?: Mme Torelli
Avocat(s) : RUFFEL

Origine de la décision
Date de l'import : 22/06/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-06-17;23tl01996 ?
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