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12/06/2025 | FRANCE | N°23TL02319

France | France, Cour administrative d'appel de TOULOUSE, 4ème chambre, 12 juin 2025, 23TL02319


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler l'arrêté du 26 mai 2023 par lequel le préfet de la Haute-Garonne a rejeté sa demande de titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination.



Par un jugement no 2303557 du 11 août 2023, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Toulouse a annulé l'arrêté précité, a mi

s à la charge de l'Etat une somme de 1 250 euros en application des dispositions combinées de l'article ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler l'arrêté du 26 mai 2023 par lequel le préfet de la Haute-Garonne a rejeté sa demande de titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination.

Par un jugement no 2303557 du 11 août 2023, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Toulouse a annulé l'arrêté précité, a mis à la charge de l'Etat une somme de 1 250 euros en application des dispositions combinées de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et a rejeté le surplus des conclusions de la demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés le 12 septembre 2023 et le 7 décembre 2023, le préfet de la Haute-Garonne demande à la cour d'annuler ce jugement.

Il soutient que :

- c'est à tort que le magistrat désigné a estimé que son arrêté était entaché d'une erreur de droit au regard de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- en outre, aucun des moyens développés en défense par les intimés n'est fondé.

Par un mémoire en défense, enregistré le 24 novembre 2023, M. B..., représenté par Me Cohen, conclut au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros à verser à leur conseil au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative

Il soutient que :

- c'est à juste titre que le magistrat désigné a estimé que le préfet de la Haute-Garonne a commis une erreur de droit au regard de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la décision fixant le pays de destination méconnaît les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et les dispositions de l'article L. 721-4 dès lors qu'il a apporté son aide aux membres du PKK.

Par une ordonnance du 8 décembre 2023, la clôture de l'instruction a été fixée au 8 janvier 2024.

M. B..., a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par deux décisions du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Toulouse du 22 novembre 2023 et 14 mars 2025.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer ses conclusions à l'audience.

Après avoir entendu au cours de l'audience publique le rapport de Mme Lasserre, première conseillère.

Considérant ce qui suit :

1. M. B..., ressortissant turc, né le 3 septembre 1995, déclare être entré en France le 26 août 2019. Il a sollicité son admission au titre de l'asile et sa demande a été rejetée par une décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides du 12 mars 2021, confirmée le 11 avril 2023 par une décision de la Cour nationale du droit d'asile. Par arrêté du 26 mai 2023, le préfet de la Haute-Garonne l'a obligé à quitter le territoire français. Par un jugement du 11 août 2023, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Toulouse a annulé l'arrêté du 26 mai 2023. Par la présente requête, le préfet de la Haute-Garonne relève appel de ce jugement.

Sur le bien-fondé du jugement :

En ce qui concerne le moyen d'annulation retenu par les premiers juges :

2. D'une part, aux termes de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans sa rédaction alors applicable : " L'autorité administrative peut obliger un étranger à quitter le territoire français lorsqu'il se trouve dans les cas suivants : / (...) 4° La reconnaissance de la qualité de réfugié ou le bénéfice de la protection subsidiaire a été définitivement refusé à l'étranger ou il ne bénéficie plus du droit de se maintenir sur le territoire français en application des articles L. 542-1 et L. 542-2, à moins qu'il ne soit titulaire de l'un des documents mentionnés au 3° (...) ". D'autre part, l'article L. 542-2 du même code dispose que : " Par dérogation à l'article L. 542-1, le droit de se maintenir sur le territoire français prend fin : / 1° Dès que l'Office français de protection des réfugiés et apatrides a pris les décisions suivantes : (...) d) une décision de rejet dans les cas prévus à l'article L. 531-24 et au 5° de l'article L. 531 27 ; (...) ". Enfin, aux termes de l'article R. 532-19 du même code : " La date de notification de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides qui figure dans le système d'information de l'office, et qui est communiquée au préfet compétent et au directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration au moyen de traitements informatiques, fait foi jusqu'à preuve du contraire ".

3. Il résulte de la combinaison des dispositions précitées que l'étranger originaire d'un pays sûr qui sollicite son admission au bénéfice de l'asile a le droit de séjourner sur le territoire français jusqu'à ce que la décision rejetant sa demande lui ait été régulièrement notifiée par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides. En l'absence d'une telle notification, l'autorité administrative ne peut pas regarder le demandeur à qui l'asile a été refusé comme ne bénéficiant plus de son droit provisoire au séjour ou comme se maintenant irrégulièrement sur le territoire national. Eu égard à la présomption instaurée par l'article R. 532-19 précité, il appartient au demandeur qui conteste les mentions de l'application TelemOfpra d'apporter des précisions et justifications de nature à les remettre en cause.

4. Pour annuler l'arrêté portant obligation de quitter le territoire français, le premier juge a estimé que le pli portant notification de la décision de rejet par l'Office français de protection des étrangers et apatrides de la demande d'asile n'avait pas été régulièrement notifié à M. B... dès lors que le courrier avait été envoyé à l'adresse du " Forum Réfugiés " et non à celle de l'association " Adelphité par CVH " et que le préfet n'établissait ni même n'alléguait que des diligences auraient été accomplies pour transférer le pli contenant l'ordonnance de la Cour nationale du droit d'asile concernant le requérant à sa nouvelle adresse auprès de l'association " Adelphité par CVH ". Toutefois, il ressort des pièces du dossier que M. B... n'a effectué aucune démarche pour signaler à l'administration une nouvelle domiciliation postale. Or, bien que cette nouvelle adresse soit la conséquence du changement de titulaire du marché public relatif aux prestations de premier accueil des demandeurs d'asile, qui a pris effet au 1er janvier 2022, et même si l'administration n'ignorait pas cette modification, il ne lui appartenait pas d'envoyer le pli à une autre adresse que celle indiquée par le demandeur d'asile. Il s'ensuit que M. B... ne peut se prévaloir de la circonstance que la décision de rejet de sa demande d'asile ne lui aurait pas été régulièrement notifiée pour estimer qu'il continuait à bénéficier du droit provisoire au séjour et demander l'annulation de la décision lui faisant obligation de quitter le territoire français. Dans ces conditions, le préfet de la Haute-Garonne est fondé à soutenir que c'est à tort que le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Toulouse a retenu ce motif pour annuler l'arrêté du 11 août 2023 contesté.

5. Il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. B... devant le tribunal administratif de Toulouse.

En ce qui concerne les autres moyens invoqués par l'intimé :

S'agissant de l'ensemble des décisions :

6. En premier lieu, Mme D... C..., directrice des migrations et de l'intégration de la préfecture de la Haute-Garonne et signataire de l'arrêté contesté, a bénéficié, par un arrêté du 13 mars 2023 régulièrement publié au recueil des actes administratifs spécial de la préfecture n° 31-2023-099 le 15 mars 2023, d'une délégation de signature à l'effet de signer les décisions relatives à la police des étrangers, notamment en matière de mesures d'éloignement. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence du signataire des arrêtés en litige doit être écarté.

7. En deuxième lieu, l'arrêté contesté énonce les circonstances de droit et de fait sur lesquelles le préfet de la Haute-Garonne s'est fondé pour prendre les décisions en litige et mentionne notamment les principaux éléments relatifs à la situation personnelle et familiale de l'intimé. L'arrêté attaqué, pris en toutes ses décisions, est ainsi suffisamment motivé.

8. En troisième lieu, le droit d'être entendu préalablement à toute décision qui affecte sensiblement et défavorablement les intérêts de son destinataire constitue l'une des composantes du droit de la défense, tel qu'il est énoncé notamment au 2 de l'article 41 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, et fait partie des principes généraux du droit de l'Union européenne ayant la même valeur que les traités. Il garantit à toute personne la possibilité de faire connaître, de manière utile et effective, son point de vue au cours de la procédure administrative, afin que l'autorité compétente soit mise à même de tenir compte de l'ensemble des éléments pertinents pour fonder sa décision. Ce droit n'implique pas systématiquement l'obligation, pour l'administration, d'organiser, de sa propre initiative, un entretien avec l'intéressé, ni même d'inviter ce dernier à produire ses observations, mais suppose seulement que, informé de ce qu'une décision lui faisant grief est susceptible d'être prise à son encontre, il soit en mesure de présenter spontanément des observations écrites ou de solliciter un entretien pour faire valoir ses observations orales. Enfin, une atteinte à ce droit n'est susceptible d'affecter la régularité de la procédure à l'issue de laquelle la décision faisant grief est prise que si la personne concernée a été privée de la possibilité de présenter des éléments pertinents qui auraient pu influer sur le contenu de la décision, ce qu'il lui revient, le cas échéant, d'établir devant la juridiction saisie.

9. Il ne ressort pas des pièces du dossier que M. B... ait sollicité, en vain, un entretien avec les services préfectoraux ni qu'il ait été empêché de présenter des observations avant que ne soit prise à son encontre les décisions portant obligation de quitter le territoire français et fixant son pays de destination litigieuses. Dans ces conditions, il y a lieu d'écarter le moyen tiré de la méconnaissance de son droit d'être entendu.

S'agissant de la décision portant obligation de quitter le territoire français :

10. En premier lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".

11. Il ressort des pièces du dossier que M. B..., célibataire et sans charge de famille, est entré récemment sur le territoire français et n'établit pas être dépourvu de toute attaches familiales dans son pays d'origine où il a vécu jusqu'à l'âge de 23 ans. Ainsi, il n'établit pas que la mesure d'éloignement prononcée à son encontre porte à son droit au respect de sa vie privée et familiale en France une atteinte disproportionnée au regard des buts poursuivis. Par suite, la décision portant obligation de quitter le territoire français ne méconnait pas les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

12. En dernier lieu, pour les mêmes motifs que ceux exposés au point précédent, il ne ressort d'aucune des pièces du dossier que le préfet de la Haute-Garonne aurait entaché sa décision d'une erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences de sa situation sur la situation personnelle et familiale de l'intimé.

S'agissant de la décision fixant les pays de destination :

13. En premier lieu, la décision portant obligation de quitter le territoire français n'étant pas entachée d'illégalité ainsi qu'il vient d'être exposé ci-dessus, le moyen tiré du défaut de base légale de la décision fixant le pays de destination ne peut qu'être écarté.

14. En deuxième lieu, aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ". Aux termes du dernier alinéa de l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950. ".

15. M. B... soutient qu'il encourt des risques de persécutions en cas de retour dans son pays d'origine en raison de ses origines kurdes et de son soutien au parti des travailleurs du Kurdistan (PKK). Toutefois, il ne ressort pas des pièces du dossier que les faits dont l'intéressé se prévaut sont différents de ceux qu'il a déjà exposés devant l'Office français de protection des réfugiés et apatrides et la Cour nationale du droit d'asile., ces instances ayant, au demeurant, rejeté sa demande d'asile respectivement les 12 mars 2021 et 11 avril 2023. Par ailleurs, M. B... n'apporte, dans la présente instance, aucun élément circonstancié permettant d'établir le caractère réel et actuel des risques auxquels il serait personnellement et effectivement exposé en cas de retour en Turquie. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et des dispositions de l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doit être écarté.

16. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de la Haute-Garonne est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement du 11 août 2023, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Toulouse a annulé l'arrêté du 26 mai 2023 et a mis à la charge de l'Etat une somme de 1 250 euros à verser au conseil de M. B... sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Sur les frais liés au litige :

17. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante en l'espèce, une somme quelconque au titre des frais exposés par M. B... et non compris dans les dépens.

D E C I D E :

Article 1er : Les articles 2 et 3 du jugement du magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Toulouse du 11 août 2023 sont annulés.

Article 2 : La demande présentée par M. B... devant le tribunal administratif de Toulouse et ses conclusions d'appel sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur, à M. A... B... et à Me Cohen.

Copie en sera adressée au préfet de la Haute-Garonne.

Délibéré après l'audience du 27 mai 2025, à laquelle siégeaient :

M. Chabert, président,

M. Teulière, président-assesseur,

Mme Lasserre, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 12 juin 2025.

Le président,

D. Chabert

La rapporteure,

N. Lasserre

La greffière,

N. Baali

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N° 23TL02319 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de TOULOUSE
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 23TL02319
Date de la décision : 12/06/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. Chabert
Rapporteur ?: Mme Nathalie Lasserre
Rapporteur public ?: M. Diard
Avocat(s) : COHEN

Origine de la décision
Date de l'import : 14/06/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-06-12;23tl02319 ?
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