Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société civile d'exploitation agricole Asinerie des Bassettes a demandé au tribunal administratif de Montpellier, d'une part, d'annuler les décisions des 16 janvier et 27 février 2018 par lesquelles le Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres a explicitement puis implicitement refusé de consentir à la constitution d'une servitude de passage grevant la parcelle cadastrée section AM n° 211 située à Port-Vendres au bénéfice des parcelles cadastrées section AM n°s 239 et 240 dont cette société est propriétaire et, d'autre part, de condamner cet établissement public à lui verser une indemnité 30 000 euros en réparation du préjudice qu'elle estime subir du fait de l'enclavement de ses parcelles.
Par un jugement n° 2104568 du 12 mai 2023, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté ses demandes.
Procédure devant la cour :
Par une ordonnance n° 23MA01714 du 10 juillet 2023, enregistrée le même jour au greffe de la cour, la présidente de la cour administrative d'appel de Marseille a transmis à la cour, en application de l'article R. 351-3 du code de justice administrative, la requête présentée par la société civile d'exploitation agricole Asinerie des Bassettes.
Par cette requête, enregistrée au greffe de la cour administrative d'appel de Marseille, le 5 juillet 2023, la société civile d'exploitation agricole (SCEA) Asinerie des Bassettes, représentée par Me Cohen, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Montpellier du 12 mai 2023 ;
2°) d'annuler les décisions des 16 janvier et 27 février 2018 par lesquelles le Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres a explicitement puis implicitement refusé de consentir à la constitution d'une servitude de passage grevant la parcelle cadastrée section AM n° 211 située à Port-Vendres au bénéfice des parcelles cadastrées section AM n°s 239 et 240 dont elle est propriétaire ;
3°) d'enjoindre au Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres de constituer une servitude de passage grevant la parcelle cadastrée section AM n° 211 dont il est propriétaire en établissant, si nécessaire, un acte conventionnel dès la notification de l'arrêt à intervenir et sous astreinte de 500 euros par jour de retard ;
4°) à titre subsidiaire, de surseoir à statuer sur la requête et d'ordonner avant-dire droit, dans l'hypothèse où la cour ne retiendrait pas l'existence d'une servitude de passage acquise par prescription trentenaire, une expertise en vue d'examiner la situation des lieux, les titres de propriété de chacune des parcelles concernées et, en l'absence de titre instituant une servitude de passage, de relever les éléments relatifs à son état d'enclave, de déterminer le tracé le plus court de la servitude de passage devant grever la parcelle cadastrée section AM n° 211 ainsi que le montant de l'indemnité dont elle pourrait être redevable du fait du service rendu par cette servitude ;
5°) de condamner le Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres à lui verser une indemnité de 30 000 euros en réparation du préjudice qu'elle estime avoir subi de fait de la résistance abusive de cet établissement public, lequel la prive d'un accès à ses parcelles agricoles en vue de les exploiter ;
6°) de mettre à la charge du Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres les dépens de l'instance ainsi qu'une somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
En ce qui concerne l'état d'enclavement des parcelles cadastrées section AM n°s 239 et 240 :
- les parcelles de vigne cadastrées section AM n°s 239 et 240 dont elle est propriétaire sont enclavées en ce qu'elles ne disposent d'aucun accès en propre à la voie publique pour permettre leur exploitation agricole, le Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres admettant tolérer le passage sur la parcelle mitoyenne cadastrée section AM n° 211 dont il est propriétaire ;
En ce qui concerne la naissance d'une servitude de passage par prescription acquisitive :
- ainsi que cela ressort du témoignage d'un ouvrier agricole affecté aux vendanges depuis l'année 1980 sur les parcelles cadastrées section AM n°s 239 et 240, un passage effectif et continu s'opère depuis plus de trente ans au bénéfice de plusieurs générations à travers la parcelle cadastrée section AM n° 211, dite " place de la pelle ", permettant aux vignerons de stationner leurs véhicules et d'accéder à leurs vignes ; selon ce même témoignage, l'accès à ces deux parcelles s'est toujours fait et ne peut se faire depuis la route départementale qu'en traversant la parcelle cadastrée section AM n° 211 ;
- elle dispose, à l'instar des autres propriétaires des parcelles voisines, d'une carte magnétique délivrée par les services municipaux de Port-Vendres lui permettant de commander une borne permettant l'accès au chemin de terre du Fourrat, lequel dessert ses terres en traversant la parcelle cadastrée section AM n° 211 ;
- elle peut se prévaloir d'un droit de passage pour cause d'enclave acquis par prescription acquisitive en raison du caractère continu, ininterrompu, paisible et public du passage qu'elle exerce sur la parcelle cadastrée section AM n° 211 pour accéder à ses parcelles de vigne, le Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres ayant toujours toléré ce passage sans s'y opposer, y compris jusqu'à ce jour ;
- en soutenant qu'il existerait d'autres possibilités pour accéder aux parcelles cadastrées section AM n°s 239 et 240, le Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres reconnaît néanmoins l'état d'enclavement de ces parcelles ;
- le tracé passant par la parcelle cadastrée section AM n° 211 est le plus court, le moins dommageable et le seul possible dès lors que les solutions alternatives proposées par le Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres ne sont pas adaptées :
* l'accès à travers les parcelles cadastrées section n°s AM 725 et 720 reviendrait à grever deux parcelles d'une servitude plutôt qu'une seule alors que les dispositions de l'article 683 du code civil prévoient que le passage doit être pris du côté du trajet le plus court du fonds enclavé à la voie publique à l'endroit le moins dommageable sur le fonds servant ;
* l'accès depuis la parcelle cadastrée section AM n° 225 reviendrait à arracher des vignes sur une parcelle agricole en vue de réaliser un passage très long sur cette parcelle et de surcroît distant de plusieurs kilomètres du terrain à désenclaver ;
* à l'inverse, le passage à travers la parcelle domaniale cadastrée section AM n° 211 est le plus simple et le plus court dès lors qu'il ne nécessite aucune démolition d'ouvrage ou de plantation ni réalisation de travaux particuliers hormis l'ajout de terre pour faciliter le passage ; en outre, cette parcelle n'a aucune destination agricole et ne comporte aucun bâti de sorte que son affectation s'en trouve inchangée ;
* les propriétés bâties édifiées sur les parcelles cadastrées section AM n° 244 et 245 ne sont accessibles qu'à partir de la parcelle cadastrée section AM n° 211, tandis que cette parcelle ne sert qu'au stationnement et fait office de terrain de pétanque ; l'accès par ces deux parcelles implique nécessairement de transiter au préalable par la parcelle cadastrée section AM n° 211 ;
- le fossé séparant les parcelles en litige, dont se prévaut le Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres, ne constitue pas un obstacle dès lors qu'il n'est pas profond et que la limite entre ces fonds n'est pas matérialisée par un fossé.
En ce qui concerne la constitution d'une servitude conventionnelle sur le fondement de l'article L. 2122-4 du code général de la propriété des personnes publiques :
- contrairement à ce que soutient le Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres, il est désormais possible de constituer des servitudes conventionnelles de passage sur le domaine public depuis l'entrée en vigueur de l'article L. 2122-4 du code général de la propriété des personnes publiques en 2006 ;
- elle est fondée à solliciter un droit de passage à travers la parcelle cadastrée section AM n° 211 dès lors qu'il s'agit du seul accès possible à ses parcelles de vigne, le plus direct et le moins dommageable pour les parcelles avoisinantes ;
- c'est à tort que le tribunal a jugé qu'elle n'apportait aucun élément relatif à l'existence d'un accès alternatif alors que le propriétaire des parcelles cadastrées section AM n° 244 et 245, sur lesquelles sont construites des maisons d'habitations, lui refuse un droit de passage ; en tout état de cause, à supposer que ce propriétaire lui accorde un droit de passage, celui-ci ne pourrait s'exercer qu'à travers la parcelle cadastrée section AM n° 211 ;
- le Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres ne démontre pas que l'établissement d'une servitude de passage en vue de désenclaver des parcelles à usage purement agricole serait incompatible avec l'affectation domaniale de la parcelle cadastrée section AM n° 211 ; sur ce point, le tribunal s'est borné à relever que cette parcelle faisait l'objet d'un aménagement paysager et d'une valorisation patrimoniale sans préciser la teneur de ce projet ; or le maintien d'une activité agricole dans le secteur de l'anse de Paulilles, laquelle participe à la diversité naturelle du littoral, est de nature à préserver le caractère naturel de ce site et à permettre au Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres de poursuivre son objectif de préservation du littoral et de conservation de la faune et de la flore.
Par un mémoire en défense, enregistré le 30 avril 2025, le Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres, représenté par Me Compoint, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 2 500 euros soit mise à la charge de la société civile d'exploitation agricole Asinerie des Bassettes au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient, en se référant à ses écritures de première instance, que :
- à titre principal, la requête est irrecevable dès lors, d'une part, que le courriel du 16 janvier 2018, qui se borne à rappeler une simple situation de fait, ne constitue pas une décision faisant grief susceptible de recours et, d'autre part, que les conclusions à fin d'indemnisation n'ont pas été précédées d'une demande préalable destinée à lier le contentieux ;
- les principes d'inaliénabilité et d'imprescriptibilité du domaine public font obstacle à la constitution d'une servitude pour cause d'enclave ;
- eu égard à la topographie des lieux et à l'existence d'un fossé destiné à l'écoulement des eaux pluviales, aucun passage n'est matériellement possible entre les fonds en litige ;
- l'état d'enclave des parcelles cadastrées section AM 239 et 240 n'est pas établi et il existe d'autres possibilités de desserte de ces terrains ;
- les prétentions indemnitaires de la société appelante ne sont pas justifiées.
Un mémoire, produit pour la SCEA Asinerie des Bassettes, a été enregistré le 13 mai 2025 à 14 heures 57, soit postérieurement à l'émission, le même jour à 10 heures 03, de l'ordonnance prononçant la clôture de l'instruction avec effet immédiat, prise en application des articles R. 611-11-1 et R. 613-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de procédure civile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme El Gani-Laclautre, première conseillère ;
- les conclusions de Mme Perrin, rapporteure publique ;
- et les observations de Me Compoint, représentant le Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres.
Considérant ce qui suit :
1. La société civile d'exploitation agricole (SCEA) Asinerie des Bassettes est propriétaire des parcelles agricoles cadastrées section AM n° 239 et n° 240, situées sur le territoire de la commune de Port-Vendres (Pyrénées-Orientales). Ces parcelles, à usage de vigne, d'une superficie respective de 12,35 ares et 17,46 ares, sont mitoyennes avec la parcelle cadastrée section AM n° 211 dont le Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres est propriétaire. Saisi par un courriel du notaire de la SCEA Asinerie des Bassettes du 11 janvier 2018 d'une demande tendant à la constitution d'une servitude de passage sur la parcelle cadastrée section AM n° 211, en vue de permettre à la SCEA Asinerie des Bassettes d'accéder à ses parcelles de vignes, le Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres l'a rejetée par un courriel du 16 janvier 2018. Par une lettre du 27 février 2018, le conseil de la SCEA Asinerie des Bassettes a saisi cet établissement public d'une demande tendant aux mêmes fins. Le silence gardé sur cette demande a fait naître une décision implicite de rejet. Par un jugement du 12 mai 2023, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté la demande de la SCEA Asinerie des Bassettes tendant à l'annulation des décisions explicite et implicite précitées par lesquelles le Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres a rejeté ses demandes tendant à la constitution d'une servitude de passage grevant le fonds cadastré section AM n° 211 et à la condamnation de cet établissement public à lui verser une indemnité de 30 000 euros en réparation du préjudice qu'elle estime subir du fait de l'état d'enclavement de sa propriété. La SCEA Asinerie des Bassettes relève appel de ce jugement.
Sur les conclusions à fin d'indemnisation :
2. Aux termes de l'article R. 421-1 du code de justice administrative : " La juridiction ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision (...). / Lorsque la requête tend au paiement d'une somme d'argent, elle n'est recevable qu'après l'intervention de la décision prise par l'administration sur une demande préalablement formée devant elle ". La condition tenant à l'existence d'une décision de l'administration doit être regardée comme remplie si, à la date à laquelle le juge statue, l'administration a pris une décision, expresse ou implicite, sur une demande formée devant elle, régularisant ce faisant la requête.
3. En l'absence de toute décision du Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres rejetant une demande indemnitaire préalable de la SCEA Asinerie des Bassettes, les conclusions à fin d'indemnisation présentées par cette dernière sont irrecevables. Par suite, c'est à bon droit que le tribunal administratif de Montpellier a accueilli la fin de non-recevoir opposée en défense.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
4. Aux termes de l'article 789 du code de procédure civile, dans sa rédaction applicable au litige : " Lorsque la demande est présentée postérieurement à sa désignation, le juge de la mise en état est, jusqu'à son dessaisissement, seul compétent, à l'exclusion de toute autre formation du tribunal, pour : / 1° Statuer sur les exceptions de procédure, les demandes formées en application de l'article 47 et les incidents mettant fin à l'instance ; Les parties ne sont plus recevables à soulever ces exceptions et incidents ultérieurement à moins qu'ils ne surviennent ou soient révélés postérieurement au dessaisissement du juge(...) /. Les parties ne sont plus recevables à soulever ces fins de non-recevoir au cours de la même instance à moins qu'elles ne surviennent ou soient révélées postérieurement au dessaisissement du juge de la mise en état ". Aux termes de l'article 794 du même code de procédure civile dans sa rédaction applicable au litige : " Les ordonnances du juge de la mise en état n'ont pas, au principal, l'autorité de la chose jugée à l'exception de celles statuant sur les exceptions de procédure, sur les fins de non-recevoir, sur les incidents mettant fin à l'instance et sur la question de fond tranchée en application des dispositions du 6° de l'article 789 ". Il résulte de ces dispositions que les ordonnances du magistrat de la mise en état statuant sur les exceptions de procédure, qu'elles mettent ou non fin à l'instance, sont revêtues, au principal, de l'autorité de la chose jugée.
5. Aux termes du premier alinéa de l'article R. 421-1 du code de justice administrative : " La juridiction ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision, et ce, dans les deux mois à partir de la notification ou de la publication de la décision attaquée ". L'article R. 421-5 de ce code dispose que : " Les délais de recours contre une décision administrative ne sont opposables qu'à la condition d'avoir été mentionnés, ainsi que les voies de recours, dans la notification de la décision ".
6. Aux termes de l'article L. 112-3 du code des relations entre le public et l'administration : " Toute demande adressée à l'administration fait l'objet d'un accusé de réception ". L'article R. 112-5 du même code dispose que : " L'accusé de réception prévu par l'article L. 112-3 comporte les mentions suivantes : / 1° La date de réception de la demande et la date à laquelle, à défaut d'une décision expresse, celle-ci sera réputée acceptée ou rejetée ; (...) / Il indique si la demande est susceptible de donner lieu à une décision implicite de rejet ou à une décision implicite d'acceptation. Dans le premier cas, l'accusé de réception mentionne les délais et les voies de recours à l'encontre de la décision (...) ". L'article L. 112-6 de ce code précise que : " Les délais de recours ne sont pas opposables à l'auteur d'une demande lorsque l'accusé de réception ne lui a pas été transmis ou ne comporte pas les indications exigées par la réglementation (...) ".
7. Il résulte de ces dispositions que lorsque l'accusé de réception délivré par l'administration à l'auteur d'une demande ne comporte pas les mentions requises, le délai de recours contentieux de deux mois n'est pas opposable. Il en va de même, a fortiori, lorsque l'administration omet de délivrer cet accusé de réception.
8. Toutefois, le principe de sécurité juridique, qui implique que ne puissent être remises en cause sans condition de délai des situations consolidées par l'effet du temps, fait obstacle à ce que puisse être contestée indéfiniment une décision administrative individuelle qui a été notifiée à son destinataire, ou dont il est établi, à défaut d'une telle notification, que celui-ci a eu connaissance. En une telle hypothèse, si le non-respect de l'obligation d'informer l'intéressé sur les voies et les délais de recours, ou l'absence de preuve qu'une telle information a bien été fournie, ne permet pas que lui soient opposés les délais de recours fixés par le code de justice administrative, le destinataire de la décision ne peut exercer de recours juridictionnel au-delà d'un délai raisonnable. En règle générale et sauf circonstances particulières dont se prévaudrait le requérant, ce délai ne saurait, sous réserve de l'exercice de recours administratifs pour lesquels les textes prévoient des délais particuliers, excéder un an à compter de la date à laquelle une décision expresse lui a été notifiée ou de la date à laquelle il est établi qu'il en a eu connaissance.
9. Les règles énoncées au point précédent, relatives au délai raisonnable au-delà duquel le destinataire d'une décision ne peut exercer de recours juridictionnel, qui ne peut en règle générale excéder un an sauf circonstances particulières dont se prévaudrait le requérant, sont également applicables à la contestation d'une décision implicite de rejet née du silence gardé par l'administration sur une demande présentée devant elle, lorsqu'il est établi que le demandeur a eu connaissance de la décision. La preuve d'une telle connaissance ne saurait résulter du seul écoulement du temps depuis la présentation de la demande. Elle peut en revanche résulter de ce qu'il est établi, soit que l'intéressé a été clairement informé des conditions de naissance d'une décision implicite lors de la présentation de sa demande, soit que la décision a par la suite été expressément mentionnée au cours de ses échanges avec l'administration, notamment à l'occasion d'un recours gracieux dirigé contre cette décision. Le demandeur, s'il n'a pas été informé des voies et délais de recours dans les conditions prévues par les textes cités au point 6, dispose alors, pour saisir le juge, d'un délai raisonnable qui court, dans la première hypothèse, de la date de naissance de la décision implicite et, dans la seconde, de la date de l'événement établissant qu'il a eu connaissance de la décision.
10. Ce délai raisonnable est opposable au destinataire de la décision lorsqu'il saisit la juridiction judiciaire, alors que la juridiction administrative était compétente, dès lors qu'il a introduit cette instance avant son expiration. Ce requérant est ensuite recevable à saisir la juridiction administrative jusqu'au terme d'un délai de deux mois à compter de la notification ou de la signification de la décision par laquelle la juridiction judiciaire s'est, de manière irrévocable, déclarée incompétente.
11. Enfin, une seconde décision dont l'objet est le même que la première revêt un caractère confirmatif dès lors que ne s'est produit, entre temps, aucun changement dans les circonstances de droit ou de fait de nature à emporter des conséquences sur l'appréciation des droits ou prétentions en litige. L'intervention d'une telle décision n'est donc pas de nature à proroger le délai de recours contentieux.
12. Il ressort des pièces du dossier que le Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres n'a pas assorti sa décision contenue dans le courriel du 16 janvier 2018 de la mention des délais et voies de recours et n'a pas davantage délivré d'accusé de réception à la demande de la SCEA Asinerie des Bassettes dans les conditions prévues par les dispositions précitées des articles L. 112-3 et R. 112-5 du code des relations entre le public et l'administration. Toutefois, la SCEA Asinerie des Bassettes doit être regardée comme ayant eu connaissance de la décision du 16 janvier 2018 au plus tard le 27 février 2018, date à laquelle elle a adressé une nouvelle demande tendant à la constitution d'une servitude de passage sur la parcelle cadastrée section AM n° 211, laquelle mentionnait explicitement la décision précitée du 16 janvier 2018. Par ailleurs, elle est réputée avoir eu connaissance de la décision implicite de rejet née du silence gardé par l'autorité administrative sur cette seconde demande du 27 février 2018 au plus tard le 2 décembre 2019, date à laquelle elle a assigné le Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres devant le tribunal de grande instance de Perpignan par exploit d'huissier aux fins de dire et juger que ses parcelles sont enclavées et doivent bénéficier d'une servitude de passage sur la parcelle cadastrée section AM n° 211. En vertu du principe rappelé au point 11, la décision implicite de rejet opposée à la demande présentée par lettre du 27 février 2018, qui a le même objet que la décision expresse de rejet du 16 janvier 2018, et qui est intervenue dans le même contexte de droit et de fait, doit être regardée comme étant purement confirmative et ne saurait, dès lors, avoir pour effet de proroger le délai de recours contentieux. Il en résulte que le délai raisonnable d'un an dont disposait la SCEA Asinerie des Bassettes pour contester la décision du Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres du 16 janvier 2018 a commencé à courir au plus tard le 27 février 2018, et non à compter de la date à laquelle cette société a eu connaissance de la décision implicite de rejet précitée.
13. Or, il ressort des pièces du dossier que ce n'est que le 2 décembre 2019 que la SCEA Asinerie des Bassettes a assigné, par exploit d'huissier, le Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres devant le tribunal judiciaire de Perpignan dont le juge de la mise en état a, par une ordonnance du 25 mars 2021 devenue irrévocable, et dont une copie certifiée conforme a été délivrée aux parties le 29 mars 2021, a déclaré le tribunal judiciaire de Perpignan incompétent pour connaître du litige au profit du juge administratif. Dans ces conditions, le délai raisonnable d'un an pour exercer un recours contentieux, qui avait commencé à courir le 27 février 2018, était expiré avant même la saisine de l'ordre judiciaire ainsi que l'a opposé l'établissement public devant le tribunal.
14. En tout état de cause, à supposer même que la SCEA Asinerie des Bassettes ait saisi le tribunal judiciaire de Perpignan dans le délai raisonnable d'un an pour contester la décision contenue dans le courriel du 16 janvier 2018 et la décision implicite de rejet opposée à sa demande du 27 février 2018, il résulte des dispositions et du principe rappelés aux points 5 et 10 que cette société disposait d'un nouveau délai de deux mois à compter de la notification ou de la signification de la décision par laquelle la juridiction judiciaire s'est, de manière irrévocable, déclarée incompétente. Sur ce point, il ressort des pièces du dossier qu'une copie certifiée conforme à l'original de l'ordonnance du juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Perpignan du 25 mars 2021, laquelle bénéficie de l'autorité de la chose jugée au principal, a été délivrée le 29 mars 2021 à l'ensemble des parties, tandis qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que cette ordonnance ait donné lieu à l'exercice d'une voie de recours pas plus qu'il n'est allégué que l'instance se serait poursuivie au fond devant le tribunal judiciaire de Perpignan. Par suite, l'ordonnance du juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Perpignant du 21 mars 2021 doit, en tout état de cause, être regardée comme la décision par laquelle la juridiction judiciaire s'est, de manière irrévocable, déclarée incompétente. Or, la demande présentée par la SCEA Asinerie des Bassettes devant le tribunal administratif de Montpellier n'ayant été enregistrée que le 2 septembre 2021, soit au-delà du délai de deux mois à compter de la signification de l'ordonnance précitée, elle est également tardive pour ce second motif.
15. Par suite, il y a lieu d'accueillir la fin de non-recevoir opposée en défense par le Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres dans ses écritures de première instance et de rejeter la demande présentée par la SCEA Asinerie des Bassettes en raison de sa tardiveté du fait de l'expiration du délai raisonnable d'un an.
16. Il résulte de tout ce qui précède que, sans qu'il soit besoin d'ordonner avant-dire droit une expertise ni de se prononcer sur la fin de non-recevoir tirée de l'absence de décision faisant grief, la SCEA Asinerie des Bassettes n'est pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
17. Le présent arrêt, qui confirme le rejet de la demande de la SCEA Asinerie des Bassettes par le tribunal n'implique aucune mesure d'exécution au titre des articles L. 911-1 et suivants du code de justice administrative. Par suite, les conclusions à fin d'injonction présentées par la société appelante doivent être rejetées.
Sur les frais liés au litige :
18. La présente instance n'ayant pas donné à l'exposition de dépens, les conclusions présentées à ce titre par la SCEA Asinerie des Bassettes doivent être rejetées.
19. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge du Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme demandée par la SCEA Asinerie des Bassettes au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.
20. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la SCEA Asinerie des Bassettes la somme demandée par le Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres au même titre.
DÉCIDE:
Article 1 : La requête de la SCEA Asinerie des Bassettes est rejetée.
Article 2 : Les conclusions du Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société civile d'exploitation agricole Asinerie des Bassettes et au Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres.
Délibéré après l'audience du 27 mai 2025, à laquelle siégeaient :
M. Faïck, président,
M. Bentolila, président-assesseur,
Mme El Gani-Laclautre, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 10 juin 2025.
La rapporteure,
N. El Gani-LaclautreLe président,
F. Faïck
La greffière,
C. Lanoux
La République mande et ordonne à la ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 23TL01643