Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. C... A... a demandé au tribunal administratif de Montpellier d'annuler l'arrêté du 22 septembre 2022 par lequel le préfet de l'Hérault a refusé de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour portant la mention " bénéfice de la protection temporaire ", d'enjoindre au préfet de l'Hérault de lui accorder le bénéfice de la protection temporaire et de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour dans un délai de sept jours à compter de la notification du jugement à intervenir ou, à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation dans un délai d'un mois à compter du jugement à intervenir et de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros à verser à son conseil au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Par un jugement n°2205113 du 16 mai 2024, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 26 novembre 2024, M. C... A..., représenté par Me Ruffel, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Montpellier du 16 mai 2024 ;
2°) d'annuler l'arrêté du 22 septembre 2022 par lequel le préfet de l'Hérault a refusé renouveler son autorisation provisoire de séjour portant la mention " bénéficiaire de la protection temporaire " ;
3°) d'enjoindre au préfet de l'Hérault de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour dans un délai de deux mois à compter de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour ou, à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation, dans les mêmes conditions de délai et d'astreinte ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros à verser à son conseil au titre des articles L. 761-1 du code de justice et 37 et 75 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- l'arrêté litigieux a été signé par une autorité incompétente ; l'arrêté du préfet de l'Hérault portant délégation de signature à Mme B... ne vise ni les décisions de refus de bénéfice de la protection temporaire, ni les décisions de refus de délivrance des autorisations provisoires de séjour portant la mention " bénéficiaire de la protection temporaire " ;
- il est entaché d'une erreur de droit au regard de l'article L. 581-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ces dispositions prévoyant une simple faculté pour l'administration d'exclure du bénéfice de la protection temporaire les étrangers dont la présence en France constitue une menace pour l'ordre public ;
- il est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation dès lors que contrairement à ce qu'a retenu le préfet, sa présence en France ne représente pas de menace pour l'ordre public ;
- il méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Par un mémoire en défense, enregistré le 10 février 2025, le préfet de l'Hérault conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir qu'aucun des moyens invoqués n'est fondé.
Par une ordonnance du 10 février 2025, la clôture d'instruction a été fixée au 4 mars 2025 à 12 heures.
M. A... a produit des pièces le 4 mars 2025, qui n'ont pas été communiquées.
M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 27 septembre 2024.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la directive 2001/55/CE du Conseil du 20 juillet 2001 ;
- la décision d'exécution (UE) 2022/382 du Conseil du 4 mars 2022 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n°91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Le rapport de Mme Hélène Bentolila, conseillère, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., ressortissant ukrainien né le 28 avril 1969 à Kiev (Ukraine), déclare être entré en France le 18 mars 2022. Le 25 mars 2022, il s'est vu délivrer une autorisation provisoire de séjour valable jusqu'au 24 septembre 2022 en qualité de bénéficiaire de la protection temporaire, en application des articles L. 581-3 et R. 581-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Le 14 septembre 2022, il a demandé le renouvellement de cette autorisation provisoire de séjour. Par un arrêté du 22 septembre 2022, le préfet de l'Hérault a refusé de faire droit à cette demande au motif que sa présence sur le territoire français représentait une menace pour l'ordre public. M. A... relève appel du jugement du 16 mai 2024 par lequel le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur le bien-fondé du jugement :
2. Aux termes de l'article 5 de la directive 2001/55/CE du Conseil du 20 juillet 2001 relative à des normes minimales pour l'octroi d'une protection temporaire en cas d'afflux massif de personnes déplacées et à des mesures tendant à assurer un équilibre entre les efforts consentis par les États membres pour accueillir ces personnes et supporter les conséquences de cet accueil : " 1. L'existence d'un afflux massif de personnes déplacées est constatée par une décision du Conseil (...) / (...) / 3. La décision du Conseil a pour effet d'entraîner, à l'égard des personnes déplacées qu'elle vise, la mise en œuvre dans tous les États membres de la protection temporaire conformément aux dispositions de la présente directive (...) ". Aux termes du paragraphe 1 de l'article 8 de la même directive : " Les États membres adoptent les mesures nécessaires afin que les bénéficiaires disposent de titres de séjour pendant toute la durée de la protection temporaire. Des documents ou d'autres pièces justificatives équivalentes sont délivrés à cette fin ". Selon l'article 12 de cette directive : " Les États membres autorisent, pour une période ne dépassant pas la durée de la protection temporaire, les personnes qui en bénéficient à exercer une activité salariée ou non salariée, sous réserve des règles applicables à la profession choisie (...) ".
3. Par ailleurs, aux termes de l'article 1er de la décision d'exécution (UE) 2022/382 du Conseil du 4 mars 2022 constatant l'existence d'un afflux massif de personnes déplacées en provenance d'Ukraine, au sens de l'article 5 de la directive du 20 juillet 2001, et ayant pour effet d'introduire une protection temporaire : " L'existence d'un afflux massif dans l'Union de personnes déplacées qui ont dû quitter l'Ukraine en raison d'un conflit armé est constatée ". Aux termes de l'article 2 de cette décision : " 1. La présente décision s'applique aux catégories suivantes de personnes déplacées d'Ukraine le 24 février 2022 ou après cette date, à la suite de l'invasion militaire par les forces armées russes qui a commencé à cette date : / a) les ressortissants ukrainiens résidant en Ukraine avant le 24 février 2022 ; / (...) ".
4. Pour assurer la transposition des objectifs de la directive précitée 2001/55/CE, l'article L. 581-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile prévoit que le bénéfice du régime de la protection temporaire " est ouvert aux étrangers selon les modalités déterminées par la décision du Conseil de l'Union européenne mentionnée à l'article 5 de la directive 2001/55/CE du Conseil du 20 juillet 2001, définissant les groupes spécifiques de personnes auxquelles s'applique la protection temporaire (...) ". Selon l'article L. 581-3 du même code : " L'étranger appartenant à un groupe spécifique de personnes visé par la décision du Conseil mentionnée à l'article L. 581-2 bénéficie de la protection temporaire à compter de la date mentionnée par cette décision. Il est mis en possession d'un document provisoire de séjour assorti, le cas échéant, d'une autorisation provisoire de travail. Ce document provisoire de séjour est renouvelé tant qu'il n'est pas mis fin à la protection temporaire (...) ". Aux termes de l'article R. 581-4 de ce code : " (...) le bénéficiaire de la protection temporaire est mis en possession d'une autorisation provisoire de séjour valable six mois portant la mention "bénéficiaire de la protection temporaire". / L'autorisation provisoire de séjour est renouvelée automatiquement pendant toute la durée de la protection temporaire définie au deuxième alinéa de l'article L. 581-3 (...). / Cette autorisation provisoire de séjour ouvre droit à l'exercice d'une activité professionnelle ". L'article L. 581-5 du même code dispose toutefois : " Un étranger peut être exclu du bénéfice de la protection temporaire dans les cas suivants : / (...) 2° Sa présence en France constitue une menace pour l'ordre public, la sécurité publique ou la sûreté de l'Etat ". Enfin, aux termes de l'article R. 581-5 du même code : " Sans préjudice des dispositions du troisième alinéa de l'article L. 581-3, l'autorisation provisoire de séjour est refusée ou retirée ou son renouvellement est refusé si l'étranger est exclu du bénéfice de la protection temporaire sur le fondement de l'article L. 581-5. ".
5. En premier lieu, par un arrêté n°2022.08.DRCL.340, publié au recueil des actes administratifs spécial de la préfecture n°119 du 30 août 2022, le préfet de l'Hérault a donné délégation à Mme D..., adjointe à la cheffe du bureau de l'asile, du contentieux et de l'éloignement et cheffe de la section asile de la préfecture, à l'effet de signer " en matière d'asile " les attestations pour les demandeurs d'asile, les récépissés pour les demandeurs d'asile, les refus de délivrance d'attestation pour les demandeurs d'asile et les récépissés de demandes de titres de séjour ainsi que les titres de séjour pour les réfugiés, bénéficiaires de la protection subsidiaire et les apatrides. Si, ainsi que le soutient M. A..., cet arrêté ne mentionne pas expressément les décisions portant refus de délivrance ou de renouvellement des autorisations provisoires de séjour portant la mention " bénéficiaire de la protection temporaire ", il résulte de ses termes qu'elle a pour objet de régir l'intégralité des décisions individuelles concernant le séjour demandeurs d'asile. Les régimes applicables d'une part aux bénéficiaires de la protection temporaire, dispositif ayant été mis en œuvre pour la première fois par la décision précitée du Conseil du 4 mars 2022, et d'autre part aux demandeurs d'asile, présentant des garanties proches, il y a lieu de regarder l'arrêté du préfet de l'Hérault portant délégation de signature à Mme B... comme incluant les décisions portant refus de délivrance et de renouvellement des autorisations provisoires de séjour portant la mention " bénéficiaire de la protection temporaire ", prises en application des dispositions précitées de l'article R. 581-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence de la signataire de l'arrêté litigieux doit être écarté.
6. En deuxième lieu, pour refuser de faire droit à la demande de M. A... tendant au renouvellement de l'autorisation provisoire de séjour qu'il détenait en qualité de bénéficiaire de la protection temporaire, le préfet de l'Hérault a considéré que sa présence sur le territoire français représentait une menace pour l'ordre public. A ce titre, il ressort des pièces du dossier que, par une ordonnance d'homologation du président du tribunal judiciaire de Béziers du 22 août 2022, l'intéressé a été condamné à une peine de trois mois d'emprisonnement délictuel assortie d'un sursis probatoire pendant un délai de dix-huit mois pour avoir, le 20 août 2022, commis des violences volontaires ayant entraîné une incapacité totale de travail de sept jours sur son épouse et la mère de cette dernière, alors qu'il se trouvait en état d'ivresse manifeste. Si M. A... se prévaut du caractère isolé de cet acte et des regrets qu'il a pu exprimer, il ressort toutefois des pièces du dossier, et notamment du procès-verbal d'audition de son épouse que bien que les violences physiques pour lesquelles il a été condamné présentent effectivement un caractère isolé, en revanche, les violences verbales exercées sur sa conjointe ont présenté un caractère quotidien durant environ un an et demi. En outre, les attestations établies par son épouse et la mère de cette dernière postérieurement à l'arrêté attaqué ne sauraient sérieusement remettre en cause les déclarations faites auprès des services de police concernant ces violences verbales et leur caractère répété. Compte tenu de ces éléments et du caractère récent, au jour de l'arrêté litigieux, des faits ayant donné à lieu à cette condamnation pénale, le préfet de l'Hérault n'a pas entaché sa décision d'une erreur d'appréciation au regard des dispositions précitées du 2° de l'article L. 581-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en refusant de renouveler son autorisation provisoire de séjour au motif que sa présence en France représentait une menace pour l'ordre public.
7. En troisième lieu, il ne ressort ni des termes de la décision attaquée ni d'aucune autre pièce du dossier que le préfet se serait estimé lié par le fait que M. A... constituait une menace pour l'ordre public pour refuser de renouveler son autorisation provisoire de séjour en qualité de bénéficiaire de la protection temporaire, en application des articles L. 581-5 et R. 581-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par suite, le moyen tiré de l'erreur de droit doit également être écarté.
8. En dernier lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ".
9. En l'espèce, il ressort des pièces du dossier que M. A... est entré sur le territoire français en mars 2022, de sorte que son séjour présentait un caractère récent au jour de l'arrêté litigieux. S'il se prévaut d'avoir exercé en France une activité professionnelle en tant que conducteur d'autobus ainsi que de la présence de son épouse et de la fille et la mère de cette dernière, eu égard aux violences dont il a été l'auteur, telles que décrites au point 6 du présent arrêt et de la menace qu'il représente pour l'ordre public le préfet de l'Hérault n'a pas porté une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale. En outre, s'il invoque la situation de conflit armé ayant lieu dans son pays d'origine, la décision litigieuse n'a ni pour objet, ni pour effet de l'obliger à quitter le territoire français pour rejoindre l'Ukraine. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations précitées de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté.
10. Il résulte de ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du préfet de l'Hérault du 22 septembre 2022. Par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction sous astreinte ainsi que celles relatives aux frais liés au litige doivent également être rejetées.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... A..., à Me Ruffel et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet de l'Hérault.
Délibéré après l'audience du 8 avril 2025, à laquelle siégeaient :
Mme Geslan-Demaret, présidente de chambre,
Mme Teuly-Desportes, présidente-assesseure,
Mme Bentolila, conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 6 mai 2025.
La rapporteure,
H. Bentolila
La présidente,
A. Geslan-Demaret La greffière,
M-M. Maillat
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N°24TL02957