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03/04/2025 | FRANCE | N°24TL00179

France | France, Cour administrative d'appel de TOULOUSE, 4ème chambre, 03 avril 2025, 24TL00179


Vu la procédure suivante :



Procédures contentieuses antérieures :



M. F... A... a demandé par deux requêtes au tribunal administratif de Montpellier, d'une part, d'annuler la décision par laquelle le préfet de l'Hérault a implicitement rejeté sa demande de titre de séjour " vie privée et familiale " et, d'autre part, d'annuler l'arrêté du 12 juin 2023 par lequel le préfet de l'Hérault a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans le délai de trente jours en fixant le pays de destina

tion, ensemble la décision implicite de rejet de son recours gracieux du 27 juin 2023 tendant...

Vu la procédure suivante :

Procédures contentieuses antérieures :

M. F... A... a demandé par deux requêtes au tribunal administratif de Montpellier, d'une part, d'annuler la décision par laquelle le préfet de l'Hérault a implicitement rejeté sa demande de titre de séjour " vie privée et familiale " et, d'autre part, d'annuler l'arrêté du 12 juin 2023 par lequel le préfet de l'Hérault a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans le délai de trente jours en fixant le pays de destination, ensemble la décision implicite de rejet de son recours gracieux du 27 juin 2023 tendant à l'annulation de cet arrêté.

Par un jugement nos 2201692, 2305674 du 21 décembre 2023, le tribunal administratif de Montpellier a annulé l'arrêté préfectoral du 12 juin 2023, ensemble la décision implicite de rejet opposée à son recours gracieux, en tant qu'ils refusent de délivrer à M. A... un titre de séjour en qualité de salarié et qu'il lui est fait obligation de quitter le territoire français, a enjoint au préfet de l'Hérault de procéder au réexamen de la demande de titre de séjour en qualité de salarié dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement, dans l'attente de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour et a rejeté le surplus des conclusions.

Mme C... E... épouse A... a également demandé au tribunal administratif de Montpellier d'annuler l'arrêté du 7 juin 2023 par lequel le préfet de l'Hérault a rejeté sa demande de titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans le délai de trente jours en fixant le pays de destination, ensemble la décision implicite de son recours gracieux du 27 juin 2023.

Par un jugement n° 2305045 du 21 décembre 2023, le tribunal administratif de Montpellier a annulé l'arrêté préfectoral du 7 juin 2023, ensemble la décision implicite de rejet implicite opposée à son recours gracieux, en tant qu'ils refusent de délivrer à Mme E... épouse A... un titre de séjour en qualité de salarié et lui fait obligation de quitter le territoire français, a enjoint au préfet de l'Hérault de procéder au réexamen de la demande de titre de séjour en qualité de salarié dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement, dans l'attente de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour et a rejeté le surplus des conclusions.

Procédures devant la cour :

I. Par une requête, enregistrée le 19 janvier 2024 sous le n° 24TL00179, le préfet de l'Hérault demande à la cour d'annuler le jugement nos 2201692, 2305674 du 21 décembre 2023.

Il soutient que c'est à tort que, pour annuler l'arrêté en litige ainsi que la décision implicite rejetant le recours gracieux formé à son encontre, tant qu'ils refusent de délivrer à M. A... un titre de séjour en qualité de salarié et lui fait obligation de quitter le territoire français, les premiers juges ont retenu le moyen tiré de l'erreur de droit alors qu'il pouvait en l'espèce se fonder sur l'absence de visa de long séjour pour refuser de lui délivrer ce titre de séjour.

Par un mémoire en défense, enregistré le 5 juillet 2024, M. A..., représenté par Me Ruffel, conclut :

1°) à titre principal, au rejet de la requête d'appel et à la confirmation du jugement du 21 décembre 2023 en tant qu'il annule l'arrêté en litige portant refus de titre de séjour " salarié " et obligation de quitter le territoire français ;

2°) par la voie de l'appel incident, à l'annulation du jugement attaqué en tant qu'il a rejeté le surplus de sa demande tendant à la délivrance d'un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " ;

3°) à ce qu'il soit enjoint au préfet de l'Hérault de réexaminer sa situation à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 200 euros par jour de retard ;

4°) à ce que soit mise à la charge de l'Etat une somme de 2 500 euros à verser à son conseil, au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 et 75 de la loi du 10 juillet 1991.

Il fait valoir que :

- le moyen soulevé par le préfet de l'Hérault n'est pas fondé, dès lors qu'il a sollicité un changement de statut en demandant son admission au séjour en qualité de salarié alors qu'il était en situation régulière et avait obtenu antérieurement un visa de régularisation valant visa de long séjour ;

- l'arrêté en litige est entaché d'un vice d'incompétence de son signataire ;

- l'arrêté méconnaît les dispositions de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation au regard de l'état de santé de sa fille ;

- en refusant de l'admettre au séjour et en l'obligeant à quitter le territoire français, le préfet a méconnu les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant ;

- les décisions en litige portent une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale en méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et sont entachées d'erreur manifeste d'appréciation.

Par ordonnance du 8 juillet 2024, la clôture d'instruction a été fixée au 29 juillet 2024.

M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 17 mai 2024.

II. Par une requête, enregistrée le 19 janvier 2024 sous le n° 24TL00180, le préfet de l'Hérault demande à la cour d'annuler le jugement n° 2305045 du 21 décembre 2023.

Il soutient que c'est à tort que, pour annuler en litige ainsi que la décision implicite rejetant le recours gracieux formé à son encontre, en tant qu'ils refusent de délivrer à Mme E... épouse A... un titre de séjour en qualité de salarié et lui fait obligation de quitter le territoire français les premiers juges, ont retenu le moyen tiré de l'erreur de droit alors qu'il pouvait en l'espèce se fonder sur l'absence de visa de long séjour pour refuser de lui délivrer ce titre de séjour.

Par un mémoire en défense, enregistré le 5 juillet 2024, Mme E..., épouse A..., représentée par Me Ruffel, conclut :

1°) à titre principal, au rejet de la requête d'appel et à la confirmation du jugement du 21 décembre 2023 en tant qu'il annule l'arrêté en litige portant refus de titre de séjour " salarié " et obligation de quitter le territoire français ;

2°) par la voie de l'appel incident, à l'annulation du jugement attaqué en tant qu'il a rejeté le surplus de sa demande tendant à la délivrance d'un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " ;

3°) à ce qu'il soit enjoint au préfet de l'Hérault de réexaminer sa situation à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 200 euros par jour de retard ;

4°) à ce que soit mise à la charge de l'Etat une somme de 2 500 euros à verser à son conseil, au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 et 75 de la loi du 10 juillet 1991.

Elle fait valoir que :

- le moyen soulevé par le préfet de l'Hérault n'est pas fondé, dès lors qu'elle a sollicité un changement de statut en demandant son admission au séjour en qualité de salariée alors qu'il était en situation régulière et avait obtenu antérieurement un visa de régularisation valant visa de long séjour ;

- l'arrêté en litige est entaché d'un vice d'incompétence de son signataire ;

- l'arrêté méconnaît les dispositions de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation au regard de l'état de santé de sa fille ;

- en refusant de l'admettre au séjour et en l'obligeant à quitter le territoire français, le préfet a méconnu les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant ;

- les décisions en litige portent une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale en méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et sont entachées d'erreur manifeste d'appréciation.

Par ordonnance du 8 juillet 2024, la clôture d'instruction a été fixée au 29 juillet 2024.

Mme E... épouse A... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 17 mai 2024.

Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- l'accord franco-marocain du 9 octobre 1987 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code du travail ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Après avoir été entendu au cours de l'audience publique le rapport de M. Chabert, président.

Considérant ce qui suit :

1. M. A..., né le 7 janvier 1979 et Mme E... épouse A..., née le 4 mai 1988, tous deux de nationalité marocaine, sont entrés en France le 9 novembre 2018 munis de leurs passeports sous couvert de visas de court séjour. Ils ont demandé au tribunal administratif de Montpellier d'annuler respectivement les arrêtés des 7 et 12 juin 2023 par lesquels le préfet de l'Hérault a rejeté leurs demandes de titre de séjour, les a obligés à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination, ensemble les décisions implicites rejetant leurs recours gracieux tendant à l'annulation de ces arrêtés. Par les requêtes nos 24TL00179 et 24TL00180, le préfet de l'Hérault relève appel des jugements du 21 décembre 2023 par lesquels le tribunal administratif de Montpellier a annulé ces arrêtés en tant qu'ils portent refus d'octroi d'un titre de séjour en qualité de salarié et obligation de quitter le territoire français, ensemble les décisions implicites de rejet de leurs recours gracieux. Par la voie de l'appel incident, M. A... et Mme E... épouse A... demandent l'annulation de ces jugements en tant qu'ils ont rejeté leurs demandes d'annulation des arrêtés du préfet de l'Hérault refusant de leur délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale ". Les requêtes nos 24TL00179 et 24TL00180 présentant à juger les mêmes questions et ayant fait l'objet d'une instruction commune, il y a lieu de les joindre pour statuer par un même arrêt.

Sur les appels principaux du préfet de l'Hérault :

2. D'une part, aux termes de l'article 3 de l'accord franco-marocain du 9 octobre 1987 : " Les ressortissants marocains désireux d'exercer une activité professionnelle salariée en France pour une durée d'un an au minimum (...) reçoivent, après le contrôle médical d'usage et sur présentation d'un contrat de travail visé par les autorités compétentes, un titre de séjour valable un an, renouvelable et portant la mention " salarié " éventuellement assortie de restrictions géographiques ou professionnelles. / Après trois ans de séjour régulier en France, les ressortissants marocains visés à l'alinéa précédent peuvent obtenir un titre de séjour de dix ans. Il est statué sur leur demande en tenant compte des conditions d'exercice de leurs activités professionnelles et de leurs moyens d'existence. (...) ". Aux termes de l'article 9 du même accord : " Les dispositions du présent accord ne font pas obstacle à l'application de la législation des deux Etats sur le séjour des étrangers sur tous les points non traités par l'accord ". Aux termes de l'article L. 421-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui exerce une activité salariée sous contrat de travail à durée indéterminée se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " salarié " d'une durée maximale d'un an. / La délivrance de cette carte de séjour est subordonnée à la détention préalable d'une autorisation de travail, dans les conditions prévues par les articles L. 5221-2 et suivants du code du travail ". Aux termes de l'article L. 412-1 du même code : " Sous réserve des engagements internationaux de la France et des exceptions prévues aux articles L. 412-2 et L. 412-3, la première délivrance d'une carte de séjour temporaire ou d'une carte de séjour pluriannuelle est subordonnée à la production par l'étranger du visa de long séjour mentionné aux 1° ou 2° de l'article L. 411-1 ".

3. Il résulte des stipulations et dispositions citées au point précédent que la délivrance à un ressortissant marocain du titre de séjour portant la mention " salarié " prévu à l'article 3 de l'accord franco-marocain est subordonnée à la production par l'intéressé d'un visa de long séjour et d'un contrat de travail visé par les services de la main d'œuvre étrangère ou une autorisation de travail.

4. D'autre part, aux termes de l'article L. 436-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et droit d'asile : " Sans préjudice des dispositions de l'article L. 412-1, préalablement à la délivrance d'un premier titre de séjour, l'étranger qui est entré en France sans être muni des documents et visas exigés par les conventions internationales et les règlements en vigueur (...) acquitte un droit de visa de régularisation d'un montant égal à 200 euros, dont 50 euros, non remboursables, sont perçus lors de la demande de titre. (...) Le visa mentionné au premier alinéa tient lieu du visa de long séjour prévu au dernier alinéa de l'article L. 312-2 si les conditions pour le demander sont réunies ". L'article L. 312-2 du même code dispose que : " Tout étranger souhaitant entrer en France en vue d'y séjourner pour une durée supérieure à trois mois doit solliciter auprès des autorités diplomatiques et consulaires françaises un visa de long séjour (...) / Ce visa peut autoriser un séjour de plus de trois mois (...) au titre d'une activité professionnelle (...) ".

5. Il résulte de la combinaison de ces dispositions, applicables à un ressortissant marocain en vertu de l'article 9 de l'accord franco-marocain, que lorsque la délivrance du titre de séjour est subordonnée à la production d'un visa long séjour, l'étranger entré en France sans être muni de ce visa peut se voir délivrer un visa de régularisation si les conditions pour demander un visa long séjour sont réunies, auquel cas le titre de séjour peut être délivré à l'intéressé

6. Il ressort des pièces du dossier que M. et Mme A... ont obtenu respectivement le 17 décembre 2021 et le 10 mars 2022, dans le cadre de leur demande d'admission au séjour au titre de leur vie privée et familiale et de leur situation professionnelle, le visa de régularisation mentionné par les dispositions de l'article L. 436-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile précitées et ont acquitté l'intégralité du droit y afférent. Par voie de conséquence, alors que le préfet n'établit pas ni même n'allègue que les intéressés ne réunissaient pas les conditions pour demander un tel visa pour l'exercice d'une activité salariée, le motif ainsi retenu par le préfet de l'Hérault dans les arrêtés des 7 et 12 juin 2023 est entaché d'une erreur de droit.

7. Il résulte de ce qui précède que le préfet de l'Hérault n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par les jugements attaqués, le tribunal administratif de Montpellier a annulé ses arrêtés des 7 et 12 juin 2023 portant refus de délivrance à M. A... et Mme E... épouse A... d'un titre de séjour en qualité salarié, obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, et fixation du pays de destination.

Sur les appels incidents présentés par M. A... et Mme E... épouse A... :

8. En premier lieu, par un arrêté n° 2022.09.DRCL.0357 du 14 septembre 2022, le préfet de l'Hérault a accordé à M. Frédéric Poisot, secrétaire général de la préfecture de l'Hérault, une délégation à l'effet de signer, " tous actes, arrêtés, décisions (...) relevant des attributions de l'Etat dans le département de l'Hérault (...), à l'exception, d'une part des réquisitions prises en application de la loi du 11 juillet 1938 relative à l'organisation générale de la nation en temps de guerre, d'autre part de la réquisition des comptables publics régie par le décret n° 62-1587 du 29 décembre 1962 portant règlement général sur la comptabilité publique. A ce titre, cette délégation comprend donc, notamment, la signature de tous les actes administratifs et correspondances relatifs au séjour et à la police des étrangers (...) ". Cette délégation de signature, qui n'est pas générale, habilitait ainsi M. D... à signer les arrêtés portant refus de séjour, avec obligation de quitter le territoire français, pris à l'encontre de M. A... et Mme E... épouse A.... Par suite, le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de l'acte doit être écarté.

9. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 425-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Les parents étrangers de l'étranger mineur qui remplit les conditions prévues à l'article L. 425-9, ou l'étranger titulaire d'un jugement lui ayant conféré l'exercice de l'autorité parentale sur ce mineur, se voient délivrer, sous réserve qu'ils justifient résider habituellement en France avec lui et subvenir à son entretien et à son éducation, une autorisation provisoire de séjour d'une durée maximale de six mois. La condition prévue à l'article L. 412-1 n'est pas opposable. / Cette autorisation provisoire de séjour ouvre droit à l'exercice d'une activité professionnelle. / Elle est renouvelée pendant toute la durée de la prise en charge médicale de l'étranger mineur, sous réserve que les conditions prévues pour sa délivrance continuent d'être satisfaites. / Elle est délivrée par l'autorité administrative, après avis d'un collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, dans les conditions prévues à l'article L. 425-9. / (...) ". Aux termes de l'article L. 425-9 du même code auquel renvoient ainsi les dispositions précédentes : " L'étranger, résidant habituellement en France, dont l'état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et qui, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention "vie privée et familiale" d'une durée d'un an. (...). / La décision de délivrer cette carte de séjour est prise par l'autorité administrative après avis d'un collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, dans des conditions définies par décret en Conseil d'Etat. / (...) ".

10. Sous réserve des cas où la loi attribue la charge de la preuve à l'une des parties, il appartient au juge administratif, au vu des pièces du dossier, et compte tenu, le cas échéant, de l'abstention d'une des parties à produire les éléments qu'elle est seule en mesure d'apporter et qui ne sauraient être réclamés qu'à elle-même, d'apprécier si l'état de santé d'un étranger nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité, sous réserve de l'absence d'un traitement approprié dans le pays de renvoi, sauf circonstance humanitaire exceptionnelle. La partie qui justifie d'un avis du collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration qui lui est favorable doit être regardée comme apportant des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence ou l'absence d'un état de santé de nature à justifier la délivrance ou le refus d'un titre de séjour. Dans ce cas, il appartient à l'autre partie, dans le respect des règles relatives au secret médical, de produire tous éléments permettant d'apprécier l'état de santé de l'étranger et, le cas échéant, l'existence ou l'absence d'un traitement approprié dans le pays de renvoi. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si l'état de santé d'un étranger justifie la délivrance d'un titre de séjour dans les conditions ci-dessus rappelées, se détermine au vu de ces échanges contradictoires.

11. Il ressort des pièces des dossiers que, s'agissant de l'état de santé de l'enfant de M. A... et Mme E... épouse A..., B..., le collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration a estimé, dans son avis du 12 décembre 2022 sur lequel s'est fondé le préfet de l'Hérault, que son état de santé nécessitait une prise en charge médicale, mais que le défaut d'une telle prise en charge ne devrait pas entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité pour cet enfant et que son état de santé lui permet de voyager sans risque vers son pays d'origine. Les intéressés, levant le secret médical, ont produit divers documents notamment des certificats médicaux établis pour leur fille. Il ressort de ces documents que la jeune B... présente un trouble du neurodéveloppement de type trouble du spectre de l'autisme associé à un retard global de développement. Il ressort de ces mêmes pièces que si une prise en charge pluridisciplinaire est préconisée, et si notamment le certificat médical établi par un pédopsychiatre le 1er juin 2023 indique que l'enfant est également " suivie en neuropédiatrie pour une épilepsie " et préconise " la poursuite des rééducations engagées sur Montpellier ", ces documents ne permettent pas en revanche de remettre en cause l'appréciation portée par le collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, reprise par le préfet de l'Hérault dans les décisions en litige, selon laquelle l'absence de traitement ne devrait pas avoir de conséquences d'une gravité exceptionnelle pour l'enfant des intimés. Par conséquent, les décisions en litige ne sont entachées ni d'une erreur de droit, ni d'une erreur d'appréciation, au regard des dispositions des articles L. 425-9 et L. 425-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile précitées au point 9 du présent arrêt.

12. En troisième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".

13. M. A... et Mme E... épouse A... se prévalent d'une durée de présence en France depuis plus de quatre années et de la fixation de leurs intérêts privés sur le territoire. Toutefois, ils n'attestent pas de l'effectivité des liens entretenus sur le territoire français en dehors de leur propre cellule familiale ni d'une particulière intégration sociale. Le seul fait que deux de leurs enfants soient scolarisés en France, depuis la fin d'année 2018, n'est à cet égard pas suffisant. Par ailleurs, ainsi qu'il a été exposé au point 11 du présent arrêt, le défaut de prise en charge de l'état de santé de leur fille ne devrait pas entraîner de conséquences d'une exceptionnelle gravité. Au surplus, alors qu'ils ont chacun vécu la majorité de leur vie dans leur pays d'origine, ils n'établissent pas y être dépourvu d'attaches. Eu égard aux conditions de séjour des requérants sur le territoire national et alors même qu'ils y exercent une activité professionnelle depuis 2019, l'une en qualité d'assistante de direction, l'autre en tant que maçon, et qu'au surplus M. A... s'est engagé dans une formation dans le domaine de la comptabilité, les décisions contestées ne portent pas une atteinte disproportionnée à leur droit au respect de la vie privée et familiale. Par suite, les moyens selon lesquels les décisions en litige méconnaîtraient les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et seraient entachées d'une erreur manifeste d'appréciation doivent être écartés.

14. En cinquième et dernier lieu, aux termes de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant du 26 janvier 1990 : " 1. Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ". Il résulte de ces stipulations, qui peuvent être utilement invoquées à l'appui d'un recours pour excès de pouvoir, que, dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation, l'autorité administrative doit accorder une attention primordiale à l'intérêt supérieur des enfants dans toutes les décisions les concernant. Elles sont applicables non seulement aux décisions qui ont pour objet de régler la situation personnelle d'enfants mineurs mais aussi à celles qui ont pour effet d'affecter, de manière suffisamment directe et certaine, leur situation.

15. Les décisions attaquées n'ont ni pour objet ni pour effet de séparer M. A... et Mme E... épouse A... de leurs enfants mineurs, qui ont vocation à accompagner leurs parents au Maroc et où la vie familiale pourra s'y reconstituer, et ce d'autant plus qu'ils s'avèrent être dépourvus de toute attache privée et familiale proche et stable en France. Les intéressés ne démontrent pas que leurs enfants ne pourraient y être scolarisés et, compte tenu de ce qui a été exposé au point 11 du présent arrêt, l'état de santé de leur enfant B... ne permet pas de considérer que les décisions ont été prises en méconnaissance de l'intérêt supérieur de cette dernière ainsi que des autres enfants des intimés. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations précitées ne peut qu'être écarté.

16. Il résulte également de ce qui précède que M. A... et Mme E... épouse A... ne sont pas fondés à soutenir, par la voie de l'appel incident, que c'est à tort que, par les jugements nos 2201692, 2305674 et 2305045 du 21 décembre 2023, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté le surplus de leurs conclusions tendant à l'annulation des décisions portant refus de délivrance d'un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale ". Par voie de conséquence, les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte présentées par les intimés ne peuvent qu'être rejetées.

Sur les frais liés aux litiges :

17. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat, qui est la partie perdante dans la présente instance, le versement d'une somme de 1 200 euros à Me Ruffel, conseil des intimés qui ont obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale, en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que ce dernier renonce à percevoir la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle.

D E C I D E :

Article 1er : Les requêtes du préfet de l'Hérault nos 24TL00179 et 24TL00180 sont rejetées.

Article 2 : Les conclusions de M. A... et Mme E... épouse A... présentées par la voie de l'appel incident sont rejetées.

Article 3 : L'Etat versera une somme de 1 200 euros à Me Ruffel au titre des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que ce dernier renonce à percevoir la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur, à M. F... A... et Mme C... E... épouse A... et à Me Ruffel.

Copie en sera adressée au préfet de l'Hérault.

Délibéré après l'audience du 20 mars 2025, à laquelle siégeaient :

M. Chabert, président,

M. Teulière, président assesseur,

M. Jazeron, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 3 avril 2025.

Le président-rapporteur,

D. Chabert

Le président-assesseur,

T. Teulière

La greffière,

N. Baali

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

Nos 24TL00179, 24TL00180


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de TOULOUSE
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 24TL00179
Date de la décision : 03/04/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. Chabert
Rapporteur ?: M. Denis Chabert
Rapporteur public ?: M. Diard
Avocat(s) : RUFFEL

Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-04-03;24tl00179 ?
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